Ancien directeur de L’Humanité, dirigeant de premier plan du PCF, Pierre Zarka est actif désormais à l’association des communistes unitaires qui constitue une composante de la Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE), laquelle est elle-même partie prenante du Front de gauche (constitué par le PCF et le Parti de gauche). Il préside par ailleurs l’OMOS (Observatoire des mouvements de la société, http://omos.site.free.fr/), association mêlant travaux de recherches et expériences militantes (le dernier en date des Cahiers de l’OMOS, Pistes pour en finir avec le capitalisme, Syllepse, 2012). L’étonnement surgit immédiatement à la lecture de ce livre, quand on constate que cet ex-apparatchik communiste cite aussi bien Marx que Foucault, Adorno (p. 79), Lacan (p. 131) ou Bachelard (p. 39). Le constat de départ (présent dans le sous-titre, Gauche année zéro) est que la culture politique de la gauche (dans son ensemble) a épuisé ses capacités propulsives pour penser le changement. Il faut changer de culture politique, radicalement. Cet essai s’y attelle. Et le moindre que l’on puisse dire est que Zarka y va carrément. Partant de l’idée que « e fétichisme de l’Etat imprègne toute la culture politique », p. 45, il propose tout simplement de rompre avec la forme parti. Il faut en finir avec toutes les formes du pouvoir pour promouvoir l’expérience d’une radicalité sans borne s’incarnant dans la prévalence du collectif. C’est d’abord de la forme parti dont il faut se déprendre, tant celle-ci constitue un instrument de dépossession (« Le pouvoir de socialisation de toute organisation fait d’elle un phénomène aussi excluant qu’incluant », p. 121). Rompre avec le centralisme donc, mais pour quels nouveaux horizons ? Dans un vocable mâtiné de concepts psychosociologiques (« Le manque est indispensable à la recherche d’autre chose », p. 134), Zarka n'envisage rien moins que de « se passer des institutions », p. 135. Il faut promouvoir une « révolution de la vie », comprise comme « de l’ordre de la liberté d’initiative, de la capacité de choisir », p. 137, expression d’une veine Deleuzienne/Guattarienne, assez éloignée du modèle communiste, on en conviendra. Il faut du désir, afin que chacun puisse réalise ses potentialités. Si l’on suit la pente du raisonnement, les propositions de Zarka sont particulièrement claires : « Pour nous, ces processus d’individuation déterminent la capacité à affronter l’exploitation et les dominations en tant que système cohérent. Ce qui mène de son désir au mouvement collectif devient le nœud des affrontements. Les individus peuvent jouer le rôle politique essentiel pour leur propre émancipation si l’on ne dissocie pas les questionnements relatifs à leur inscription dans la société et ceux qui découlent de leur psychisme », p. 145. Néanmoins, conscient des limites d’une approche trop centrée sur l’expression des désirs, Zarka convient de la nécessité d’une organisation collective, mais profondément différente des formes contemporaines de socialisation partisane. Si l’on peut le suivre sans trop de problème dans cette affirmation (« S’organiser ne devrait pas être se soumettre à la structure, mais se regrouper comme individus souverains construisant un lieu de mutualisation et de passage au pluriel. Une force collective et non une institution en marche », p. 184), la suite du raisonnement débouche sur des idées qui résonnent furieusement avec celles mises en œuvre par le mouvement ouvrier au long du XIXe siècle : « L’approche communiste, c’est la production d’individus qui se rassemblent, pas celui d’une autorité abstraite. La confrérie, la fédération sont des notions plus appropriées que la forme connue des partis », p. 184. De même, les propositions mises en avant en termes de démocratie mériteraient d’être sérieusement argumentée pour emporter l’adhésion. Il ne suffit pas de plaider pour une réhabilitation du terme autogestion (p. 190) et avancer la nécessité de transferts des pouvoirs de l’État vers la citoyenneté. Il n’en reste pas moins que le monde de l’entreprise reste singulièrement à l’égard du raisonnement. Comme si l’on pouvait imaginer, dans une optique habermassienne (voir en particulier p. 200. Même si Habermas n’est pas cité, il hante le propos), une rupture avec l’État sans s’affronter au Capital, pour le dire rapidement. « Au regard de la méfiance croissante envers les institutions, le dépérissement de l’Etat, c’est-à-dire le glissement vers celles des citoyens, est le seul moyen de revaloriser l‘institué», p. 196. Certes, on ne peut qu’acquiescer au constat. Il n’en reste pas moins que nul à ce jour n’a assisté à un dépérissement spontané de l’État et, a fortiori, des rapports sociaux issus de l’existence du Capital, sans qu’une « pichenette » ne vienne y contribuer. Il reste donc encore à poursuivre le raisonnement et l’argumentation pour que la volonté de « faire correspondre la politique et les caractéristiques humaines », p. 202, évoquée par Pierre Zarka parvienne à emporter l’adhésion des lecteurs. Au moins peut-on créditer ce dernier de l’effort, méritoire, de s’inscrire dans une tentative radicale de repenser le corpus de la gauche.
Pierre Zarka, Oser la vraie rupture. Gauche, année zéro, Paris, Archipel, 2011, 206 p.
Article publié le 30 juin 2012.
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Georges Ubbiali, « Pierre Zarka, Oser la vraie rupture. Gauche, année zéro, Paris, Archipel, 2011, 206 p. », Dissidences [En ligne], Juillet 2012, Varia, publié le 30 juin 2012 et consulté le 21 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=611