Pierre Kropotkine, La Grande Révolution (1789-1793). Une lecture originale de la Révolution française, Paris, Éditions du Sextant (édition originale 1909), introduction de Pierre Sommermeyer, 2011, 560 p.

Index

Mots-clés

Anarchisme, Révolution, Historiographie

Texte

Image

On ne présente plus Pierre Kropotkine, le prince anarchiste, grande figure du communisme libertaire. Après avoir réédité La conquête du pain, les éditions du Sextant ont jeté leur dévolu sur son étude somme consacrée à la Révolution française, élaborée entre la fin du XIXᵉ et le début du XXᵉ siècles, dans laquelle il fait d’ailleurs à l’occasion des allusions à la situation russe et à la révolution qui vient. Œuvre imposante d’histoire engagée, La Grande Révolution est toujours argumentée. Pierre Kropotkine, à défaut d’avoir pu travailler avec les archives nationales françaises, a utilisé une vaste bibliographie sur le sujet et mis à profit les ressources de la bibliothèque du British Museum.

Sa problématique est centrée sur l’action de deux acteurs majeurs de la période : la bourgeoisie et surtout le petit peuple des villes et des campagnes. C’est ce dernier qui est pour lui le personnage central et déterminant de chaque épisode clef de la Révolution, lui également qui subit de manière répétée les trahisons de la bourgeoisie, à qui il permet de prendre les rênes du pouvoir politique en lieu et place de la noblesse et du clergé. C’est ce qui l’amène à mettre l’accent sur les émeutes régulières et répétées de la paysannerie, avant même les événements qui suivirent la réunion des Etats généraux, le 14 juillet et la Grande Peur s’inscrivant dans cette tendance de fond. Il insiste aussi sur le rôle d’avant-garde joué par le peuple, aux objectifs potentiellement communistes ˗ considérant par exemple les terres comme propriété de la nation ˗, que ce soit pour la prise de la Bastille ou pour la fin des privilèges. Ainsi qu’il l’écrit lui-même, « (…) ce fut la rue, ce fut le peuple dans la rue qui, tout le temps, obligea l’Assemblée à marcher de l’avant dans son œuvre de reconstruction. Même une assemblée révolutionnaire, ou qui, du moins, s’imposait révolutionnairement, comme le fit la Constituante, n’aurait rien fait si le peuple ne l’avait poussée, l’épée dans les reins, et s’il n’avait abattu par ses nombreux soulèvements la résistance contre-révolutionnaire » (p.172). Pierre Kropotkine relativise à cet égard la Nuit du 4 août, dans la mesure où la plupart des droits féodaux abandonnés devaient impérativement être rachetés…

Il valorise au contraire la fête de la Fédération, foncièrement populaire, et surtout le pouvoir acquis par les municipalités, fidèle en cela au modèle communal anarchiste. Mais tout au long de cette première période de la Révolution, Pierre Kropotkine nous montre une bourgeoisie tentant de museler le peuple, que ce soit par le biais de ses gardes nationales ou par sa distinction entre citoyens actifs et passifs, avec pour résultat de favoriser les progrès de la réaction entre 1790 et juin 1792. S’ouvre alors une période d’intense activité révolutionnaire, le peuple poussant à la fin de la monarchie. Les massacres de septembre, selon Pierre Kropotkine, seraient d’ailleurs le résultat de la pusillanimité de l’Assemblée vis-à-vis de la nécessaire suppression de la royauté. L’opposition entre Girondins et Montagnards est vue comme celle du parti de l’ordre bourgeois contre ceux qui s’appuient davantage sur le peuple, et dont les plus radicaux auraient même été capables d’après lui de fonder une société socialiste (?). L’éviction des premiers, dont il relativise d’ailleurs utilement le fédéralisme, commandé plutôt par la peur du Paris populaire, conduit finalement à cette apogée de la Révolution qu’est la Convention montagnarde. C’est en effet le moment où les terres anciennement communales sont restituées, les droits féodaux définitivement abolis, autant d’acquis représentant selon l’auteur ce que la Révolution a apporté de meilleur aux masses.

Parmi les Montagnards, sa préférence va incontestablement à Marat, dont il offre un portrait fort éloigné des sanguinaires caricatures contemporaines. Mais c’est bien sûr du côté des Enragés, premiers communistes selon lui, que son engagement est le plus sensible, et on comprend, à sa lecture, tout ce que Daniel Guérin lui doit. À l’inverse, un Gracchus Babeuf n’est à ses yeux que « l’opportuniste du communisme de 1793 » (p.458). Contrairement à ce que la couverture annonce, son étude ne se termine pas en 1793, mais bien en 1794, Thermidor étant précédé par le triomphe de l’ordre dès mars 1794, sous la férule de Montagnards tout entiers possédés par l’exercice du gouvernement et en proie à une certaine tendance à la bureaucratisation. Pierre Kropotkine condamne également les violences excessives commises par les républicains en Vendée et à Lyon, lors de cette Terreur qui se mue en Grande Terreur. Véritable histoire populaire de la Révolution française, son tableau est passionnant, bien que parfois un peu forcé, ainsi des figures de Louis XVI ou d’un Marat qui, s’il avait vécu plus longtemps, aurait pu devenir à le suivre le défenseur majeur des idées communistes...

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Jean-Guillaume Lanuque, « Pierre Kropotkine, La Grande Révolution (1789-1793). Une lecture originale de la Révolution française, Paris, Éditions du Sextant (édition originale 1909), introduction de Pierre Sommermeyer, 2011, 560 p. », Dissidences [En ligne], Février 2012, Littérature scientifique, publié le 02 février 2012 et consulté le 29 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=731

Auteur

Jean-Guillaume Lanuque

Articles du même auteur