Christophe Bourseiller, au sein d'une production où il est difficile de faire rimer quantité et qualité, a, voici une quinzaine d'années, livré une des seules études synthétiques sur l'histoire des maoïstes français. Le gros de son récit court de 1963, année de parution de la revue Révolution de Jacques Vergès, jusqu'à la fin des années 1970 principalement. La définition qu'il propose du maoïsme, selon lui « toujours partagé entre l'ombre et la lumière » , tient en quatre composantes : la fascination pour le modèle chinois (la révolution culturelle en particulier), le tiers-mondisme, l'antisoviétisme (que l'on peut voir comme une constante chez certains anciens militants devenus anticommunistes) et un populisme marqué.
A la différence de bien de ses ouvrages ultérieurs, Christophe Bourseiller tient globalement la bride à son ton moqueur, et le livre est assurément utile pour une première approche, retraçant les principales étapes d'un mouvement multiforme, son appréhension déficiente par la police et l'ampleur de l'influence exercée sur l'intelligentsia au sens large. Avec le PCMLF, issu pour l'essentiel d'opposants du PCF au milieu des années soixante, devenu clandestin au lendemain de son interdiction de juin 1968, et finalement divisé en trois à partir de 1970, on a la composante clairement la plus stalinienne, adossée au soutien de la Chine (ou de l'Albanie), qui succombe parfois à une soumission politique déroutante (le soutien du PCMLF Humanité rouge à la politique extérieure de Valéry Giscard d'Estaing au milieu des années 1970, une logique poussée à son paroxysme par l'ORPCF (ML)). L'UJCML puis la Gauche prolétarienne (GP) incarnent davantage la jeunesse et l'activisme, avec un goût pour la violence et les coups médiatiques, mais également un souci de l'enquête sur le terrain, avec son prolongement radical, l'établissement. La branche la plus libertaire, la plus imprégnée de l'esprit de Mai, n'est pas oubliée, avec VLR et les militantismes féministes ou homosexuels.
Les maoïstes ne peut pour autant prétendre au statut de référence incontournable. La faute à certains énoncés définitifs (le maoïsme né en 1942, ou, en conclusion, « Le maoïsme n'existe pas. Il n'a jamais existé », un rien provocateur), à des analyses discutables (adoption du qualificatif de maos par les militants de la GP, « Chacun devient lui-même son propre dieu ») ou qui manquent souvent d'approfondissement (ainsi de l'influence de la Résistance sur les maoïstes ou de la violence révolutionnaire1), à une tendance à juger de manière parfois un peu rapide (sur la révolution culturelle comme simple lutte de pouvoir, par exemple), et à des manques évidents. Il en est ainsi de certains groupes délibérément survolés voire écartés de l'étude (Ligne rouge ou l'UCF(ML) d'Alain Badiou), à l'inverse de figures plus médiatiques (Sartre, Foucault, Godard et Sollers), ou d'un dernier chapitre censé couvrir la période de 1978 à la fin du XXe siècle, bien trop rapidement traitée avec d'incontestables lacunes.
La préface à la seconde édition du livre, à l'occasion de son passage en format poche, décline un des thèmes favoris de l'auteur, celui de se poser tour à tour en victime de l'opprobre des (anciens) militants et en chercheur novateur, tout en portant un jugement que l'on pourra discuter sur Mai 68 comme fin de la Révolution , et en concluant avec un certain désarroi.