Gérard Noiriel, Histoire, Théâtre, Politique, Marseille, Agone, 2009, 190 p. (Contre-feux).

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Science politique, Littérature

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Ce livre est un plaidoyer pour un (re)nouveau (du) théâtre politique alliant le divertissement et l'enseignement, l'intellectuel et l'émotion, les savants et les artistes. Gérard Noiriel, en prenant comme référence Brecht, insiste plus particulièrement sur la fructueuse collaboration que pourraient réaliser sociologues et historiens, et gens de théâtre. À travers une analyse sociologique des institutions françaises, il cherche à montrer comment le milieu du théâtre et celui de l'université se sont disjoints et comment s'est mise en place une division du travail entre eux, qui constitue à la fois la cause et la conséquence de la séparation voie du fossé entre le divertissement et l'enseignement. En s'appuyant sur des œuvres ( Hamlet-machine , Vive la France ! , etc.) et des manifestations contemporaines, il met en lumière les tendances contradictoires au sein du théâtre français, ainsi que leurs communes limitations : la dépendance envers les subsides de l'état et une relation problématique au public. De plus, l'auteur critique l'évolution du théâtre « politique », passé d'un positionnement des spectateurs devant des dilemmes à une défense des bonnes causes (page 135).

Toute cette partie ne manque pas d'intérêt, mais le problème est que Noiriel, pour soutenir sa thèse, tend à classifier les tendances qui traversent l'histoire du théâtre de manière simplificatrice. Ainsi, deux grandes voies artistiques caractériseraient selon lui le XIX ème siècle : « le prolongement de l'engagement hugolien (…) pour préparer la révolution sociale » et « l'art pour l'art » rejetant toute forme d'engagement (pp. 32-33). De plus, les querelles autour du « théâtre populaire », en France après la seconde guerre mondiale, telles qu'elles sont décrites ici, laisseraient à penser que seul le théâtre de Brecht serait (réellement) politique. En réalité, l'auteur s'inscrit dans un combat rationaliste, héritier des Lumières, qui l'égare quelque peu. Par exemple, présenter, en se cantonnant au message explicite, « l'art pour l'art » comme une tendance « récusant toute forme d'engagement politique » revient à ignorer les travaux de Jacques Rancière, Michael Löwy et bien d'autres et l'excellent ouvrage de Dolf Oehler ( Le spleen contre l'oubli. Juin 1848 , Payot, 1995) qui remettent en cause cette vision. De même, il est caractéristique que le théâtre de Genet – théâtre politique, mais ne se revendiquant pas de « l'optimisme des Lumières » – ne soit pas convoqué tant il ne correspond pas aux différents courants artistiques dessinés par Noiriel. Enfin, les critiques aussi justifiées soient-elles envers le théâtre d'avant-garde, les œuvres d'Artaud, de Beckett et, plus proche de nous, de Barker et Bond, manquent peut-être un peu de nuance en sous-estimant leur originalité et leur potentiel politique. Le recours plus appuyé à des essais comme ceux de Marie-Ange Rauch, Le théâtre en France en 1968 , (l'Amandier, 2008) et d'Olivier Neveux, Théâtres en lutte. Le théâtre militant en France des années 1960 à aujourd'hui (La Découverte, 2007) auraient sûrement permis à l'auteur une approche plus complexe. Par ailleurs, d'autres limites affectent l'analyse dont, principalement, l'évocation régulière de la distinction hautement problématique de la forme et du fond, présenté ici comme une évidence.

Sur le fond, la vision du théâtre de Noiriel n'est pas neutre quant à l'alliance envisagée. Le théâtre est essentiellement vu sous l'angle sociologique (tendance bourdieusienne) et l'auteur a tendance à mettre l'accent sur les freins propres aux artistes dans le projet de collaboration avec les savants. Il apparaît alors que l'alliance souhaitée ne peut l'être que sur base d'une « croyance dans la raison, l'importance de la pédagogie et l'utilité du savoir » (p. 138), dans le respect des institutions qui les fondent, en évitant de trop bousculer le monde universitaire et en évacuant d'autres tendances théâtrales jugées trop « avant-gardistes », « formalistes » ou « artistiques ».

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Frédéric Thomas, « Gérard Noiriel, Histoire, Théâtre, Politique, Marseille, Agone, 2009, 190 p. (Contre-feux). », Dissidences [En ligne], Politique et société en France, publié le 06 décembre 2012 et consulté le 29 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=564

Auteur

Frédéric Thomas

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