Du brassard de l’équipe de France à celui des nazis, voici le destin hors-norme d’Alexandre Villaplane, auquel Luc Briand a consacré son dernier ouvrage. L’histoire est édifiante. Elle raconte la descente aux enfers d’un gamin d’Alger, passé en moins de quinze ans du capitanat des Bleus lors de la première Coupe du monde en Uruguay à un poteau d’exécution au fort de Montrouge par une froide journée de décembre 1944. Joueur de football brillant passé par Sète et le Racing Club de France, Villaplane s’enfonce petit à petit dans les combines et les escroqueries à mesure que la fin de sa carrière approche. Définitivement retiré des terrains après une énième affaire en 1933, son nom quitte dès lors les colonnes consacrées aux sports dans les journaux pour rejoindre celles des faits divers. Lors de l’Occupation, son talent d’escroc tape dans l’œil d’Henri Lafont, chef de la Gestapo Française qui le recrute. C’est le début d’une déchéance spectaculaire qui le conduira au peloton d’exécution à la Libération.
Grâce à une documentation imposante, l’auteur, magistrat de son état, signe ici une biographie complète sur le cas largement oublié d’un footballeur de renom tombé en disgrâce. Évoquée tout de même dans un chapitre des Destins Maudits du Football de Frédérik Légat (2020) mais aussi dans l’ouvrage Débordements, sombres histoires de football 1938-2016 de Frédéric Bernard, Samy Mouhoubi et Olivier Villepreux (2016), l’histoire de Villaplane demeure assez largement méconnue du grand public. À ce titre, l’accessibilité de l’ouvrage, permise par une écriture fluide et agréable, n’est d’ailleurs pas son point fort le moins remarquable. À une époque où la lecture d’ouvrages historiques peut en effrayer plus d’un du fait de la complexité du propos ou de la taille du volume, la parution de ce livre de 256 pages destiné aussi bien aux historiens qu’au grand public, est une excellente nouvelle pour la diffusion de l’histoire du football en France. Pour les passionnés du ballon rond, cet ouvrage permettra également de découvrir ou redécouvrir quelques joueurs et quelques exploits d’une génération oubliée. Pour ceux-là, la lecture des exploits d’un Alex Thépot face à l’Argentine lors de la Coupe du Monde 1930 sera à coup sûr un véritable plaisir.
Pour ce qui concerne la recherche scientifique, l’ouvrage de Luc Briand apparaît là aussi comme essentiel puisqu’il éclaire le parcours d’un des personnages les plus atypiques de l’histoire du football français. Au fil des pages, on comprend comment un joueur si brillant, figurant parmi les plus réputés du pays, a pu tomber dans les petits trafics puis, de mal en pis, devenir membre de la Gestapo française d’Henri Lafont pendant la guerre avant de finir par porter un uniforme allemand au sein de la Brigade Nord-Africaine. En l’opposant au parcours d’Étienne Mattler, coéquipier de Villaplane en 1930, capitaine de l’Équipe de France à la Coupe du Monde 1938 et résistant pendant les Années Noires, l’auteur démontre bien qu’en temps de guerre, des hommes aux parcours jusqu’ici similaires peuvent emprunter des parcours diamétralement opposés. S’il fallait trouver une légère nuance à cette dérive criminelle, peut-être résiderait-elle dans les raisons avancées par l’auteur quant aux raisons de la déchéance d’Alexandre Villaplane. S’il est indéniable que celle-ci a été en partie le fruit d’une « avidité grandissante d’un homme qui rencontrait la notoriété, rencontrait les puissants et s’éloignait ainsi du petit enfant qui courait après son ballon dans la rue Lamarck » (p. 237), il apparaît également que le contexte de sa carrière, disputée au moment de la bascule entre l’amateurisme marron et le professionnalisme, a joué un rôle important dans le destin de Villaplane. Probablement attiré par les combines et l’argent, le natif d’Alger a trouvé dans le football de ces années-là les conditions idéales pour développer ses deux penchants : beaucoup de temps libre, des emplois dans des cafés, des casinos, et surtout une absence de perspective de reconversion au moment où ses performances ont commencé à décliner. De façon moins spectaculaire, d’autres grands noms de son époque connaîtront d’ailleurs eux aussi une descente aux enfers : grand buteur de l’Équipe de France d’avant-guerre, Jean Nicolas passera par la case prison pour des affaires d’escroquerie tandis que Yvan Beck, immense attaquant de Sète et de l’AS Saint-Étienne, tombera dans l’oubli et la misère après la fin de sa carrière. Pour eux aussi, (et pour tant d’autres !), il serait intéressant que des chercheurs marchent dans les pas de Luc Briand afin de réaliser de nouvelles biographies sur ces footballeurs largement oubliés aujourd’hui. Désormais, la porte est ouverte !