Pauline Vuarin, Larzac 1971-1981 : la dynamique d’une lutte originale et créatrice, Université de Paris-I, Mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, sous la direction d’Annie Fourcaut et de Frank Georgi, 2005, 144 p.

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Mots-clés

Écologie, Mouvement social

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Notons tout d’abord la forme presque parfaite de ce mémoire – orthographe et style -, ce qui en rend la lecture particulièrement agréable. Par ailleurs, l’auteure, en tant que fille d’un des militants des Comités Larzac, a pu accéder à des archives de premier ordre conservées dans la famille : communiqués de presse, chansons, journal des paysans (Gardarem lo Larzac) et même documents de préparation des actions et des rassemblements. Elle n’a pas négligé les sources audiovisuelles – films réalisés sur le plateau – et est allée voir certains anciens acteurs.

Ceci donne une étude complète d’une décennie qui a vu, à plusieurs reprises, des milliers de manifestants troubler la quiétude de ce causse magnifique et étrange. Il faut dire que l’Etat gaulliste avait la volonté de faire passer le camp militaire de 3000 à 17000 hectares, ce qui aurait entraîné l’expropriation de 103 paysans, éleveurs de brebis travaillant pour les caves d’affinage de Roquefort. Aussitôt la nouvelle connue, à la fin de l’année 1971, les notables, section départementale de la Fédération nationale des exploitants agricoles (FDSEA), évêque de Rodez, élus locaux de droite, soutiennent les paysans, le département de l’Aveyron étant déjà victime de désertification. Mais les Maoïstes s’en mêlent aussi : à l’aide d’explosifs qui ressemblent à des pétards, ils tentent de saboter un hélicoptère de l’armée ou lancent quelques cocktails Molotov sur la permanence du parti gaulliste et sur le local de la CGT ! Manifestement ce n’est pas la bonne méthode. Lanza del Vasto et les membres de sa communauté de l’Arche, par leurs grèves de la faim répétées, seront plus en accord avec l’ethos des paysans. Toujours est-il que la mayonnaise prend : les rassemblements organisés sur le Larzac, les 25-26 août 1973, avec la présence des Lip, et les 17-18 août 1974, en solidarité avec le Tiers monde, seront d’étonnants succès (80.000 et 100.000 personnes). Les paysans ont compris que pour gagner, il fallait lier leur lutte à celle des ouvriers ou à celle des paysans du Tiers monde. Et donc, malgré l’expérience malheureuse de 1971, tous les soutiens sont les bienvenus, y compris ceux des groupes gauchistes. La Ligue communiste (LC) et son organisation sœur britannique, l’International Marxist Group (IMG), sont présentes à Rodez le 14 juillet 1972 contre la militarisation de l’Europe – le camp devait servir à entraîner les chars anglais utilisés contre les républicains irlandais -, ce qui échappe à l’auteure (voir mon livre sur la LCR, p.190). Plus impliqués dans le soutien à cette lutte sont les militants de la Gauche ouvrière et paysanne (GOP), une tendance maoïsante du PSU, dirigée par Marc Heurgon et Abraham Béhar ; elle le quittera en décembre 1976 pour constituer avec les militants de Révolution !, eux-mêmes scissionnistes de la Ligue, une éphémère OCT (Organisation communiste des travailleurs). Certes l’auteure nous avertit dans son titre qu’elle va parler surtout de la « dynamique » de la lutte – et elle le fait magnifiquement jusqu’à la fin de la décennie -, mais on ne peut s’empêcher de regretter qu’elle ne nous parle pas davantage des « acteurs » : les militants de la GOP en premier lieu, dont son père Pierre faisait partie, mais aussi les paysans du Larzac et les néo-ruraux, ces squatteurs venus s’installer à demeure. Parmi eux José Bové, dont la silhouette fugace apparaît dans ce mémoire (p.77). Pour maintenir vivante la lutte, l’imagination des militants est inépuisable : de la création du CUN (Centre de rencontres et de recherches sur la paix et la non violence) par des objecteurs de conscience à celle de Larzac-Université avec la participation active de l’historien Jean Chesneaux (et son association Forum-histoire). Par sa durée, cette lutte relativement atypique en France fait penser à celle des paysans japonais en lutte contre l’extension de l’aéroport de Narita, près de Tokyo. On apprend d’ailleurs qu’une délégation de ces paysans a été reçue sur le plateau. Inventivité, ténacité, courage ont payé. Dès son arrivée au pouvoir, la gauche renonce au projet d’extension du camp. Autre leçon de ce combat : seule l’utilisation de méthodes de lutte en adéquation avec le milieu paysan local a pu maintenir l’union et aboutir à la victoire.

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Référence électronique

Jean-Paul Salles, « Pauline Vuarin, Larzac 1971-1981 : la dynamique d’une lutte originale et créatrice, Université de Paris-I, Mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, sous la direction d’Annie Fourcaut et de Frank Georgi, 2005, 144 p. », Dissidences [En ligne], Juillet 2012, Nos archives du mois : grèves et manifestations, publié le 08 juin 2012 et consulté le 29 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=625

Auteur

Jean-Paul Salles

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