Thierry Camous, chercheur spécialiste de la Rome antique (il a récemment publié une biographie de Romulus), est également l’auteur de synthèses plus globales. Avant de livrer une stimulante étude sur La violence de masse dans l’histoire, il avait proposé un survol des conflits ayant opposé orients et occidents.
Partant de la thèse si polémique de Samuel Huttington, il en retient en effet l’idée de guerres de civilisations, mais qui ne se limiteraient pas à une simple opposition vis-à-vis de l’islam. Bien sûr, on peut lui reprocher de se concentrer sur les affrontements sans les contrebalancer par les échanges autres que militaires, et de retenir comme sujets des notions éminemment fragiles, celles d’orient et d’occident. Certes, Thierry Camous est bien conscient de ces ambiguïtés, qu’il ne manque pas de signaler, précisant que la majorité des conflits dans l’histoire sont d’abord internes aux orients et aux occidents, logiquement mis au pluriel. Le terrain n’en reste pas moins mouvant, d’autant qu’il a délibérément choisi d’écarter de son étude les expéditions coloniales et les conflits entre orients et extrême orients… Enfin, l’ouvrage ne brosse pas une vue exhaustive, mais choisit de privilégier quelques coups de projecteurs sur cinq périodes clefs.
La première est celle des conflits entre les civilisations gréco-romaine et la Perse (ici nommé Iran pour la clarté de l’exposé, ce qui demeure un choix discutable, tant la continuité avec l’Iran moderne n’est pas si simple). Les réflexions apportées par Thierry Camous sur les stratégies divergentes sont là fort intéressantes : le choix du choc fait par les occidentaux (constante européenne jusqu’à la blitzkrieg allemande) face au harcèlement et au mouvement des orientaux serait en effet lié à l’opposition entre l’individu grec raisonnant, mieux protégé, et des sujets moins couverts et par là plus mobiles. La synthèse de cette stratégie occidentale et orientale serait réalisée par Alexandre puis par Rome, combinant la puissance de l’infanterie avec la souplesse de la cavalerie.
La seconde partie de l’ouvrage court d’Attila jusqu’aux invasions de la fin du premier millénaire en Europe, toutes œuvres de cavaliers venant de l’est. Plus classique, on en retiendra surtout, au-delà d’un Attila suscitant face à lui une coalition d’un occident christianisé, une tentative non pleinement convaincante de réévaluer la bataille de Poitiers à la hausse, avec des guerriers musulmans battus par des fantassins francs petits propriétaires attachés à la terre.
Le troisième moment retenu, qui porte sur l’extension de la chrétienté durant le Moyen Âge central principalement, traite à la fois des croisades en terre sainte et d’épisodes moins connus, ainsi des guerres à l’est de l’Europe, comme la conquête et la colonisation germanique de la Prusse païenne. Toutefois, sur ce point, Thierry Camous a tendance à se faire par trop simplificateur lorsqu’il voit dans l’invasion de l’URSS par Hitler une répétition de cette expansion vers l’est ; on s’étonne également de ne pas le voir aborder la longue guerre de Charlemagne contre les Saxons. Concernant les croisades en Palestine, la supériorité des chevaliers chrétiens tiendrait ici non seulement aux divisions politiques des musulmans et à la légèreté de l’armement des cavaliers turcs, mais également à la rusticité et à la spécialisation de guerriers européens très motivés par cette aventure militaire.
La quatrième partie enjambe de manière plus osée les siècles, reliant les offensives turques et russes contre l’occident, et la peur que ces deux puissances générèrent en tant qu’incarnation d’un despotisme oriental (quid de la fascination qu’elles exercèrent tout autant ?). Les développements sur la figure de l’ennemi turc au XVIème siècle sont en tout cas convaincants, suscitant parfois une union en réaction, la bataille de Lépante en étant l’exemple le plus emblématique. Le parallèle avec l’opération Barbarossa est par contre surtout pertinent sur le plan idéologique, ressuscitant la hantise de l’asiatique.
Enfin, la dernière partie se concentre sur le Moyen-Orient contemporain et les conflits liés à la question israélo-palestinienne ainsi qu’aux progrès de l’islam fondamentaliste. Thierry Camous semble toutefois avoir tendance à surestimer l’opposition entre ce dernier et les occidents, négligeant l’importance à un moment donné des forces de gauche dans le monde arabe (voir Gilbert Achcar, L’orient incandescent), surévaluant l’importance du 11 septembre 2001 et manifestant un catastrophisme exagéré1, toutes difficultés liées au délicat exercice de l’histoire du temps présent, voire immédiate.
Si Orients/Occidents, vingt-cinq siècles de guerres, est une synthèse érudite et solide sur le plan événementiel mais aux présupposés contestables, elle n’en mérite pas pour autant d’être vouée aux gémonies, tant elle apporte d’éléments de réflexion utiles : à charge simplement à ses critiques d’élargir la focale et d’enrichir un tableau assurément partiel.