Dans Reliques, Henri Raczymov nous donne la clé permettant de comprendre la nature de ses deux derniers récits : ceux-ci sont formés de différents prélèvements pour faire apparaître au grand jour « les strates géologiques (ou archéologiques) dont nos vies communes sont faites » (p. 12). Ainsi, nous voilà avertis : dans l’un comme dans l’autre, nous rencontrerons des visages disparus, des lieux, des atmosphères, de l’amitié. Dans Avant le déluge, se succèdent ainsi les portraits de son grand-père Szymon Dawidowicz, juif polonais et chiffonnier à Saint-Ouen « qui était contre tout ce qui était russe » donc par extension anticommuniste (p. 51), de sa grand-mère qui s’usait les yeux à coudre les shmattès (tissus) ramenés par son mari, et surtout de son père. Celui-ci, communiste comme de très nombreux juifs de cette génération (on se reportera à l’excellente étude de Jacques Frémontier, L'étoile rouge de David. Les juifs communistes en France, Paris, Fayard, 2002), gagnait sa vie et celle de sa famille en fabriquant des canadiennes, après avoir « fait » la Résistance, « celle des cocos, pendant la guerre avec les Boches, la guerre qu’ils étaient tous seuls à la faire, quelques cocos, quelques juifs, quelques autres métèques » (p. 13). Sa vraie vie, maintenant, c’était préparer les réunions de sa cellule et vendre L’Humanité-Dimanche à l’heure où les bourgeois vont à la messe : « Il y avait toujours un prolo qui s’arrêtait. Pour L’Huma, ils avaient toujours de quoi, les prolos » (p. 59). L’auteur, lui, à cette époque, lisait Vaillant (ainsi que Cinémonde, mais en cachette!) tandis que son frère dévorait Roudoudou et sa mère Heures claires des femmes françaises. La caractéristique du Parti communiste de ces années là étant d’offrir à chaque catégorie populaire un type spécifique de presse (y compris, pour les juifs, des journaux en yiddish, comme Naye Presse), toutes les familles militantes possédaient ainsi un assortiment varié, si ce n’est dans le fond, du moins dans la forme, d’hebdomadaires ou de quotidiens.
Dans Reliques, quelques années ont passé, sans doute à la suite du célèbre film soviétique de 1957, Quand passent les cigognes, qui ne dira pas grand-chose à la nouvelle génération, mais dont l’héroïne, Veronika, sut toucher le cœur de l’enfant qu’était encore Henri Raczymov. Dans les années 68, les atmosphères prennent la forme du Comité Vietnam et des manifestations rythmées aux cris de « Hô-Hô-Hô Chi Minh ! », et les amitiés s’enroulent autour de quelques figures de la JCR (Jeunesse communiste révolutionnaire, ancêtre lointain de l’actuelle LCR) et des communautés de Corrèze. La Révolution à portée de mains (du moins étaient-ils nombreux, alors, à le penser et surtout à le préparer) et la vie à pleine dents.
On rapprochera ces deux livres de souvenirs de ceux de Bernard Ruhaud (La première vie et On ne part pas pour si peu, chez Stock, en 1999 et 2002), dont le père « milite comme il respire » (La première vie, p. 73) ou de Gérard Mordillat (Rue des Rigoles, chez Calmann-Lévy en 2002). Par touches impressionnistes, le vécu enfantin et adolescent dans ces terres innervées par le communisme nous en apprend énormément sur la place du PCF au sein de la classe ouvrière, et aucun historien travaillant sur le communisme français, dans ses multiples variantes, donc y compris sur ses dissidences, ne saurait se passer de ce matériau.