La Charte de Grenoble, qui refonde en 1946 l'UNEF est-elle au syndicalisme étudiant ce qu'est la Charte d'Amiens au syndicalisme français ? Elle est enfin objet d'histoire, plus que de commémorations fétichistes. Sous la direction de Robi Morder, l'ouvrage rassemble les contributions du colloque de 1995 organisé par le Germe. Il s'enrichit d'articles postérieurs et de nombreux documents. La guerre d'Algérie, puis l'évolution du milieu et des revendications étudiantes sont alors successivement évoquées. L'ouvrage constitue ainsi une bonne introduction aux objectifs du Germe et de Ressy visant à faire du syndicalisme étudiant un objet d'histoire.
Pour Robi Morder, la Charte voit la naissance, plus que la refondation, du syndicalisme étudiant. C'est un ‘‘coup'' initié par des équipes maquées par la Résistance, la Libération. Une ‘‘conscience syndicale'' va, dans un mouvement allant du sommet vers la base, syndicaliser l'UNEF, créer un cadre durable de référence, une identité collective étudiante. Didier Fischer (auteur d'une Histoire des étudiants, Flammarion, 2000), Alain Monchablon (auteur d'une Histoire de l'UNEF, PUF, 1983), entre autres, précisent l'analyse. Jean-Yves Sabot (Charte de Grenoble et syndicalisme) démontre que la Charte, présentée à l'initiative de l'AGE de Lyon forme le pivot de l'opposition naissante –appelée à devenir structurelle- entre syndicalistes et apolitiques.
Ce premier temps de l'ouvrage ouvre ensuite sur l'attitude de l'UNEF par rapport à la Guerre d'Algérie. Ici, l'article de Jean-Yves Sabot – auteur d'une thèse de doctorat sur le sujet - consacré à l'AGE de Grenoble, va dans le sens de ses conclusions antérieures montrant comment la guerre fut un accélérateur dans le ralliement de la population étudiante aux thèses des syndicalistes. La lutte contre la guerre forme également une élite appelée à réussir -plutôt à gauche - dans les années qui suivent dans des carrières d'élus. C'est aussi pour l'UNEF la fin d'une génération, et en province la fin d'un cycle où le pouvoir des AGE, dépossédées de la gestion des restaurants universitaires, décroît. Les témoignages nombreux, dont ceux de Dominique Wallon, Pierre-Louis Marger, Robert Chapuis, enrichissent cette contribution, multipliant les points de vue, revenant notamment sur les questions de l'insoumission, comme de la place des étudiants chrétiens, prélude aux thématiques de la 2 e gauche. La fin de l'ouvrage, consacrée à l'évolution du mouvement étudiant convainc moins. L'écriture se resserre sur le microcosme étudiant, l'historien est aussi acteur des luttes contées ; sa plume hésite entre la chronique (Jean-Paul Molinari) et le post-scriptum écrit aux feux du CPE (Morder). L'UNEF fut partie prenante de ce combat ; la solidarité de l'ensemble du mouvement syndical est à peine évoquée au titre sans doute d'une équation CIP / CPE. Le prisme étudiant explique sans doute ce travers qui tient en hors champ une autre généalogie du CPE, celle du mouvement social (1995, 2003), difficilement soluble dans un milieu étudiant peu syndicalisé…
Un ouvrage composite donc, qui vaut surtout par la foi qui anime Robi Morder dans la constitution du syndicalisme étudiant en objet d'histoire, avec ses sources, es interrogations sur le témoignage militant. Un ouvrage qui vaut donc comme instrument bibliographique et introduction à un objet qui appelle de nouveaux travaux, des synthèses renouvelées.