Mao Zedong, De la Pratique et de la contradiction, présenté par Slavoj Zizek Michel, avec une lettre de Alain Badiou et la réponse de Zizek, Paris, Éditions La Fabrique, 2008, 317 p.

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Idéologie, Maoïsme, Marxisme

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«  Si, étant arrivé à une théorie juste , on se contente d'en faire un sujet de conversation, pour la laisser ensuite de côté sans la mettre en pratique , cette théorie, si belle qu'elle puisse être, est dépourvue de toute signification . » De la pratique (Juillet 1937).

Mon entourage m'a souvent entendu vitupérer contre le manque de courage des éditeurs français, trop bourgeois, trop commerciaux, qui se refusaient à publier des ouvrages de certains auteurs dont Mao Zedong. Je partageais ce constat avec la figure légendaire du maoïsme à la française Alain Badiou qui dans son ouvrage Le Siècle (Seuil, 2005) proposait même, de manière un peu provocante, de mettre Mao au programme de l'agrégation de philosophie. Souvent, j'ai regretté de ne pas trouver en librairie des ouvrages de Mao d'autant que la plupart me semblent d'une brûlante actualité . Comme beaucoup, j'ai dû me contenter d'éditions anciennes aux couvertures jaunies. Ce n'est qu'au prix de recherches longues qu'il m'a été permis de constituer la b a ba de la petite bibliothèque minimale de la pensée Mao Zedong. Alors l'initiative de La Fabrique tombe à point nommé, l'éditeur semble avoir entendu cet appel de Badiou.

Aucun marxiste digne de ce nom1 (qu'il soit ou non maoïste, aucun historien des mouvements révolutionnaires, aucun curieux, aucun dialecticien, aucun apprenti philosophe) ne peut rater la publication des textes philosophiques majeurs du « Grand Educateur ». Néanmoins, après ce satisfecit, un bémol et non des moindres. La Fabrique se contente de reproduire les textes de l'époque tels quels, traduits pas les Editions en langues étrangères de Pékin. Or avec la multiplication en France des études sinologiques, nous aurions souhaité que ces textes soient revus et retraduits de manière optimale, afin de battre en brèche le risque immédiat de se voir opposé le dogme et non la pensée vivante dialectique. L'appareillage critique n'est que la resucée des notes des E.L.E de Pékin. Aucun effort de vérification, d'explication n'a été réalisé. En somme, La Fabrique a sorti des habits neufs pour le président mao avec une superbe couverture rouge et un portrait de Mao, sans rien changer au contenu, ce qui est fort dommageable au niveau historiographique.

L'introduction de Zizek n'est pas là pour diminuer cette impression d'édition à moindre frais. Zizek, mandarin reconnu, part dans tous les sens, cite Schelling, Hegel, Heidegger, oublie parfois qu'il doit présenter les œuvres de Mao, s'attarde sur des points de détail échappant au commun et finalement participe à l'impression de confusion qui semble régner autour de cet ouvrage. Zizek y défend la position d'un Mao quasiment pèlerin du néant, limite anarchiste et tout cela ne fera que troubler un lecteur non aguerri à la pensée de celui que la CIA surnommait « B-52 », en référence au célèbre bombardier. La réponse de Badiou et intéressante, mais honnêtement une discussion entre deux mandarins si glorieux soient-ils ne rentre pas dans le cadre d'une présentation honnête, circonstanciée, de l'œuvre d'un auteur.

Pourtant l'essentiel de Mao Zeodong au niveau philosophique est reproduit avec De La Pratique et De la Contradiction, Contre le culte du livre, contre le libéralisme, de la juste solution des contradictions au sein du peuple, d'où viennent les idées justes ? On y trouvera même en fin de volume un texte peu connu prêté à Mao Zedong, un entretien sur des questions de philosophie datant de 19662. Mais là encore, on ne discute pas de la véracité ou non du texte, on se contente de reproduire un texte publié en France par les PUF à l'époque de la maolâtrie grandissante des années 70, époque où même Serge July, Benny Lévy alias Pierre Victor, Alain Geismar et Denis Kessler étaient « maos » comme on disait. Rappelons que depuis ils ont été respectivement Directeur de Presse, Rabbin intégriste, Inspecteur général de l'Education nationale et numéro deux du Medef.

Les temps changent donc, c'est dialectique et Mao Zedong aurait mérité un traitement un peu plus proche des études sinologiques que la reproduction « à la va-vite » de textes « pompés » de-ci, de-là, à l'image de l'initiative que les éditions du CERF avaient tenté d'entreprendre avec un important volume de textes inédits de Mao Zedong (1949-1958), publié à la fin des années 70.

Dans la droite ligne de ces critiques, on regrette l'absence d'un index, en somme d'un vrai travail d'éditeur. Cependant, nous ne pouvons que conseiller à tous ceux qui veulent pour un prix modique (15 euros) trouver l'essentiel de Mao chez leur libraire de procéder à l'achat de ce livret. Cela leur évitera de s'épuiser à parcourir les foires aux livres, bouquinistes et … autres achats sur le Net. Néanmoins, c'est une impression très mitigée presque d'amertume qui demeure en refermant cet ouvrage. En tout cas il ne sert pas l'étude dépassionnée de Mao Zedong. Comme chez tout vrai penseur, la profondeur de ses textes est inversement proportionnelle à leur longueur : tous singulièrement brefs, clairs et pertinents même pour le plus grand nombre. L'explication des deux textes canoniques « De la pratique » et « De la contradiction », l'un sur la perception empirique du monde, l'autre sur l'étude dialectique de la nature est absente. N'est pas soulignée non plus pas la rupture que réalise Mao, dans sa défense de l'unité des contraires, au sein de la dialectique matérialiste, contre les vues de Engels, actualisant ainsi la gnoséologie marxiste. Il n'est pas question de la rupture maoïste du monolithisme stalinien déjà en germe dans la construction même de la dialectique de Mao. Rien n'est dit de l'apport de la philosophie chinoise classique notamment de Lao Zi et du Tao Te King sur la perception matérialiste du monde. Enfin, rien sur la lutte contre Confucius que Lin Biao tentera de réhabiliter dans les années 70. Par conséquent, aucun texte de Mao n'est mis en perspective, néanmoins une initiative comme celle de La Fabrique est si rare désormais que malgré tous les défauts énoncés, il nous faut la défendre. Nous aurions préféré le faire avec un enthousiasme plus débordant.

Notes

1 De même que Lénine écrivait «  qu'aucun homme ne peut se prétendre marxiste s'il n'a lu la science de la logique de Hegel  » (OC, tome 38). Retour au texte

2 On trouvera à cette adresse un certain nombre de livres classiques du marxisme dont des textes de Mao Zedong http://www.contre-informations.fr/classiques/classiques-liste.html Retour au texte

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Florent Schoumacher, « Mao Zedong, De la Pratique et de la contradiction, présenté par Slavoj Zizek Michel, avec une lettre de Alain Badiou et la réponse de Zizek, Paris, Éditions La Fabrique, 2008, 317 p. », Dissidences [En ligne], Mouvement communiste à l'International, publié le 06 décembre 2012 et consulté le 22 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=578

Auteur

Florent Schoumacher

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