Les archives des « Invincibles » de Preston North End

p. 157-163

Plan

Texte

En 1888, le club de Preston North End (PNE) fait partie des 12 clubs qui créent la Football League, la première ligue professionnelle anglaise, composée par des équipes de la moitié nord du pays. S’il est un pionnier emblématique de ce football professionnel, PNE est celui-là. En 1884, le club avait été exclu de la Football Association Cup pour motif de professionnalisme, autrement dit pour s’être opposé à une institution (la fédération anglaise de football) défendant une vision aristocratique (et donc nécessairement amateur) du football. Plus qu’un état de fait, le statut professionnel du club, autorisé cette même année 1885, devient un motif de fierté et fait partie intégrante de son identité. La période de naissance et d’essor du professionnalisme est d’ailleurs synonyme de grands succès sportifs pour Preston, qui réalise le doublé coupe-championnat lors de la saison 1888-1889 tout en étant invaincu, ce qui vaudra à ses joueurs le surnom d’« Invincibles ». PNE incarne donc à la fois l’affirmation du professionnalisme, le club se dotant d’une structure économique complète à la fin des années 1880 et au début des années 1890, et le processus naissant de l’internationalisation du football, illustré par l’influence des joueurs gallois et écossais dans l’équipe des Invincibles de 1888-1889.

Pourtant, malgré cette riche histoire, peu d’ouvrages se sont penchés sur le club de Preston North End et son équipe de la saison 1888-1889. Seuls deux ouvrages non académiques en ont fait leur sujet principal, à savoir le livre de David Hunt1, qui relate une histoire politique du club, et celui de Mike Payne et Ian Rigby2 qui répertorie des succès sportifs du club (on y trouve par exemple les résultats de tous les matchs de PNE depuis 1888 ainsi qu’une liste des joueurs). Le mémoire de master d’histoire contemporaine3 que je suis en train de rédiger à l’ENS Paris-Saclay veut donc réparer cet oubli en proposant une histoire sociale et culturelle du Preston North End du début de la Football League à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, comme tout travail sur l’histoire des débuts du football professionnel britannique4, il doit composer avec des sources disparates.

Figure 1 : l’équipe de Preston North End lors de la première saison de la Football League (First Division) 1888-1889.

Figure 1 : l’équipe de Preston North End lors de la première saison de la Football League (First Division) 1888-1889.

Crédits : coll. part.

La presse, un lieu de passage incontournable

Comme l’a bien montré l’ouvrage fondateur de Tony Mason, Association Football and English Society5, la presse constitue la clé de voûte des archives du football. Elle permet en effet, en plus d’informations purement factuelles sur la période étudiée, d’avoir accès à l’information presque quotidienne sur les équipes de football et de saisir les discours sur le jeu. S’il ne faut pas prendre la presse comme le reflet exact des représentations de la société sur un sujet, elle peut tout de même être considérée comme un bon révélateur de certains processus qui entourent le club de PNE et plus généralement le football anglais de la fin du xixe siècle.

Confronter presse locale et régionale6 s’avère être particulièrement fécond, afin d’observer les différences de traitement d’une même information ou d’un même événement depuis plusieurs points de vue. On peut percevoir ainsi des différences dans l’identité qui est mise en avant : The Lancashire Daily Post (quotidien régional basé à Preston et créé en 1886) met par exemple en lumière les victoires des équipes du Lancashire au cours du samedi précédent, surtout quand elles sont remportées face à des équipes des Midlands. Ce patriotisme local s’exprime aussi dans la désignation de PNE. Quand les quotidiens nationaux utilisent des termes génériques, le Lancashire Daily Post évoque les « Deepdalians », d’après le nom du stade de Preston, Deepdale. De même, le Londonien The Sportsman, un quotidien spécialisé dans le turf créé à Londres en 1865, mais vite gagné au football association et comptant parmi ses rédacteurs Charles Alcock7, insistait dès la première saison du championnat professionnel, sur les rivalités régionales sous-tendant un match tel que PNE, représentant le Lancashire, et Wolverhampton, les Midlands8. En somme, la presse donne à voir des différences dans la perception des équipes notamment par rapport à un ancrage géographique différencié, qui suppose une proximité géographique, mentale, mais aussi émotionnelle plus forte dans le Lancashire qu’ailleurs.

Figure 2 : « Preston North End. The Fight for the Cup », The Preston Herald, samedi 30 mars 1889.

Figure 2 : « Preston North End. The Fight for the Cup », The Preston Herald, samedi 30 mars 1889.

Crédits : The British Library Board. All Rights Reserved.

Si la presse constitue une véritable mine d’or à plus d’un titre (elle permet aussi, par exemple, à travers les métaphores utilisées pour décrire les matchs, de constater l’intégration du football dans un système de pensée et de représentations marqué par la révolution industrielle britannique), il convient d’en souligner ses limites. Tout d’abord, problème central de l’histoire culturelle, il n’est pas aisé de travailler sur la réception des comptes rendus sportifs même si Richard Hoggart a bien montré que les lecteurs issus des classes populaires ne prenaient pas pour argent comptant le contenu des tabloïds9. Si l’on peut légitimement supposer que la presse a une influence sur la perception du football par les contemporains et que l’inverse est vrai, il est impossible de l’affirmer pleinement. La lecture des journaux renseigne néanmoins sur la place du football à un moment et à un endroit donné. Reprenons l’exemple du Lancashire Daily Post. Ce dernier consacre, lors de l’édition du samedi, presque la moitié de ses articles au football, principalement à travers des comptes rendus de matchs joués le jour même (le journal paraît le soir). Face à l’impératif de rentabilité économique que rencontre toute entreprise privée, et donc a fortiori tout journal, il semble impossible que le Daily Post puisse autant mettre en avant le football sans un réel appétit d’un grand nombre de lecteurs, d’autant que les journaux de l’époque, qu’ils soient locaux ou nationaux, font régulièrement la promotion de leur couverture des événements footballistiques. Ainsi, en 1904, la direction du quotidien prétend que ses ventes ont atteint 80 000 exemplaires le samedi 10 septembre, jour de la troisième journée de la First Division et du match opposant à Londres le promu Woolwich Arsenal à PNE10.

Figure 3 : représentation de la lutte pour le titre, « Notre échelle de la Football League montrant les positions d’un coup d’œil », The Lancashire Daily Post, dimanche 30 novembre 1890.

Figure 3 : représentation de la lutte pour le titre, « Notre échelle de la Football League montrant les positions d’un coup d’œil », The Lancashire Daily Post, dimanche 30 novembre 1890.

Crédits : The British Library Board. All Rights Reserved.

Les archives de club, une spécificité de Preston North End

Bien qu’elles soient fondamentales pour construire la monographie d’une équipe, les archives des clubs de football sont très inégalement préservées. Le cas de PNE fait heureusement exception puisque ses archives sont conservées au « National Football Museum », implanté à Manchester. La partie archives est restée à Preston, lieu initial dudit musée créé en 1997, tandis que les collections muséales ont migré à Manchester en 2012. Ces archives complètent parfaitement la presse pour mener une monographie, dans le sens où elles permettent d’approcher la dimension économique et politique du club, certes parfois mentionnée dans les journaux, mais de façon assez lointaine et imprécise.

En tant que source directe, ces archives concernent autant la politique de transferts du club que sa composition sociale. Sur ce dernier point on trouve par exemple, dans les archives du club de PNE, une « liste des membres 11 » qui permet notamment à travers les actionnaires du club, de mener une analyse socio-économique de ses composantes : trouve-t-on une surreprésentation d’une certaine catégorie sociale ? Les secteurs économiques représentés reflètent-ils les dynamiques de l’économie locale et nationale de la période ? Autant de questions qui peuvent trouver des réponses, aussi bien en menant une analyse quantitative qu’une analyse qualitative fondée sur des trajectoires d’investisseurs précis. En effet, ce registre, en plus de répertorier une liste de tous les actionnaires sur la période allant de 1893 à 1938, donne à voir certains parcours individuels grâce à des fichiers individualisés qui comprennent parfois une notice biographique ainsi que les sommes d’argent investies dans le capital de l’entreprise qu’est d’abord le club. Les rapports annuels12 permettent d’analyser de façon complète la dimension économique du football de l’époque à travers un club qui est ici, bien plus qu’une équipe sportive, comparable à une entreprise. Les livres de compte permettent de montrer comment le football a poursuivi son processus de professionnalisation à travers l’exemple d’un club, puisqu’on peut par exemple constater l’augmentation des salaires des joueurs, mais aussi l’essor des dépenses en frais d’assurance et de soin pour ces derniers, ainsi qu’une augmentation globale des sommes en jeu.

Si les archives des clubs permettent une compréhension plus fine des phénomènes autour d’une équipe de football (et qui, en plus, ont l’avantage de pouvoir être quantifiés, notamment lorsqu’on pense à la dimension économique), il existe néanmoins des limites, même pour les archives qui sont bien conservées, comme celles de PNE. Il faut d’abord souligner des limites techniques assez terre à terre, toutefois notables lors de la consultation de certaines archives. L’écriture manuscrite peut parfois poser des soucis à l’historien, surtout quand ce dernier n’est pas un locuteur natif de la langue de Shakespeare. Pour des archives datant de la fin du xixe siècle, il n’est pas rare de se retrouver face à des passages écrits au crayon à papier, objet dont le temps n’est pas nécessairement le meilleur ami. En plus de ces limites très concrètes, certaines années sont lacunaires, ce qui pose des problèmes dans le cadre d’une tentative d’analyse économique quantitative, où il s’agit de montrer des ruptures et des continuités précises dans la politique économique du club.

Même si les ressources des archives des clubs ne sont pas illimitées comme pour une partie non négligeable des fonds d’archive datant du xixe siècle, elles constituent une clé de compréhension d’un grand nombre de processus économiques, sportifs ou sociaux. Ces précieux et indispensables matériaux représentent, dans le cas de l’équipe de PNE, une source d’archives hautement fiable.

PNE dans son environnement : les archives des institutions publiques locales

Afin de mener une monographie pertinente sur un club, il semble primordial de saisir ce type de cercle dans le tissu local dans lequel il s’insère, que ce soit la société civile (tout simplement les habitants de Preston) ou encore les institutions publiques (la mairie ou encore la police). De tous les types de sources que l’on a cités jusqu’à présent, les archives locales, bien qu’hétérogènes, sont probablement les plus accessibles. Il est en effet très simple d’avoir accès à un large catalogue de fonds conservés par une mairie, un département ou encore une région dans le cas de la France, ou par un comté13 au Royaume-Uni.

Dans notre cas, nous nous sommes intéressés au comté du Lancashire, dont Preston est la capitale. Les fonds de PNE étant bien conservés par le club, aucun fonds spécifique n’est conservé par les archives du Lancashire. De même, les moteurs de recherche des archives n’étant pas toujours optimaux, il n’est pas aisé de glaner des informations précises sur les liens qui ont pu exister entre les institutions publiques et le club. Néanmoins, on peut trouver des documents indispensables à notre recherche dans ces archives, comme les plans du stade de Deepdale, qui a connu plusieurs rénovations, dont l’une des principales est advenue au début de l’entre-deux-guerres14. On peut également accéder à des documents très utiles concernant la location du stade de Deepdale, dont le montant a été négocié à la baisse par le club, mais maintenu par la mairie, ce qui met bien au jour une logique de rapport de force entre club et institutions publiques locales, et qui marque aussi une forme de défiance envers les clubs professionnels de football par l’élite locale.

Nous rencontrons par ailleurs deux principaux problèmes concernant les archives des institutions publiques locales de Preston. Il est tout d’abord difficile de savoir si les documents que l’on recherche (comme des rapports de police à propos de certaines rencontres) existent, et si oui dans quel fonds ils ont été classés. Ce problème est néanmoins commun à tous les types d’archives, même celles qui sont parfaitement répertoriées et classées. L’autre problème réside dans la numérisation, encore très partielle, des documents audios. Ces derniers peuvent s’avérer être des éléments précieux, par exemple pour comprendre comment un match était commenté à la radio durant l’entre-deux-guerres. Toutefois, en ce qui concerne les archives de Preston, aucun document audio répertorié sur le site des archives du Lancashire n’a été numérisé, et il est donc impossible de les consulter. Encore une fois, ce problème est récurrent pour tout travail historique, mais il l’est particulièrement pour un sujet où peu de ressources existent dans les archives locales.

Conclusion : un terrain d’investigation fertile

Les archives du club de PNE, comme celles d’un bon nombre d’équipes britanniques de football, sont globalement accessibles et foisonnantes, et permettent de mener une recherche à large spectre sur une équipe et une époque précise (même si on trouve peu d’archives qui concernent la saison 1888-1889, la majorité commençant dans les années 1890 ou dans l’entre-deux-guerres). Ainsi, s’ouvrent devant l’historien des horizons multiples, avec des angles d’attaques différents permettant de traiter l’histoire du football et toutes les thématiques qui l’entourent.

L’histoire du football ne doit pas se priver de travailler sur des équipes que l’on qualifie régulièrement de « légendaires » mais doit, pour ce faire, réaliser un travail à la fois sur les sources et sur sa propre réflexivité. Ainsi, aussi bien face aux autres équipes que face à l’histoire, les Invincibles de PNE ne l’étaient pas tout à fait, puisque pour l’anecdote, on retiendra qu’ils ont perdu un match contre une équipe de Glasgow, par 3 buts à 2, le 13 septembre 188815.

Notes

1 David Hunt, The History of Preston North End Football Club: the Power, the Politics and the People, Preston, PNE Publications, 2000. Retour au texte

2 Mike Payne et Ian et Rigby, Loud and Proud Preston: the Complete Story of the Lilywhites, Lancaster, Palatine Books, 2007. Retour au texte

3 Football et société à Preston entre 1888 et 1939, sous la direction de Paul Dietschy et Olivier Wieviorka. Retour au texte

4 Notons qu’à l’exception des livres de Patrick Mignon, La passion du football, Paris, Odile Jacob, 1998 et de Claude Boli, Manchester United, l’invention d’un club. Deux siècles de métamorphose, Paris, La Martinière, 2004, l’historiographie du football en langue française s’est peu intéressée au football britannique. Retour au texte

5 Tony Mason, Association Football and English Society, 1863-1915, Brighton, Harvester Press, 1980. Voir la lecture faite proposée par Matthew Taylor dans « Les classiques du football ». Retour au texte

6 Dans notre cas, le quotidien Lancashire Daily Post, les bi-hebdomadaires The Preston Herald and The Preston Chronicle. Retour au texte

7 Charles Alcock fut le secrétaire de la Football Association de 1870 à 1895 et, surtout, le créateur de la Football Association Challenge Cup (FA Cup) ou Coupe d’Angleterre. Retour au texte

8 The Sportsman, 29 mars 1889. Retour au texte

9 Richard Hoggart, La Culture du pauvre. Études sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Éditions de minuit, 1970, (première édition anglaise 1957). Retour au texte

10 Lancashire Daily Post, 17 septembre 1904. Retour au texte

11 « Register of members ». Retour au texte

12 « Annual reports ». Retour au texte

13 « County ». Retour au texte

14 Lancashire Archives, Preston County Borough Council (CBP), « Plans », ACC 9650. Retour au texte

15 The Sportsman, 13 septembre 1888. Retour au texte

Illustrations

  • Figure 1 : l’équipe de Preston North End lors de la première saison de la Football League (First Division) 1888-1889.

    Figure 1 : l’équipe de Preston North End lors de la première saison de la Football League (First Division) 1888-1889.

    Crédits : coll. part.

  • Figure 2 : « Preston North End. The Fight for the Cup », The Preston Herald, samedi 30 mars 1889.

    Figure 2 : « Preston North End. The Fight for the Cup », The Preston Herald, samedi 30 mars 1889.

    Crédits : The British Library Board. All Rights Reserved.

  • Figure 3 : représentation de la lutte pour le titre, « Notre échelle de la Football League montrant les positions d’un coup d’œil », The Lancashire Daily Post, dimanche 30 novembre 1890.

    Figure 3 : représentation de la lutte pour le titre, « Notre échelle de la Football League montrant les positions d’un coup d’œil », The Lancashire Daily Post, dimanche 30 novembre 1890.

    Crédits : The British Library Board. All Rights Reserved.

Citer cet article

Référence papier

Léonard Darbeau, « Les archives des « Invincibles » de Preston North End », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 2 | 2023, 157-163.

Référence électronique

Léonard Darbeau, « Les archives des « Invincibles » de Preston North End », Football(s). Histoire, culture, économie, société [En ligne], 2 | 2023, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=298

Auteur

Léonard Darbeau

Élève en master 1 à l’ENS Paris-Saclay

Droits d'auteur

Licence CC BY 4.0