Sujet particulièrement intéressant que constituent les actes, sélectifs, de ce colloque tenu à l’Université Concordia au Québec en 2004. Dix-neuf textes sont présentés, par ordre chronologique, regroupés en quatre parties. Ajoutons, pour faire bonne mesure, que tout l’arc des sciences sociales est déployé pour appréhender l’objet : histoire, histoire de l’art, sociologie et anthropologie, analyse littéraire, études théâtrales ou encore littératures comparées. Cette interdisciplinarité revendiquée n’est d’ailleurs pas sans poser problème. Une définition préalable de l’objet, spectacle politique dans la rue, aurait été bienvenue car il est parfois assez difficile de percevoir l’unité d’un objet dont les contours varient fortement, non seulement du point de vue des disciplines, mais également des périodes.
La première partie est centrée autour des entrées royales et des festivités théâtrales, du XVIe français à la foire sous l’Ancien Régime. De ce solide ensemble, on retiendra particulièrement deux textes. Le premier de L. Roy sur les universitaires dans la rue ainsi que celui de Y. Barré, car il est l’un des rares à prendre en compte la dimension de genre du spectacle politique en s’intéressant aux entrées solennelles des reines, en l’occurrence Claude de France et Eléonore d’Autriche. La seconde partie est centrée autour de la rhétorique de l’image et du texte, avec un article assez original sur la fête des Médicis de 1513, analysée sous l’angle des représentations des âges, et de la vieillesse en particulier. La troisième partie porte sur les marginalités dans les rues du XVIIIe. Enfin, l’ultime partie rassemble cinq textes autour de la thématique de la construction moderne de l’urbanité. Malgré la limitation temporelle du sujet, une assez grande hétérogénéité caractérise les articles. L’analyse de la rue dans la poésie baudelairienne intéressera un public très ciblé, de même que l’exégèse de Simmel par G. M. Nielsen qui nécessite une connaissance préalable de l’œuvre du sociologue pour en mesurer la discussion.
On retiendra, pour conclure, l’article le plus proche des intérêts des lecteurs de Dissidences, celui de J.-M. Apostolidès sur le théâtre de mai 68 et la mise à mort du père, pour en regretter profondément l’orientation. En effet, cette analyse du mouvement de Mai 68 s’inscrit dans une perspective psychanalytique et culturelle, assez éloignée de la réalité du mouvement de grève générale ouvrière qu’a pointé Kristin Ross dans son ouvrage récent (Mai 68 et ses vies ultérieures, 2005). Pour Apostolidès, Mai 68 représente la révolte d’une génération contre la figure du Père et « A la Nation succède la fratrie, la communauté des frères ». Loin de toute tension révolutionnaire, Mai 68 n’est que l’expansion de l’égalité et de la démocratie (libérale), bref, un moment de modernisation de la France. Thèse développée par d’autres par ailleurs (on songe notamment à J.-P. Le Goff). Au final, en reposant le volume, le lecteur est un peu saisi par le tourbillon des formes variées que représente le spectacle politique dans la rue, et plus que convaincu.