La littérature, en français, sur le bienno rosso, ces deux années d’agitation profonde du système politique italien, dont le fascisme sortira vainqueur, n’est pas très développée. En dehors du livre de Paolo Spriano, L’occupation des usines (Pensée sauvage, 1978), consacré à cette période, il n’existe que des mentions dans tel ou tel ouvrage. En fait, l’essentiel, soit sous forme de témoignages des acteurs, soit sous forme de travaux historiques, reste limité à l’italien (un beau travail éditorial de traduction en perspective !). L’auteur recense d’ailleurs une précieuse bibliographie conclusive qui pourrait inspirer largement. Paleni s’appuie d’ailleurs largement sur ces sources pour la synthèse qu’il propose dans ce court ouvrage. En quelques cursifs chapitres, il rappelle le caractère tardif de l’unité italienne et la situation secondaire de l’Italie dans le panorama européen d’avant 1914. Une fois précisée les éléments essentiels du contexte, la deuxième partie est centrée sur les années 19-20 ou la lutte contre la vie chère débouche sur des occupations de terres dans un premier temps, puis l’occupation des usines, en particulier dans le Nord de l’Italie, sans que ces deux mouvements soient réellement coordonnés. C’est dans ce climat que va naître le PCI, tandis que la majorité du PSI, au mieux reste spectateur de ce mouvement spontané, au pire s’y oppose (en particulier les cadres syndicaux). Alors que cette vague radicale montre sa force (des milices armées se mettent en place dans les villes du Nord, autour des usines occupées), elle ne parviendra pas à renverser l’ordre social. On doit d’ailleurs tempérer un tantinet l’enthousiasme de l’auteur qui considère que la classe ouvrière avait conquis « ou virtuellement conquis le pouvoir », p. 95, oubliant un peu vite le maintien (même affaibli) de l’appareil d’Etat (police, armée, forces de répression d’un point de vue général, dont les carabinieri). Cette « grande peur » de la bourgeoisie et des classes possédantes débouchera sur la constitution des bandes fascistes (ainsi qu’une scène fameuse de 1900, le film de Bertolucci le montre en raccourci) qui vont appliquer avec la férocité que l’on sait le retour à l’ordre bourgeois. L’accession de Mussolini au pouvoir conclura cet épisode d’affrontements de classes, sans précédent dans l’histoire italienne. On voudrait conclure ce stimulant exposé par une remarque sur le traitement trop lapidaire des Arditti del Popolo, auquel Paleni consacre quelques lignes. Ces milices ouvrières, leur rôle, leur activité, mériteraient un développement un peu plus systématique, car, bien que vaincues au final par les fascii, il n’en reste pas moins qu’ils sont l’expression de la résistance armée de fractions ouvrières au développement du fascisme. Ce livre permet de découvrir un épisode des affrontements de classe en Europe occidentale, dans le prolongement de la vague révolutionnaire soviétique, assez largement ignoré.
Bruno Paleni, Italie, 1919-1920. Les deux années rouges. Fascisme ou révolution ?, Paris, Les bons caractères, 2011, 128 p.
Article publié le 12 mai 2012.
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Georges Ubbiali, « Bruno Paleni, Italie, 1919-1920. Les deux années rouges. Fascisme ou révolution ?, Paris, Les bons caractères, 2011, 128 p. », Dissidences [En ligne], Mai 2012, publié le 12 mai 2012 et consulté le 21 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=687