Dans la lignée de leurs pamphlets antérieurs, en particulier Terreur et possession et Aujourd’hui le nanomonde (chroniqués sur notre site), le collectif Pièces et main d’œuvre, qui rompt ici pour la seconde fois avec son anonymat collectif, met une nouvelle fois en garde contre le techno-totalitarisme, ou pancraticon (en référence au panopticon de Jeremy Bentham), avec en perspective celle d’une fourmilière humaine. Trois études de cas se succèdent, consacrées chacune à une entreprise fer de lance de cette mutation sans précédent de nos sociétés : les deux premières datent de 2010, et la dernière de septembre 2011.
L’approche débute avec IBM, à l’origine de l’essor des nanotechnologies via la mise au point en 1981 du microscope à effet tunnel, et au-delà de cette remarque troublante sur l’origine religieuse du terme ordinateur, on ne peut qu’être saisi par les perspectives de rendre « intelligent » l’ensemble de notre environnement. Le lien est habilement fait avec le désir d’efficacité, sinon d’efficience, économique, au détriment de l’autonomie humaine nécessairement imparfaite et faillible. Un parallèle est également tracé entre essor des statistiques et de l’eugénisme, permettant de rappeler le rôle actif d’IBM dans la bonne marche du judéocide. La seconde contribution, signée de Frédéric Gaillard, se penche sur Thales et son hypervisor, un système au service des puissants permettant de combiner des logiciels différents et des applications de tous types afin de traiter des données en nombre exponentiel, comme les images de vidéo-surveillance. Plus brève, elle est surtout moins frappante que la dernière contribution, qui dissèque le projet Clinatec, un centre de recherche grenoblois dédié aux neurotechnologies à usage médical. Pièces et main d’œuvre voit en effet dans cette démarche une voie royale vers l’émergence de cyborgs, autrement dit d’humains placés sous contrôle direct. En amont, les développements concernant José Delgado, un précurseur dont les travaux, dans les années 1960-70, aboutirent au contrôle effectif des individus par neurostimulation, sont littéralement effrayants. Quant à Clinatec à proprement parler, les charges à son encontre sont lourdes : opacité démocratique, visées clairement commerciales par des partenariats avec des industries, et le choix fait, avec la stimulation cérébrale profonde médicale, de régler les symptômes et non les causes1.
Le monde-machine décrit par Pièces et main d’œuvre, c’est celui-là, celui de notre quotidien, qui interroge également sur l’impact plus global de ces nouvelles technologies sur notre pensée (voir Internet rend-il bête ? de Nicholas Carr). Une lecture qui, plus que jamais, interpelle, en dépit d’un manque occasionnel de nuances2 et du flou des perspectives d’alternatives au-delà de rares mots d’ordre tels « se débrancher » ou « saboter les recensements et les collectes de données » (p.47).