Après les ouvrages collectifs Altermondialistes. Chronique d'une révolution en marche et L'altermondialisme en France. La longue histoire d'une nouvelle cause, déjà chroniqués sur notre site, les éditions Textuel proposent leur propre guide, conçu pour présenter de manière synthétique les réflexions de dix-huit acteurs du mouvement altermondialiste. L'initiative est louable, et comme le souligne à juste titre la présentation, reflète parfaitement la force et la faiblesse de ce mouvement sur le plan idéologique : sa richesse comme laboratoire d'idées, et sa faiblesse persistante de par l'absence d'une ossature théorique et programmatique bien définie. En tout état de cause, on peut regrouper ces dix-huit personnalités en quelques catégories principales.
Celle des économistes, d'abord, avec des figures déjà aguerries comme Samir Amin (sa conception du centre et des périphéries comme logique intrinsèque du système capitaliste, et sa proposition plus délicate de la « déconnexion » comme voie de développement national pour ces mêmes périphéries) ou Walden Bello (partisan d'une déglobalisation, c'est-à-dire d'un développement national autocentré visant à la satisfaction prioritaires des besoins locaux à travers une démocratie radicale). D'autres sont des intellectuels et des figures continentales dont les limites de la réflexion sont assez judicieusement soulignés : il en va ainsi de Vandana Shiva et Aminata Dramane Traoré, toutes deux ayant tendance à trop idéaliser certaines caractéristiques traditionnelles des systèmes économiques et sociaux indiens et africains, ou de Joseph Stiglitz, réformateur d'un capitalisme « à visage humain ». Figurent également le linguiste mondialement connu Noam Chomsky et son analyse de la mondialisation dénudant les rouages classiques du capitalisme, la politologue Susan George (dont les efforts de déconstruction idéologique de la mondialisation libérale vont de pair avec un réformisme non-violent), la journaliste Naomi Klein, auteure du célèbre No Logo , l'incontournable penseur Immanuel Wallerstein ou le sous-commandant Marcos et sa pensée pleine d'humilité et d'empirisme, en construction permanente.
Un chef d'Etat figure même dans cet inventaire à la Prévert, en la personne de Hugo Chavez, dont le parcours vers une radicalité croissante est bien retracé, bien qu'un peu sommairement, format de l'ouvrage oblige. Plus surprenant, Bourdieu fait également partie de cette galerie de penseurs altermondialistes, de par les outils sociologiques qu'il a élaboré et les prises de position antilibérales de la dernière partie de sa vie, tout comme Leonardo Boff et Frei Betto, pères de la théologie de la libération, ce qui se justifie davantage du fait de leur implication directe dans le mouvement altermondialiste. Si dans l'ensemble, les différentes figures recensées sont présentées de manière plutôt objective sans pour autant être totalement acritique, les articles sur Bernard Cassen, Toni Negri et John Holloway, chantre d'une révolution contournant la prise du pouvoir politique, sont nettement plus polémiques, Daniel Bensaïd accusant même la pensée de ce dernier de flotter « (…) dans l'abstraction spectrale. Son présent absolu, sans passé ni futur, n'est que le degré zéro d'une stratégie renaissante ». En fait, seul l'article sur le sociologue Boaventura de Sousa Santos s'avère pour le moins succinct.