Quand l’Antéchrist est un Pape. Urbain VIII sous la plume de Ferrante Pallavicino

  • When the Antichrist is a Pope. Urban VIII in the Words of Ferrante Pallavicino

Résumés

Cet article montre comment les deux libelles de Ferrante Pallavicino, la Baccinata overo battarella per le Api Barberine (1642) et Il Divorzio celeste (1643), élaborent l’image morale et littéraire d’un pape antéchristique, Urbain VIII, Maffeo Barberini, qui cristallise toute la hargne de l’écrivain et académicien Incognito, conventuel fugueur, vaguement philoprotestant et plus que certainement libertin, ayant en tout cas toujours flirté avec les thèses hétérodoxes qui circulaient dans les milieux intellectuels vénitiens, provocateur et si farouchement acharné à défier la censure, le Nonce Vitelli qui l’incarnait, Urbain VIII au-dessus de lui et tout le clan Barberini, qu’il y laissa sa tête (il fut décapité en Avignon, en mars 1644).

This contribution shows that Ferrante Pallavicino’s satires Baccinata overo battarella per le Api Barberine (1642) and Il Divorzio celeste (1643) shaped the moral and literary image of Pope Urban VII, aka. Maffeo Barberini, as an Antichrist. Urban VII was thus the target of the acerbic pen of Pallavicino, a runaway monk-cum-libertine as well as a member of the Incogniti Academy, who was not adverse to Protestantism and had a particular fondness for the heterodox ideas that circulated in Venetian intellectual circles then. His provocative attitude and his obstinate determination to evade papal nuncio Vitelli’s censorship, challenge Urban VII’s authority and mock the Barberini family were to cost him his life – he was beheaded in Avignon in March 1644.

Plan

Texte

1. Notre corpus

Cette étude a pour objet deux textes de Pallavicino publiés respectivement en 1642 et 1643, dont les titres complets sont : Baccinata overo battarella per le Api Barberine in occasione della mossa delle armi di N. S. Papa Urbano Ottavo contra Parma et Il Divorzio celeste cagionato dalle dissolutezze della Sposa Romana e consacrato alla simplicità de’ scrupolosi cristiani.

Au terme de quelques siècles de spéculations sur leur paternité1, nous avons la chance de disposer d’une édition commune et récente de ces deux pamphlets, qui décrit les derniers avatars d’une longue et complexe histoire éditoriale2. Par ailleurs, nous voudrions signaler que seront ici ou là ré-utilisés quelques éléments factuels et certaines de nos conclusions sur ces deux textes qui ont été traités (séparément, mais avec de nombreuses références l’un à l’autre, nécessairement, comme on le comprendra ici…) dans le cadre, l’un, d’un colloque lyonnais de 20013, l’autre, lors d’un colloque stéphanois de 2011, sur la représentation littéraire des liens entre la papauté et l’autorité4.

2. L’auteur

Présentons brièvement notre auteur, dont le destin tragique donne un poids particulier à ses attaques contre le pape Urbain VIII, puisqu’en effet, il fut décapité en Avignon le 5 mars 1644, à vingt-huit ans seulement, au terme d’une longue série de provocations contre les Barberini.

Né à Plaisance d’une des plus illustres familles nobles de l’Italie septentrionale, celle des marquis Pallavicini, Ferrante entre dans la congrégation des chanoines réguliers de Latran à Milan, puis part achever ses études à l’université de Padoue. A dix-neuf ans à peine, il publie son premier écrit, un panégyrique de la Sérénissime (Il Sole tra i pianeti, Padova, Frambotti, 1635) et, aussitôt après, obtient de son ordre l’autorisation d’aller en France. Mais son voyage s’arrête à Venise, où il mène alors une vie dissolue, partageant son temps entre les courtisanes et les intellectuels les plus sulfureux de l’Académie des Incogniti (le patricien fondateur de ce cénacle, Giovan Francesco Loredano, et son ami Girolamo Brusoni, lui-même chartreux ‘fugueur’ et victime de la vindicte du nonce apostolique Vitelli5, auquel il doit un emprisonnement de plusieurs mois, en 1644 !). Pallavicino multiplie ses publications dès cette période et répand avec ardeur ses sentiments anti-espagnols et anticléricaux, visant en particulier Urbain VIII et le nonce Vitelli (censeur acharné des Incogniti qui réussit à le faire emprisonner du 23 septembre 1641 à début mars 1642). La plupart de ses livres sont mis à l’Index, toutefois les persécutions des autorités ecclésiastiques restent inefficaces tant qu’il reste à Venise : de fait, il ne quitte la Cité lagunaire que pour une année de voyage en Allemagne, où le contact direct avec les milieux protestants le confirme dans sa hargne contre Urbain VIII, et, plus tard, piégé par des sbires à la solde de la papauté, pour Avignon, où il est arrêté et comdamné au billot6.

3. Le substrat historique

Toujours au registre des préliminaires, remarquons que les deux textes qui nous intéressent renvoient au même dossier historico-politique, l’affaire dite du duché de Castro.

Ce petit duché situé près de Viterbe, avait été donné en fief par le pape Paul III aux ancêtres d’Odoardo Farnèse, lequel, criblé de dettes, autorisé à émettre sur la place de Rome des emprunts publics gagés sur les ressources du duché, mais peu soucieux de reverser leurs intérêts à ses créanciers, donne ainsi aux neveux d’Urbain VIII l’occasion de pousser leur oncle à s’emparer de Castro et, dans le même temps, de Parme et de Plaisance. Urbain VIII lance d’abord quinze mille hommes sur Castro, fait vendre le palais Farnèse de Rome pour payer les créanciers d’Odoaordo et amorce une avancée vers Parme. Le conflit pousse alors les autres Etats italiens (Venise, Modène, Florence, soutenus par Richelieu) à se liguer autour de Parme contre les prétentions romaines7. Cette première guerre se solde par une défaite des troupes pontificales en Romagne, une tentative de prise de Rome par les troupes des Farnèse que les atermoiements d’Odaordo et la désertion consécutive de ses soldats pendant l’hiver 1642-43 font échouer, de nombreux pourparlers, des dépenses astronomiques et, en 1644, la restitution de Castro à Odoardo (la paix est conclue le 1er mai 1644, Pallavicino n’est déjà plus…). Cinq ans plus tard, Ranuccio Farnèse, successeur d’Odoardo, fait assassiner le nouvel évêque de Castro nommé par Rome et cette fois, les armées pontificales défont et rasent Castro.

Voilà donc l’événement auquel renvoie, en premier lieu, le titre de la Baccinata (la « mossa delle armi di N. S. Papa Urbano Ottavo contra Parma ») et le sens même des mots « baccinata » et « battarella », éclairés dans une glose au titre : on y explique en effet l’analogie entre les abeilles qu’on ramène à la ruche en frappant sur une bassine de cuivre (la « baccinata ») ou sur un ustensile en bois (la « battarella »), et les troupes d’Urbain VIII en campagne contre le duc de Parme, analogie soutenue par le fait que l’emblême des Barberini est constituée de six abeilles. En second lieu, après une exhortation à rappeler ses troupes8 et à se méfier des conséquences de la guerre contre les Farnèse9, suit un libelle tout entier conçu comme le procès d’Urbain VIII et de son clan.

Dans le Divorzio celeste, le conflit, est évoqué dans le contexte narratif d’un voyage à travers la Péninsule de saint Paul, diligenté par Dieu pour enquêter sur l’état de l’Italie et étayer un dossier d’accusation contre l’Eglise romaine, l’épouse du Christ si corrompue que celui-ci souhaite lui intenter un procès en divorce… A Parme, où se rend l’apôtre délégué, le duc Farnèse s’adresse à saint Paul en ces termes :

Sachez donc que les urgences particulières de ma Maison ont déjà amené à ériger à Rome un mont appelé Farnèse qui grève ma fortune d’une contribution foncière annuelle à divers créditeurs. A présent, étant assailli par des esprits belliqueux en ces derniers moments de sa vie, Urbain VIII s’est imaginé pouvoir fabriquer sur ce mont le fortin de diverses prétentions pour assiéger mon duché de Castro10

Dans les dernières pages du livre, celles-là mêmes où est évoquée la victoire possible des Barberini sur la ligue autour des Farnèse, Pallavicino exprime alors son regret sur les occasions manquées, les rébellions devenues vaines, les exhortations inutiles à reprendre une guerre juridique devenue légendaire (celle de Venise contre Rome lors de l’Interdit de 1605) :

Les armées des princes ligués dans le désordre et la frayeur de Rome, auraient pu s’emparer en quelques heures de tout l’Etat de l’Eglise. Le duc de Modène aurait facilement pu acquérir la ville de Ferrare, sur laquelle il a des prétentions légitimes. Le duc de Florence aurait pu obtenir des fiels du duché d’Urbino revenant à sa famille pour des raisons dotales. La République de Venise aurait pu venger ses frontières si souvent outragées. Ils auraient pu enfin, tous unis, racheter de la tyrannie cléricale les malheureux sujets des possessions romaines. Mais l’un, trop crédule, a accordé foi aux négociations des Barberini, un autre a voulu y penser à deux fois, un autre encore n’a pas su se décider à temps. En somme, ils perdirent cette opportunité que le Ciel leur avait envoyée de servir la Chrétienté.11

C’est donc en réaction à cette situation historique, décrite avec une indéniable claivoyance géopolitique12, que Pallavicino propose deux textes dont la construction narrative et le style sont véritablement ceux d’un réquisitoire.

4. Le procès fait au pape

La Baccinata, tout d’abord, met en scène un narrateur qui joue tour à tour le rôle de l’avocat du diable, pour mieux réfuter les justifications que pourrait lui opposer l’accusé, Urbain13, et de l’accusateur qui bâtit un dossier à charge d’une trentaine de pages contre le pape, à grand coup de références à une jurisprudence supposée indiscutable, celle des textes néo et vétérotestamentaires, cités pas moins de vingt-sept fois. Recourant à un lexique proprement juridique, le texte élabore, dans une rationnalité très procédurale, sa contestation de la légitimité de la guerre contre les Farnèse, qui, parce que d’ordre temporel, ne devrait pas être l’affaire d’un pape, ce qui amène in fine à condamner Urbain au double motif qu’il est à la fois un mauvais Pape et un mauvais Prince14. On remarque, en effet, avec quelle rigueur le pamphlet, séparant indéfectiblement le temporel du religieux, justifie, au nom du caractère idéalement infranchissable entre les deux domaines, la riposte d’Odoardo Farnèse et de la Ligue contre les armées du pape : il ne s’agissait que de défendre le duché de Castro contre les prétentions expansionistes d’un monarque, fût-il celui de Rome ; une affaire d’Etat, pas une affaire d’Eglise, ce qui invalide de facto l’excommunication d’Odoardo15.

Le Divorce adopte quant à lui le cadre narratif d’un procès à instruire contre l’Eglise sur ordre de Dieu lui-même16 et pour la tenue duquel il envoie saint Paul recueillir les éléments nécessaires au dossier d’accusation contre l’épouse romaine indigne :

Le Père tout-puissant, persuadé par les arguments de son fils, s’apprête à lui donner satisfaction, mais pour procéder avec l’habituelle circonspection qu’exige la justice divine, il commande à saint Paul de se rendre sur terre afin d’entendre les plaintes des mortels et de préparer le diligent procès des agissements de l’épouse romaine, et il lui parle ainsi17

Le voyage de Paul le conduit à Parme, certes, mais aussi à Lucques — alors sous le coup d’une excommunication ; à Florence — exaspérée par les excès fiscaux et les ingérences répétées de l’Eglise dans ses affaires ; à Venise, l’ennemie le plus entêtée de Rome18, et à Ancône. Poursuivant sa route vers Rome, Paul fait encore étape à la Casa Santa di Loreto — où il confesse un cardinal mourant d’abord, bavarde avec un émissaire de Maurice de Savoie ensuite — et dans une auberge aux portes de Rome. Mais à peine arrivé dans la ville pontificale, il doit aussitôt la fuir19 : il s’embarque à Messine pour Jérusalem, non sans avoir confié à son ange messager une lettre exhortant les princes d’Italie à se liguer contre Urbain VIII (p. 145). Au cours de ses pérégrinations, saint Paul recueille des témoignages multiples sur les agissements de la papauté, que légitiment la qualité des témoins et les circonstances dans lesquelles lesdits témoignages tombent entre ses mains. A Lucques, c’est un simple citoyen qu’il interroge, tandis qu’à Parme, son interlocuteur sera le duc en personne ; à Florence, il surprend un entretien entre le duc et l’un de ses conseillers, comme il surprend aussi la conversation de deux individus d’une chambre voisine lors d’une étape dans une auberge sur la route de Rome ; à Venise, « il trouve par hasard une lettre »20 et consulte à son sujet un « simple citadin », puis un patricien. Le hasard met ensuite sur sa route un sujet des Etats pontificaux, un arménien maronite revenant de Rome. Bref, il entend des témoins de divers Etats et d’extractions différentes, des laïcs et des ecclésiastiques dont la sincérité ne peut être sujette à caution, ‘italiens’, mais pas seulement (dans un couvent où il se réfugie après sa fuite de Rome, le saint entend l’avis d’un Turc, d’un Grec, d’un Français, d’un Espagnol et d’un Anglais)21, l’intérêt étant que tous, si différents qu’ils sont, s’accordent à dresser de la cour romaine un portrait affligeant. L’Ange gardien du pape lui-même témoigne de son découragement devant l’ampleur de la tâche qu’il lui faudrait accomplir pour redresser l’âme noire d’Urbain VIII, si grand qu’il envisage de démissionner :

Je ne peux plus garder l’âme d’Urbain VIII. Réprimer ses caprices est impossible, même pour des forces angéliques. Ayant tout essayé en vain pour le ramener sur le chemin de la raison, je ne veux plus exposer plus longtemps mon inspiration divine au mépris. Plus encore, je me demande si je ne dois pas faire un vol jusqu’au Ciel […] pour […] supplier la divine bienveillance qu’on me décharge du poids d’une surveillance si tourmentée, qui, à coup sûr, a totalement perturbé la paix de mon état angélique22.

Sans compter que la seule personne qui reconnaisse Paul lorsqu’il entre dans la Ville Sainte est un possédé du Diable : « un matin, passant devant une église où l’on exorcisait un possédé, attiré par le fracas qu’on entendait, j’y entrai. Dès que le démon aperçut ma personne, il commença à crier : « C’est saint Paul ! C’est saint Paul23 ! » Le pape, de son côté, se contente d’envoyer une ambassade à l’apôtre, comme à n’importe quel hôte « étranger » de marque24, suscitant l’indignation de Paul qui déplore qu’on doive « aujourd’hui, appeler les saints des étrangers dans les Etats de l’Eglise »25.

Dans le dossier supposément monté par saint Paul, tout est donc mis en œuvre pour accréditer les griefs du plaignant, la multiplicité des points de vue garantissant les faits rapportés et permettant d’accabler davantage l’accusée (Urbain à travers elle, bien sûr) par l’itération et la surenchère. Mais plus que dans la nature des accusations qui sont portées contre Rome (et contre son chef), souvent topiques26, c’est surtout dans le degré que s’exprime la hargne du polémiste, qui additionne les preuves à charge dans un jeu de focalisations tel que tout angle d’observation aboutit aux mêmes conclusions sur la cité romaine, « publico postribolo [lupanar public] »27, et sur celui qui la gouverne. L’issue est inévitable : « Voyant que son épouse, l’Eglise romaine, s’était prostituée à de nombreux souverains pontifs, en particulier Urbain VIII, le Christ se résolut à divorcer d’elle, ne voulant plus cohabiter avec l’épouse adultère28. »

5. La violence de l’invective

Il convient en effet de souligner la violence verbale qui caractérise le Divorce29. Tout autre qu’allusive ou prudente, la plume se veut au contraire explicite et incisive. Les images sont celles de l’adultère, de la luxure30, du viol31. Comme nous l’avons dit ailleurs, dans ces pages, « la tyrannie, la cupidité, la licence, la vanité ou l’injustice disent leur nom, et désignent leurs auteurs »32, « les phrases à l’emporte-pièce et les formules assassines tiennent lieu d’argumentaire. Si Urbain VIII excommunie, on dit qu’il vole33. Son âme est « capricieuse »34 et ses humeurs « récalcitrantes au bien » (p. 135). Chez lui, point de souci de la morale — « havendo li Barberini bandita ogni virtù da Roma [les Barberini ayant banni toute vertu de Rome] » (p. 117), du dogme, de la mission évangélique, mais à leur place, la « politique mondaine » (p. 132), avec pour ligne de conduite l’ambition et l’enrichissement35, et comme armes, la censure et l’épée … » Et c’est le Christ qui accuse, ce qui donne tout son poids au propos !

Cependant, le Divorce, n’est pas une simple opération de dénonciation dans la ligne des pasquinades et autres écrits satiriques dont le siècle précédent avait du reste été friand36. Il nous propose, par des renversements propositionnels — « il estime que le pontificat est destiné à servir sa personne plutôt que sa personne le pontificat » ou « il ne fait jamais ce qu’il croit bien, mais il croit qu’est bien ce qu’il fait »37 — et thématiques, le cliché en négatif de ce que devraient être Rome et la papauté. Ce que suggère, par exemple, le souhait d’Urbain VIII d’accommoder les Ecritures à ses vœux plutôt que d’accorder ses vœux à la parole biblique38 ou, plus ironiquement, la mise en scène d’un « concile » de démons qui décide de venir en aide au pape pour arrêter les troupes des Farnèse qui marchent sur Rome — de fait, l’attention accordée par le pape aux conseils des démons contribue à confirmer son satut antéchristique !39 C’est aussi le sens du voyage péninsulaire de Paul en l’an 1643, qui s’avère l’inverse du voyage sur le chemin de Damas, non pas vers la révélation (et la conversion), mais bien vers le désavœu (une contre-conversion, en quelque sorte). C’est, littéralement, le monde à l’envers !

Or, le procédé retenu dans la Baccinata est comparable, puisque l’auteur construit, par le raisonnement a contrario, la figure antéchristique d’Urbain. Dans ce libelle, l’accusateur d’Urbain part tout simplement de la comparaison antithétique entre celui qui justifie la mission pastorale d’Urbain VIII et ce dernier : d’un côté, donc, le Christ, porteur de paix, berger attentif, sévère mais juste, versant son sang pour l’humanité pécheresse, de l’autre son vicaire, « rebelle à son maître […] qui revendique avec hypocrisie ce titre dont il trahit la propriété et néglige le devoir »40, homothétiquement enfermé dans ce rôle à grands coups de formes contradictoires et autres modalités syntaxiques et lexicales marquant le renversement, l’écart et le contraire41, l’opposition entre la triste réalité (exprimée au présent de l’indicatif) et l’idéal christique trahi (évoqué au mode conditionnel), contraste articulé par les innombrables « non pas … mais », « au contraire », « tandis que » et « là où » propres à dramatiser au plan rhétorique le contraste entre l’un et l’autre. Ainsi, dès la première phrase, le pontife est, nous dit-on, « devenu l’auteur d’une nouvelle guerre alors qu’il devrait être minitre de la paix » 42. Mais encore :

il faillit trop gravement en venant les armes à la main […] et en se montrant trop avide de plonger son épée dans les entrailles de ceux qui devraient trouver la sécurité en son sein. Et pourtant il est le vicaire du Christ qui apporta toujours la paix
Guerre, guerre ! crie au contraire Urbain
Beati mites, dit le Christ, là où Urbain, corrompant l’Evangile, a l’air de proposer : beati milites43
il ne s’occupe pas de surveiller mais d’écorcher les brebis […], il ne parle pas de les rassembler mais de les éparpiller, il n’essaie pas d’augmenter le troupeau du Christ, mais de le réduire44

Et l’on n’en finirait plus de citer les exemples de ces constructions qui font avancer le procès par cette correctio systématique. Dans ce libelle, les reproches opposés au pape sont également convenus — ils visent ses ingérences temporelles, son enrichissement personnel, son népotisme, le trafic des indulgences, etc. —, c’est donc bien la forme adoptée par l’auteur qui vaut d’être remarquée, celle du procès qui élabore argument après argument, une ‘figure du contraire’ (et du contraire du Christ, bien sûr45). On attend un pape sincère, pacifique et ‘pauvre’, on trouve un va-t’en-guerre qui s’arme contre les Farnèse en se retranchant derrière de faux prétextes — « Il voile ces déterminations comme il lui plaît, sous les apparents prétextes de l’honneur de l’Eglise et du Christ » —, mu par « l’avarice dans la sauvegarde des biens temporels »46. On le voudrait mobilisé contre l’Infidèle47, il se retourne contre des Chrétiens48, et ainsi de suite.

Par ailleurs, on observe que le ton n’échappe à la maîtrise procédurale —virulente, mais moins injurieuse que dans le Divorce49— que dans la dédicace et le commentaire du titre d’un côté et, à l’autre extrémité du texte, par l’insulte ad personam du couplet contre un neveu du pape, « le prince préfet »50. Taddeo Barberini, pilleur des caisses de l’Etat, homme de toutes les manœuvres de couloir et d’une couardise indigne de sa fonction officielle de général des armées pontificales au moment du siège de Castro51, s’attire cette condamnation sans gants : « Don Taddeo a résolu de rester à couvert, car c’est le privilège des couille-molle, et il ne veut nullement partir en campagne »52. Et le libelle se referme sur cette dernière salve :

Plaise à Dieu que la crainte ou l’intérêt insufflent les sentiments très souhaitables d’un semblable repentir tandis qu’ils apporteront la paix dont jouira le monde et qu’augmentera le rire collectif suscité en lui par les couillonnades des Barberini53.

Bien sûr, notre auteur se défend, dans les deux cas, de s’en prendre à l’Eglise en tant qu’institution, moins encore à la religion catholique, dont il se déclare au passage fervent adepte et défenseur (on sait ce qu’il en était …). La cible n’est pas autre qu’Urbain VIII — « Oh ! vous me direz, ceci est un livre contre le Pape. Faites bien la différence […] c’est un livre contre les humeurs du Pape »54, « les neveux »55, le clan Barberini tout entier : « il lutte contre les Barberini, ni contre l’Eglise, ni contre le Pontife56. »

Traître à l’esprit et à la lettre évangéliques, indigne successeur de Pierre, Urbain est un usurpateur du titre pastoral, rien moins : « Comme père universel de la chrétienté, il échoue trop gravement. »57 Aussi est-il juste et salutaire que d’aucuns se chargent d’en publier les fautes, comme l’affirment haut et clair, dans un vibrant plaidoyer contre la censure, les protagonistes du chapitre XIV du Divorce :

si le pape, sous le manteau sacré du père et du berger, se révélait un loup rapace, pour ne pas être interdite, la doctrine de l’homme de Lettres devra lui donner des raisons pour qu’il puisse fonder les prétextes sacrés de ses passions non sacrées58.

Mais dans l’avertissement au chrétien-lecteur déjà : « On a pu crucifier le Christ, qui ne pouvait pécher, et il semblerait étrange qu’un pape, qui est composé d’une humanité pécheresse et qui pèche peut-être chaque jour, soit censuré par les justes reproches d’autrui59 ? » Des questions rhétoriques, évidemment, auxquelles répondent, ô combien ardemment, ces deux libelles de Pallavicino.

Ah, qu’on ne soumette pas à cette tyrannie la plume de l’écrivain ! Qu’il écrive en toute liberté ses propres sentiments, qu’il puisse blâmer les vices d’autrui et s’il se heurte ensuite aux interdits et aux censures, ce sera pour avoir condamner les fautes des autres60.

Ferrante parle d’or ! En matière d’‘interdictions’, de ‘censure’ et de ‘condamnation’, il sera servi. Car ce ‘diable’ d’Urbain se rebiffe, se montrant à la hauteur de la férocité que Ferrante lui attribue. Et la fin de l’histoire (celle de notre auteur) mérite la remarque d’un biographe de l’écrivain, selon lequel la Baccinata (dans la foulée du Divorzio) fut « il punto fatale delle sue infelicità [l’aboutissement fatal de ses malheurs] »61. Par un rebond aussi subtil que baroque, le sacrifice du redresseur de torts, dont la vie ne fut pourtant pas précisément exemplaire, en fait un martyr de choix pour les pourfendeurs d’Urbain, mais surtout un objet d’épouvante tel qu’aucun d’eux n’osera plus élever contre l’antéchrist Barberini une voix aussi virulente que la sienne…

Bibliographie

1.

- Le Glorie degl’Incogniti, overo gli Huomini Illustri dell’Academia de’Signori Incogniti di Venetia, Venezia, Valvasense, 1647

- L’Anima di Ferrante Pallavicino, Villafranca, 1665

- Ferrante Pallavicino. Libelli Antipapali. La Baccinata. Il Divorzio celeste, Metlica, Alessandro ed., Alessandria, Dell’Orso, « Manierismo e Barocco » 12, 2011

2.

- Coci, Laura, « Ferrante a Venezia: nuovi documenti d’archivio », in Studi secenteschi, Firenze, Olschki, respectivement vol. XXIV, 1983 ; XXVII, 1986 ; XXVIII, 1987 et XXIX, 1988

- Morini, Agnès, « Divorce à la vénitienne ou l’Eglise brocardée : Il Divorzio Celeste (1643) » in Viallon, Marie, dir., Démythification et dérision, Actes du Colloque International du C.L.O.E. de Lyon III, 8/9 novembre 2001, Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2003, p. 105-123 

- Carminati, Clizia, « Tra Bergamo e Avignone : l’ultima lettera di Ferrante Pallavicino », in Studi Secenteschi, Firenze Olschki, vol. LII, 2011, p. 159-193

- Morini, Agnès, « La Baccinata (1643) : Ferrante Pallavicino contre les ‘coglionerie de’ Barberini’ », in A. Morini dir., Pape et papauté : respect et contestation d’une autorité bifrons, Actes du Colloque International Italianiste de l’EA 3069-CELEC des 01-02 décembre 2011, Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, « Voix d’ailleurs. Etudes italiennes », 2013, e.book https://play.google.com/store/books/details?id=pSARAgAAQBAJ, p. 312-333

Notes

1 Voir en particulier Laura Coci pour ses bilans bibliographiques publiés dans la revue Studi secenteschi (Firenze, Olschki), vol. XXIV (1983 : p. 221 à 306), XXVII (1986) et XXVIII (1987), laquelle renvoie aux « certitudes » de G. Spini (Ricerca dei libertini. La teoria dell’impostura delle religioni nel Seicento italiano, Firenze, La Nuova Italia, 1983 [1950], p. 192/195) ; E. Zanette (Suor Arcangela, monaca del Seicento veneziano, Venezia-Roma, Istituto per la collaborazione culturale, 1960, p. 364) ; C. Varese (Momenti e implicazioni del romanzo libertino nel Seicento italianot, in Libertinismo in Europa, a cura di S. Bertelli, Milano-Napoli, Ricciardi, 1980, p. 255-257) et T. Gregory (Il libertinismo della prima metà del Seicento : stato attuale degli studi e prospettive di ricerca, in Ricerche sulla letteratura libertina e letteratura clandestina nel Seicento, Firenze, La Nuova Italia, 1981, p. 39-41), entre autres ; voir aussi son article « Ferrante a Venezia: nuovi documenti d’archivio (III) », in Studi Secenteschi, Firenze, Olschki, Vol. XXIX (1988), p. 235-263. Rappelons par ailleurs que le Divorzio fut longtemps attribué à Giovan Francesco Loredano, fondateur et animateur premier de l’Académie des Incogniti (1630-1666) aux rangs de laquelle figurait notre auteur ; on sait qu’il contribua à l’édition et à la diffusion sous le manteau de ce libelle. Retour au texte

2 Ferrante Pallavicino. Libelli Antipapali. La Baccinata. Il Divorzio celeste, 2011, a cura di Alessandro Metlica, Alessandria, Dell’Orso (« Manierismo e Barocco » 12), notre édition de référence, donc, p. 53-58 ; l’établissement du texte de la Baccinata repose sur ses éditions 1642 et 1644 (« Nella Stamperia di Pasquino a spese di Marforio »), celui du Divorzio, essentiellement l’édition Villafranca, 1643, considérée comme la princeps, confrontée à d’autres tirages, dont l’exemplaire « Ingolstatt, per Iosef Arlstozz » de la même année (voir p. 48 à 52 de l’édition d’A. Metlica). Dorénavant, les renvois aux deux libelles qui nous intéressent se feront avec les initiales « B » et « D » suivies des pages citées. Retour au texte

3 Depuis, l’attribution définitive de ce libelle à F. Pallavicino a été confirmée par Clizia Carminati (2011) dans un article intitulé « Tra Bergamo e Avignone : l’ultima lettera di Ferrante Pallavicino », in Studi Secenteschi, vol. LII, p. 159-193 (et commenté par A. Metlica aux pages mentionnées dans la note précédente). Retour au texte

4 Qu’on nous permette de citer ces travaux (à réactualiser, pour le premier d’entre eux, au regard de notre remarque en note ci-dessus). Respectivement : « Divorce à la vénitienne ou l’Eglise brocardée : Il Divorzio Celeste (1643) » in M. Viallon dir., Démythification et dérision, Actes du Colloque International du C.L.O.E. (Lyon III, 8/9 novembre 2001), Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2003, p. 105-123 ; « La Baccinata (1643) : Ferrante Pallavicino contre les ‘coglionerie de’ Barberini’ », in A. Morini dir., Pape et papauté : respect et contestation d’une autorité bifrons, Actes du Colloque International de l’EA 3069-CELEC (groupe italianiste) des 01-02 décembre 2011, Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, « Voix d’ailleurs. Etudes italiennes », 2013, p. 312-333 (e.book https://play.google.com/store/books/details?id=pSARAgAAQBAJ). Nous signalerons aussi, dans ce dernier ouvrage, l’étude qui répondait à la nôtre de J.-F. Lattarico, sur l’Antibaccinata de Tomaso Tomasi (p. 188-200). Retour au texte

5 Francesco Vitelli fut nonce apostolique à Venise de 1632 à 1643. Homme de Lettres lui-même, accordant volontiers sa protection aux intellectuels de son entourage, il fut un impitoyable censeur pour les Incogniti les plus intrépides dans leurs écrits anticléricaux voire hétérodoxes. Honni de Pallavicino, il est le dédicataire paradoxal de la Baccinata. Les protestations du nonce devant les autorités vénitiennes figurent dans un document du 20 octobre 1642, dans lequel il déclare : « pour en revenir à ses publications, je suis sur le point de lui en attribuer une autre […] qui traite de choses diaboliques. On y dit qu’ainsi sont les mœurs du Pape ; quant à ma personne, elle est retenue ici, comme * loin de Rome, sous prétexte que, les abeilles naissant des excréments des bœufs, le Pape ne veut pas voir à côté de lui ce dont il est né. » (L. Coci, 1987, in Studi Secenteschi, vol. XXVIII, p. 307 ; l’allusion aux bœufs joue sur le nom du nonce : ‘vitelli’ est aussi le pluriel du mot ‘veau’). Retour au texte

6 Sa mort tragique frappa toute l’Europe, qui fut submergée d’une marée d’écrits s’inspirant du Corriere svaligiato (In Norinberga, per Hans Iacob Stoer, 1641 — une fausse édition, bien sûr ; ce roman épistolaire a inspiré à Montesquieu ses Lettres persanes) ou du Divorzio celeste. On sait aussi que La Philosophie des Courtisanes d’Apollinaire emprunte à La Retorica delle Puttane (Cambrai, 1642). La mode « pallavicinesque » dura jusqu’à la fin du XVIIe siècle, puisque des morceaux choisis de ses oeuvres sont plusieurs fois réédités ou traduits entre 1660 et 1673, et plusieurs œuvres sont tardivement mises à l’Index : le Giuseppe est confisqué en 1659, ainsi que Le Bellezze dell’anima, Il Principe ermafrodito, Il Sansone, La scena Retorica et La Taliclea ; le Dialogo di due gentiluomini acanzi le sera en 1668, alors que Pallavicino est mort depuis vingt-quatre ans ! Retour au texte

7 La ligue soutenant les Farnèse est déclarée le 31 aôut 1641, quelques jours à peine après la publication de la Baccinata, si l’on s’en réfère à la date de la dédicace. Retour au texte

8 « Dovrebbero cessare in Urbano gli spiriti militari, e meglio sarebbe ridurre le sue Api a rifabricar il miele così grato al suo Cristo [les esprits militaires devraient cesser chez Urbain, et il vaudrait mieux que ses abeilles se remettent à fabriquer le miel si cher à son Christ] » (B, p. 63) Retour au texte

9 « e guardisi dal non far avverare la profezia ritrovata in quella gran pietra entro Macerata, ove a caratteri antichi effigiavasi la minaccia del sacco di Roma sotto quel pontefice che avrebbe per insegna le api. […] È proibito il prestar fede a somiglianti pronostici, auguri o altro presagi […] Giova però il prendere queste predizioni per avvisi e avvalersene al fuggire i pericoli [et qu’il se garde de faire que se vérifie la prophétie retrouvée sur cette grande pierre de Macerata, sur laquelle était illustrée, en caractères anciens, la menace du sac de Rome sous le règne de ce pape qui aurait des abeilles pour emblême. […] Il est interdit d’accorder foi à pareils pronostics, augures ou autres présages […] Mais il est utile de prendre ces prédictions comme des avertissements et de s’en prévaloir pour fuir les dangers] » (B, p. 66). Retour au texte

10 « Dunque sappiate, che le urgenze particolari della mia Casa hanno già eretto in Roma un monte, chiamato il Farnese, che obliga le mie fortune a contribuir censo annuale a diversi creditori. Ora, assalito Urbano VIII da spiriti bellicosi in questi ultimi periodi della vita sua, s’immaginò di fabricar sopra questo monte un fortino di varie pretensioni per oppugnar il mio ducato di Castro » (D, p. 109) ; voir aussi p. 107, p. 136-37 (sur les raisons pour lesquelles Urbain, voulant offrir à ses neveux une principauté en propre, arrête son choix sur les possessions des Farnèse, à commencer par Castro) et p. 152-53, où l’évocation de l’approche des troupes du duc Odoardo réveille le souvenir du Sac de Rome en 1527. Retour au texte

11 « Potevano le armi de’ Prencipi collegati nelle confusioni e nei spaventi di Roma, impatronirsi in poche ore di tutto lo Stato ecclesiastico. Poteva il Duca di Modena facilmente acquistar la Città di Ferrara, sopra la quale egli ha così giuste pretensioni. Poteva il Duca di Fiorenza conseguir nel Ducato d’Urbino i feudi pertinenti alla sua Casa per ragione dotale. Poteva la Republica di Venetia vendicar i suoi ben spesso oltraggiati confini. Potevano finalmente tutti uniti redimer dalla tirannide clericale gl’infelici sudditi del dominio romano. Ma chi troppo credulo prestò fede a i negoziati di Barberini, chi ha voluto pensarci bene, chi non ha saputo risolversi a tempo. In somma persero quell’opportunità che il Cielo aveva mandata per servizio della Cristianità. » (D., p. 154). Retour au texte

12 Voir notre article sur la Baccinata cité en note 4, p. 9-10. Retour au texte

13 « Dirà forse che le offese del Duca non sono contro la sua persona, in guisa che possa dispensarsi della rigidezza, ma contro la Chiesa [Il dira peut-être que les offenses du duc ne sont pas contre sa personne, ce qui pourrait le dispenser de rigueur, mais contre l’Eglise] … » (B, p. 70-71). Retour au texte

14 Pallavicino s’inscrit dans la lignée sarpienne des humeurs vénitiennes anticuriales entretenues au sein de l’Académie des Incogniti. Retour au texte

15 « Sono dunque invalide le scommuniche, mentre s’esclude il peccato ch’esserne deve fondamento antecedente [Les excommunications ne sont donc pas justifiées si est invalidé le péché qui doit en être le fondement préalable]. » (B, p. 77). Retour au texte

16 Seul le Livre I, occupé par ce thème, a été publié, mais les deux suivants, que nous sachions, jamais écrits : convaincu de la paternité de l’ouvrage, M. Scotti le considère comme resté interrompu par la mort de l’écrivain (in E. Malato dir., Storia della letteratura italiana, Roma, Salerno Editrice, vol. V, 1997, Sez. VIII, Cap. XV, p. 1189) ; ils devaient s’intéresser aux jésuites (les « bâtards de l’Eglise romaine ») et au « concorso delle altre Chiese al sposalizio di Christo [concours des autres Eglises au mariage du Christ] » (D. p. 100). Retour au texte

17 « Il Padre Onnipotente, persuaso delle ragioni del Figliuolo, si dispone di satisfarlo, ma per proceder con le solite circospezioni della Divina Giustizia comanda a S. Paulo di trasferirsi in terra, affine d’intender le querele de’ mortali e formar diligente processo delle azioni della Sposa Romana, e cosi gli parla », titre du chapitre III, p. 106. Retour au texte

18 L’auteur trouve là l’occasion de louer l’indépendance et la superbe de la République, rappelant les causes de l’Interdit de 1605, justifiant la suprématie de la juridiction laïque sur la juridiction ecclésiastique en terre vénitienne, examinant — dans une veine très paulinienne, comme le sont toutes les allusions à la responsabilité devant Dieu ; cf. Epîtres aux Romains (III, 20) et aux Corinthiens (I, I, 29) — la conformité de la loi vénitienne à la loi du Christ et vantant le zèle catholique de la Sérénissime, qui a jadis maintes fois secouru Rome… ! Retour au texte

19 Voir le titre-résumé du chapitre XVI, p. 138. Retour au texte

20 « … il contenuto della quale era di tal tenore. / Ricordo alla Sereniss. Republica di Venezia. / Tra i prencipi che riveriscono Roma voi siete quello, o Republica Serenissima, che libera da una superstiziosa credulità conservate il vostro cristiano Impero lontano da gl’aggravi d’ogni insidiosa religione … » (p. 111-12). Retour au texte

21 « Desideroso d’intender in qual concetto si trova la Chiesa Romana appresso l’estere genti, ben spesso con questi tenevo ragionamento sopra i punti della Religione [Désireux d’entendre en quelle opinion est tenue l’Eglise romaine par les peuples étrangers, je parlais bien souvent avec eux de points de religion] » (p. 142). Retour au texte

22 « non vaglio più à custodir l’anima d’Urbano VIII. Il tener più a freno i suoi capricci riesce impossibile anche alle forze angeliche ; ed io avendo esperimentato indarno ogni tentativo per ridurlo alla via della ragione, non voglio esponer à più longo sprezzo le divine inspirazioni. Anzi, sto in forse di far un volo al Cielo […] per supplicar […] la divina benignità che si compiaccia disgravarmi dal peso di così travagliosa custodia, che ha in certo modo perturbato tutta la pace del mio angelico stato. » (p. 134). Retour au texte

23 « passando una mattina per certa chiesa, dove si scongiurava un inspiritato, entrai dentro chiamato dallo strepito che si udiva. Subito ch’il demonio s’accorse della mia persona, cominciò ad alta voce a gridare : / Ecco San Paulo, ecco San Paulo ! » (p. 142). Retour au texte

24 « Da parte d’Urbano VIII vegno a riverirvi, o Paulo Santo. Egli è bene informato della condizione del vostro vero essere. Bramarebbe, che vi compiaceste favorir la sua casa con la vostra presenza, perché ambisce d’haver per ospite un forestiere di tanta qualità [Je viens, ô saint Paul, vous présenter les respects du pape Urbain VIII. Il est bien informé de votre véritable condition. Il désirerait que vous daigniez faire l’honneur de votre présence à sa maison, car il souhaite avoir pour hôte un étranger d’une si grande qualité] » (D, p. 143 ; en italiques dans le texte). Retour au texte

25 « ne i tempi d’adesso i Santi devono chiamarsi forestieri nel Stato ecclesiastico » (ibid.). Retour au texte

26 Tout ce qui constitue les « dissolutezze [dissolutions] » du titre et les « abusi di questi tempi [abus de l’époque] » (p. 97), à savoir : ses ingérences temporelles (à Parme, mais pas seulement ; voir les p. 114-15 sur la querelle juridictionnelle entre Rome et Venise), la cupidité et l’avarice (p. 111), l’arrogance et l’hypocrisie des jésuites, l’argutie de sermons destinés à flatter l’oreille et la bourse de l’auditoire plus qu’à édifier les âmes (p. 122), les ambitions mondaines et la corruption des clercs jusqu’au plus haut de la hiérarchie (à l’instar de ce cardinal qui, à sa dernière heure, confesse à saint Paul : « da che ottenni il Cardinalato, giamai più osservai quaresima, giamai più recitai l’ufficio, giamai più confessai a Dio, se non in queste estreme agonie le proprie colpe [depuis que j’obtins la pourpre cardinalice, jamais plus je n’observai le carême, jamais plus je ne récitai la messe, jamais plus je ne confessai mes fautes à Dieu, si ce n’est en ce point extrême de mon agonie] », p. 127), le trafic des icônes (p. 122) et des indulgences — le Christ lui-même s’en indigne, voir p. 104 —, les immunités (en particulier au chapitre VIII, p. 114-15, qui relance à sa manière les débats à l’origine de l’Interdit contre Venise de 1605), les excommunications faciles et abusives (voir le séjour de Paul à Lucques, p. 107-08), l’Inquisition, hors, mais plus encore dans les Etats Pontificaux, comme l’expose un jeune romain de retour vers sa patrie dont il s’est volontairement exilé, las du poids de la surveillance des mœurs jusqu’au cœur des habitations privées (p. 118) et l’Index des livres interdits (voir le chapitre XIV p. 131 à 134), sans oublier le népotisme outrancier. Retour au texte

27 Argomento di tutta l’opera, p. 99. Retour au texte

28 « Ch[ri]sto, poiche vede la Chiesa Romana sua Sposa prostituita alle libidini di molti Sommi Pontefici, e particolarmente di Urbano Ottavo, si risolve di far divortio da essa, non volendo cohabitar più con l’adultera » (ibidem). Retour au texte

29 De même dans L’Anima di Ferrante Pallavicino,  Villafranca, 1665, Vigilia I, p. 16. Retour au texte

30 « les appétits insatiables », les « infâmies », « malhonnêtetés » et « obscénités » maintes fois condamnés dans le texte. Retour au texte

31 Voir p. 104 ce représentatif « conculcano [ils violent] ». Retour au texte

32 Voir notre article sur le Divorzio p. 110 et n. 26. Retour au texte

33 « quando […] gli riuscisse facile l’impatronirsi dell’altrui sostanze, il Mondo può assicurarsi, che se per il passato ogni Giubileo era pretesto d’una gabella, per l’avvenire ogni scomunica sarà pretesto d’una rapina [s’il lui était facile de s’emparer des biens d’autrui, le monde peut être sûr que si par le passé chaque jubilé était prétexte à une gabelle, à l’avenir toute excommunication sera prétexte à un vol] » (p. 108) ; dans L’Anima, cit., l’argument apparaît en des termes très proches (voir p. 49-50). Retour au texte

34 P. 117 ou 138. Retour au texte

35 Insatiable, Urbain « ha […] assorbite tutte le facoltà della Chiesa, e / […] se ne vale solamente per nutrir la superbia, l’avarizia e la tirannide de’ suoi nipoti [a englouti tous les biens de l’Eglise et il ne s’en sert que pour nourrir son orgueil, son avarice et la tyrannie de ses neveux] » (p. 104-05). Retour au texte

36 Et la littérature protestante, dans laquelle la construction de la figure du pape comme antéchrist est topique… Retour au texte

37 « stima che il Pontificato sia più tosto tenuto a servir alla persona, che la persona al Pontificato » (p. 136), « già mai opera quello che crede bene, ma sempre crede bene quello che opera » (138). Retour au texte

38 Et ce jugement porté sur lui : « li teologi, già ché vedono di non poter accommodar i costumi de i pontefici alle leggi, procurano almeno d’accommodar le leggi a i costumi de’ pontefici [les téologiens, étant donné qu’ils ne voient pas comment accommoder les mœurs des pontifes aux lois, essaient au moins d’accommoder les lois aux mœurs des pontifes] » (p. 121). Retour au texte

39 « s’unirono a consulta i principali demonî, uno de quali […] così parlò. / Fratelli, lo Stato degl’ecclesiastici romani si trova in grave pericolo. Egli non è dovere lasciar perire il regno degl’amici. Sarebbe troppo certo il danno di questo Inferno, se caduto esso, seguisse una nova riforma nella Cristianità [les principaux démons se réunirent en conseil et l’un d’eux parla ainsi : Mes frères, les Etats de l’Eglise romaine courent un grave danger. On ne peut laisser périr le royaume de nos amis. Ce serait trop certainement la ruine de cet Enfer si, à la chute de celui-là, s’ensuivait une nouvelle réforme de la chrétienté] » (p. 153 ; les italiques marquent, dans le texte, le passage au discours direct). Retour au texte

40 « ribelle al suo Padrone […] che falsamente vanta a quel grado, di cui mentisce la proprietà e trascura il debito » (B, p. 69). Retour au texte

41 Par exemple, « Cristo instituì un regno pacifico, né giammai ordinò che le sue cause si trattino con armi temporali ; nondimeno li pontefici presenti costumano adoprarle, perché sogliono per ordinario trattar ogn’altra causa che quella di Cristo [le Christ instaura un royaume pacifique et n’ordonna jamais que ses causes se règlent par des armes temporelles ; pourtant, les pontifes actuels [entendons, Urbain VIII] ont coutume de les employer, car ils s’occupent ordinairement de toute autre cause que de celle du Christ] » (D, p. 109 ; voir aussi p. 122). Si un mot définit bien à lui seul l’antagonisme entre le Christ et son représentant corrompu, c’est celui que l’on rencontre dès l’avertissement au lecteur du Divorzio : « t’insegna solamente a destare le malvagie operazioni di quelli che contravengono alla Legge di Cristo [il ne t’apprend qu’à attirer l’attention sur les mauvaises actions de ceux qui contreviennent à la loi du Christ] » (p. 98 ; c’est nous qui soulignons). Retour au texte

42 « fatto [il Pontefice] autore di nuova guerra mentre ch’esser dovrebbe ministro di pace » (B, p. 67) ; même type de ‘jeu’ dans le Divorce : « Cristo con sì poco pane e con sì poca pesce [ha] saziate mille persone, mentre ora si vede che Cristo con tanti milioni d’oro appena può saziare l’appetito d’un solo Pontefice [le Christ a nourri mille personnes avec bien peu de pain et bien peu de poissons tandis qu’on voit de nos jours que le Christ peut à peine satisfaire l’appétit d’un seul pape avec de l’or à milions] », par exemple (p. 104). Retour au texte

43 « fallisce troppo gravemente nel venire con le armi in mano […] e dimostrarsi avido d’immerger il ferro fin nelle viscere di chi aver dovrebbe sicurezza nel suo seno. E pure è vicario di Cristo, che sempre portò pace … » ; « Guerra, guerra ! all’incontro grida Urbano » ; « Beati mites, disse Cristo ; là dove Urbano, corrompendo l’Evangelio, pare che proponga : beati milites » (ibid.) ; le jeu de mots de la dernière citation porte sur Mathieu 75, 4 (« Heureux les doux : ils auront la terre en partage », traduction œcuménique et intégrale de la bible proposée dans la collection « Le livre de poche »). Retour au texte

44 « non tratta di pascere, ma di scorticare le pecore […] non parla d’unirle, ma di dispergerle, non istudia d’accrescere il gregge di Cristo, ma di scemarlo » (B, p. 69). Retour au texte

45 En complément, Rome apparaît comme une anti-Jérusalem, laquelle, même avant que les marchands fussent chassés du Temple, n’était rien en comparaison, au point de laisser le Christ sans mots pour le dire (voir D, p. 104). Retour au texte

46 « Ammanti pur come gli aggrada queste determinazioni con apparenti pretesti dell’onore della Chiesa e di Cristo » (B, p. 93) et « l’avarizia nel mantenimento de’ beni temporali » (B, p. 75). Retour au texte

47 Voir B, p. 73-74. Retour au texte

48 Et au passage, se réjouissant des malheurs passés de Venise aux prises avec les Turcs (B, p. 73-74 et p. 79-80) ! Retour au texte

49 Dans B, voir les « scorticare [écorcher] » (cité ci-dessus), « esterminando [exterminant] », « ruinando [ruinant] » (p. 68), ou des expressions telles que : « fatto armigero anche in decrepita età [devenu homme d’armes même à son âge décrépi] » (p. 68), « le mani armate, anzi allordate nel sangue cristiano [les mains armées et même souillées du sang des chrétiens] » (p. 72), « non d’un semplice coltello, ma di moltiplicate spade e bombarde arma li suoi indiscreti furori, per dissipare, distruggere e abolire un principe cristiano [il arme ses colères immodérées non pas d’un simple couteau, mais de nombreuses épées et bombardes pour dissoudre, détruire et abolir un prince chrétien] » (p. 73), etc. Retour au texte

50 B, p. 90. Retour au texte

51 Voir, dans notre édition de référence, n. 154, p. 90. Dans le Divorce, la lâcheté de Taddeo est longuement décrite aux p. 151-52. Retour au texte

52 « ha risolto Don Taddeo di restare al cuoperto, poiché questo è privilegio de’ coglioni, né altrimenti vuol uscire in campagna. » (B, p. 91). Retour au texte

53 « Voglia Dio che il timore o l’interesse suggeriscano sensi di simile ravvedimento molto desiderabili, mentre arreccaranno pace per la quel gioirà il mondo, e però accrescerà il riso commune promosso in lui dalle coglionerie de’ Barberini » (B, p. 93). Retour au texte

54 « O, mi dirai, questo è un libro contro il Papa. Distingui […] Egli è un libro contro gl’affetti del Papa » (D, Al Scropoloso Christiano, p. 98). Retour au texte

55 Désignés sept fois, dans le Divorce, et Taddeo cinq autres fois. Retour au texte

56 « si combatte contro li Barberini, non contro la Chiesa né il Pontefice » (B, p. 87). Retour au texte

57 « Come padre universale della Cristianità, fallisce troppo gravemente » (B, p. 67). Retour au texte

58 « se il papa sotto sacro manto di padre e di pastore si dimostrasse un lupo rapace, dovrà la dottrina d’un letterato, per non esser vietata, somministrargli ragioni onde egli possa fondar i sacri pretesti delle sue non sacre passioni » (p. 133) Retour au texte

59 « Cristo, che non poteva peccare, ha potuto esser crucifisso ; e un Pontefice ch’è composto d’umanità peccabile, e che forse pecca giornalmente, parrà strano che sia censurato  dagl’altrui giusti rimproveri ? » (p. 97). Retour au texte

60 « Ah, non si sottometta a questa tirannide la penna del letterato ! Scriva con libertà li propri sensi, rimproveri gl’altrui vizi ; che se poi incontra in proibizioni e in censure, è sempre merito l’esser dannato per le colpe altrui. » (p. 134). Retour au texte

61 Le Glorie degl’Incogniti, overo gli Huomini Illustri dell’Academia de’Signori Incogniti di Venetia, Venezia, Valvasense, 1647, p. 138. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Agnès Morini, « Quand l’Antéchrist est un Pape. Urbain VIII sous la plume de Ferrante Pallavicino », Textes et contextes [En ligne], 12-1 | 2017, publié le 21 novembre 2017 et consulté le 22 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=607

Auteur

Agnès Morini

PR, EA 3069 CELEC, Université Jean Monnet/Saint-Etienne – agnes.morini [at] univ-st-etienne.fr

Droits d'auteur

Licence CC BY 4.0