Florence Joshua, De la LCR au NPA (1966-2009). Sociologie politique des métamorphoses de l'engagement anticapitaliste, Thèse soutenue à Paris, le 28 juin 2011, 661 pages dactylographiées, sous la direction de Nonna Mayer, Directrice de recherches au CNRS.

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Plutôt que d’insister sur les « invariants », comme l’avait fait Stéphanie Rizet dans sa thèse (La distinction militante. Transformation et invariances du militantisme à la LCR, 2006), Florence Johsua pense que « la métamorphose partisane » l’a emporté à la LCR-NPA. Ayant pu accéder au fichier national des adhérents (2003 et 2005), ayant mené une enquête par questionnaire auprès des délégués au XVe congrès (2003) et auprès de l’ensemble des militants (2006), ces sources étant complétées par de nombreux entretiens, la jeune sociologue assoit ses conclusions sur une documentation impressionnante, et notons-le, forgée en grande partie par elle-même. Celles-ci sont développées dans trois parties passant en revue l’évolution de la composition sociale de l’organisation, son évolution idéologique et, enfin, celle des pratiques militantes, avec la remise en question du « révolutionnaire professionnel ».

En ce qui concerne la composition sociale de la LCR-NPA, ne serait-il pas plus approprié de parler « d’invariance » que de « métamorphose », les enseignant(e)s par exemple représentant de manière constante sur la longue période le quart ou le cinquième des militant( e)s, les étudiants un peu plus de 10%, les salariés du public étant toujours fortement représentés au NPA comme ils l’étaient à la LCR,  alors que les ouvriers sont toujours aussi peu nombreux ? La principale différence entre les militant(e))s de la génération post-68 et ceux des années 2000 semble résider dans le fait que les premiers sont dans des trajectoires sociales ascendantes par rapport à leurs parents, alors que les seconds sont sur la voie du « déclassement ». La « frustration relative » qui en découle expliquerait-elle l’engagement à la LCR-NPA ? Prudemment, l’auteure conclut sa partie en écrivant que « le passage du déclassement à l’engagement n’est pas automatique » !

Plus stimulante nous semble la seconde partie qui met en évidence la prise de distance des militants(e)s vis-à-vis des référents identitaires historiques de l’organisation. Le XVe congrès de la LCR abandonne en 2003 la référence à la dictature du prolétariat par 85% des voix, et 54,5% des délégués à ce congrès seulement se considèrent « trotskystes ». Beaucoup préfèrent se déclarer « révolutionnaires », façon de se distinguer des « réformistes », sans pour autant se référer à telle révolution ou telle stratégie de prise du pouvoir. Nous sommes en présence de militants « perplexes », plus attachés à « l’auto-organisation, à la démocratie, aux mobilisations de masse » qu’à un schéma stratégique précis. C’est la fin des modèles anciens, notamment celui d’Octobre, du parti omniscient. Les militants acceptent qu’il y ait du flou : « on a des orientations, mais on n’a pas un modèle pré-établi de société » (Elisabeth). Ils se regroupent donc plutôt sur un certain nombre de valeurs, de principes de fonctionnement et d’objectifs généraux. Appuyée sur sa documentation importante, l’auteure note bien cependant la « césure » entre la cohorte militante des années 80, proche des « militants historiques » et la suivante, dont les militants sont qualifiés « d’utopistes », de « révoltés », se rattachant davantage « aux expériences qui les ont structurés » qu’à un corpus philosophique ou historique.

Cet « adieu » aux références historiques ou politiques amène bien sûr les militants à envisager différemment la vie militante quotidienne, ce que F. Johsua étudie dans la troisième partie. Cette critique à l’encontre du modèle « léniniste », à l’encontre de l’activisme forcené de l’après-68, est ancienne, rappelle l’auteure à juste titre, remontant au milieu des années 70. De ce modèle de militantisme ancien, qu’elle qualifie de « masculin », les militantes surtout ont souffert. C’est donc après un long et précoce travail sur soi que la LCR-NPA est peu à peu devenue féministe, recrutant davantage de femmes et, surtout, leur faisant une place plus importante dans les instances de direction (la parité est décidée en 2003). Il n’empêche ! Cette « victoire des femmes » est fragile, des « niches de domination masculine » subsistant. Pas plus à la LCR-NPA qu’ailleurs, on ne combat pas si facilement des tendances lourdes : « On retrouve ainsi à la LCR, comme dans d’autres courants du mouvement ouvrier, cette tension entre un programme ambitieux d’émancipation sociale, dont l’émancipation des femmes est une part consubstantielle, et le poids persistant d’un modèle androcentrique de militantisme qui imprègne encore aujourd’hui les imaginaires, structures symboliques, et partant, les comportements des militants et des militantes ».

Autre domination dont les nouveaux militants du NPA disent souffrir, comme Aïssa, fille d’un couple mixte (guinéen-français), militante de la cellule du XXe arrondissement de Paris, celle des « vieux » militants dotés de références politiques et intellectuelles : « Il y a ceux qui les ont et ceux qui ne les ont pas ! » Et la persistance de cet habitus militant, « malgré le changement des règles, la transformation des normes » ne permet pas au parti de « s’ouvrir sur le monde des vrais gens ».

Si l’on ne peut que se féliciter du travail et des analyses produites dans le cadre de cette thèse, on voudrait néanmoins souligner trois points qui posent problèmes et qui tous, renvoient à la méthode retenue. Tout d’abord, on ne peut que regretter fortement que la dimension internationaliste du militantisme et des références politiques soit tout simplement passée aux oubliettes. Alors que la LCR se définit comme la section française de la Quatrième Internationale, hormis quelques rares mentions de cette caractéristique ici ou là, la thématique de l’internationalisme est totalement absente de la thèse. Doit-on en inférer alors, pour reprendre le titre d’un livre portant sur le courant lambertiste, qu’il s’agit d’un « courant trotskiste  français » ? La réponse à cette question, au vu des éléments apportés par la jeune chercheuse pourrait bien être positive. Par ailleurs, si le travail de terrain, en particulier auprès des militants de la cellule de Paris XXe constitue une partie tout à fait décisive de l’argumentation, la spécificité d’un terrain parisien aurait mérité d’être contrebalancée par une incursion dans une structure de province. Les réalités d’implantation locale de la LCR, ainsi que cela a été démontré dans le livre de J.-P. Salles, montre des mondes et des pratiques politiques très différentes. Se centrer sur une cellule parisienne s’avère bien entendu intéressant, mais très restrictif du point de vue de la sociologie et des pratiques organisationnelles. Enfin, bien qu’elle soit consciente des difficultés de pouvoir comparer, terme à terme, l’histoire de l’engagement à la LCR avec celui des autres organisations se réclamant du trotskysme, LO ou le courant lambertiste, l’actuel POI, cette dimension comparative reste encore à explorer. Se décentrer de l’objet LCR et le soumettre à la comparaison de pratiques et de cultures organisationnelles provenant de la même matrice politique, aurait permis d’enrichir sensiblement la réflexion.

Au final, le lecteur dispose d’une thèse qui permet de mieux connaître les nouveaux adhérents des années 2000, la génération Besancenot – bien que l’auteure n’emploie pas cette expression -, éloignés du socle référentiel originel, méconnaissant même ces références, celles qu’ils mettent en avant étant piochées dans un champ plus vaste (« les luttes » etc.) et « ne faisant pas forcément système ». Avec un peu de patience, ce travail considérable devrait être à la portée du plus grand nombre, sous la forme éditoriale d’un livre que l’on ne peut que souhaiter.

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Référence électronique

Jean-Paul Salles et Georges Ubbiali, « Florence Joshua, De la LCR au NPA (1966-2009). Sociologie politique des métamorphoses de l'engagement anticapitaliste, Thèse soutenue à Paris, le 28 juin 2011, 661 pages dactylographiées, sous la direction de Nonna Mayer, Directrice de recherches au CNRS. », Dissidences [En ligne], Février 2012, Littérature scientifique, publié le 02 février 2012 et consulté le 23 avril 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=730

Auteurs

Jean-Paul Salles

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