Philippe Lardinois, De Pierre Victor à Benny Lévy, de Mao à Moïse, Eupen, Éditions Luc Pire, 2008, 235 p.

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Comme le titre l'indique, c'est un itinéraire intellectuel que s'attache à saisir Philippe Lardinois, la trajectoire saisissante -tel est le sous-titre- de Pierre Victor mué en Benny Lévy au détour des année 80. Philippe Lardinois prend soin d'éclairer la vacuité de la formule de Mao à Moïse (p. 10), pour autant son livre déçoit. Il déçoit car il s'écrit en miroir seulement des écrits de Pierre Victor -Benny Lévy-, des romans de Jean Rolin, et surtout -malheureusement- de Génération d'Hamon et Rotman qui scelle le personnage de Pierre Victor. Il déçoit puisqu'il ne tient pas ses promesses, celles de comprendre un itinéraire intellectuel par l'abord de situations monstrueuses -de contextes enchâssés- par quoi Pierre Victor se construit et déconstruit. Or, la contextualisation réclamait sans doute davantage qu'un corpus trop bien cousu de références bâties autour et à partir du personnage qu'est Pierre Victor. Si nous ne sommes plus, avec Philippe Lardinois, dans le domaine du légendaire, trop souvent l'analyse participe encore de l'exégèse ; la fascination de l'auteur pour un sujet qui évidemment s'y prête l'explique.

Que retenir alors pour qui s'intéresse à cet itinéraire dans l'extrême gauche ? Construit par l'exil, le déracinement du juif égyptien réfugié en Belgique, puis en France, Pierre Victor connaît cette dernière par Sartre qu'il lit dès le lycée. On saisit là une part d'un compagnonnage singulier que l'on retrouvera après la Gauche prolétarienne quand Pierre Victor, secrétaire de Sartre, se brouillera avec les sartriens des Temps modernes . Mais le sel de l'ouvrage tient aux courtes incises -souvent d'ailleurs des citations de Pierre Victor- qui croquent un tempérament ascétique. Ainsi, p. 123, Pierre Victor évoque-t-il Bruay en Artois : « il y avait nous. Et il y avait les autres, ceux qui avaient choisi la voie du marxisme libidinal, du joyeux immoraliste. Ce pôle là nos l'avons vraiment emmerdé. Et il a trouvé une brèche avec les fumeuses et fameuses histoires d'avortement. Bruay était le terrain sur lequel on pouvait enfin nous traiter de ringard. »

Il y a là une piste que n'explore pas Philippe Lardinois, dont la plume se voue à l'exploration d'une singularité retournée à la tradition rabbinique. Au sein du mouvement ouvrier, l'expression fait sens autrement, rappelant la propension des révolutionnaires belges et français à se considérer comme des saints laïcs, sinon comme des jansénistes -ainsi d'une part de la Gauche révolutionnaire dans les années trente. On le voit, même dénoncée, la formule de Mao à Moïse plombe l'analyse de ce que Pierre Victor pouvait représenter pour l'extrême gauche française. L'homme s'est construit en personnage, et cette construction dicte encore la manière dont on peut l'entendre, fusse contradictoirement par la fascination (un intellectuel retourné à la tradition juive) / la dérision (un illuminé) : la réalité de ce que fut Pierre Victor pour une part de l'extrême gauche française doit se chercher également à l'écart de cette statue qu'il se cisela, de cette condition juive qu'il excipe comme causalité suprême, et que Phillipe Lardinois reprend. Pierre Victor est là l'objet de digressions intéressantes, ailleurs héros romanesque (chez Rolin comme chez Hamon/ Rotman). Il n'est pas encore objet d'histoire.

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Vincent Chambarlhac, « Philippe Lardinois, De Pierre Victor à Benny Lévy, de Mao à Moïse, Eupen, Éditions Luc Pire, 2008, 235 p. », Dissidences [En ligne], 3 | 2012, publié le 03 avril 2012 et consulté le 18 avril 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=244

Auteur

Vincent Chambarlhac

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