La statue de Sir Matt Busby ou l’invention d’un héros populaire à Manchester United

p. 167-174

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Les milliers de visiteurs qui affluent à Old Trafford, le stade de Manchester United, ne peuvent manquer l’imposante statue de Sir Matt Busby, l’iconique entraîneur du club. Localisée à l’extérieur de la tribune Est, la statue de bronze de deux mètres de hauteur, et œuvre du sculpteur écossais Philip Jackson, s’impose dans un décor qui comprend l’imposant lettrage rouge en relief affichant « Manchester United » et le mégastore qui commercialise divers produits dérivés estampillés de la marque du club. Objet de mémoire et d’hommage à une personnalité emblématique, la statue constitue une pièce remarquable pour découvrir la façon dont un club fabrique,z nourrit et matérialise sa mémoire.

Figure 1 : la statue de Sir Matt Busby au stade d’Old Trafford, œuvre du sculpteur écossais Philip Jackson (1996).

Figure 1 : la statue de Sir Matt Busby au stade d’Old Trafford, œuvre du sculpteur écossais Philip Jackson (1996).

Crédit : Claude Boli.

Une plongée dans l’histoire du football anglais depuis 1945 nous rappelle l’incontournable place du club de Manchester United et surtout d’une figure qui incarne au mieux les succès et les drames. Matt Busby est l’un des acteurs emblématiques par lequel le « roman » du club mancunien s’est incarné, ou plutôt s’est érigé en statut modèle. Mais en quoi est-il différent des autres entraîneurs et a-t-il marqué la fonction d’entraîneur ? Quels sont les ressorts du mythe Busby ? Qu’est-ce que l’édification de la statue de Busby nous apprend sur la politique mémorielle et patrimoniale de Manchester United entamée depuis la fin des années 1950 ?

Un entraîneur aux idées novatrices

Matt Busby est né en 1910, à Orbiston, une zone minière de la banlieue de Glasgow. Plutôt doué à l’école, il effectue des études secondaires dans un établissement réputé. Son proviseur conseille à Nelly Busby d’encourager son fils à demeurer au lycée jusqu’à l’âge de 18 ans afin de préparer une carrière d’enseignant. Mais la précarité matérielle incite sa mère, devenue veuve1, à envisager l’émigration vers l’Amérique. En attendant d’obtenir un visa, Matt Busby vit des expériences qui changent son destin. Par nécessité, il « descend » à la mine où il doit effectuer un travail particulièrement pénible, et durant son temps libre, il joue au football. C’est un bon joueur. Il est parmi les jeunes prometteurs du club d’Alpine Villa, une des meilleures équipes juvéniles de Glasgow. Les dirigeants de Manchester City s’intéressent à lui et le recrutent à l’âge de 18 ans. Il effectue une carrière honorable de milieu de terrain à City (entre 1928 et 1936) qui est l’un des meilleurs clubs de l’époque alors que Manchester United végète en seconde division. Il participe notamment à deux finales de FA Cup2 et dispute près de 230 matchs avec les Blues. Durant la saison 1935-1936, il est transféré au Liverpool FC pour un passage écourté par la seconde guerre mondiale. En 1939, les dirigeants de la Football League (FL) suggèrent que les footballeurs rejoignent les forces militaires pour servir « d’exemple » à la population3. Il est d’abord nommé préparateur physique à la base d’Adelshort et prend la charge d’équipes de football dans lesquelles il retrouve d’autres footballeurs professionnels. Il maintient sa condition physique et acquiert le sens du leadership et de la discipline4. Persuadé que la participation aux entraînements demeure la meilleure façon de connaitre les joueurs, c’est sur le terrain que se forge sa vocation d’entraîneur. À 35 ans, après sa démobilisation, il décide de mettre fin à sa carrière de joueur et reçoit deux propositions pour entrer dans le staff technique de Liverpool FC ou de Manchester United. Il opte pour le second et ainsi commence une nouvelle histoire.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’influence d’un groupe de personnalités du monde du football amorce un changement profond dans la position de l’entraîneur5. L’adoption de l’appellation de manager, devenant un véritable « titre de noblesse », met fin à l’ambiguïté de la fonction de secretary-manager. Dans l’ensemble des clubs de l’élite anglaise, la fonction a pratiquement disparu pour laisser place à une nette répartition des responsabilités entre le secrétaire général (rôle administratif) et l’entraîneur (homme de terrain)6. La valorisation d’une carrière de joueur représente un atout pour conquérir le poste de celui qui a la charge de la performance sportive. Les initiateurs de ce mouvement sont de jeunes entraîneurs et dirigeants influents de la fédération comme Stanley Rous, le secrétaire de la Football Association, et Walter Winterbottom, entraîneur de l’équipe nationale et directeur technique à la fédération, de 1946 à 1962. L’Écossais Matt Busby compte parmi cette nouvelle vague.

Pendant vingt-six ans (1945-1971), il transforme Manchester United. La politique de formation et l’entrée en Coupe d’Europe dessinent les contours d’un club exceptionnel. Sous sa direction sportive, Manchester United met en place un réseau de recrutement juvénile très méticuleux. Entre 1956 et 1966, aucun club ne peut rivaliser avec les Red Devils en matière de réussite sportive dans les compétitions de jeunes. La F. A. Youth Challenge Cup, créée en 1953, devient la vitrine de domination. Peu de clubs possèdent dans leur équipe plusieurs jeunes internationaux comme Liam Whelan ou Duncan Edwards directement sortis de la « nurserie » du club, les « Busby Babes ». Dans l’effectif de vingt-quatre joueurs de l’équipe qui remporte, de fort belle manière, le championnat 1955-1956, treize sont arrivés au club entre l’âge de 15 et 16 ans. Le système de détection s’étend des environs de Manchester aux grandes cités urbaines de football (Glasgow, Birmingham, Newcastle, Belfast) dirigés par des scouts (recruteurs) rémunérés, et installés à Manchester, Belfast, Dublin7. Les lieux de prédilection des recruteurs sont les matchs de schoolboy teams, rencontres de sélections d’équipes de jeunes. La quête de futurs talents est particulièrement perceptible dans la composition des effectifs. Ainsi, sur les 135 joueurs de la période Busby qui ont effectué au moins un match officiel dans l’équipe première, 36,2 % proviennent des schoolboy teams8. Toutefois, la politique de Busby est parfois contestée et certains revers sportifs suscitent l’opposition critique de certains dirigeants. La résistance de l’entraîneur pour imposer ses propres choix témoigne des mutations des rapports de force au sein des instances dirigeantes.

La décision de participer à la Coupe d’Europe des clubs champions, lancée par le quotidien français L’Équipe, fournit un autre exemple de l’influence de Matt Busby. En décembre 1953, la Football Association transmet aux dirigeants de club une invitation à participer à un tournoi de juniors, organisé par le club suisse de Blue Stars Zurich. Busby décide de répondre favorablement à l’invitation à la compétition programmée en mai 1954. Le tournoi est perçu par l’entraîneur comme une occasion de confronter ses boys à leurs homologues continentaux. À une époque de relative fermeture des Britanniques sur le football « d’ailleurs »9, l’initiative de l’entraîneur a une répercussion autant au sein du club que parmi des joueurs. Wilf McGuinness, l’un des jeunes de la délégation, se rappelle le caractère extraordinaire de la confrontation sportive, et surtout de la découverte d’un autre monde :

Le voyage sur le continent avait quelque chose de complètement nouveau. Pour la plupart d’entre nous, c’était la première fois qu’on quittait Manchester, qu’on voyageait ensemble, qu’on jouait conte une équipe européenne. Mais ce qui était le plus nouveau, c’étaient les repas. Je me souviens des couverts de table, des cuillères et des couteaux, et des différents plats sur la table. C’était vraiment étrange. Pour nous autres, issus de familles ouvrières, c’était incroyable. Quand on a servi la salade, aucun de nous ne savait s’il fallait la manger au début, au milieu ou à la fin du repas. Je garde un souvenir unique, d’autant plus que nous avons remporté le tournoi. M. Busby était fier de nous.10

La Coupe d’Europe des clubs champions débute en 1955. Les deux instances dirigeantes prennent à son égard des positions divergentes. À la Football Association, l’idée reçoit un avis favorable en partie grâce au soutien de Stanley Rous, ami de Gabriel Hanot, responsable de la rubrique football à L’Équipe et instigateur de la compétition. Le désir de Rous de rompre avec l’isolationnisme du football anglais trouve un écho important auprès de Busby. Du côté de la Football League, la Coupe d’Europe est vue comme un tournoi concurrent et secondaire. Le club de Chelsea qui remporte le championnat durant la saison est sollicité. La Football League recommande aux directeurs du club londonien de refuser. Finalement, les dirigeants de Chelsea, par crainte de sanctions, déclinent l’invitation.

Manchester United se trouve dans une situation délicate : défendre la compétition nationale et refuser l’invitation étrangère, ou défier le conservatisme de la FL et risquer de compromettre ses relations avec l’autorité principale des clubs. Les dirigeants adoptent la seconde solution. La responsabilité de la décision incombe principalement à Matt Busby qui engage son autorité sportive. Dans ce domaine, il intervient comme le porte-parole du club11 et fait valoir ses succès sportifs pour imposer sa volonté. En 1957, le club dispose d’un palmarès enviable avec deux titres de champion d’Angleterre (1952 et 1956) et un titre de vainqueur de la FA Cup (1948). Busby réussit parfaitement la transition entre l’équipe vieillissante dont il a hérité et la jeune formation qu’il a façonnée. La politique qu’il encourage depuis son arrivée est un triomphe. Trois joueurs, Roger Byrne, Tommy Taylor et Duncan Edwards, symboles de l’esprit de formation, sont titulaires dans l’équipe d’Angleterre. Duncan Edwards, qui a joué son premier match international à 18 ans, est considéré comme le grand espoir du football anglais depuis l’humiliante défaite à Wembley contre les « magiciens » hongrois en 195312 et l’échec de la Coupe du monde une année plus tard13. L’accumulation de ce capital sportif fait de l’entraîneur la figure centrale du club ; il en personnifie la réussite et l’esprit.

6 février 1958 et 29 mai 1968 : deux moments du « mythe Busby »

Depuis le 6 février 1958, le nom de Manchester United est étroitement lié à l’accident d’avion qui s’est produit à Munich, au retour d’une rencontre de Coupe d’Europe contre l’équipe de l’Étoile Rouge de Belgrade. Les décès de Geoff Bent, Roger Byrne, Eddie Colman, Duncan Edwards, Mark Jones, David Pegg, Tommy Taylor et Billy Whelan constituent l’un des moments les plus marquants de l’histoire du club, du football anglais et d’une génération de gamins des années 1950 comme l’historien James Walvin14. Différentes raisons permettent d’accorder à l’accident une place singulière dans la mémoire mancunienne et, plus généralement, britannique. Ce sont d’abord les conditions dans lesquelles les dirigeants, et en particulier Matt Busby, décident de participer à la compétition. D’ailleurs, elle hante longtemps l’entraineur, marqué par un sentiment de culpabilité. Busby va jusqu’à se demander s’il n’est pas celui qu’il faudrait blâmer15 pour le sort tragique des jeunes joueurs « embarqués » pour l’aventure européenne. Quoi qu’il en soit, la catastrophe aérienne marque le coup d’arrêt d’une génération exceptionnelle de jeunes joueurs conduits par le milieu de terrain Duncan Edwards et l’avant-centre Tommy Taylor. La presse a fait de ces deux joueurs les figures de proue du réveil et de l’honneur d’une équipe nationale, en perte de vitesse sur la scène internationale après une série d’humiliantes défaites16. La pénétration progressive de la télévision dans les foyers de milliers de personnes a pour effet de rendre le crash plus émouvant avec ces images des débris de l’avion.

Enfin, les efforts réalisés par l’équipe médicale allemande pour le rétablissement des victimes, notamment Matt Busby, permettent d’établir des ponts de sympathie entre l’Allemagne et l’Angleterre, et d’internationaliser la popularité du club. Les procédures et moments de commémorations de l’événement constituent une voie par laquelle les dirigeants bâtissent un espace de reconnaissance et de solidarité entre les différents membres du club. L’accident de Munich devient un deuil collectif, une peine partagée, un « patrimoine tragique », une singularité historique unanimement respectée. Il sert d’instrument de construction d’une mémoire collective17. À côté du processus de mythologisation des décès tragiques des « Busby Babes » exposés dans différents ouvrages hagiographiques18, les dirigeants s’activent pour ne jamais oublier « le 6 février 1958 ». Les alentours du stade d’Old Trafford deviennent des « sanctuaires de commémoration » et des lieux d’identification à la communauté Manchester United. À partir du mois d’avril 1958, une section intitulée « Munich Memorial » au sein du Manchester United Minutes Book permet de suivre le processus de choix des objets de mémoire. Le matériau et la forme, l’emplacement, les sommes engagées dans les travaux, l’attention portée aux dates de commémoration sont autant de critères qui sont discutés pour accroître la force symbolique de l’objet ou de la plaque. Il en va ainsi de l’installation d’une horloge, somme toute banale, dans le stade, aisément visible par les supporters, dont les aiguilles seraient bloquées à 15 h 04, heure précise de l’accident. Le projet est abandonné pour des raisons de sécurité, afin de pas induire les supporters en erreur. Finalement, le 25 février 1960 voit l’inauguration de la Munich Memorial Plaque et de la Munich Clock. Les deux pièces de commémoration sont situées à l’extérieur de la tribune est, la partie des supporters les plus « chauds ». Sur la plaque en forme de terrain figure la liste des défunts (secrétaires, assistants entraîneurs et joueurs). Sur l’horloge sont inscrits le mois, le jour et l’année de l’accident.

Figure 2 : la Munich Clock d’Old Trafford (1960).

Figure 2 : la Munich Clock d’Old Trafford (1960).

Crédit : Claude Boli.

Dix années après la tragédie de Munich, surgit « le bonheur de Wembley ». Le 29 mai 1968, dans l’emblématique stade de Wembley, en finale de la Coupe d’Europe, Manchester United bat sur le score de 4 à 1 le Benfica Lisbonne. Matt Busby réalise son rêve : reconstruire une équipe pour conquérir ce qui est devenu le Graal des clubs. L’équipe composée du trio magique Bobby Charlton, Denis Law et George Best19 bat le Benfica du redoutable buteur Eusébio. Le monde redécouvre le visage de Matt Busby ; cette fois il est heureux. La presse fait l’éloge de l’équipe et surtout de Matt Busby, surnommé « le père de Manchester United ». Manchester United devient le premier club anglais à remporter la Coupe d’Europe des clubs champions. Moment merveilleux qui restera à travers la presse locale et nationale, la victoire personnelle d’un homme : Matt Busby. Les réactions sont unanimes. Le héros de cette éblouissante performance est l’entraîneur écossais. Quelques mois après la victoire, il est anobli par la Reine, devenant le premier entraineur de club à recevoir cette consécration royale.

Une figure d’unité

Quand en 1986, s’ouvre le musée de Manchester United (premier de ce genre en Angleterre), le club poursuit depuis plusieurs années une véritable politique de sacralisation des moments victorieux et des personnages qui ont grandement participé l’histoire des Red Devils. Dix années plus tard, Manchester United est devenu un club à succès, riche et doté de joueurs charismatiques (Éric Cantona, Ryan Giggs, David Beckham). Dans les années 1990, il fait autant parler par son palmarès sportif que ses étourdissants bénéfices économiques grâce à une activité commerciale devenue modèle d’excellence. L’entrée en bourse en 1991 et la transformation managériale du club constitue un moment décisif. Les nouvelles directions prises par la Football Association afin d’améliorer l’image du jeu à l’échelle nationale (formation d’un nouveau championnat baptisé Premier League, rénovation des stades, lutte sévère contre l’hooliganisme, négociation des droits télévisés) et internationale (candidature d’organisation de compétitions hautement médiatisées) favorisent les desseins des dirigeants de Manchester United. L’exploitation commerciale du succès sportif, dans lequel le supporter occupe une place prépondérante devient l’une des priorités des administrateurs. La manière dont sont perçus les supporters change radicalement. Le supporteur est désormais vu comme un client-consommateur, acteur de la puissance sportive et économique. L’ambition des responsables des secteurs économiques est parfaitement délivrée dans les mots de d’Edward Freedman, le premier directeur du département de merchandising : « Nous avons l’ambition de convertir les supporters de Manchester United en véritables clients.20 »

Les formes et moyens d’affiliation au club sont adaptés à la mondialisation des soutiens à Manchester United. En 1992 sort le premier numéro de Manchester United Magazine vendu dans plus de vingt-cinq pays et surtout traduit en norvégien, en thaï et en cantonnais pour les fidèles supporters installés loin d’Old Trafford. En 1995, pour la première fois dans l’histoire d’un club britannique, les recettes de matchs sont devancées par une autre activité commerciale : le merchandising.

Face à cette mutation d’un club devenu marque commerciale21, l’opinion publique pointe les excès, les dérives d’un « club à fric », d’un football actuel qui s’éloigne du people’s game. Tony Blair, chef du Parti travailliste confie publiquement son attachement à Stanley Matthews, incarnation d’après lui du football du peuple22. L’éloignement progressif de supporters issus des milieux populaires à Old Trafford est dénoncé par les fans et surtout par un working class hero, l’entraineur écossais Alex Ferguson. Des cris de protestation s’élèvent des tribunes23. En 1995, se forme IMUSA (Independent Manchester United Supporters’ Association) un groupe de supporters très actif et régulièrement présent dans la presse papier et sur les plateaux de télévision. L’Angleterre des années 1990 est aussi celle d’un retour en force de la culture populaire qui s’exprime dans la musique (succès national et mondial de la pop anglaise), la littérature (Nick Hornby) et dans le cinéma social (Ken Loach24).

Face à cette « pression sociale » qui appelle à un retour de l’âge d’or mythique du football où les héros populaires retrouveraient une place importante au sein des clubs, les dirigeants de Manchester United réagissent. Il faut répondre aux attentes à la « famille United ». Une décision s’impose. L’initiative doit être unanimement partagée. Le choix doit être consensuel. Qui est celui qui est capable d’incarner l’histoire du club ? Qui est celui qui lie plusieurs générations ? Celui qui symbolise l’âge d’or de Manchester United ? L’enfant du peuple qui a fait de Manchester United une institution mondialement connue ? Immanquablement Sir Matt Busby.

Le 27 avril 1996 est inaugurée une imposante statue en hommage à l’entraîneur mythique. Parmi les personnalités présentes : les deux enfants de Busby, Alex Ferguson – l’entraîneur écossais originaire de Glasgow – et le président du club Martin Edwards. Des supporters venus de Grande-Bretagne et de pays étrangers (Malte, Allemagne, Suisse, Malaisie) sont également présents. La statue est réalisée par l’Écossais Philip Jackson, un sculpteur de renom. La silhouette en mouvement est posée sur un socle rigide sur lequel est inscrit sobrement : Sir Matt Busby. La pièce est située à l’extérieur de la tribune est du stade Old Trafford, un lieu très fréquenté par les fans et les visiteurs. Sir Matt Busby est représenté élégamment dans la tenue qu’il portait lors de la victoire finale en Coupe d’Europe des clubs champions à Wembley, en 1968. Il tient un ballon dans la main. Régulièrement déplacée, la sculpture est installée depuis l’an 2000 sous l’impressionnante enseigne « Manchester United », non loin de l’immense mégastore qui accueille les millions de supporters des Red Devils.

Depuis le milieu des années 2000, l’érection de statues de personnalités emblématiques, aux alentours du stade25, constitue une des caractéristiques marquantes des politiques mémorielles des clubs anglais. Plusieurs clubs convoquent la mémoire de joueurs (Best-Law et Charlton à Manchester United) ou d’un entraîneur (Sir Matt Busby à Manchester United, Bill Shankly à Liverpool FC) pour faire resurgir et commémorer un passé glorieux. Le dessein des clubs, qui progressivement deviennent des entreprises globalisées, est aussi de se rattacher à une certaine idée du football : celle du people’s game. Nécessairement cette tendance entraîne une valorisation des héros issus des milieux populaires comme Sir Matt Busby.

Notes

1 Le père de Matt Busby meurt au front, en France, durant la Grande Guerre. Return to text

2 La Football Association Cup ou Coupe d’Angleterre. Return to text

3  Richard Cox, Dave Russell, Wray Vamplew, Encyclopedia of British Football, Londres, Frank Cass, 2002, p. 283-284. Return to text

4  Matt Busby, My Story, Londres, The Sportsmans Book Club, 1959, p. 70. Return to text

5  Claude Boli « L’entraîneur dans le football professionnel en Angleterre 1902-2004. Les transformations d’un poste et d’une position », in Jean Michel Faure et Sébastien Fleuriel (dir.), Excellences sportives. Economie d’un capital spécifique, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2010, p. 113-140. Return to text

6  Dennis Turner et Alex White, The Breedon Book of Football Managers, Derby, Breedon Books, 1993. Return to text

7  MUMB (Manchester United Minutes Book ou procès-verbaux des comités de direction du club), 22 janvier 1952. Return to text

8  Claude Boli, Manchester United, l’invention d’un club, Paris, Éditions de La Martinière, 2004, p. 397. Return to text

9  Richard Weight, Patriots. National identity in Britain 1940-2000, Londres, Macmillian, 2002, p. 263. Return to text

10  Entretien avec Wilf McGuinness, 18 mai 1999, Old Trafford, Manchester. Return to text

11  MUMB, 22 mai 1956. Return to text

12 Le 25 novembre 1953, l’équipe d’Angleterre est surclassée à Wembley par la Hongrie emmenée par Ferenc Puskas (6-3). Return to text

13 L’équipe d’Angleterre est éliminée en quart de finale par l’Uruguay, champion du monde en titre (4-2). Return to text

14  James Walvin : Different Times. Growing Up in Post-War England, York, Algie Books, 2014, p. 147 Return to text

15  Matt Busby, Soccer at the top. My life in football, Londres, Sphere Books, 1974, p. 40. Return to text

16 L’Angleterre avait aussi été aussi éliminée par les États-Unis (1-0) lors de la Coupe du monde 1950 disputée au Brésil et écrasée 7-1 à Budapest par la Hongrie de Puskas le 23 mai 1954. Return to text

17 Joyce Woolridge, « They shall grow not old: mourning, memory and the Munich air disaster of 1958 », Manchester Region History Review, vol. 20, 2009, p. 111-132. Return to text

18  Le plus célèbre des ouvrages est celui d’un journaliste, Frank Taylor, The Day a team died. The Classic eye-witness account of Munich 1958, Londres, Souvenir Press, 1983. Return to text

19  Avec Denis Law (1964), Bobby Charlton (1966) et George Best (1968), Manchester United est à ce jour, l’unique club britannique à s’enorgueillir de trois lauréats du Ballon d’or France Football, la récompense qui consacre le meilleur joueur européen à l’époque. Le 29 mai 2008 est inaugurée sur Sir Matt Busby Way, la statue des trois joueurs intitulée « The United Trinity. Best-Law-Charlton ». Les joueurs font face à la statue de Sir Matt Busby. Return to text

20  Entretien avec Edward Freedman, 20 novembre 1996, Old Trafford, département du merchandising, Manchester ; Tony Mason « Stanley Matthews », in Richard Holt (éd.), Sport and the working class in modern Britain, Manchester, Manchester University Press, 1990, p. 159-178 Return to text

21 Voir à ce sujet l’article de Martine Benammar. Return to text

22  Martin Polley, Moving the Goalpost. A history of sport and society since 1945, Londres, Routledge, 1998, p. 1. Return to text

23  Matthew Taylor, The Association Game. A History of British Football, Londres, Pearson Longman, 2008, p. 368-370. Return to text

24 Voir le témoignage de Ken Loach. Return to text

25  Le sculpteur anglaise Sean Hedges-Quinn est l’auteur de plusieurs statues dont Sir Alf Ramsey (Portman Road Stadium, Ipswich, 2000), Bob Stokoe (Stadium of Light, Sunderland, 2006), Sir Bobby Moore (Portman Road Stadium, Ipswich, 2002), Nat Lofthouse (Reebook Stadium, Bolton, 2013). Pour mieux connaître l’artiste et ses œuvres, cf. Sean Hedges-Quinn, « I’ve got the ball now ». The making of the Nat Lofthouse Statute, Penultimate Creative, 2013, p. 100-101. Sur l’essor des statues autour des stades dans le championnat anglais, voir http://www.offbeat.group.shef.ac.uk/statues/publications.htm Return to text

Illustrations

References

Bibliographical reference

Claude Boli, « La statue de Sir Matt Busby ou l’invention d’un héros populaire à Manchester United », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 2 | 2023, 167-174.

Electronic reference

Claude Boli, « La statue de Sir Matt Busby ou l’invention d’un héros populaire à Manchester United », Football(s). Histoire, culture, économie, société [Online], 2 | 2023, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=286

Author

Claude Boli

Responsable scientifique du Musée National du Sport

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Licence CC BY 4.0