Avec ce livre écrit par deux respectables historiens, la résistance communiste durant les premiers mois de l'occupation allemande passe du statut de narration héroïque à l'histoire des pieds Nickelés, ce qui leur vaut d'ailleurs un féroce compte rendu de la part d'Annie Lacroix-Riz, figure de l'histoire officielle communiste sur son site (www.historiographie.info). En effet, nos deux auteurs s'attaquent au récit héroïque des premiers pas de la résistance communiste telle que le livre d'Albert Ouzoulias, Les bataillons de la jeunesse , Ed. Sociales, 1967, en avait dressé l'histoire. Berlière et Liaigre commencent par rappeler le contexte de cette résistance, à savoir le tournant complet que constitue l'entrée dans la lutte armée pour les communistes. Quelques mois plus tôt, dans le prolongement du pacte germano-soviétique une partie de la direction communiste était entrée en négociation avec les nazis pour faire reparaître légalement l'Humanité ( voir sur ce site le compte rendu de J.-P. Besse, C. Pennetier, Juin 40. La négociation secrète, éd. Ouvrières, 2007 ). Cet épisode légaliste coûtera très cher aux militants puisqu'il fera ressortir de l'illégalité une série de cadres et de militants qui seront arrêtés rapidement. Une fois la guerre contre l'URSS déclenchée, l'orientation du PCF change du tout au tout. Il faut s'attaquer à l'occupant et le frapper physiquement. Ce sera le rôle des bataillons de la jeunesse, ce groupe très réduit (au mieux 15 personnes) des jeunesses communistes parisiennes, de s'atteler à cette tâche. On connaît par le récit des rares survivants de ces bataillons (lire sur ce site les comptes rendus des livres de Naïtchenko et Rossel-Kirschen) la totale abnégation avec laquelle ces très jeunes militants s'engagent dans la lutte armée contre l'occupant. Rappelons que leur espérance de vie se comptait en mois pour la plupart d'entre eux. Loin d'une histoire magnifiée ou héroïque, les deux historiens montrent les extraordinaires difficultés qu'ils eurent pour se lancer dans la lutte armée : absence totale d'armement, impréparation complète à la lutte clandestine, moyen dérisoire, insouciance etc. Il ne faudra que quelques mois à la police française pour les repérer, les arrêter et les exécuter sans pitié. Ce livre, dont l'un des auteurs est également un des spécialistes de l'histoire de la police, est également un ouvrage présentant l'organisation des forces de répression française durant l'occupation. Sans le travail de la police française de Vichy, prolongeant le travail anticommuniste engagé dans les mois avant le déclenchement de la guerre, les forces d'occupation allemande auraient eu beaucoup plus de difficultés à venir à bout de cette résistance. Si l'on ne peut que constater au final le bilan extrêmement limité de cette première vague de lutte armée (quelques attentats, de faibles destructions), on n'est pour autant pas obligé de suivre l'avis des auteurs sur l'inutilité du sacrifice des jeunesses. Ce qui est sûr, c'est l'objet de l'ultime chapitre, c'est que le parti communiste a peu entretenu la mémoire des survivants, dont la politique d'attentat était en fait réprouvée par toutes les forces politiques, des gaullistes aux trotskystes. Il n'est pas besoin du ton hautain avec lequel Liaigre/Berlière achèvent leur ouvrage pour convaincre le lecteur du hiatus existant entre la réalité des faits et la construction narrative qu'en offre ses mémorialistes.
Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, Le sang des communistes. Les Bataillons de la jeunesse dans la lutte armée. Automne 1941, Paris, Fayard, 2004, 415 p.
Article publié le 02 septembre 2012.
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Georges Ubbiali, « Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, Le sang des communistes. Les Bataillons de la jeunesse dans la lutte armée. Automne 1941, Paris, Fayard, 2004, 415 p. », Dissidences [En ligne], Communisme français, publié le 02 septembre 2012 et consulté le 21 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=441