Des origines entre lutte anti-fasciste et mouvement autonome
Si Action Directe (AD) fut bien un collectif, il n’en reste pas moins indissociable de la personnalité de ses principaux leaders, à commencer par Jean-Marc Rouillan. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’arrestation de ce dernier et de ses compagnons, Georges Cipriani, Nathalie Menigon et Joëlle Aubron, en février 1987, signa la fin de l’activité du groupe, en dehors de quelques actions ponctuelles relativement peu significatives. On peut d’emblée noter ce trait particulier d’AD, qui n’existe absolument pas pour une organisation comme ETA, capable de se pérenniser au fil de générations successives. C’est justement en Espagne qu’il faut aller chercher une partie des racines d’AD. En septembre 1973, les Groupes d’action révolutionnaire internationaliste (GARI) ont été créés. Leur but est la lutte contre la dictature franquiste, et plus généralement « contre le capital, contre l’Etat, pour la libération de l’Espagne, de l’Europe et du monde », un monde qui s’accommode fort bien du régime autoritaire de Franco… Un jeune Français de la région toulousaine, Jean-Marc Rouillan, né en 1952, ancien membre des Comités d’action lycéens puis des Groupes autonomes libertaires, et qui avait déjà fait partie du Mouvement ibérique de libération (autre mouvement de lutte armée anti-capitaliste 1 dès 1970, rejoint les GARI au moment de leur apparition, ce qui lui vaudra un mandat d’arrêt émis en France en 1972. Jusqu’en décembre 1974, il mènera des actions violentes en Catalogne, se forgeant ainsi une expérience pratique indéniable.
Finalement arrêté, il sortira de prison en mai 1977.
Mais les GARI ne sont pas isolés. Le contexte de cette première moitié des années 70 est en effet marqué par un incontestable optimisme révolutionnaire, suite au mouvement de Mai 68. L’extrême gauche, revigorée quantitativement, fait alors preuve d’un grand activisme, et les mouvements sociaux sont relativement fréquents. Les analyses de certains groupes, comme le parallèle fait par la Gauche prolétarienne (GP) entre la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale et la nécessité d’une nouvelle résistance sous la France de Pompidou, en voie de fascisation (dans la lignée du gaullisme vu parfois plus comme un fascisme que comme un bonapartisme), et en même temps leur refus de laisser libre cours à une violence minoritaire (cas de la Ligue communiste suite à l’action contre le meeting d’Occident en juin 1973), ont pu éveiller chez certains militants un désir d’action immédiate en dehors des organisations existantes. Désir peut-être stimulé par la politique répressive du ministre de l’intérieur de l’époque, Raymond Marcellin.
C’est ainsi que la GP met en place une organisation parallèle, la Nouvelle résistance populaire, qui se distingue par quelques actions, comme l’enlèvement d’un responsable de chez Renault, avant d’être dissoute dès janvier 1974 par des dirigeants qui ont peur d’être entraînés trop loin. Parallèlement à cette première tentative, naissent les GARI. Le garrottage du militant espagnol Salvador Puig-Antich en mars de la même année avait constitué une motivation supplémentaire ; cet événement marquera d’ailleurs à vie le jeune Jean-Marc Rouillan. Les GARI réaliseront plus de vingt attentats, l’enlèvement du directeur de la Banco Bilbao à Paris et quelques hold-ups pour financer leurs actions. Mais ils disparaissent eux aussi au bout de quelques mois, incapables d’élaborer un projet à long terme précis et fédérateur. Autre organisation de lutte armée française, les Brigades internationales (BI), d’obédience maoïste. Elles entrent en action en décembre 1974, et réalisent plusieurs attentats ou tentatives, exécutant par exemple l’ambassadeur de Bolivie à Paris en mai 1976. Les BI arrêtent leurs activités en 1977, sans jamais avoir été démantelées par la police.
Mais l’organisation de ce genre la plus connue est incontestablement celle des Noyaux armés pour l’autonomie populaire (NAPAP), qui entrent en action en mars 1977, avec l’assassinat du vigile Jean-Antoine Tramoni, celui-là même qui avait tué Pierre Overney, militant de la GP, le 25 février 1972, à la porte des usines Renault-Billancourt. Par la suite, les NAPAP mèneront moins d’une dizaine d’attentats contre des entreprises automobiles ou des symboles du pouvoir politique (ministère de la justice en particulier). Leur but revendiqué est de stimuler la lutte populaire en se fondant en elle, sans en prendre la direction et sans se détacher d’elle, en refusant toute direction autoritaire, dans une certaine tradition anarchiste.
Enfin, dans l’explication de l’émergence d’AD, il convient également d’invoquer la crise de l’extrême gauche, alors plutôt en recul, l’activisme d’AD pouvant être interprété comme un remède à cette crise, d’autant que la fin des années 70 est également celle d’un sommet atteint par les actions de la RAF (assassinat de Schleyer en 1977) et des Brigades rouges (assassinat de Moro en 1978), qui ont pu stimuler la lutte armée en France.
Outre ces précédents, Action Directe plonge ses racines dans le mouvement autonome, anticapitaliste, mais qui s’est peu à peu constitué autour de terrains de lutte partiellement novateurs, comme la défense des travailleurs immigrés ou la lutte contre le nucléaire, se concrétisant dans les mobilisations contre la construction de la centrale nucléaire de Malville, et qui se concentre dans les squats parisiens2. Celui-ci assume l’usage de la violence, mais une violence collective. Plusieurs des futurs militants d’AD en font partie, et se rodent dans des actions de sabotage, sous les sigles souvent éphémères CARLOS (Coordination Autonome Radicalement en Lutte Ouverte contre la Société, qui réalise des attentats à Malville), CACT (Coordination Autonome Contre le Travail, responsable d’attaques d’ANPE et d’agences d’intérim) ou MATRA (Mouvements Armés Terroristes Révolutionnaires Anarchistes), les membres de ces derniers étant arrêtés à l’été 1978 pour attentats contre EDF, plusieurs gendarmeries ou également des agences d’intérim…
Les débuts d’Action Directe et les hésitations du mouvement (1979-1982)
C’est le 1er mai 1979 qu’a lieu la première action explicitement revendiquée par Action Directe, le mitraillage du siège du CNPF à Paris. L’organisation avait semble-t-il été fondée au début de l’année, dans un appartement parisien de la rue Titon. Quelques mois plus tard, le 28 août 1979, une perception, celle de Condé-sur-Escaut, est dévalisée, ce qui permet de constituer un premier fond de plus de seize millions de francs afin de financer les actions à venir. De nouvelles actions suivirent dès septembre, avec le mitraillage ou le dépôt d’explosifs sur des cibles officielles (ministère du travail, de la santé, siège de la SONACOTRA) suite à des expulsions menées contre des travailleurs immigrés, et de nouveau contre le patronat français. Il en fut de même en 1980, avec des attentats de février à avril, puis de juillet à septembre, ayant pour cibles des sociétés immobilières mêlées à des expropriations dans des quartiers populaires de Paris, des institutions policières (DST, Organisation Internationale de Coopération des Polices), ou des sièges du pouvoir politique, mairies ou ministères comme celui de la coopération ou des transports. Les autorités marquent également des points, avec l’arrestation, en mars, d’une trentaine de militants autonomes sympathisants ou militants d’AD, et d’une douzaine en septembre, parmi lesquels Jean-Marc Rouillan et Nathalie Ménigon, ancienne syndicaliste de la BNP née en 1957. Durant cette première période, le renouvellement des militants est continu, avec des départs d’anciens des NAPAP ou des GARI et l’arrivée de jeunes militants en recherche de radicalité.
Après cette incontestable montée en puissance, cette tension régulièrement entretenue avec l’Etat giscardien, AD décide de suspendre ses activités à l’occasion de la campagne présidentielle, afin de ne pas faire le jeu de la droite. Le seul écart fut une fusillade à l’occasion du cambriolage d’une banque parisienne, le 15 avril, qui coûta la vie à un policier, première victime indirecte de l’organisation. L’élection de François Mitterrand n’en fut pas contrariée pour autant, et deux grèves de la faim menées par des prisonniers d’AD furent d’ailleurs déclenchées sur six mois, se terminant lors de la mesure d’amnistie début août, qui permit la libération de cinq membres d’AD (dont Jean-Marc Rouillan). Les actions du CULPP (Comité Unitaire pour la Libération des Prisonniers Politiques), animé par Helyette Bess, ancienne de la Fédération anarchiste, conduisirent à une nouvelle vague de libération plus large en octobre. Le calcul du nouveau pouvoir était de s’assurer de la neutralité de ces jeunes militants en échange de leur libération et de l’arrêt des poursuites à leur égard.
On observe en tout cas un arrêt des attentats, puisque AD participe seulement à des occupations d’ateliers clandestins dans le Sentier et d’immeubles d’habitation dans le quartier de Barbès, pour dénoncer l’exploitation des travailleurs immigrés, en particulier turcs (communauté proche de l’extrême gauche maoïste au sein de laquelle AD recrutera) et leurs médiocres conditions de logement, non sans quelques incidents avec la police. Il semble qu’à cette époque, des divergences soient apparues entre les partisans d’un retour au moins temporaire à la légalité, comme Jean-Marc Rouillan, et les tenants d’une reprise de la lutte armée, tels Régis Schleicher, un ancien des GARI, ou Eric Moreau. Le 29 septembre, AD est même interviewée sur France-Inter. C’est à Noël que les actions violentes reprennent, avec sept attentats sur des magasins de luxe. Suivent en février 1982 l’assassinat de Gabriel Chahine, réfugié libanais qui avait donné à la police des adresses de militants d’AD, et des attentats contre le local d’organisations turques d’extrême droite et l’antenne du ministère de la défense israélien à Paris.
Pour clarifier cette reprise de la lutte armée, AD publie un manifeste politique en mars. intitulé Pour un projet communiste, il place AD dans la lignée de l’anarchie, teintée de marxisme. Au même moment, la répression s’intensifie, avec arrestations, descentes de police dans les squats de Barbès… Cela n’arrête pas AD, qui réalise un attentat important en juin contre le siège européen du FMI et de la Banque mondiale, pour s’opposer au sommet du G7 à Versailles. Le travail de clarification idéologique se poursuit en parallèle, avec la sortie en avril de Sur l’impérialisme américain, qui condamne aussi bien l’URSS que les Etats-Unis.
Dans cette optique de lutte anti-impérialiste, d’ailleurs, le mois d’août est marqué par une série d’attentats contre des sociétés israéliennes et américaines (Israël, qui avait pénétré au Liban en juin, venait de laisser se perpétrer les massacres de Sabra et Chatila), menés en particulier par les FARL (Fractions Armées Révolutionnaires Libanaises), qui provoquent des dissensions au sein d’AD, entre la volonté de certains de soutenir ces actions jusqu’à les revendiquer pour soi, et le refus d’autres de suivre une telle orientation.
Dans le même temps, AD, que l’on aurait pu croire renforcée par la libération de militants, connut au mois d’août sa première crise interne majeure, aboutissant à sa scission en quatre branches : deux d’entre-elles, les « mouvementistes » ou « légalistes », importantes quantitativement, abandonnent la lutte armée ; une autre, la tendance Olivier ou « branche lyonnaise » (également connue sous les noms de « branche nationale » ou d’« Affiche Rouge »), s’oriente vers l’organisation d’attentats visant surtout le colonialisme, l’extrême-droite et la lutte contre l’immigration ; la dernière et plus connue, la « branche internationaliste » dirigée par Jean-Marc Rouillan, décide de poursuivre l’action, y compris violente, sur une ligne plus anti-américaine et antisioniste. Ces deux dernières tendances opéreront chacune par le biais de commandos appelés « unités combattantes », et baptisés individuellement du nom d’un martyr de la lutte armée. Couronnement de cette période charnière, l’Etat décide de dissoudre AD le 19 août 1982, au nom de la loi de 1936 contre les ligues factieuses, suite au soutien apporté aux attentats de l’été 1982. Cette période marque la fin d’une hésitation certaine quant à la caractérisation du nouveau pouvoir, implicitement considéré comme plus favorable que celui de droite.
La radicalisation et la lutte contre l’isolement (1982-1987)
Pendant plus de neuf mois, AD reste silencieuse, et voit même certains de ses militants arrêtés, comme Frédéric Oriach, ancien des NAPAP, en octobre 1982. Cela ne marque pourtant pas une mise en sommeil de l’organisation, simplement une réorganisation partielle.
Au-delà de ses points d’appui traditionnels, comme la tribune de la revue Rebelles, ou la librairie Le jargon libre, que possède Helyette Bess, AD recentré sur sa branche « internationaliste » noue des liens avec d’autres organisations de lutte armée européennes.
Ainsi, par le biais du couple Petra Krause et Sergio Spazzali, ancien avocat et militant des Brigades rouges (BR), animateurs du CIDPPEO (Comité International de Défense des Prisonniers Politiques d’Europe de l’Ouest) et du CCR (Comité Contre la Répression), AD tisse des relations importantes avec les BR et l’organisation Prima Linea, bénéficiant du savoir-faire et de l’aide directe de militants italiens ; il en est de même pour la troisième génération de la RAF, par l’intermédiaire de Jean Asselmeyer, ancien responsable du CIDPPEO de 1976 à 1978. Le 31 mai 1983, l’organisation fait de nouveau la une de l’actualité, avec une fusillade rue Trudaine à Paris entre un commando et la police suite à un braquage de banque, un accrochage qui cause la mort de deux policiers, entraînant une importante vague de protestation chez les forces de l’ordre. On note toutefois un net ralentissement des attentats durant cette phase de redéploiement pratique, puisqu’on en recense seulement deux au mois de septembre, contre la Marine nationale et le Cercle militaire inter-allié, un autre en novembre contre la Maison diocésaine, puis un dernier en janvier 1984 contre l’entreprise Panhard, qui fabrique des blindés légers.
Une nouvelle fusillade, en octobre 1983, cause la mort de Ciro Rizzato, militant de l’organisation italienne des COLP (Communistes Organisés pour la Libération Prolétarienne). Illustration d’une collaboration avec d’autres mouvements de lutte armée européens qui apparaît d’autant plus nécessaire que les actions policières s’intensifient, avec des arrestations en février et en mars 1984, en particulier celles de Régis Schleicher et Helyette Bess. Première étape de ce nouveau cours, au printemps, le pillage de plusieurs banques et casernes par des militants d’AD et de Belgique, ce qui permet d’accumuler près d’une tonne d’explosifs. La seconde étape a lieu en juillet, avec l’offensive « Unité des révolutionnaires en Europe de l’ouest », qui se concrétise par un attentat contre l’Institut atlantique, un autre contre le bureau de recherche et de programmation du ministère de la défense et contre le SIAR (Surveillance Industrielle de l’Armement), et enfin contre les annexes du ministère de l’industrie, visant ainsi à la fois l’impérialisme des Etats-Unis et la politique de licenciements dans les industries traditionnelles. Les actions se poursuivent en août, visant successivement le siège de l’agence spatiale européenne, l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, le siège du Parti socialiste et le ministère de la défense (ces deux dernières cibles étant touchées par la « branche nationale » d’AD). Parallèlement à ces opérations revendiquées par AD, la RAF effectuera également des attentats en se servant d’une partie des explosifs dérobés par AD au printemps ; AD opérera même en RFA, comme en décembre, avec un attentat à Bonn contre la mission technique de l’armement de l’ambassade de France.
Parallèlement, des prisonniers d’AD entament en septembre une grève de la faim qui durera 38 jours, afin de pouvoir être regroupés. Les actions armées continuent de se succéder, avec des attentats en octobre contre les entreprises d’armement Hispano-Suza et Dassault, tandis que la RAF et, dans une moindre mesure, les CCC opèrent également contre des cibles liées à l’OTAN. La répression s’intensifie aussi, puisqu’en décembre, l’ensemble de la rédaction de L’Internationale est arrêtée et condamnée pour association de malfaiteurs. Cela n’arrête pas pour autant la collaboration entre AD et la RAF, qui signent une déclaration commune le 15 janvier 1985, « Pour l’unité des révolutionnaires en Europe de l’Ouest », prônant un front unique face à l’impérialisme, un impérialisme américain qui est accusé de préparer la guerre contre le bloc soviétique.
Un cran supplémentaire est franchi dix jours plus tard, avec le premier assassinat ciblé contre un haut responsable, le général Audran, responsable des affaires internationales du ministère de la défense, telles que les ventes d’armes (comme celles avec l’Irak…) ou les relations avec l’OTAN. Avec symétrie, la RAF assassine de son côté le 1er février Ernst Zimmerman, patron de l’industrie aérospatiale allemande. En avril, ce sont le siège européen du FMI et des entreprises d’armement qui sont touchés. Plusieurs nouveaux attentats sont également réalisés par la « branche nationale », entre autre contre l’Office national d’immigration, la banque israélienne Leumi et le journal Minute. Une seconde opération visant à abattre une personnalité symbolique, le général Blandin, contrôleur général des armées, échoue le 26 juin. Tout aussi frappant, le 8 août, un commando commun AD-RAF effectue un assaut contre la base aérienne américaine de Francfort, y tuant trois soldats. La découverte de caches d’armes et de planques durant l’été n’entrave pas l’accélération des attentats, perpétrés cette fois pour la troisième fois par la « branche nationale » : l’Association technique de l’importation charbonnière, Pechiney, Renault, Spie-Battignolles en septembre, visant des institutions travaillant avec l’Afrique du sud raciste ; Radio-France, Antenne 2 et la Haute Autorité de l’audiovisuel en octobre, afin de dénoncer le passage dans les médias de Jean-Marie Le Pen, pour terminer avec le siège de la compagnie UTA et des Chargeurs réunis, sociétés de transport desservant l’Afrique du sud. Toutefois, le 28 mars, André Ollivier, principal leader de la « branche nationale », est arrêté à Lyon ; il est condamné à perpétuité en juin 1989, tout comme ses camarades Max Frérot3 et Emile Ballandras. La « branche nationale » s’orientera par la suite de plus en plus vers des actions à coloration antisémite.
S’ensuit une nouvelle pause de pratiquement six mois, qui s’interrompt le 15 avril 1986 avec la tentative d’assassinat contre Guy Brana, vice-président du CNPF et PDG de la branche armement de Thomson. Les actions se font alors plus espacées, une action au siège d’Interpol en mai et un attentat contre le siège de l’OCDE en juillet. Des dissensions internes au sein d’AD et l’intensification de la répression peuvent expliquer ce ralentissement. Ainsi, en septembre, le nouveau gouvernement de droite fait adopter des lois d’exception sur le terrorisme (peine de 30 ans, mise en place d’une section spéciale du Parquet, prolongement de la garde-à-vue, etc…). Pourtant, nouveau coup d’éclat, le 17 novembre 1986, le « commando Pierre Overney », en la personne de Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron, assassine Georges Besse, PDG de chez Renault. La cible a été choisie en fonction de son rôle dans l’industrie nucléaire, de sa politique de restructuration opérée chez Renault et du rôle de cette entreprise dans l’équipement de l’armée. La traque policière s’accélère, et conduit finalement le 21 février 1987 à l’arrestation de Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron et Georges Cipriani dans leur planque de Vitry-aux-Loges. Dans les années qui suivent, ces prisonniers de choix réaliseront plusieurs grèves de la faim contre leurs conditions spéciales d’incarcération, et seront jugés d’abord en janvier et juin 1988, puis en janvier 1989, aboutissant à leur condamnation à perpétuité, confirmée lors du verdict de la cour d’assises spéciales de mai 1994. Par la suite, la lutte contre les conditions de détention des militants d’AD se poursuivit, tant il est vrai que l’Etat se servit d’eux, en leur imposant des conditions de détention particulièrement dures, comme d’un moyen de dissuader tout candidat à la reproduction de ce qu’avait été AD. La libération récente de Joëlle Aubron pour raisons de santé fut ainsi obtenue avec beaucoup plus de difficultés que pour un Papon, et celle de Jean- Marc Rouillan est toujours refusée. Notons également que tous continuent à se réclamer et à défendre un engagement révolutionnaire. Quant à l’arrestation au Mexique d’Hélène Castel, une ancienne autonome présentée à tort comme militante d’AD, à quelques jours seulement de sa prescription, elle relève probablement du même acharnement rendu plus vif dans le contexte de paranoïa anti-terroriste.
Action Directe fut donc une organisation qui se pensait comme une avant-garde de la nécessaire lutte armée contre la bourgeoisie, qui bien que née dans la matrice d’une partie de l’extrême gauche, n’en échoua pas moins à se créer une véritable base de masse, pour finir par se retrouver dans une impasse à la fois personnelle et politique. Constituée au départ dans la lignée de la « propagande par le fait » anarchiste des années 1880 et 1890, son programme, libertaire, orienté vers le tiers-mondisme, intégrait également des influences marxistes. C’est surtout les premières années du pouvoir socialiste, avant le tournant de la rigueur, qu’AD s’est le plus visiblement efforcé de toucher un public plus large que sa simple mouvance habituelle, en particulier à travers la publication de la brochure Pour un projet communiste. AD manquait sans doute également de projet à long terme, ayant tendance les dernières années à entrer dans un cycle autosuffisant d’actions terroristes dont la finalité restait floue… Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si en dehors de la lutte en faveur des prisonniers d’AD, cette mouvance minoritaire ne poursuivit pas ce type de militantisme violent.