Raymond Depardon, Images politiques, Paris, La fabrique éditions, 2004, 110 p.

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Science politique, Photographie

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En histoire, parfois, certaines parutions peuvent être corrélées avec d'autres manifestations, voire avec des événements, appartenant peu ou prou au même champ historiographique. Ainsi de cet ouvrage de Raymond Depardon sur les rapports entre la photographie et le politique, qui parait à un moment de l'histoire des représentations photographiques particulièrement habité. Qu'on en juge plutôt : expositions " Images de la guerre d'Algérie, 1954-1962 " à Saint-Omer (Nord-Pas-de-Calais) en 2002-2003 et " Photographier la guerre d'Algérie " à Paris (hôtel de Sully) en 2004 - ces deux expositions faisant l'objet de catalogues, le premier aux éditions La Coupole et le second chez Marval -, parutions des essais de Hubert Damish, La Dénivelée. A l'épreuve de la photographie, Le Seuil (2001), de Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, aux éditions de Minuit (2003), de Susan Sontag (décédée le 28 décembre 2004), Devant la douleur des autres, chez Christian Bourgois (2003) et d'André Rouillé, La photographie (qui consacre d'ailleurs un paragraphe à R. Depardon), chez Folio/essais début 2005, thèses en cours dont celle de Marie Chominot sur l'imaginaire photographique de la guerre d'Algérie, etc… Toutes ces recherches, qui nous incitent, enfin, à " penser avec les yeux ", selon la très belle expression du sociologue Sylvain Maresca (La photographie. Un miroir des sciences sociales, L'Harmattan, 1996), participent pleinement à une histoire sociale et culturelle de la photographie, tout en prouvant la belle vitalité de ce courant.

Auteur d'une bonne vingtaine d'ouvrages, et de presque autant de documentaires, Raymond Depardon n'est évidemment pas un inconnu pour toux ceux qui s'intéressent à la production et à la diffusion des images comme possibilité d'écrire l'histoire autrement. Celui qui déclarait très récemment avoir comme objectif de " vouloir mettre de l'ordre dans le réel " (Le Monde, 8 décembre 2004, p. 29) a sélectionné ici une soixantaine de clichés, construits ou pris " à la sauvette ", déclarés " politiques ", de lieux et d'acteurs d'un monde en désordre. Grévistes belges du bassin minier de Wallonie qui peignent, en 1960, la faucille et le marteau sur les murs de brique des corons, ou paysan chilien de 1971 lisant avec détermination El Rebelde, l'organe du MIR, son épouse à ses côtés, manifestent avec force la volonté d'un ordre social différent, préfigurant ainsi ce qu'affirmera bien plus tard Jacques Rancière : " Etre un membre de la classe combattante ne veut d'abord rien dire que ceci : ne plus être un membre d'un ordre inférieur " (Aux bords du politique, La fabrique, 1998, p. 51), tandis que d'autres photographies présentent plutôt des victimes : enfants angolais, orphelins roumains.

Tout au long de l'ouvrage, des textes indiquent les raisons des reportages d'où ces images sont extraites, tandis qu'une brève introduction présente les deux problématiques de ce recueil, à savoir la manière dont " la photographie intervient dans le politique ", et " comment le politique se matérialise dans l'image " (p. 11). Le choix des clichés, ainsi que les " informations " qui les accompagnent répondent-ils à cette double attente ? Si l'on se réfère à André Rouillé, justement, pour qui " il y a de la politique quand [l'ordre établi de la domination] est bouleversé, quand est perturbé le partage de la communauté entre ceux que l'on voit et ceux que l'on ne voit pas " (La photographie, p.540), la majorité des clichés semblent plus ou moins pertinents. Néanmoins, l'historien de l'image peut regretter quelques lacunes. Ainsi, certaines photographies ne sont pas datées - l'année étant loin d'être suffisante pour certains événements - ou renseignées assez précisément ; ce paysan chilien est-il un militant du MIR, est-il représentatif des paysans de son village (quel village ? quelle région ?) ou atypique ? Toujours à propos de cette image ainsi que de celle d'un autre paysan, de Haute-Loire celui-ci, comment ne pas remarquer, pour les deux, la similitude du lieu de la prise de vue (une cuisine), de l'attitude (assis à la table) et du personnage debout le regardant (épouse) ? Si certaines photos nous renvoient immanquablement à d'autres, celle du Chilien, encore, nous rappelle celle d'un militant de la CGT lisant L'Humanité en 1905, sa femme à ses côtés, pour la scène générale, et pour la femme portant son enfant, ces femmes photographiées dans le sud des Etats-Unis, lors de la Grande Dépression, par Dorothéa Lange. Mais rien de tout cela n'est analysé par Gérard Depardon.

Ses clichés sont donc à prendre comme un choix subjectif, en partie, mais en partie seulement, justifié, comme des documents " depardiens " auxquels l'historien devra appliquer une grille de lecture à fin de décryptage. Néanmoins, ce livre participe d'une réflexion très actuelle sur les relations entre image, politique et réel, et à ce titre mérite le détour.

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Référence électronique

Christian Beuvain, « Raymond Depardon, Images politiques, Paris, La fabrique éditions, 2004, 110 p. », Dissidences [En ligne], Politique et société en France, publié le 06 décembre 2012 et consulté le 24 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=565

Auteur

Christian Beuvain

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