Clémentine Autain est devenue ces dernières années une « figure » de la gauche de la gauche, l'éditeur imprime d'ailleurs son visage sur un bandeau. Appliquant ainsi les principes en vigueur du marketing littéraire, il aurait pu ajouter vu dans différents meetings et à la télévision. En effet, apparentée communiste, forte d'un bon score aux élections municipales de 2001 face à Françoise de Panafieu, elle est choisie par Bertrand Delanoë et devient conseillère de la ville de Paris en charge de la jeunesse. Son parcours militant a débuté bien avant avec la création de Mix-Cité une association féministe mixte. Elle devient une figure « médiatique » et reconnue avec un portrait publié en 2006 (Anne Delabre, Clémentine Autain, portrait , Paris Danger public, 2006). Connaître son parcours politique est indispensable à une lecture à bonne distance de cet ouvrage, qui peut apparaître comme une sorte de bilan des campagnes passées (notamment l'expérience ratée de la candidature du camp antilibéral en 2007) et comme un livre-programme comme les candidats potentiels à des élections ont pris l'habitude d'en écrire. Si l'on se réfère à sa biographie présente sur Wikipédia, on peut conclure méchamment à un certain opportunisme en la matière, puisqu'elle est proche du PC, de Jean-Luc Mélanchon, de Jacques Kergoat, des communistes unitaires, des antilibéraux, un temps très court du NPA, puis actuellement de la FASE (Fédération pour une Alternative Sociale et Ecologiste). Cette lecture serait simpliste car elle appartient pleinement à cette catégorie de militant trentenaire qui, fort de quelques certitudes et valeurs comme l'antilibéralisme, l'antiracisme ou le féminisme, tente de trouver parmi les organisations politiques de la gauche de la gauche celle qui correspond le mieux à ses aspirations. Actuellement directrice du mensuel Regards , elle est également membre de la fondation Copernic et à ce titre directrice d'un autre ouvrage chroniqué par Dissidences ( Post-capitalisme imaginer l'après ).
Dès l'introduction de cet ouvrage, elle tente de résumer l'ambition de son travail, mais également le fil rouge de son engagement politique : remettre en cause une vieille lune du mouvement ouvrier : l'opposition réforme/révolution, elle prend position pour une rupture radicale avec l'accompagnement social porté par le Parti socialiste, et pour une unité des forces de transformation (soit le programme et la stratégie des comités du Non au traité constitutionnel européen de 2005, par la suite déclinés par le PCF, les Alternatifs, les comités antilibéraux, puis les supporters de José Bové, la FASE,…). Elle découpe son propos autour de quatre verbes à l'infinitif qui sont autant de chapitres : politiser, rompre, innover, fédérer.
Elle revient dans les premières pages sur les raisons de la dépolitisation de la société, elle réalise une bonne analyse de toutes les mobilisations et de leur non-convergence politique, à l'exception du conflit guadeloupéen et du LKP (quoique depuis la rédaction du livre la situation semble moins favorable au LKP). Elle met en évidence la « tentation du centre », illustrant une dérive du PS vers le Modem, notamment à Dijon, et qualifie l'ouverture de Nicolas Sarkozy vers Bernard Kouchner, Martin Hirsh et autres Michel Rocard de politique de « transferts » et non pas de transfuges. Elle décrit assez bien un champ social au sein duquel elle évolue : les intellectuels précaires et précarisés. Elle rapporte cette anecdote révélatrice : « […] j'ai récemment proposé de signer une pétition à une militante qui avait soutenu il y a quelques années avec brio une thèse en science politique. « J'attends la réponse de ma candidature à l'Ehess et après je signe tout ce que tu veux ! » me lança-t-elle, dépitée, en me racontant l'ensemble des pressions qui pèsent sur ces jeunes chercheurs en compétition. » (p.36).
Si ces constats et analyses ne peuvent être que partagées, l'auteure est parfois dans l'imprécation, « il serait souhaitable », son texte ressemblant alors à un long éditorial. Le style est celui d'une journaliste et si Isabelle Garo ou Jacques Bidet sont cités, leur pensée n'est que très succinctement résumée. Ce chapitre de la rupture nécessaire et vitale avec le capitalisme est le moins convaincant. Il contient nombre de formules entendues par les orateurs de la gauche de la gauche, « remettre à l'endroit le système, changer les priorités, etc. ». Clémentine Autain entend « revitaliser la rhétorique du changement à gauche », on pourrait lui reprocher d'ajouter du discours à la rhétorique. Elle est bien plus percutante lorsqu'elle reprend les citations de Christine Lagarde à l'assemblée nationale : « Cessons d'opposer les riches et les pauvres. […] La lutte des classes n'est plus d'aucune utilité pour comprendre notre société (10 juillet 2007) ». Elle reprend et synthétise les discours et textes programmatiques issus de la gauche de la gauche concernant la dénonciation des privatisations, la nécessité de défendre et renforcer les services publics, reprenant au passage les propositions du NPA concernant les grands pôles publics de l'eau, de l'air,…
Sa remise en cause du binôme prétendu irréconciliable réforme/révolution est originale et nouvelle car elle s'appuie sur une analyse du mouvement féministe qui a réussi à faire alterner révoltes, méthodes révolutionnaires et projets de lois modernes. Elle saisit bien la notion d'urgence que nécessite la situation de crise sociale actuelle. Plus pragmatique, cette génération de trentenaire, nés dans la crise, et ayant connu la précarité ou au moins l'insécurité, lorsqu'elle milite attend des avancées immédiates et des succès mêmes partiels, du concret ! Les quelques pages que l'auteure dédient à l'usage du net sont à la fois distanciées et précises, sa mise en garde contre une fracture numérique est également pertinente.
Le dernier chapitre intitulé « fédérer » retrace son parcours politique et aurait peut-être dû être placé en premier, il retrace ses affiliations : dans années 90 « alternative citoyenne » et « réseau pour une Alternative Progressiste », « l'Appel Ramulaud », « les collectifs antilibéraux » et aujourd'hui la FASE. Et l'auteure retrace finalement les échecs de cette gauche de la gauche, dont les organisations ont des programmes politiques similaires, un refus d'alliance avec le PS de plus en plus massif, mais qui pourtant part en ordre dispersé lors des différentes élections. On aurait aimé qu'elle détaille un peu plus ses relations avec l'équipe de Bertrand Delanoë, ses rapports avec l'appareil communiste, les raisons de l'échec de sa tentative de rapprochement avec le NPA : le lecteur est un peu sur sa faim (surement dans quelques années ces questions qui intéressent les historiens de la gauche de la gauche se retrouveront dans ses mémoires, ou un nouveau portrait).