Rarement un livre d'aussi peu de pages stimule, aiguillonne et questionne son lecteur autant que celui-ci. Cette suite de réflexions donne à réfléchir, conceptualise de manière dense le présent, l'actualité mais également certains fondamentaux de nos sociétés contemporaines. Les premières pages de cet ouvrage ouvrent de véritables champs d'investigation. Alain Bertho suscite l'intérêt du lecteur non seulement avec un titre mais aussi quatre photographies énigmatiques en couverture, ce qui renforce le côté « bel objet » de ce petit livre. Il entend développer une réflexion autour des notions de globalisation, d'identités et donc de conflits. Le parcours intellectuel de Bertho est intéressant, historien, il se rapproche de l'anthropologie puis de l'ethnographie, plus particulièrement celle du temps présent. Il est agréable également que dès les premières pages, il explique « d'où il parle », et cite de manière succincte mais précise les auteurs qui ont influencé sa démarche intellectuelle : Zygmunt Bauman, Giorgio Agamben, Saskia Sassen, Arjun Appadurai et Toni Negri tout en nous invitant à les étudier. Il explicite aussi sa démarche par des choix militants. Il entreprend une étude du rapport au temps, à la place du temps présent, aux ruptures brutales et aux changements d'époques, que nous pourrions schématiquement résumer ainsi : « faut-il être ou non de son temps ? ». Il revient également sur la notion de « globalisation » et son usage par la gauche. Son questionnement sur notre rapport au temps, à notre époque, l'amène à s'interroger sur la nature des événements, les régimes d'historicité, la mémoire, et les enjeux liés à la maîtrise des récits du passé. Il développe ensuite ces thématiques dans le champ militant, dit altermondialiste, notamment les Forums sociaux et leur rapport à la mémoire. Il montre, ou exacerbe les distances entre forces militantes et institutions, l'Etat et les élections. Il revient avec talent sur la polémique du foulard à Aubervilliers et les usages politiques de la laïcité, ce qui lui permet de mettre en évidence les concepts assez pertinents de « République réelle » et « République rêvée » (p.71). On reconnaît ici aussi « l'école de Toni Negri », dont les réflexions sont souvent elliptiques et auto référencées.
Les trois derniers chapitres sont un peu plus inégaux. Son intérêt pour l'urbain reste très proche des théories développées dans la revue Multitudes. On retrouve les concepts chers à Toni Negri et Yann Moulier-Boutang : productions immatérielles, économie de la connaissance, capitalisme cognitif et leurs rapports à la ville globale. De cette vision du monde surgirait une nouvelle citoyenneté urbaine. Sa mise en perspective des émeutes de 2005 et des manifestations de lycéens « protégées » par la police contre le CPE est jubilatoire, il souligne à raison le déficit d'analyses de ces émeutes de 2005 par la gauche radicale. Enfin si l'on peut apprécier des références culturelles propres à une certaine génération : Keny Arkana ou Abd el Malik (auxquels on pourrait préférer La Rumeur ou La Phaze et bien d'autres), elles n'en masquent pas une opposition un peu stérile entre le mouvement altermondialiste et la gauche antilibérale, d'autant que perdure une ambigüité quant à la réelle prise du pouvoir politique. Dans la dernière partie de son livre, Alain Bertho offre une vision désenchantée de la nouveauté ou d'une possible rénovation de la politique.
Si la fin laisse un peu dubitatif, c'est que les premières pages sont très bien. On plonge dans la réflexion d'un auteur, au style très agréable, et très rapidement il nous « dévoile » le monde présent. On regrette donc que le livre soit si court, mais en même temps, s'il est parfois elliptique, cette brièveté renforce ce cheminement intellectuel.