L’auteur est historien de formation, collaborateur au mensuel satirique CQFD. Son ouvrage n’a donc pas prétention à renouveler, sur la base de matériaux nouveaux, notre connaissance de l’AIT, Association internationale des travailleurs. L’auteur exprime d’ailleurs sa dette en un remerciement liminaire pour les travaux de recherche conduits par les historiens. Il n’en reste pas moins que ce livre constitue une excellente synthèse de ce qu’il faut savoir sur la Première internationale, dont l’abondante bibliographie fait foi. Empreint de sympathie pour les thèses bakouniniennes, le propos de Léonard n’en demeure pas moins en empathie avec l’œuvre globale de l’Internationale et de Marx, son principal protagoniste. L’Internationale n’a vécu que huit années, de 1864 à la scission de 1872, avant de disparaître définitivement, ombre d’elle-même, en 1876. L’échelonnement des sept chapitres est d’ailleurs d’ordre purement chronologique, de la fondation, à Londres, à l’épreuve de la Commune, puis à la scission à l’occasion du congrès de La Haye et l’exil new-yorkais. Durant ses deux premières années, l’Internationale est dominée par la figure de Proudhon et du coopérativisme. A partir de 1866, la perspective collectiviste domine, avant qu’une période conflictuelle s’ouvre avec le bilan contrastée de la Commune après 1871. Une série de portraits - dont certains sont d’ailleurs reproduits au fil des pages - des principaux animateurs de l’AIT sont proposés, avec force extraits de documents discutés lors des réunions et des congrès.
Si l’opposition des conceptions entre Marx et Bakounine est bien connue (le fameux choc des « autoritaires » contre les « anti-autoritaires »), et rythme les débats internes de la structure, l’apport essentiel du livre se manifeste avec l’ultime chapitre. En effet, il porte sur la situation issue du congrès de la Haye. Ces dernières pages fournissent de nombreuses indications aussi bien sur les discussions au sein de l’AIT « centralisatrice » que sur sa consœur « fédéraliste », d’ailleurs très réduite puisque la Fédération jurassienne, fondé à Sonvilier (Suisse) ne dépassera jamais les 400 membres à son plus haut niveau. L’auteur ne cache d’ailleurs pas que l’intensité des affrontements entre les deux composantes franchit parfois les lignes rouges. Bakounine (et J. Guillaume), dirigeants de la Fédération n’hésitent pas à mettre en cause le caractère juif de Marx, versant dans un antisémitisme de bas étage. M. Léonard a raison de souligner que dans ce divorce international du mouvement ouvrier (dont il fournit quelques éléments de compréhension à partir des situations italiennes ou espagnoles), se réalise dans l’anathème et l’injure. Mais plutôt que d’en attribuer la responsabilité aux uns et aux autres ou, pire, à leurs caractères, il envisage une réponse sur un versant plus politique, en particulier comme la conséquence de l’échec de la Commune. Finalement, les deux traditions incompatibles au sein d’une même internationale donneront quelques années plus tard naissance, d’un côté, à la IIe Internationale et à la nationalisation des partis socialistes, de l’autre au courant syndicaliste révolutionnaire qui s’incarnera dans la CGT en France, la CNT en Espagne ou les IWW aux Etats-Unis.
En un ultime clin d’œil complice, ce livre excellemment documenté se termine par une citation de Bakounine, à qui revient l’honneur de tirer le bilan de cette expérience fondatrice. Un carnet photo central permet de mettre un visage sur les principaux animateurs de l’AIT, ainsi que de visualiser quelques documents (comme la carte de membre).