Michel Onfray, La construction du surhomme. Contre-histoire de la philosophie 7, Paris, Grasset, 2011, 368 p.

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Avec ce septième volume de sa Contre-histoire de la philosophie mettant en lumière les penseurs hédonistes les plus marquants, on retrouve le style typique d’Onfray, excessif, forcé parfois1, mais toujours éminemment pédagogique. La construction du surhomme se pose en complément d’une trilogie, avec L’eudémonisme social et Les radicalités existentielles (voir nos chroniques précédentes), consacrée au XIXème siècle, marqué d’ailleurs au fil des volumes par une certaine tendance à être plus monographique que synthétique. Le point de départ en est l’idée de grands hommes, non de manière transcendante, à la Hegel ou Emerson, mais sur un mode immanent.

La première moitié du livre est consacrée à Jean-Marie Guyau, le moins connu des deux philosophes choisis. Tuberculeux mort à trente-trois ans, et fils de l’auteure du célébrissime Tour de la France par deux enfants, l’homme, indéniablement doué, se caractérise par un éloge de la volonté, qui se décline dans un matérialisme vitaliste (car basé sur une force vitale non encore cernée par la science de son temps), incarné ultérieurement par Reich, Deleuze ou Lyotard. Qualifié d’épicurien par Onfray car utilitariste (ce que l’on peut discuter), Jean-Marie Guyau, auteur d’une Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, défend l’existence d’êtres supérieurs, par leur trop-plein de dynamisme vital, qui ont alors le devoir de partager cette force, et refuse le libre-arbitre. Dès lors, les sanctions pénales sont inutiles, condamnées à disparaître au profit d’une mosaïque de morales individuelles. Témoignant d’un certain idéalisme (l’exemple de la religion rationnelle qu’il préconise2), Jean-Marie Guyau se caractérise également par son scientisme, son espoir d’un progrès moral de l’humanité, qui le rapproche d’un socialisme réformiste et coopératif, tout en étant un républicain patriote eugéniste, conservateur, colonialiste, reflet de la pensée dominante de son temps, qui ne se réduit pas, ainsi que voudrait le croire Michel Onfray, à son débouché vichyste (son antisémitisme est d’ailleurs trop peu argumenté ici, tout comme le rapprochement implicite de ses idées avec une idéologie nazie qui est plus complexe, plurielle).

L’autre auteur de La construction du surhomme est évidemment Friedrich Nietzsche, personnage fétiche de Michel Onfray, dont il fait un éloge marqué (en en faisant par exemple le découvreur de l’inconscient avant Freud, en lien avec sa critique de ce dernier dans Le crépuscule d’une idole, titre justement inspiré du philosophe allemand). Son tableau est en tout cas fascinant de cet être chroniquement malade, traumatisé par son enfance et la mort de son père, dont la pensée construite en réaction à ce passif est vue principalement à travers le prisme de Ainsi parlait Zarathoustra. D’abord schopenhaurien et admirateur fervent de Richard Wagner, Friedrich Nietzsche devient ensuite épicurien avant d’élaborer sa pensée propre, qui demeure épicurienne dans l’esprit, selon l’auteur (son éthique antique s’oppose d’ailleurs au travail). On en retiendra en particulier un certain mépris des masses, l’insistance mise sur la mort de Dieu et sur la nécessité de renouer avec une volonté de puissance, c’est-à-dire un élan vital à finalité matérialiste, et une volonté de jouissance subséquente. Son concept d’éternel retour demeure par contre fumeux, voire mystique. Indéniablement, Michel Onfray sépare utilement Nietzsche des lectures qui en font un précurseur du national-socialisme, mais face à la galerie d’interprétations de cette pensée qu’il ne fait qu’énumérer longuement, sa lecture d’un Friedrich Nietzsche anticapitaliste semble tout aussi subjective et historiquement datée…

Notes

1 Parler du marxisme au XIXème siècle comme d’un « palais conceptuel vide et glacé » est pour le moins simplificateur ! Toujours dans son introduction, Michel Onfray semble croire que Le 18 brumaire… de Karl Marx porte sur Napoléon Ier et non sur son neveu… Retour au texte

2 Sa « cosmogonie extravagante » (p.115) nous semble moins sujette à moquerie, dans la mesure où postuler l’existence d’extra-terrestres humanoïdes n’a rien d’antiscientifique en soi. Retour au texte

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Jean-Guillaume Lanuque, « Michel Onfray, La construction du surhomme. Contre-histoire de la philosophie 7, Paris, Grasset, 2011, 368 p. », Dissidences [En ligne], Mars 2012, Littérature scientifique, publié le 05 mars 2012 et consulté le 08 décembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=706

Auteur

Jean-Guillaume Lanuque

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