La Suisse ne fait pas précisément partie des lieux d’élection de la lutte de classes. C’est d’autant plus vrai que depuis 1937, suite à une vague de grèves importantes, les relations sociales y sont gouvernées par le principe de la « paix du travail absolue ». Depuis plusieurs décennies, la Confédération est donc un pays quasiment sans grèves. D’où l’intérêt de lire ce livre édité par Unia, un syndicat helvétique sur un conflit récent dans une entreprise métallurgique, Swissmetal à Reconvilier. Pour mesurer l’ampleur de cette grève de 10 jours en novembre 2004, il faut lire, sous la plume d’un dirigeant syndical, que « Reconvilier fut hors norme comme, au sens premier, un Soviet en Jura bernois » (p. 74). Le motif de départ semble en effet banal, le remplacement d’un directeur de la vieille école par un manager formé aux techniques modernes. Ce nouveau directeur, d’origine alémanique et parlant mal le français, envisage de « rationaliser » la production (en clair d’organiser des licenciements). Cela déclenche une grève spontanée des centaines d’ouvriers (une usine géante au regard du pays) exigeant son renvoi. Face à cette grève sauvage, le mouvement syndical envoie une permanente pour engager le « nécessaire et constructif dialogue social » avec la direction. Un premier accord négocié avec les représentants syndicaux de l’entreprise est rejeté par les ouvriers. Dans le chapitre qu’elle a rédigé pour raconter les négociations, la responsable syndicale exprime tout le hiatus entre les ouvriers mobilisés et la dynamique négociatrice. Elle en vient même à insulter les grévistes et à les menacer de leur retirer le soutien du syndicat. Il faudra néanmoins plusieurs jours avant qu’elle ne parvienne à les convaincre d’accepter un compromis guère satisfaisant. Au point qu’une fraction importante des salariés exprime son mécontentement. Superbement illustré, ce livre indique bien un renouveau des luttes de classes dans un pays qui en avait oublié le sens depuis bien longtemps. Parallèlement, d’autres combats, contre la libéralisation de la Poste, contre les licenciements dans l’usine Tornos (leader mondial de la machine outil) inclinent à penser qu’un nouveau climat social est en cours de gestation dans « le pays des banques et du chocolat ». D’autant plus que le 25 janvier 2006, les ouvriers de La Boillat se remettent en grève, avec occupation de l’usine, pour protester contre le non respect par la direction du protocole d’accord de novembre 2004, et contre le projet de transfert de leur usine sur un autre site, ce qui occasionnerait le licenciement de presque 50% du personnel. Le combat exemplaire de ces travailleurs, dont la grève a été suspendue le 23 mars 2006, soit après deux mois d’occupation, a bénéficié et bénéficie toujours d’une forte mobilisation dans cette vallée romande et au-delà, mais n’est pas parvenu, semble-t-il, à être perçu comme tel dans les pays frontaliers, en France par exemple. Peut-être qu’un prochain ouvrage, bientôt…
« Quand « la Boillat » était en grève. Swissmetal Reconvilier », Lausanne, Éditions l’Événement syndical, 2005.
Article publié le 08 juin 2012.
Index
Texte
Citer cet article
Référence électronique
Georges Ubbiali, « « Quand « la Boillat » était en grève. Swissmetal Reconvilier », Lausanne, Éditions l’Événement syndical, 2005. », Dissidences [En ligne], Juillet 2012, Nos archives du mois : grèves et manifestations, publié le 08 juin 2012 et consulté le 03 décembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=615