Ni une biographie, pas plus qu'un livre d'histoire, il s'agit plutôt d'un dialogue qu'entretient l'auteur avec son objet d'étude. L'auteur, journaliste et critique de cinéma, découvrant au hasard d'un jour dans une bibliothèque un numéro de La Nouvelle Critique, éprouve un intérêt soudain pour son rédacteur en chef, stalinien féroce " crétinisé " par Sartre (son ancien maître), dirigeant glaçant, éminence grise du PCF, de Thorez à Marchais, dont il fut le collaborateur le plus proche. Eternel stalinien ou éternel inconnu, Jean Kanapa traverse l'histoire du parti communiste français de 1945 à sa mort en 1978. Son parcours est celui d'un doctrinaire marxiste extrêmement virulent combattant toute forme de déviance. Membre du Bureau politique en 1975, Kanapa prend une place de premier plan dans les éphémères tournants communistes de ces années, partisan du programme commun de la gauche et promoteur de l'eurocommunisme. Le voyage que s'autorise ici Michel Boujut s'attache alors au Kanapa stalinien, jdanovien, thorézien, essentiellement dogmatique. Rien de très nouveau sur l'homme, l'itinéraire de Kanapa nous est rendu épisodiquement1 ; il dévoile plutôt l'archétype d'un stalinien et l'idéal type d'un engagement. Kanapa apparaît comme le symbole sinistre d'une époque et d'une culture singulière, on y retrouve davantage l'univers d'une génération d'intellectuels communistes de l'après guerre : des conflits idéologiques à l'imaginaire stalinien, d'une culture de la purge si redoutée à une destruction morale pour le banni. Des débats animés entre le cercle de Mounier (Esprit), l'équipe Kanapa (La Nouvelle Critique) et la famille Sartre (Les Temps Modernes) ; des confidences recueillies par Boujut de ceux qu'on appelle les " ex ", les mis au banc (P. Daix, D. Desanti, E. Morin…) ; un corpus qui construit au fil des pages les différentes facettes d'un personnage féroce, qui sur sa fin, mesura le désastre et la lucidité de son fanatisme. De ces sentiments crus et excessifs de l'auteur, mais toujours ambivalents, le regard est double et le miroir s'ouvre ; ne nous y trompons pas, " le fanatique qu'il faut être " se confond entre les deux protagonistes : le fanatique Kanapa qui s'assume et un auteur troublement fasciné par son objet d'étude. L'ouvrage, se lisant d'une traite, est parcouru des mêmes interrogations, cette tentation au communisme, au fanatisme que Michel Boujut s'emploie à déshabiller.
Michel Boujut, Le fanatique qu'il faut être. L'énigme Kanapa, Paris, Flammarion, 2004, 265 p.
Article publié le 02 septembre 2012.
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Notes
1 Voir la thèse de Gérard Streiff, Jean Kanapa 1921-1978. Une singulière histoire du PCF, 2 tomes, Paris, L'Harmattan, 2002, 571 et 587 p. Voir également un compte rendu de cette biographie dans Dissidences, n° 12-13, janvier 2003, p. 94. Retour au texte
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Hervé Chalton, « Michel Boujut, Le fanatique qu'il faut être. L'énigme Kanapa, Paris, Flammarion, 2004, 265 p. », Dissidences [En ligne], Communisme français, publié le 02 septembre 2012 et consulté le 21 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=446