Michel Eliard, Corporatisme contre démocratie politique, Paris, Selio, 2007, 200 p.

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Idéologie

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Il s'agit de la réédition par les éditions du POI (ex PT), dont l'auteur est par ailleurs membre, du livre d'un professeur de sociologie de l'Université de Toulouse. En sept chapitres, l'ouvrage se propose d'analyser la place de la notion de corporatisme chez quelques unes des figures des sciences sociales. Deux chapitres sont particulièrement intéressants, celui consacré à Marx et celui consacré à Durkheim. Les premiers chapitres traitent de la manière dont la pensée révolutionnaire (Rousseau ou Condorcet) s'oppose à la conception d'une société organique et organiciste qui prévalait dans l'Ancien régime. Idéologie qui survit dans la pensée contre-révolutironnaire (De Maistre, Bonald), en réaction aux Lumières (chap. 2). En fait, Eliard propose plus un survol qu'une réelle analyse dans cette partie. Les pensées de Lamennais, Burke, Herder mais surtout d'Auguste Comte sont traitées en quelques lignes. Nettement plus convaincante apparaît l'analyse de la pensée de Marx, dont il montre avec finesse (et érudition) la rupture qu'elle propose avec le naturalisme sociologique. Le passage consacré à la différence entre le matérialisme historique et le positivisme comtien-durkheimien est ainsi particulièrement clair, mettant bien en valeur la manière dont Marx historicise le matérialisme qui l'a précédé.

Plus contestable apparaît en revanche la prétention de fonder la politique de l'EIT (Entente internationale des travailleurs, regroupement international lié au POI) sur les écrits de Marx. Comme si le constat de Marx, en particulier dans le Manifeste, de l'existence de courants politiques hétérogènes au sein du prolétariat pouvait justifier le rassemblement de tels courants au sein de l'organisation politique de la classe ouvrière ! De la même manière les passages consacrés à Althusser renvoient à de vieux débats, qui semblaient tranchés depuis longtemps. Les pages qui lui sont consacrées ne sont pas inintéressantes, mais renvoient à un état antérieur au sein du marxisme. En revanche, Eliard franchit allégrement les limites du débat en osant affirmer que les courants althussériens ont nourri les courants politiques qui, « en critiquant l'école républicaine, ont contribué à sa destruction », p. 96. Critique réitérée d'ailleurs quelques pages plus loin à propos de Bourdieu cette fois-ci. Le chapitre 4, le corporatisme contre le mouvemente ouvrier, basé sur l'exemple historique de l'Autriche, à partir du livre de Paul Pasteur, apparaît comme une sorte de transition bâclée vers le chapitre consacré à Durkheim. Si certains passages se révèlent là aussi tout à fait stimulants, (ainsi sur la notion comparée de valeur chez Marx et Durkheim), la tendance constante de l'auteur à confondre le corporatisme et l'organicisme affaiblit singulièrement le propos. Encore plus problématique apparaît la supposition d'une influence de la pensée du catholicisme social sur Durkheim, en procédant à un comparaison entre des extraits de l'encyclique Rerum Novarum et d'un texte de Durkheim. De même il semble extrêmement audacieux, du point de vue de la logique argumentative, d'imputer à Durkheim des propos tenus plusieurs décennies après sa mort par un adepte fasciste du système corporatiste (cf. p. 148). Conclure ce chapitre par une allusion aux positions de Célestin Bouglé et surtout de Marcel Déat ne contribue guère à éclairer la pensée de Durkheim. Les deux derniers chapitres, consacrés aux sociologies d'aujourd'hui (en particulier à Bourdieu et à la sociologie du travail dans un second temps) sont tout simplement indignes et confusionnistes. Indigne parce qu'il est tout simplement faux d'avancer que « Bourdieu a nourri, consciemment ou non , la déréglementation scolaire » (p. 166) ou que le patronat se soit inspiré de la sociologie bourdieusienne pour s'en prendre aux conventions collectives (p. 167). Confusionniste enfin, parce que dans l'ultime chapitre, la notion de corporatisme est utilisée à toutes les sauces pour dénoncer pêle-mêle la démocratie participative, la société civile, l'Union européenne, bref autant de dimensions qui se résument à une attaque contre la démocratie. Cette dénonciation du corporatisme généralisé glisse d'une analyse de la notion à un ton pamphlétaire sans aucun intérêt. Eliard aurait mieux fait de rester sur le terrain universitaire, où il fait montre de quelques capacités de lecture et de conviction, plutôt que d'endosser la figure de l'essayiste.

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Référence électronique

Georges Ubbiali, « Michel Eliard, Corporatisme contre démocratie politique, Paris, Selio, 2007, 200 p. », Dissidences [En ligne], 2 | 2011, . URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=165

Auteur

Georges Ubbiali

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