Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, Liquider les traîtres. La face cachée du PCF, 1941-1943, Paris, Robert Laffont, 2007, 510 p.

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Communisme, Résistance, Historiographie

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Après un premier opus commun en 2004 (Le sang des communistes , Fayard 2004, compte rendu sur ce site), ce couple d'historiens réitère sur la même thématique, l'action du PCF dans la clandestinité et la Résistance. Leur nouveau livre constitue, sur le plan historiographique, l'équivalent de l'effort que consacrèrent après la guerre les policiers « épurés » pour réintégrer leurs fonctions et poursuivre leur lutte contre le communisme. En fait, cet ouvrage renferme deux ouvrages, sous une même couverture. Le premier est celui du bataillon Valmy, sorte de milice interne au PCF clandestin pour, comme le titre l'indique, éliminer les traîtres . L'ouvrage commence par le Parti au travail, si l'on peut dire, l'exécution en direct d'une femme, dont on apprend rapidement qu'elle est totalement innocente des crimes dont on l'accuse. La thèse s'énonce dès les premières pages, les exécuteurs du PCF assassinent une femme soupçonnée de trahison. Cet assassinat (c'est le terme qui est employé), ne peut être ignoré par le dirigeant du Parti clandestin, Jacques Duclos (« avec l'assentiment ou sur ordre de J. Duclos », p. 49). La thèse du caractère criminel du communisme s'énonce donc dans la construction même du propos, avec photo (reconstitution policière) à l'appui, histoire de marquer l'esprit du lecteur qui ne serait pas convaincu. Cet assassinat ne constitue pas une erreur mais le cœur même de l'activité du groupe Valmy, « Guépéou du Parti » chargé d'éliminer les traîtres. C'est à la reconstitution de l'histoire, méconnue, de cette structure dépendant directement de la direction clandestine du PCF qu'est consacré l'ouvrage. Le PCF avait dressé des listes noires de militants traîtres (lire en parallèle le compte rendu du livre de Boulouque/Liaigre, Les listes noires du PCF ). Alors, Valmy va multiplier les « meurtres » contre ces traîtres.

Une grande partie du livre s'attache aux actions contre ces « salauds », ostracisés publiquement par le PCF. Ainsi, un exemple d'action menée contre les collaborateurs, l'explosion d'une bombe à un rassemblement du RNP, le parti collaborationniste de Déat, est qualifié de « frappe aveugle » (p. 102). Les collabos visés vivent alors «  un véritable calvaire  » (p. 108), conséquence des actions menées par le PCF à leur encontre : «  La menace diffuse, insidieuse (1) , impalpable – allait-on être victime d'un attentat, où, quand ? obscurcissait leur quotidien  », p. 108. Si l'on peut regretter des exécutions inutiles - le PC lui-même reconnaîtra quelques erreurs, certes du bout des lèvres, après la guerre -, il n'en reste pas moins que l'implacable machine de guerre créée par le PC mène une guerre sanglante, allant jusqu'à monter (titre du chapitre 4) « Un procès de Moscou à Chatou ». Pourtant, la thèse d'un appareil dressé à exécuter, en fidèle bolchevique qui ne discute pas les ordres, fait long feu sous la plume des auteurs même. Sur la base d'un document cité (p. 146), les cadres spéciaux du groupe Valmy contestent les consignes qui leur sont données d'exécuter un certain nombre de collabos, non pour des raisons morales, mais pour des raisons d'efficacité. La thèse de la colonne de fer, imperméable à toute autre dimension qu'à celle de l'exécution criminelle ad libitum ne tient donc pas.

À partir du chapitre 6, un second livre commence. Ou plus exactement un nouvel angle d'approche est proposé, celui du travail policier. Car en effet, en matière de répression de la Résistance, il y eut un partage des tâches. Pour aller vite, les gaullistes étaient réservés à l'occupant allemand, tandis que la lutte contre les communistes était dévolue à la police française. C'est donc l'histoire de la Brigade spéciale qui est narrée, sous la plume - on peut le supposer vu sa spécialité de recherches - de J.-M Berlière. Si le ton est toujours aussi anticommuniste, on n'y trouve pas les caricatures évoquées dans les pages qui précèdent. Les chapitres 6 à 9 constituent un très intéressant ensemble sur la manière de travailler de la police, sur sa redoutable efficacité, sur ses méthodes de travail (très instructif développement sur le fichier C permettant de constituer des listes de suspects), sur l'usage de la force (moins systématique qu'il n'y paraît, même si la torture a existé (2)). Il faut dire que la police parisienne est habituée à traquer « du communiste » puisque depuis le Front populaire plusieurs dizaines (le chiffre de 40 est avancé) de policiers fichaient les milieux communistes. Ce qui donnait un avantage considérable à la police sur la Gestapo, qui remettait régulièrement les militants arrêtés à la police française, consciente de la supériorité de cette dernière (lire notamment p. 270 et suiv.) Tant et si bien qu'en octobre 1942, par un vaste coup de filet, l'ensemble du réseau Valmy est démantelé. De fait la chute de Valmy montre assez clairement les limites du travail clandestin construit par le PCF et la faiblesse des moyens que celui-ci pouvait y consacrer. Il a suffit qu'un militant arrêté parle pour que l'ensemble de l'édifice s'écroule.

Nourri par de très nombreux documents, dont certains ont visiblement fait partie de ceux pillés par précaution à la Libération par des policiers soucieux d'assurer leurs arrières, ce livre est largement plombé par l'obsession anticommuniste dont il fait montre, au point de se confondre avec la parole des bourreaux. Cet aspect est encore plus frappant dans la conclusion consacrée à l'épuration. Il faut une particulière mauvaise foi pour écrire que cette dernière fut conduite « se souciant comme d'une guigne des formes et des garanties de la légitimité républicaine, les épurateurs usèrent de procédés aussi condamnables (souligné par nous) que ceux qu'ils étaient supposés rechercher, punir et dénoncer (…) la procédure, qui ne respectait aucune des règles édictées (...) conféra au processus épuratoire le caractère illégal (…) » (p. 326), alors même, ainsi que les auteurs l'expliquent quelques pages avant, que toute l'attitude de l'Etat fut de viser à la préservation de ses serviteurs, fussent-ils les derniers des assassins, en leur fournissant officiellement de faux papiers pour échapper à la justice (3). Ce que l'on peut regretter en fait, c'est bien plutôt que cette épuration n'ait pas été menée de façon systématique (4). C'est évidemment à une autre conclusion que se livrent les deux auteurs, mettant en cause de manière radicale dans les dernières pages l'usage du témoignage, jetant ainsi le bébé (l'intérêt de la parole vivante, dans la mesure où elle est croisée avec les archives) et l'eau du bain (les usages hagiographiques des récits de la Résistance tenus par les historiens proches du PCF).

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Georges Ubbiali, « Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, Liquider les traîtres. La face cachée du PCF, 1941-1943, Paris, Robert Laffont, 2007, 510 p. », Dissidences [En ligne], Communisme français, publié le 02 septembre 2012 et consulté le 28 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=443

Auteur

Georges Ubbiali

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