L’établissement. De l'histoire à la sociologie

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Mots-clés

Mouvement ouvrier, Maoïsme

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La publication des travaux de Marnix Dressen1, entrepris dans le cadre de sa thèse de science politique, m’amène à offrir quelques pistes sur les rapports nécessaires entre disciplines en sciences humaines et en particulier de la nécessaire intrication de l’histoire et de la sociologie. Dans son premier ouvrage à vocation plus théorique2 le politiste aborde ce mouvement qui a vu quelques centaines de jeunes, dont une bonne partie issue des milieux universitaires, rejoindre pour des périodes plus ou moins longues, le milieu usinier afin d’y développer leur ligne politique. Cet établissement caractérisé comme une « mobilité descendante volontaire »3 (p. 121) se doit d’être analysé, selon l’auteur, comme une forme de religion politique4. En effet, là où certains usent de l’analogie religieuse avec subtilité pour rendre compte de processus sociaux éloignés de cette sphère de l’activité sociale5, notre auteur multiplie ad nauseam6 les notations sur l’essence profondément millénariste de ce mouvement7, dont il fut8, ainsi qu’il le rappelle dans l’introduction. Seule une analyse lexicographique permettrait de préciser cet usage itératif de termes tels que conventicules, ecclésioles, ascèse (et son adjectivation), expiation, pèlerinage, salut, miracle sacrifice, célébration, sacré, Dieu, culte, prière9, etc. Cet angle de vue a déjà suscité de vives discussions10. Notre propos est ailleurs. Prolongeant les réflexions stimulantes de Jean-Claude Passeron11, nous voudrions nous interroger sur la construction d’un objet de recherche : l’établissement, dont les conclusions sont d’autant plus radicales (engagement = religion) qu’elles procédent d’un oubli assez systématique de l’histoire.

En effet, si la pratique de l’établissement est assez systématiquement accolée à celle de l’existence du courant maoïste, dont rend compte y compris la fiction12, dans les années 68, cette vision semble assez réductrice. Si Dressen semble attribuer l’origine de l’établissement13 à la tradition populiste russe de la fin du 19e siècle14, s’il évoque ici ou là des précédents historiques du mouvement socialiste15, son propos demeure chronocentrée, pour reprendre le néologisme de Pierre Bourdieu16. C’est une manière de dire que la pratique de l’établissement excède largement le mouvement maoïste et la période 1968.

Commençons par ce qui semble une incongruité assez radicale en matière d’établissement avec l’exemple de Simone Weil (évoquée dans le livre p. 213). Jeune agrégée de philosophie, issue de la petite bourgeoisie juive cultivée, élève d’Alain, cette professeure de philosophie décide en 1934 (à 25 ans) de partir travailler en usine comme manœuvre à l’Alsthom tout d’abord, puis chez Renault17. Proche des milieux libertaires et syndicalistes révolutionnaires (militante à l’Ecole Emancipée, elle participe également à La Révolution prolétarienne), cet établissement subit ne répond en rien à une logique partidaire, mais correspond bien plutôt à une mystique de l’engagement. Militantisme qui se prolongera par la participation aux Brigades internationales durant la guerre d’Espagne. Cet engagement, une fois la guerre déclenchée, Simone Weill est réfugiée à Londres, se manifeste par une conversion foudroyante au catholicisme.

Expérience singulière que celle de Simone Weil18, en effet, car l’établissement relève de traditions politiques (en s’en tenant au domaine français19) qui s’apparentent à la tradition marxiste pour la période la plus récente. Pourtant, sans pouvoir évoquer plus que des hypothèses de recherche, tout semble indiquer que le premier de ces partis, la SFIC, puis le PCF, tourne largement le dos à cette pratique. En effet, les congrès de l’Internationale Communiste20 (en particulier les 5e, avril 1925, et 6e Congrès, mars 1926) en définissant la bolchévisation des partis membres entraînent un mouvement de sortie de ceux qui sont considérés comme les meilleurs éléments ouvriers de leur milieu usinier. L’invention du cadre du thorézien21 correspond en effet à la promotion d’une série de cadres ouvriers à la direction de l’institution communiste et donc une rupture avec leur pratique professionnelle. Ainsi, sans que son témoignage ait valeur de généralité, lorsqu’il s’interroge sur les ressorts de la politique des cadres de son parti, Jean Chaintron22 évoque : « A abandonné sa situation professionnelle aisée pour s’engager dans des conditions particulièrement difficiles comme permanent du Secours rouge. (…) Ce que je trouvais satisfaisant et juste dans la politique communiste des cadres et permanents, c’est qu’elle permettait au Parti de la classe ouvrière de former et de promouvoir de simples ouvriers et de constituer un noyau de spécialistes compétents, assurant une continuité dans l’action publique (…). Si l’un d’entre eux était condamné au « retour à la production », c’était pour lui un drame, non parce qu’il perdait une sinécure, mais bien parce qu’il avait une excessive sensation de déchoir ». Si tout semble indiquer que l’établissement ne correspondait pas à une pratique du PCF23, c’est bien plutôt du côté des dissidents qu’il faut l’envisager.

Le témoignage de Simonne Minguet24 sur la période de sortie immédiate de la guerre montre bien que le courant trotskyste s’est préoccupé également du renforcement de son implantation ouvrière par le recours de l’envoi d’intellectuels au sein du monde usinier (ainsi Michel Lequenne devint brièvement terrassier, puis cimentier25 tandis que Molinier partit travailler dans le Nord de la France). Pratique qui sera théorisée et renouvelée quelques décennies plus tard quand la 4e Internationale et sa section française (la LCR) développeront en 1978 l’idée d’un « tournant vers l’industrie ». Il est probable que les autres organisations trotskystes (l’actuel POI, ex-Parti des travailleurs dirigé par feu Boussel-Lambert) et Lutte ouvrière aient pratiqués elles aussi l’établissement. L’exemple de Pierre Bois26, un des militants historiques de Lutte ouvrière, appelle d’ailleurs à préciser plus particulièrement cette pratique de l’établissement.

Si en effet, la notion d’établissement est associée à celle d’intellectuels (sous la forme modale de l’étudiant) intégrant la classe ouvrière, le parcours de Pierre Bois montre que la réalité est plus nuancée27. Pierre Bois apparaît en effet comme l’exemple même du « marginal séquent », défini par Michel Crozier, c’est-à-dire un individu appartenant à deux mondes sociaux en même temps. Indubitablement, de par sa formation, Pierre Bois appartient au monde populaire, mais dans la catégorie « aristocratie ouvrière ». Bon élève, il est doté du meilleur capital scolaire que puisse espérer un jeune issu des classes populaires de son époque (la fin des années 30), à savoir le CEP et le Brevet élémentaire. Ces diplômes élevés (relativement à ceux de la classe à la période) lui permettent d’ailleurs, avant guerre28, un recrutement à la SNCF, grosso modo au sein de l’élite ouvrière. Recruté durant la guerre par l’Union Communiste, il se fait embaucher29 comme OS dans diverses entreprises de la métallurgie. En clair, Pierre Bois subit, sur le mode volontaire, un déclassement statutaire, d’une entreprise à statut, précisément, vers les secteurs les plus prolétarisés du salariat. C’est ainsi qu’il parvient à se faire embaucher courant de l’année 1946 à la Régie Renault, jouant ensuite le rôle que l’on sait. Son parcours militant se poursuivra ensuite à l’UC, puis à Voix ouvrière, ancêtre de LO. Mais sa biographie nous apprend également que Pierre Bois, tout en demeurant employé chez Renault jusqu’à sa retraite, cesse d’être ouvrier (OS de production) au sens strict, après que les remous suscités par la grève de 1947 se soient éteints. Rétablissant la pente de sa carrière professionnelle ouverte par son capital scolaire, Pierre Bois, en quelques étapes, parviendra à devenir employé, exerçant son activité professionnelle dans le cadre des bureaux du siège de la Régie. Le déclassement social subit par ce militant, comme celui de nombre d’établis étudiés par Dressen, ne fut finalement que temporaire, même s’il faut insister sur la continuité (ce qui différencie fondamentalement les trajectoires) de son statut de salarié. Cet exemple montre bien que la notion d’établissement mériterait un élargissement de sa définition et qu’une telle pratique n’est pas l’apanage d’intellectuels stricto sensu.

Ajoutons, qu’il est également nécessaire d’élargir, par un autre biais, l’idée d’établissement et de sortir des catégories politiques au sens partisan. La préoccupation et l’intérêt pour le monde ouvrier n’est en effet pas l’apanage des partis se réclamant d’eux. L’église et le monde catholique font également partie des acteurs intéressés par l’établissement. Depuis 1891 et l’encyclique Rerum novarum, l’évangélisation du monde ouvrier constitue un des enjeux du redéploiement de l’influence cléricale en France. La création d’organisations syndicales avant la première guerre, leur rassemblement en 1919 dans la CFTC, mais surtout le lancement d’un mouvement comme la JOC-JOCF30 au milieu des années 20 (la création officielle de la JOC se situe en octobre 1926) témoignent de cette volonté d’implantation sociale du message de l’Eglise. Si le mouvement d’apostolat initié par la JOC va de l’Eglise vers la jeunesse ouvrière chrétienne, le principe (tout au moins à ma connaissance) ne relève pas de ce qu’on pourrait qualifier d’établissement31. Ce sont des prêtres et des religieux, bientôt épaulés par de jeunes ouvriers (processus dont témoigne bien le roman Pêcheurs d’hommes32), qui tente de rassembler une élite ouvrière, en dehors de l’espace usinier. En tous les cas, cette pratique ne va pas jusqu’à « implanter » des hommes au sein des entreprises et du monde du travail. C’est plus tard (la chronologie joue ici un rôle déterminant puisqu’on y lit le souffle de 36 et des grèves du Front Populaire) que se pratiquera un véritable établissement chrétien. Dans le cadre de la Mission de France, des prêtres (ainsi Jacques Loew 33ou le courant autour du père Lebret qui prend nom « Economie et Humanisme »34) entrent en usine et travaillent comme simples ouvriers au début des années 1940. Dans le sillage de ces « missionnaires intégraux »35, sur une dizaine d’années (de 1943 à 1965, avec 1954 comme date charnière suite à leur condamnation par la hiérarchie ecclésiastique), plusieurs dizaines de prêtres « en bleu de chauffe »36 partageront la vie et le travail des ouvriers37, s’engageant pour une part notable d’entre eux dans les organisations syndicales et/ou les partis de gauche (au premier chef au sein du parti communiste)38.

Ainsi qu’on le constate, la pratique de l’établissement non seulement n’est en rien caractéristique de la période 68, mais, en sus, elle n’appartient ni à la mouvance maoïste, ni même, au sens large, au mouvement ouvrier.

Est-il alors possible de déterminer une date d’apparition de l’établissement ? Il est toujours présomptueux de vouloir fixer le moment précis d’un phénomène social. Simplement, de par sa définition même, la notion d’établissement présuppose :

- d’une part l’existence d’une classe ouvrière (ou de groupes ouvriers)

- d’autre part, la volonté d’éléments extérieurs à ce groupe de s’y implanter.

Muni de cette double délimitation, il devient alors possible d’essayer de dater l’émergence de l’établissement. Avant la Révolution française, si l’on repère bien des groupes ouvriers (des producteurs), il n’existe pas, par contre, de classe ouvrière au sens moderne du terme. Exprimée sous la forme du corporatisme, la question des producteurs n’intéresse pas vraiment les acteurs, au sens d’une connaissance sociologique de leur réalité, se penchant sur son sort. Dans son ouvrage lumineux, Steven Kaplan39 insiste sur le fait que pour les libéraux, le corporatisme n’est pas une réalité à observer40 mais une contrainte à combattre et à abattre. L’état royal de son côté ne s’intéressait guère plus à la connaissance de ce phénomène corporatiste, dans la mesure où sa préoccupation principale était de pouvoir en récolter impôts.

Si, effectivement une appréhension académique de la classe ouvrière se manifesta, c’est une fois l’écroulement du modèle corporatif assuré. Ce mouvement, réformateur, prit son élan en Grande-Bretagne, par l’enquête fondatrice de Booth41, puis dans les années qui suivirent sur le continent. (Villermé, Buret, etc.42) auxquels il faut ajouter les témoignages d’ouvriers d’ancien type (Perdiguier, Nadaud).

Mais, ces tentatives d’approche de la classe ouvrière ne sauraient être assimilées à la pratique de l’établissement. Si, en effet, une volonté réformatrice est associée systématiquement à ces entreprises, il ne s’agit nullement de faire de la classe ouvrière le protagoniste de sa propre émancipation. Il s’agit bien de réformer, par une connaissance effective de la situation de la classe laborieuse, mais certainement pas de participer à ses luttes pour l’émancipation (de ce point de vue, la démarche d’enquête préconisée par Marx43 rompt radicalement avec les présupposés du courant réformateur).

Alors, où et quand peut-on noter une pratique s’apparentant à l’établissement ? Sans doute dans cette période où l’action socialiste se développe entre « le verbe et l’exemple »44. Il semble que c’est du côté des sectes pré-socialistes que ce mouvement prend racine. Dans sa thèse sur l’histoire du saint-simonisme, Sébastien Charléty45 signale que les saint-simoniens organisèrent à Paris un enseignement spécial pour les ouvriers, confié à Fournel et Claire Bazard en octobre 1831 afin d’y développer les prédications et de consacrer des ouvriers. Ce prosélytisme des missionnaires saint-simoniens se manifesta en province par l’entrée de ceux-ci comme ouvriers dans les ateliers. Hélas, Charléty ne fait que mentionner ces contacts et ne développe pas plus avant l’organisation de ces « œuvres apostoliques ». Seule une investigation plus systématique dans les archives du mouvement saint-simonien46 permettrait de préciser la mise en œuvre de ces tentatives de conversion47 (dont la fragilité est soulignée48) des ouvriers à la doctrine saint-simonienne49.

En tous les cas, il est à peu près avéré que c’est dans le cadre du développement d’une propagande socialiste, dans cet espace (et ce temps), que la volonté de convaincre des ouvriers amène au développement de répertoires dans lesquels s’enracine ce choix fait par certains de s’investir complètement dans la vie ouvrière. Bakounine lui-même évoque cette intention, avançant : « Le temps n’est plus aux idées, il est au fait et aux actes. Ce qui importe avant tout, aujourd’hui, c’est l’organisation des forces du prolétariat. Mais cette œuvre doit être l’œuvre du prolétariat lui-même. Si j’étais jeune, je me serais transporté dans un milieu ouvrier et, partageant la vie laborieuse de mes frères, j’aurais également participé avec eux au grand travail de cette organisation nécessaire. Mais ni mon âge ni ma santé ne me permettent de le faire »50

Ces quelques notes s’achèvent ici. Si elles soulèvent plus de questions et ouvrent plus de pistes de recherche qu’elles ne résolvent la question de l’établissement, de ses origines, de ses formes et des motivations qui génèrent cette pratique, elles montrent (tout au moins l’espérons-nous), que l’établissement excède très largement la période ouverte en mai 68. Le sociologue (ou le politiste) oublieux de l’inscription temporelle de son objet, tel l’éphémère attiré par la lumière, risque fort de se brûler les ailes.

Notes

1 DRESSEN (Marnix), De l’amphi à l’établi. Les étudiants maoïstes à l’usine (1967-1989), Paris, Belin, 1999 et DRESSEN (Marnix), Les établis, la chaîne et le syndicat. Evolutions des pratiques, mythes et croyances d’une population d’établis maoïstes (1968-1982), Paris, Harmattan, 2000. Retour au texte

2 DRESSEN (Marnix), De l’amphi à l’établi », op. cit. Le second ouvrage, une monographie d’une usine lyonnaise, n’est pas pris en compte ici. Retour au texte

3 Cette caractéristique amène l’auteur à caractériser les établis comme des « transsociaux » (p. 229), sur le modèle des transsexuels. Je ne résiste pas à offrir en écho cette citation extraite du témoignage de Daniel Guérin lors de sa rencontre avec Pierre Monatte et le groupe de la Révolution prolétarienne, interview à La Quinzaine littéraire, août 1975, reproduit dans GUÉRIN (Daniel), Homosexualité et révolution, Paris, Le vent du ch’min, 1983, p. 36 : « Même si j’avais jeté aux orties mon froc de jeune bourgeois, mes origines sociales n’en demeuraient pas moins impropres à rassurer. Tant de fils de la classe légitimement honnie étaient « venus au peuple », s’y étaient frottés un moment, pour ensuite s’en détourner, voire la trahir. Et puis, même apostat de mon ancienne classe, je n’en continuais pas moins à appartenir à une caste réprouvée par ces ouvriéristes. J’avais beau faire, : je restais, je resterais éternellement – ô horreur, ô damnation - un « intellectuel » et « Ne laissais-je pas croire (prétendaient mes détracteurs) qu’il fallait avoir été « pédé » pour embrasser la cause du prolétariat », ibid., p. 41. Retour au texte

4 Ne rechignant pas à élargir la perspective, Dressen n’hésite pas à inclure dans son propos le mouvement socialiste : « Les faits à interpréter concernent l’ensemble du mouvement socialiste depuis ses origines, ramifications et avatars radicalisés compris, notamment le maoïsme. Au sein de ce dernier, le mouvement d’établissement se présente comme un échantillon « chimiquement pur », comme le disait Tocqueville, de la religion politique, échantillon offrant de prise à l’analyse que le mouvement socialiste dans sa globalité » in DRESSEN (Marnix), De l’amphi à l’établi…, op. cit., p. 350. Retour au texte

5 On songe notamment à TRIPIER (Pierre), Modèle d’ordre des organisations et dispositifs cognitifs de gestion, in MAUGERI (Salvatore), dir., Délit de gestion, Paris, La Dispute, 2001, pp. 171-193, ou DUBAR (Claude), Tripier (Pierre), Sociologie des professions, Paris, A. Colin, 1998. Retour au texte

6 Dans sa recension des preuves de l’équation assimilatrice de la religion et de l’engagement, Dressen ne mentionne cependant pas le cas Althusser, père putatif du maoïsme français. Ce dernier connaît la même « rupture épistémologique » biographique que celle qu’il forgea pour son analyse de Marx. Althusser était en effet profondément catholique (militant même) lors de son adhésion au PCF. Son biographe n’hésite d’ailleurs pas à évoquer une « Rémanence de l’Eglise » (p. 243) chez l’auteur de Pour Marx. Cf. MOULIER-BOUTANG (Yann), Louis Althusser. Une biographie, Paris, Grasset, 1993. Voir en particulier le chapitre VII du tome 1 (La formation du mythe 1918-1956), pp. 233-341. Althusser évoque lui aussi cet engagement dans son autobiographie L’avenir dure longtemps, Paris, Stock, 1992, notamment p. 87 et suiv. Retour au texte

7 Religiosité fondamentaliste (« Fondamentalisme », titre du chapitre p. 373) qui se marie d’ailleurs fort bien avec une approche en terme de calcul rationnel : « Les organisations de la gauche extraparlementaire étant des groupements contractuels, l’adhésion résultait logiquement d’un choix (…) On peut mettre cette rationalité évidence (…) Tous les candidats ne se sont pas donnés les mêmes moyens pour sélectionner leur chapelle. » ; in DRESSEN (Marnix), De l’amphi à l’établi…, op. cit., p. 100. Retour au texte

8 Ce qui l’amène parfois à se projeter dans son objet en affirmant ainsi « Ce qui est sûr, en tous cas, c’est qu’ils refusaient une réalité sociale en devenir, l’ère postmoderne où les vérités et valeurs se démobilisent avec, pour horizon, l’entrée dans un monde sans sève, sans rêve, sans idéologie, sans utopie, sans mythe, le monde technique, de la « choséité », de la Sachlikeit. », p. 198 Retour au texte

9 A titre d’illustration « La prière prenait la forme de cantiques (appelés chants révolutionnaires) au répertoire étendu (…). Quand la prière n’était pas chant, elle était discours (….). Les tracts eux-mêmes, les affiches aussi (…) », in DRESSEN (Marnix), De l’amphi à l’établi.. » op. cit., pp. 369-370. Retour au texte

10 Voir par exemple, la longue note de lecture que consacre Yann Kindo à cet ouvrage in Dissidences. Bulletin de liaison des études sur les mouvements révolutionnaires , mai 2001, n° 8, pp. 31-34. La discussion est accessible également sur le site « www. dissidences. com ». Retour au texte

11 Dans PASSERON (Jean-Claude), Le raisonnement sociologique. L’espace non-poppérien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1991, ce dernier avance ainsi que : « L’historicité de l’objet est le principe de réalité de la sociologie », p. 56 ou, pour le dire dans les termes de Paul Veyne « : « (…) la distinction entre histoire et sociologie est de l’ordre rhétorique », in « Une distinction rhétorique », Le Débat, 1994, n° 79, pp. 111-113. Citation p. 113. Retour au texte

12 D’une production littéraire fournie, émerge le livre de LINHART (Robert), L’établi, Paris, Minuit, 1978. Retour au texte

13 Notons d’ailleurs au passage que le terme même d’établissement aurait mérité quelques éclaircissements éthymologiques. Le Trésor de la langue française, tome 8, Paris, Cnrs éd., 1980, ne retient pas la définition développée ici. Au mot établi, ne correspond que celui de table. À celui du verbe, s’établir, pour désigner un être humain, on trouve les définitions suivantes : Retour au texte

14 « A l’instar des populistes russes, les mouvements qui ont réenfanté l’établissement peuvent être caractérisés de « mouvements macro-millénaristes (…) », De l’amphi à l’établi…, op. cit., p. 373. Sur le mouvement populiste, on se reportera à l’inégalé ouvrage de VENTURI (Franco), Les intellectuels, le peuple et la révolution. Histoire du populisme russe au 19e siècle, Paris, Gallimard, 1972, 2 vol. Retour au texte

15 On songe ainsi aux quelques allusions au mouvement saint-simonien p.76, 116, 362 ou 366, mais sans lien direct avec la pratique de l’établissement. Retour au texte

16 « L’ethnocentrisme (ou le chronocentrisme ), contre lequel on est en garde quand on a affaire à des sociétés très éloignées dans le temps et dans l’espace, paraît beaucoup plus probable et beaucoup moins dangereux quand il s’agit du Moyen Âge, ou du 19e siècle, et, a fortiori, du monde contemporain. L’illusion de l’évidence nous sépare de nous-mêmes, de notre propre inconscient historique, donc, de tous ceux, contemporains ou non, proches ou lointains, qui ne l’ont pas en commun avec nous. C’est pourquoi il faut historiciser les modes de pensée, non pour les relativiser, mais, paradoxalement, pour les arracher à l’histoire », BOURDIEU (Pierre), L’inconscient d’école, Actes de la recherche en sciences sociales, déc. 2000, n° 135, pp. 3-5. Citation p. 5. Retour au texte

17 Cette expérience est relatée dans son « Journal d’usine » écrit en 1935 qui est publié en 1951 dans WEIL (Simone), La condition ouvrière, Paris, Gallimard, 1951, avec des textes concernant sa seconde expérience d’établie dans une usine marseillaise et comme ouvrière agricole en 1941-42. Retour au texte

18 Expérience qui dans le texte de Dressen s’apparente aux cas, qualifiés de « troublants » (p. 187), sans être plus développés, des établis inorganisés. Retour au texte

19 Si l’on voulait être complet, il serait nécessaire également de sortir du cadre hexagonal stricto sensu. Des expériences étrangères seraient sans doute à intégrer (par exemple dans le mouvement trotskyste, ainsi qu’y invite une récente polémique du SWP (Socialist workers party) anglais avec les organisations appartenant à son courant international. Cf. Inprecor, mai 2001, n° 258, p. 15, note 19 : « au milieu des années 1970 la direction de l’IS (International socialist) développa sa propre version d’une politique substitutionniste, en particulier en poursuivant la politique de « prolétarisation » commune à l’extrême-gauche américaine à l’époque. Cette tactique de raccourci se proposait de construire dans la classe ouvrière en envoyant d’anciens étudiants dans les usines ». De ce point de vue, une analyse sérieuse de la politique de l’Internationale Communiste serait bienvenue. Retour au texte

20 Se référer à la thèse de WOLIKOW (Serge), Le Parti Communiste et l’Internationale Communiste (1925-1933), thèse d’histoire, Paris VIII, 1990, 3 tomes, ainsi que son introduction au Komintern : l’histoire et les hommes. Dictionnaire biographique de l’Internationale Communiste, ss. dir. GOTOVITCH (José) et alii, Paris, l’Atelier, 2001. Retour au texte

21 Processus admirablement analysé par Bernard Pudal dans sa thèse de sciences politiques, éditée sous le titre Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris, Presses FNSP, 1989. Retour au texte

22 CHAINTRON (Jean), « Le vent soufflait devant ma porte », Paris, Seuil, 1993. Citations p. 190 et 196. Retour au texte

23 CHAINTRON, op. cit., évoque aussi le cas de son frère, cas isolé et atypique, semble-t-il : « En 1936, militant communiste, il s’embaucha chez Berliet pour y mener la grève » (p. 261). Retour au texte

24 MINGUET (Simonne), « Mes années Caudron », Paris, Syllepse, 1997. Retour au texte

25 Episode relaté dans les numéros les « Notes pour notre histoire » dans le n° 151 (1997-1998) de Critique Communiste. Retour au texte

26 Pierre Bois fut un des dirigeants de la grève chez Renault de 1947 qui marqua un tournant dans la vie politique française puisqu’elle vit l’éviction des ministres communistes du gouvernement. Les remarques développées à son propos repose sur la fiche biographique qui sera publiée dans l’édition prochaine du « Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier ». Membre du courant Union Communiste (en filiation avec Lutte ouvrière, actuellement), il est l’auteur de la brochure « La grève Renault d’avril-mai 1947 », supplément à Lutte ouvrière, n° 143. Retour au texte

27 Dans son livre Marnix Dressen définit l’établissement comme une forme de mobilité sociale descendante volontaire. S’il précise, p. 9, que « la qualité « d’établi » ne désigne pas une origine sociale spécifique (il est d’authentique établis dont les parents étaient ouvriers) », en pratique (et sauf inattention de lecture), les établis qu’il étudie sont bien d’authentiques intellectuels. Nous n’avons repéré que de rares fois, p. 125, 145, 222, 213 ou 222, la mention d’établis d’origine ouvrière. Par ailleurs, il précise bien, dans la constitution de son échantillon, que 14% (le caractère de « minorité non négligeable » se discute, au moins du point de vue statistique) des établis n’avaient pas le bac. Mais, à la phrase suivante, p. 109, il exemplifie cette caractéristique par le choix volontaire effectué de « saboter » l’épreuve. Retour au texte

28 Sur les chemins de fer dans le mouvement ouvrier français, se référer aux travaux de Georges Ribeill. Par ailleurs, dans ses entretiens avec des ouvriers et ouvrières belges, voici ce qu’une de ses interlocutrices explique à l’auteur sur son grand-père : « Il avait été au charbonnage à 12 ans. Heureusement, ma grand-mère avait vu qu’il valait mieux que cela. Elle avait réussi à le faire entrer au chemin de fer. », TONDEUR (Alain), Paroles d’ouvriers. Treize vies de labeur, Bruxelles, Ed. Luc Pire, 2000. Citation p. 63. Retour au texte

29 Sa biographie ne le dit pas explicitement, mais on peut le supposer fortement, sur décision de son organisation. Procédé qui sera renouvelé quelques mois plus tard et sur lequel l’influence de son organisation est attestée dans son témoignage même. Retour au texte

30 Se référer à PIERRARD (Pierre), LAUNAY (Michel), TREMPÉ (Rolande), La J.O.C. Regards d’historiens, Paris, Ed. Ouvrières, 1984. Retour au texte

31 Même si l’on peut citer le cas, concernant l’église protestante, du pasteur Arnold Brémond qui en 1925-1926 qui réalisa plusieurs stages en milieu ouvrier. Cf. BAUBÉROT (Jean), « Arnold Brémond, pasteur « ouvrier » à Ivry (1925-1926) », Le supplément, Paris, Cerf, 1990 (juin). Retour au texte

32 VAN DER MEERSCH (Maxence), Pêcheurs d’hommes, Paris, Livre de poche, 1987 (première édition 1940). Retour au texte

33 LOEW (Jacques), En mission prolétarienne. Etapes vers un apostolat intégral, Seuil, 1961 (première édition Economie et Humanisme, 1946) Retour au texte

34 Se reporter à la passionnante étude de PELLETIER (Denis), Economie et humanisme. De l’utopie communautaire au combat pour le tiers monde. 1941-1966 , Paris, Cerf, 1996. Retour au texte

35 Le terme est repris de WATTERBLED (Robert), Stratégies catholiques en monde ouvrier dans la France d’après-guerre, Paris, Editions ouvrières, 1990. Retour au texte

36 Selon le titre du livre de COLE-ARNAL (Oscar L.), Prêtres en bleu de chauffe, Paris, Ed. Ouvrières, 1992. Retour au texte

37 Soit dit en passant, certains traits des prêtres ouvriers (évoqués succinctement par Dressen p. 247) manifestent le même penchant que les établis maoïstes, sans qu’une explication tautologique par la religion pour des prélats ne soit mobilisable. C’est ainsi que Charles Suaud peut avancer que : « la manière d’assumer la condition ouvrière des prêtres ouvriers ne se peut se comprendre que sur la base d’un projet sacerdotal qui, par définition s’effectue dans le champ religieux en réaction contre les modèles existants. Pour ne prendre qu’un exemple, comment comprendre autrement le souci qu’ont eu bon nombre de prêtres-ouvriers, lors de leur passage au travail, d’effectuer des tâches les plus déqualifiées ? ». SUAUD (Charles), « Une double conversion des premiers prêtres-ouvriers », pp. 132-143, in DURIEZ (Bruno), FOUILLOUX (Etienne), MICHEL (Alain-René), MOURADIAN (Georges), VIET-DEPAULE (Nathalie), Chrétiens et ouvriers en France. 1937-1970, Paris, Atelier, 2001. Retour au texte

38 À défaut d’une bibliographie exhaustive, retenons quelques titres de l’histoire de ces prêtres-ouvriers. POULAT (Emile), Les prêtres-ouvriers. Naissance et fin, Paris, Cerf, 1999 et LE PRIEUR (François), Quand Rome condamne, Paris, Plon, 1989 ; POTERIE (René), JEUSSELIN (Louis), Prêtres ouvriers, 50 ans d’histoire, Paris, l’Harmattan, 2001. On trouvera une actualisation dans Duriez (Bruno), et alii, Chrétiens et ouvriers en France…, op. cit. Retour au texte

39 KAPLAN (Steven L.), La fin des corporations, Paris, Fayard, 2001. Retour au texte

40 Il peut écrire ainsi à propos de Cliquot de Blervache, critique acerbe du système corporatif et auteur de « Considérations sur le commerce » : « Pour écrire de façon convaincante sur les corporations, l’auteur n’éprouvait pas le besoin d’étudier les cas particuliers, de visiter les bureaux des communautés et les ateliers afin d’interroger les divers acteurs, de recueillir, compiler et évaluer des données sur des sujets tels que les pratique d’admission, la collecte des droits, la dette, etc. Au lieu de cela, Cliquot puisait dans un fatras de clichés, dont la plupart prenaient racine dans un semblant de réalité, si défraîchie et indirecte fût-elle », p. 36. Retour au texte

41 Lire le recueil passionnant : CARRÉ (Jacques), RÉVAUGER (Jean-Paul), Ecrire la pauvreté. Les enquêtes sociales britanniques au XIXe et XXe siècles, Paris, Harmattan, 1995. Lecture à compléter par la récente anthologie sous la direction de CARRÉ (Jacques), dir, Les visiteurs du pauvre. Anthologie d’enquêtes britanniques sur la pauvreté urbaine (XIXe-XXe siècles), Paris, Karthala, 2001. Retour au texte

42 A notre connaissance, la thèse de Rigaudias-Weiss demeure l’ouvrage de référence en la matière. RIGAUDIAS-WEISS (Hilde), Les enquêtes ouvrières en France entre 1830 et 1848, Paris, Puf, 1936. Retour au texte

43 L’oubli de l’histoire prend parfois des aspects étonnants sous la plume de Dressen puisqu’on lit, p. 191, l’affirmation selon laquelle : « La valeur de l’enquête dans la tradition socialiste est parfois sous-estimée et on est surpris de relire certains textes de Lénine à ce sujet. ». On se souvient en effet que Marx lors du premier congrès de l’Association Internationale des Travailleurs (A.I.T., Première Internationale) en 1866 avait fait adopter le principe de l’enquête ouvrière comme moyen d’auto-émancipation ouvrière : « Les travailleurs, en prenant l’initiative d’un si grand ouvrage montreront qu’ils sont capables de tenir leurs destinées entre leurs mains », MARX (Karl), Œuvres. Economie I , Paris, La Pléiade, p. 1465. Retour au texte

44 Allusion au titre du recueil dirigé par CARREZ (Maurice), BOUCHET (Thomas), « Le verbe et l’exemple. Colporteurs et propagandistes en Europe de la révolution française à nos jours », Territoires contemporains, Cahiers de l’IHC, 2000, n° 5. Ce recueil contient notamment un texte sur les fouriéristes en tournée en province. Retour au texte

45 CHARLÉTY (S.), Essai sur l’histoire du saint-simonisme, Paris, Hachette, 1896. Lire également D’ALLEMAGNE (Henry-René), Les saint-simoniens. 1827-1837, Paris, Gründ, 1929. Retour au texte

46 Charléty mentionne, p. 118, l’existence d’un dossier l’ « Enseignement des ouvriers ». Retour au texte

47 Se reporter à VIDALENC (Jean), « Les techniques de la propagande saint-simonienne à la fin de 1831 », Archives des sciences sociales des religions, 1960, n° 10, p. 3-20. Retour au texte

48 « Ceux des Saint-Simoniens qui voyaient de près les ouvriers, ailleurs que dans les salles de conférences, ne se faisaient pas beaucoup d’illusions. », CHARLÉTY (S.), Essai sur l’histoire du saint-simonisme, op. cit., note 2, p. 118. Retour au texte

49 Pour un aperçu du saint-simonisme, se reporter à ANSART (Pierre), Sociologie de Saint-Simon, Paris, Puf, 1970. Retour au texte

50 Il s’agit d’un extrait de la lettre de démission de Bakounine de l’Internationale, datée du 12 octobre 1873, cité in J. GUILLAUME, L’Internationale, documents et souvenirs, Paris, Stock, 1905-1910, III, p. 145-147. Le document s’intitule « Aux compagnons de la Fédération jurassienne ». Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Georges Ubbiali, « L’établissement. De l'histoire à la sociologie », Dissidences [En ligne], 4 | 2012, publié le 27 mai 2012 et consulté le 18 avril 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=267

Auteur

Georges Ubbiali

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