Il est plusieurs manières de lire cet ouvrage collectif. La première tient à l'archive; elle constitue sans doute la part la plus suggestive du livre. L'inventaire et l'histoire des fonds composant les archives Marty en France offre plus qu'une simple recension, qu'un guide nécessaire vu leur richesse. Lire l'histoire de ces fonds, de leur constitution, c'est découvrir plusieurs manières de faire l'histoire. Pour le néophyte, l'introduction de Pascal Carreau sur la place des archives Marty dans les archives du PCF souligne ce que l'archive a de politique, ce que ses pérégrinations comme son classement dit de son usage par le mouvement communiste dans le cadre d'une véritable culture biographique - décrite ailleurs par Claude Pennetier et Bernard Pudal- par quoi s'assurer le contrôle des militants. L'obsession archivistique d'André Marty tient à cet usage. Elle rencontre, après son décès, Jean Maitron, à qui André Marty confiait par testament sa bibliothèque et les archives qu'il avait pu recoller après son éviction du PCF pour reconstituer sa carrière politique (1956). Paul Boulland, dans une courte présentation, montre que « Marty reste toute sa vie le héros de la Mer Noire et le chef des Brigades internationales, et que toute sa vie de nouveaux documents viennent illustrer et célébrer ce rôle » (p 125). La notice biographique de Jean Maitron, complétée par Claude Pennetier, qui clôt ce volume, glisse ainsi de l'archive à l'homme puisqu'elle s'achève sur l'examen de sa mémoire. André Marty paraît alors, dans son destin, unir les deux faces du culte de la personnalité : figure héroïque de la Mer noire, il est également l'objet de toute les calomnies. André Marty serait ainsi un révélateur du système stalinien.
L'homme donc, après l'archive. Quelques aspects seulement de sa personnalité apparaissent ici. Travaillant « André Marty à l'épreuve des archives », Claude Pennetier montre que celui-ci se conçoit en miroir du Fils du peuple incarné par Maurice Thorez. Le soin qu'il accorde au suivi de ses textes, notamment La révolte de la Mer noire (Marie Cécile Bouju, André Marty et les éditions du PCF ) procède sans doute de cette tentation charismatique qui lui sera finalement fatale (Axelle Brodiez, Le Secours populaire français entre Marty et Martin, deux mythes, deux affaires ). Il est l'homme de l'Internationale, figure charismatique (la Mer Noire, l'Espagne) occultée dès lors que le PCF nationalise sa culture. Les interventions de Rémy Skoutelsky (« les années militaires d'André Marty »), Georges Vidal (« André Marty et l'armée française dans les années 1930 ») reviennent sur le militaire qu'il fut. Dans une perspective qui annonce sans doute une part de la biographie à venir (en collaboration avec Claude Pennetier), Rémy Skoutelsky scrute des prédispositions à l'ethos stalinien : André Marty fut sans doute « fayot » auprès de ses supérieurs avant 1913, disposition propice ensuite à son parcours en stalinisme (p 39). Enfin, l'ensemble des interventions s'accordent sur la violence verbale du personnage, peignant ainsi la face sombre d'un personnage qui, s'il ne fut sans doute pas le Boucher d'Albacète décrit par les opposants du POUM et de la CNT (à suivre ici aussi Rémy Skoutelsky), sut toujours se montrer autoritaire, jusque dans les responsabilités politiques qu'il exerça un temps à L'Humanité (Alexandre Courban) et au Secours Rouge.
L'Affaire Marty, par contre, se devine, s'esquisse, plus qu'elle n'est abordée de front dans l'ouvrage. Ce sera sans doute une partie du sel de la biographie à venir. Pour le moment, l'ouvrage pointe qu' « André Marty est davantage un enjeu de mémoire qu'un acteur de l'histoire » (p 28). L'analyse thématique des fonds, le guide des archives Marty en France montrent, s'il en était besoin, que l'enjeu mémoriel est aussi archivistique ; laissant une trace, bataillant même pour celle-ci, André Marty se donnait les moyens d'une reconnaissance par l'histoire de son rôle d'acteur dans un système qui le congédia, finalement.