Jean-Louis Crimon, Oublie pas 36, Bordeaux, Le castor astral, 2006, 221 p.

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Roman, Littérature

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L’écriture de ce roman dont le titre sonne comme un mot d’ordre, le point d’exclamation en moins, s’inscrit dans un triple registre. Il s’agit à la fois d’un acte de mémoire, d’un roman d’initiation et, enfin, de l’expression d’une fidélité. Acte de mémoire car l’auteur, journaliste à France Culture, se révèle également le narrateur de l’histoire, son histoire. De quoi s’agit il en effet ? Elle raconte le parcours d’un jeune fils d’ouvrier, premier bachelier de sa famille à la fin des années 60, ce qui naturellement fait la joie de ses parents. Lesquels parents le verraient bien passer un quelconque concours administratif. Mais c’est pour un autre choix qu’il opte. Celui de faire des études de philosophie, tout en travaillant à la Ruche, une entreprise coopérative de distribution d’aliments. C’est à cette occasion que se déroule son initiation, par l’intermédiaire de Luis, un réfugié espagnol et cégétiste de base. Par cette rencontre improbable, le jeune étudiant va se sensibiliser rapidement à la cause ouvrière, à l’organisation, ainsi d’ailleurs qu’à la culture ouvrière. Luis l’emmène chez lui et lui fait découvrir toute une littérature, littérature de lui inconnue, qui la culture scolaire ignore et méprise. Il s’agit de cette littérature prolétarienne, nourrie d’auteurs comme Julles Vallès, Neel Doorf, Charles Louis Philippe, Poulaille (en premier lieu) et bien d’autres encore. La fréquentation de Luis n’est pas purement littéraire. Elle s’accompagne également d’une conversion du regard politique. L’étudiant d’une famille catholique, pas franchement conservatrice va découvrir l’univers syndical, ses symboles, ses luttes, son organisation. C’est là par exemple qu’il découvre le poids comparé de Juin 36 et de Mai 68 dans la conscience ouvrière, au détriment de la geste estudiantine de Mai. Luis lui fera lire les journaux de l’époque, en particulier le Cri du peuple, l’Humanité ou encore le Populaire, dont de longs extraits sont reproduits. Luis le conscientisera également à la cause républicaine espagnole (on retiendra d’ailleurs que des extraits de discours de Franco en disent plus long que bien des proclamations sur la nature fasciste du régime). Ces extraits confèrent une nature particulièrement réaliste au récit en cours. Le travail de nuit pour payer ses études, qui se déroulent le jour ne durera qu’un temps, car le narrateur est licencié. Après un voyage en Suède et quelques vacations de maître auxiliaire de philosophie, il trouve un poste de journaliste. De manifestant régulier, il va désormais couvrir avec régularité les manifestations. Et pas seulement les manifestations ouvrières, puisque dans un journal régional, tout est sujet à reportage, même les départs pour Lourdes. Pour autant, le narrateur se pense toujours comme un ouvrier, un ouvrier des mots désormais. Loin de renier le cadeau d’adieu (Le manifeste du parti communiste) que lui a offert Luis lors de son départ de la boîte, il revendique fièrement la phrase qui sert de titre à ce livre qui se lit avec plaisir. Même si l’époque a changé, constate le narrateur dans le chapitre final, les valeurs de solidarité continuent de l’animer. Souhaitons que Crimon parvienne à convaincre quelques lecteurs de cette ambition.

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Georges Ubbiali, « Jean-Louis Crimon, Oublie pas 36, Bordeaux, Le castor astral, 2006, 221 p. », Dissidences [En ligne], Front populaire, publié le 04 octobre 2012 et consulté le 29 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=524

Auteur

Georges Ubbiali

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