Merlin, l’Antéchrist sage

  • Merlin, the Wise Antichrist

Résumés

Merlin est explicitement une créature destinée à rivaliser avec le Christ et à constituer son opposant maléfique. Au XIIIe siècle, cette idée sous-tend le Merlin de Robert de Boron, par exemple. Nous rappellerons en quoi Merlin a pu être désigné comme antéchrist. Mais, nous observerons aussi comment il déjoue les projets démoniaques pour s’avérer un défenseur du bien. Ce transfert du maléfique vers le bénéfique suscite différentes questions : comment l’expliquer ? Est-ce que le maléfique ne serait pas, dans une certaine mesure, une implication du bénéfique ? Une construction nécessaire destinée à le renforcer ? En outre, dans le cas de Merlin, l’opposition du Bien et du Mal rejoint d’autres questions très liées : celles de l’imposture ou du déguisement ou de la fondation d’un ordre du monde renouvelé, que nous explorerons pour mieux cerner les ambiguïtés constitutives du personnage mais aussi du monde, y compris littéraire, qu’il habite.

Merlin is meant to compete with Christ and to be his malefic opponent. At the beginning of the 13th century, this idea is the basis of Robert de Boron’s Merlin. We will show in wich extent Merlin might be considered as Antichrist. But we will also see how the character thwarts the devil tricks and thus becomes a defensor of good. This movement from evil to good arouses different questions : how can it be understood ? Isn’t evil, in one way, an implication of good ? An invention necessarily meant to reinforce it ? Moreover, concerning Merlin, the opposition of good and evil is linked to other topics : deception, disguise, renewal of life’s and world’s conceptions. We will explore these topics in order to define more precisely the character’s natural ambiguities, together with the ones of his (litterary) world.

Plan

Texte

Voir dans le fameux enchanteur médiéval, Merlin, une figure d’Antéchrist n’est pas une interprétation personnelle ou originale puisque l’assimilation est explicite dès le Moyen Âge et principalement dans l’œuvre de Robert de Boron (fin XIIe-début XIIIe siècle). Même si l’Église n’a pas établi une doctrine explicite sur le sujet, c’est le traité d’Adson de Montier-en-Der (920-994), le De Ortu et tempore Antichristi1, composé entre 949 et 954, qui contient l’essentiel de la définition et des caractéristiques de l’Antéchrist tels qu’a pu s’en inspirer Robert de Boron2 dans son cycle du Petit Saint Graal composé d’un Joseph [d’Arimathie], d’un Merlin et d’un Perceval3. La biographie de Merlin, comme celle de la majorité des personnages de la matière arthurienne, est éminemment évolutive et variable, entre les premières attestations du personnage, depuis les sources légendaires galloises, anglaises ou écossaises, jusqu’aux derniers romans qui lui sont consacrés, en passant par les apports de l’historiographie et en particulier des Prophéties de Merlin, de l’Historia Regum Britaniae4 et de la Vita Merlini5 de Geoffroy de Monmouth (entre 1135 et 1148). Néanmoins l’apport de Robert de Boron est assez décisif pour qu’on puisse considérer que sa vision de Merlin comme Antéchrist soit représentative d’aspects définitoires du personnage. Outre ses images d’homme sylvestre, d’avatar de druide, de conseiller politique ou de stratège, et d’enchanteur amoureux, Merlin revêt un portée spirituelle6 et mythique. Penser Merlin comme Antéchrist permet d’explorer les tensions entre paganisme et christianisme, la relativité du Bien et du Mal ou le passage du politique au poétique… ou inversement. Pour le comprendre on analysera en quoi Merlin est assimilable à l’Antéchrist mais aussi les limites de ce rapprochement.

1. Portrait de Merlin en Antéchrist

Dans le Merlin de Robert de Boron, les choses sont explicites : la naissance de Merlin est motivée par les projets des démons qui cherchent à mettre au monde un être destiné non seulement à nuire aux humains mais encore à rivaliser avec le Christ et à les venger de lui. Pour y parvenir, ils agissent sur plusieurs générations. Ils nuisent au père de Merlin qu’ils mettent à l’épreuve, à la manière d’un nouveau Job : on détruit ses bêtes, ses biens, on tue son fils, son épouse se suicide… Bref, aucune calamité ne lui est épargnée, jusqu’à ce qu’il ne reste que ses trois filles : l’une est adultère et est enterrée vive, en châtiment de sa faute, une autre se prostitue, et ne résiste que la fille aînée, la plus vertueuse et la plus pieuse, qui suit les conseils d’un « preudhomme », un homme sage, pour soutenir les attaques et tentations démoniaques. Toutefois, les démons profitent d’un moment de colère causé par le comportement inconséquent de sa jeune sœur qui vient à la maison avec une bande d’hommes, qui la battent quand elle désire les chasser. Elle est violée pendant son sommeil par un démon qui profite de l’état d’oubli dû à la colère causée par cet événement. Elle s’aperçoit du méfait à son réveil : « lors sot ele bien que ele estoit engignée de l’anemi »7. Par conséquent, « À la naissance, il possédait le savoir et la puissance du diable, et il ne pouvait en être autrement puisqu’il avait été conçu par lui »8.

De fait, Merlin présente différents traits qui l’assimilent à l’Antéchrist. Il est capable d’agir sur son environnement par la seule puissance de sa voix ou de sa volonté : le roi Uterpandragon9 veut marquer l’histoire d’un exploit, Merlin lui conseille de faire venir des pierres énormes qui sont en Irlande et il affirme qu’il se chargera de les redresser. « Alors, par ses artifices, Merlin fit venir les pierres d’Irlande jusqu’au cimetière de Salisbury, et elles y sont encore ». « Jamais personne ne vit de si grosses pierres »10. On estime qu’il s’agit du site encore très mystérieux aujourd’hui de Stonehenge. Merlin est polymorphe, métamorphique. Il prend tour à tour l’apparence d’un vieillard ou d’un infirme. Ainsi, il emprunte « l’apparence d’un homme d’un grand âge »11, quand il se présente à Uter. L’enchanteur peut en outre altérer l’apparence d’autrui12 et il se sert de cette capacité pour tromper Igerne et permettre à Uterpandragon de passer une nuit d’amour avec elle, en lui faisant prendre l’apparence de son époux le duc de Tintagel13. Il semble d’ailleurs que l’apparence véritable de Merlin ne soit garantie qu’à Uter et Pandragon, une fois que l’enchanteur a établi un lien privilégié avec eux, ce qui souligne le lien entre l’apparence et la vérité de l’être : « Soyez certains que je ne modifierai plus mon apparence [pour révéler mon aspect véritable] si ce n’est seulement pour vous, en particulier »14.

Merlin peut également revêtir une apparence animale depuis la Vita Merlini du XIIe siècle jusqu’à des romans plus récents du XIIIe siècle comme La Suite Huth du Roman de Merlin de Robert de Boron15 ou Le Roman de Silence d’Heldris de Cornouailles16, par exemple. L’animal avec lequel il est particulièrement associé est le cerf, puisqu’il lui arrive de vivre parmi une harde, dans la Vita Merlini. Son compagnon privilégié est alors un loup. D’autre part, dans le Livre d’Artus17, autre roman du XIIIe siècle, Merlin se couvre d’une peau de loup. Or le loup est traditionnellement lié au règne de l’Antéchrist. Dans le Livre d’Artus, Merlin prend aussi l’apparence d’un dragon. Chez Robert de Boron, notre œuvre de référence, il semble comprendre particulièrement aisément les secrets et les senefiances portés par les dragons, animaux liés symboliquement à l’Antéchrist, comme ceux qui ébranlent la tour de Vertigier, en se trouvant à ses fondements. Merlin explique ainsi à Vertigier : « Veux-tu savoir pourquoi ta tour s’écroule, pourquoi elle ne peut tenir et qui fait s’écrouler l’édifice ? […] Sais-tu ce qu’il y a sous cette tour? […] Il y a deux dragons qui ne voient rien. L’un est roux et l’autre blanc, et ils sentent leur presence réciproque »18. Vertigier demande : « ‘Merlin, explique-moi la signification des deux dragons’. Et Merlin répondit alors à Vertigier: ‘Vertigier, le roux, c’est toi, et le blanc symbolise les fils de Costan’ »19. Merlin indique également à Pandragon, dont le nom semble suffisamment transparent, de porter sur son enseigne, au combat, « Un dragon vermeille volera dans l’air entre le ciel et la terre »20. « Alors Merlin expliqua à Uter la signification du dragon qui volait en l’air »21 : il annonce la mort de Pandragon au combat et la promotion royale d’Uter, qui prendra d’ailleurs le nom d’Uterpandragon.

Merlin est de façon générale associé à une animalité inquiétante et sauvage, jusque dans l’innocence de son plus jeune âge puisqu’il naît anormalement velu : « il est né ainsi et quand les femmes l’ont vu et l’ont pris dans leurs bras, elles en ont eu une grande frayeur, parce qu’elles le voyaient si velu et couvert de plus longs poils encore qu’elles n’en avaient vu à aucun enfant »22. Merlin, comme, dans une certaine mesure, l’Antéchrist incarne une forme d’anti-civilisation. Le règne de l’Antéchrist marque une rupture dans l’évolution des temps. Autour de Merlin, les puissants se succèdent et surtout le pouvoir change de mains : du roi Moine à Vertigier, de Vertigier aux fils de Costanz, Uter et Pandragon. Merlin accompagne et favorise ces changements en devenant le conseiller des puissants.

Pourtant, en dépit de ses affinités avec le pouvoir, dans le jugement de la communauté, Merlin, tout comme l’Antéchrist, devient une forme de bouc-émissaire. On conseille à Vertigier d’utiliser son sang, le sang de l’enfant sans père, afin de le mêler au mortier pour édifier sa tour et éviter qu’elle ne s’écroule comme elle le fait jusque-là : « J’enverrai chercher le sang de l’enfant »23 et « j’ordonne qu’il soit mis à mort et que son sang soit apporté de la façon que nous t’avons indiquée »24. L’enfant est menacé d’être sacrifié pour le salut et surtout pour le prestige de celui qui est au pouvoir.

Comme le message de l’Antéchrist, malaisé à comprendre, voire à dépister, et partant insidieux aux yeux de ceux qui cherchent à le déjouer, les prophéties de Merlin resteront volontairement obscures, comme il en fait la déclaration : « Je ne parlerai désormais plus qu’obscurément devant le peuple »25. « Et Merlin commença à prononcer ces paroles obscures dont fut fait son lire de prophéties »26. Le pouvoir de l’Antéchrist est un pouvoir subtile et parfois indécryptable.

2. Au-delà des analogies, des ambivalences…

Ce que nous avons observé sur la propension au déguisement ou à l’imposture mérite d’être nuancé ou éclairé. Quand Merlin altère les apparences, il ne s’agit pas pour lui véritablement de tromper son interlocuteur ou de rechercher le pouvoir. Il emprunte l’apparence des plus faibles : enfant, vieillard, animal… Quand il cherche véritablement à tromper, comme vis-à-vis d’Uter, ce n’est pas une finalité en soi, mais il le fait dans une perspective constructive, comme s’il s’agissait d’un mal pour un bien. De fait, Merlin semble pouvoir être considéré comme un héros de la vérité voire de la révélation bien plus que de l’imposture. Deux phénomènes, radicalement propres au personnage, soulignent ce point, chez Robert de Boron : le langage très précoce et le rire de Merlin. À dix-huit mois, Merlin se met à parler à sa mère, quand celle-ci se lamente à haute-voix sur son sort, en sa présence, et exprime sa crainte d’être mise à mort : « l’enfant la regarda et dit : ‘Mère, n’ayez pas peur, vous ne mourrez pas à cause de moi.’ Quand la mère entendit son enfant parler, elle perdit connaissance et s’en effraya, elle le lâcha d’entre ses bras, et l’enfant se mit à pleurer en tombant par terre »27. Merlin se met même paradoxalement à rire, face à la détresse maternelle : « l’enfant errait dans la tour et vit sa mère qui pleurait, alors il se mit à rire et à exprimer une grande joie »28. Ce rire correspond à son assurance, à sa connaissance de l’avenir et à son amusement devant l’erreur et l’illusion d’autrui : « Et l’enfant répond : ‘Chère mère, ils mentent. Vous ne serez jamais déshonnorée de mon vivant, et il ne se trouvera personne qui ose s’en prendre à vous ni vous menacer de mort, hormis Dieu »29.

Le rire de Merlin est souvent conçu comme une forme d’incongruité ou de déraison. Selon le souvenir de la première épître aux Corinthiens, III, 18, cette folie aux yeux des hommes est sagesse aux yeux de Dieu. Ainsi, l’ambivalence de Merlin, son double héritage maléfique et bénéfique souligne une certaine conception de la sagesse qui se nourrit de ces deux versants du réel. Le juge même de la mère de Merlin « reconnaît bien que [l’enfant] parle avec sagesse »30. Cette sagesse de Merlin est reconnue par tous, y compris par ceux qu’il accuse ou met en difficulté et elle apparaît comme une expression du juste positionnement entre le maléfique et le bénéfique, plus encore que comme un choix absolu entre l’un et l’autre. Cette sagesse tient également dans la rétention d’une partie de la vérité, quand elle n’est pas bonne à dire. Quand le juge a fait venir sa mère que Merlin a mise en question précédemment, Merlin lui propose de ne pas chercher à en savoir plus et de simplement acquitter sa propre mère. Le juste milieu entre la connaissance de la vérité, le rétablissement du droit et du bien, et une forme d’intériorisation du mal ou de l’injustice, d’acceptation au moins momentanée de son existence, d’un point de vue pragmatique, permettraient à la société de continuer à fonctionner. De fait, la remise en question du juge, si elle sert Merlin et sa mère, ne sert en rien l’ensemble de la société contemporaine. L’assistance paraît s’accorder non seulement avec les révélations de Merlin, mais aussi avec cette forme de lucidité puisque le narrateur conclut : « Que tous ceux qui verront cet enfant sachent qu’ils n’en ont jamais vu de plus sage »31. Merlin a alors deux ans et demi. Il semble particulièrement sensé.

Toutefois, à différentes reprises, Merlin révèle certains secrets32 qui scellent la communauté qu’il habite. Il contribue à dévoiler les usurpateurs comme Vertigier, sénéchal du roi Costanz. Il rend justice aux deux héritiers légitimes de la couronne : Uter et Pandragon, fils de Costanz. Ainsi Merlin prend publiquement la défense de sa mère quand les juges viennent l’interroger avant le supplice. Il joue alors de sa capacité à révéler ce qui est caché, et notamment les secrets liés aux adultères et donc à la filiation, lui qui est l’enfant sans père. De même, quand il assiste au deuil d’un couple dont l’enfant est mort, Merlin fait observer à la mère, devant le père éploré : « Madame, vous savez bien que ce n’est pas son fils [à celui qui croit être le père de l’enfant et pleure] ; mais nous savons bien que c’est le fils de ce prêtre qui chante là »33. D’ailleurs, ce sont souvent des religieux qui s’avèrent être les pères naturels des enfants illégitimes. Très ironiquement, ceux qui lui font reproche de sa paternité sont plus coupables que Merlin de filiations illicites.

Merlin révèle au juge, qui s’apprête à condamner sa mère pour ses mœurs prétendument corrompues, puisqu’elle ne peut désigner de père pour son enfant, qu’il n’est pas le fils de celui qu’il croit son père : « Et l’enfant se mit en colère et dit : ‘Je connais mieux mon père que tu ne connus jamais le tien. Et ta mère sait mieux qui t’engendra que la mienne ne sait qui m’engendra, moi »34. De fait, la mère de Merlin ne peut désigner le père de l’enfant puisqu’il s’agit d’un démon qui est intervenu pendant son sommeil. Il disculpe sa mère et accuse celle du juge, en même temps qu’il témoigne de son savoir surnaturel, si bien qu’on ne peut que lui concéder : « Tu dis vrai. Je ne sais d’où te vient ce savoir, car tu en sais plus que nous tous »35. Ainsi, les ambiguïtés constitutives du personnage sont aussi celles du monde, y compris littéraire, qu’il habite.

D’autre part, ces ambivalences de la proximité de Merlin avec l’Antéchrist passent par une égale proximité avec le Christ36, à la fois avec le souvenir que l’Antéchrist se définit par rivalité avec le Christ mais aussi par référence au Christ, pour lui-même en tant que héros positif. Ainsi, le dernier cri de Merlin fait écho au cri du Christ sur le Golgotha : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (diversement rapporté dans Matthieu XXVII, 5, Marc, XV, 33, ou Luc XXIII, 44…). Pour inciter Blaise, le scribe qu’il élit mais qui se défie de lui en raison de son ascendance démoniaque, à lui accorder sa confiance, Merlin lui promet : « Je t’apprendrai à mériter l’amour de Jésus-Christ et la joie éternelle »37. Dans cette logique de comparaison de Merlin avec le Christ, Viviane-la Dame du Lac, la compagne et disciple traîtresse, peut apparaître comme un souvenir de Judas.

De fait, ce que nous présentons comme ambivalence ou ambiguïté fait partie de la constitution même du personnage qui est un Antéchrist racheté dès sa naissance38, selon Robert de Boron, par la pénitence maternelle, donc intrinsèquement à la fois maléfique et bénéfique, sinon plus bénéfique que maléfique : « Et Notre Seigneur qui connaît et sait tout, en vertu de la pénitence de sa mère, du moyen de la confession, et du sincère repentir qu’il savait être dans son cœur, parce qu’elle n’avait péché ni de son plein gré ni par sa propre volonté, et par la puissance du baptême par lequel elle avait été purifiée, ne voulut pas que le péché puisse lui nuire et Dieu accorda [à Merlin] de connaître les choses qui sont à venir »39. Merlin lui-même énonce cette double ascendance : « Je connais les choses dites et passes, et je les tiens de ma nature démoniaque. Et notre Seigneur qui est puissant m’a accordé la capacité de connaître les choses à venir. Et pour cette raison, les ennemis m’ont perdu, puisque je n’agirai jamais selon leur volonté. À présent vous savez d’où me vient le pouvoir de faire ce que je fais »40. L’enchanteur explique encore : « Il est habituel pour les coeurs malveillants de remarquer davantage le mal que le bien. De même que tu m’as entendu dire que j’avais été conçu par le diable, tu m’as entendu dire que notre Seigneur m’avait donné sa capacité de connaître les choses qui sont à venir. Et pour cette raison, si tu étais sage, tu devrais savoir auquel je devrais me tenir »41. Merlin souligne qu’il ne s’agit pas seulement d’une duplicité, mais d’un choix intérieur, qu’il présente comme évident, du bénéfique sur le maléfique.

3. Le maléfique a fonction d’équilibrage

La plus claire conséquence de ces ambivalences est l’image générale de Merlin, dans une grande partie des œuvres médiévales et ultérieures, y compris dans l’œuvre de Robert de Boron : Merlin est plutôt un personnage positif que négatif. Quelque inquiétant et atypique qu’il soit, il est le compagnon et l’adjuvant de personnages fondamentaux du monde littéraire où il évolue. Ainsi, il est à l’origine d’Arthur et il garantit sa puissance. Dans une certaine mesure, d’Antéchrist, Merlin devient un anti-Antéchrist, c’est-à-dire une figure de sauveur de l’humanité42. En outre, si l’Antéchrist vise à asseoir son pouvoir sur le monde et à perdre définitivement l’humanité, il est très significatif de constater l’effacement43 progressif et volontaire de Merlin, notamment par le biais de Viviane-la Dame du Lac qui l’entombe tout vif dans les récits qui prennent la suite de Robert de Boron et témoignent de la façon dont a été compris son Merlin-Antéchrist. La seule limite de ce constat est la transmission des savoirs et du rôle de protecteur d’Arthur à Viviane-la Dame du Lac. Même si Merlin n’est plus, sa tâche se poursuit. En outre, cette transmission est paradoxale puisque Merlin élit celle qui doit causer sa perte. Lui qui connaît les secrets de l’avenir semble se diriger très consciemment vers sa fin, comme pour montrer que la part maléfique qu’il porte, par son ascendance démoniaque, doit être effacée du monde. Une part de sa puissance se retourne donc contre lui. Un second biais de la transmission est celle qui passe par la mise à l’écrit des faits et connaissances de Merlin, notamment par le personnage de Blaise, confident élu par l’enchanteur, confesseur de sa mère, à qui il confie ce qu’il souhaite laisser au monde : « Je te dirai beaucoup de choses, et tu y mettras ce que nul autre que moi ne pouvait te dire »44. Cette déclaration est particulièrement intéressante pour nous puisqu’elle souligne l’unicité de Merlin, et elle met en lumière l’importance de sa parole et de sa mise à l’écrit, dans une forme de manifeste en faveur du pouvoir de l’écrit. Merlin est celui qui dit ce que nul autre ne pourrait dire et ses paroles méritent d’être mises par écrit… En cela, il se rapproche non seulement de l’Antéchrist, mais encore de l’écrivain, dont les propos se situent par-delà le bien et le mal et, même si les auteurs ne cessent de s’en défendre, se placent sous le signe d’une forme de nouveauté.

Puisque nous nous interrogeons ici sur la construction du maléfique, il faut observer que le maléfique s’élabore à partir du bénéfique, voire par l’incorporation, y compris par contre-pied, de ce même bénéfique. On peut aller plus loin : il semble fondamentalement, dans l’élaboration du personnage de Merlin, et particulièrement quand il est rapproché de l’Antéchrist, que maléfique et bénéfique sont deux contre-points internes et qu’ils ont réciproquement des fonctions d’équilibrage. Merlin l’énonce lui-même très explicitement : « Le diable avait formé son corps, mais notre Seigneur y mit l’esprit pour entendre et comprendre. Et il lui en avait plus fait don qu’à tout autre parce qu’il en avait grand besoin. On verrait donc bien à qui il se tiendrait »45. Il faut accorder d’autant plus d’aspects bénéfiques à Merlin qu’il est porteur d’éléments maléfiques. Or cette conception doit s’articuler, au plan religieux, avec la question du statut de la créature et de son indépendance par rapport au créateur, à son pouvoir d’émancipation, de liberté ou de libre pensée. On se situe là encore par-delà la présence brute du Bien et du Mal en l’être mais davantage au plan de l’expression des choix du personnage. Merlin est pris dans le conflit cosmique que se livrent Dieu et Satan, bien en deça de son individualisation en tant que personnage. En ce sens, Merlin contient du Mal et du Bien, bien plus qu’il n’est bénéfique ou maléfique. Son affinité avec la merveille lui permet de rejouer par ces actes et révélations l’équilibre des forces qui tiennent le monde. Je propose d’ailleurs de lire dans cette optique l’épisode du combat des deux dragons au cours du passage consacré à la tour de Vertigier. Nous l’avons vu, Merlin propose une interprétation de ce combat. Très simplement, en faisant références aux codes symboliques communs, on peut conclure à une victoire du bien sur le mal puisque « je vous dis bien que le blanc tuera le roux »46. Toutefois, il me semble préférable de nuancer cette impression, en souvenir de la nature hybride, entre bénéfique et maléfique, de Merlin, lui-même, puisqu’il semble bien que la victoire du dragon blanc ne soit que bien ténue puisque « ils se combattirent tant que du feu et des flammes sortirent de la bouche et des narines du blanc, si bien qu’il brûla le roux. Et quand le dragon roux mourut, le dragon blanc se traîna à l’écart, il se coucha et ne vécut plus que trois jours »47. Le dragon blanc ne survit que bien peu au dragon roux qu’il a vaincu, comme si l’image du Bien ne pouvait dominer radicalement celle du Mal, comme le choix de Merlin ne peut être considéré que comme une tension perpétuelle qui met en péril la totalité de son être et en programme, dans une certaine mesure, la fin ou l’aporie. En termes littéraires, la mise en avant de la nécessité du choix de Merlin permet le creusement du personnage, avec toutes les limites que cela comporte au Moyen Âge, et la création d’une attente ou d’un suspens pour le lecteur.

Dans cette mesure, on pourra ici se demander non seulement ce qui construit le maléfique mais ce que construit le maléfique. De fait, il semble bien chez Merlin que l’ascendance maléfique produise la nécessité de se porter vers le bien pour assurer la survie même du personnage et de ses proches. Merlin est bon à proportion de son ascendance maléfique et même, dans une certaine mesure, Merlin est au-delà du bien et du mal. Ce transfert du maléfique vers le bénéfique suscite différentes questions : comment l’expliquer ? Est-ce que le maléfique ne serait pas, dans une certaine mesure, inversement, une implication du bénéfique ? Une construction nécessaire destinée à le renforcer ? De fait, bibliquement, l’évocation de l’Antéchrist vise à renforcer la foi et la vigilance des croyants. En d’autres termes, on agite le spectre maléfique pour susciter le bien et la recherche du bénéfique. Le maléfique est un instrument du bénéfique dans une logique de puissance divine surplombante positive ne souffrant aucune rivale équivalente.

Conclusion

Puisqu’un certain nombre des chercheurs qui ont travaillé sur ce beau sujet s’intéressent au domaine hispanique, j’aimerais m’intéresser à El Baladro del Sabio Merlín, daté de 1260-127048. Dans ce roman, le cri de Merlin, enfermé dans son tombeau par Viviane-la Dame du Lac, est entendu par le chevalier Baudemagus à qui il annonce la chute du royaume de Logres pour la raison qu’Arthur perd en lui le seul ami capable de conjurer le désastre. Merlin prophétise une forme d’apocalypse, ouvrant sur un règne de malheurs et la fin de la chevalerie. Il s’approche là de l’Antéchrist qui conduit à la fin d’un monde. Toutefois Merlin pourrait être celui qui empêcherait l’effet de l’Antéchrist. Ainsi Baudemagus veut libérer Merlin mais seul Tristan pourra un jour rouvrir la dalle du tombeau. Merlin apostrophe son père démoniaque comme le Christ apostrophe ensuite son père :

« Ah créature mauvaise et vile et trompeuse, affreuse et maudite, épouvantable à voir et à entendre, et de tel renom que jadis tu fus fleur de beauté et occupas le siège béni dans l’église du ciel en toute allégresse !... créature maudite, et de funeste augure, et renégate et orgueilleuse, qui par ton arrogance voulus prendre la place de Dieu, et enfin fus précipitée avec ta chétive et misérable troupe ! […] Et voici que tu m’as trompé par ton orgueil et ta superbe, maudite et mauvaise créature, que tu m’as frappé contre toute raison, puisque cette fois Dieu m’a oublié et me repousse comme étant de tes fidèles, et qu’il me fait avoir une mauvaise fin parce que je suis ta chair »49.

Puis, grande singularité de ce roman, Merlin meurt.

De fait, dans cette œuvre, Merlin expie un péché originel pour lequel il ne semble pas avoir de responsabilité, en oubliant le rachat qu’on trouvait chez Robert de Boron, grâce à la pureté de sa mère. Cette vision christianisée est très sévère chez l’auteur espagnol. Merlin pousse alors un dernier cri qui couvre tout le Royaume à deux jours de distance. En l’entendant, Baudemagus s’effondre de saisissement et gît au pied du sépulcre de Merlin50. Baudemagus apporte à la cour d’Arthur la nouvelle de la mort de Merlin. L’œuvre ne dit pas si et comment Tristan parviendra à trouver tombe de Merlin.

Cette version retient l’intérêt, dans la perspective qui est la nôtre, puisque cette mort définitive de Merlin semble vouloir gommer la part démoniaque de l’enchanteur qui meurt comme un homme naturel. Mais s’il n’est pas un Antéchrist, il n’en devient pas pour autant vainqueur de l’Antéchrist, puisque Merlin ne pourra pas sauver le royaume de Logres. Toutefois, s’il s’agit d’un échec au plan diégétique, cette catastrophe est également un choix littéraire. En littérature, c’est bien l’aspect maléfique des temps aventureux que l’on retient et qui émancipe la tradition du Graal d’une pure propagande religieuse. En ce sens, Merlin, Antéchrist paradoxal, devient une figure de la création littéraire.

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Notes

1 Adson de Montier-en-Der 1976. Retour au texte

2 Paul Zumthor reprend point par point ce que Robert de Boron reprend de la carrière de l’antéchrist pour l’appliquer à Merlin (Zumthor 2000 : 172-173). Retour au texte

3 On admet communément que Robert de Boron a d’abord écrit son Joseph en vers, avant de le traduite en prose et de lui donner une suite. Aucun texte n’explique les motivations de cette réécriture, mais on peut penser que l’un des enjeux est la coloration de la prose, associée à la vérité religieuse et/ou historique. Il s’agissait de donner davantage de gravité et d’authenticité au propos qui participe à la logique de la translatio studii et imperii, et de légitimation de la chevalerie et de la royauté par une ascendance chrétienne. Retour au texte

4 Voir Mathey-Maille 1992. Retour au texte

5 Voir Desgrugillers 2013. Retour au texte

6 Zumthor 2000 :177 signale « Cette réussite [de Robert de Boron] d’avoir fait du Merlin des chroniques, sec et sans âme, le héros d’une magnifique épopée spirituelle, reste unique dans la littérature ». Retour au texte

7 Robert de Boron 1981 : 85. « Elle comprit bien qu’elle avait été abusée par l’ennemi ». Toutes les traductions de l’ancien français proposées ont été réalisées par l’auteur de l’article. Retour au texte

8 Ibid. : 91 : « quant il fu nés, si ot le sens del diable et le pooir, et bien le dut avoir, comme cil qui conceüs en estoit ». Retour au texte

9 Uter et Pandragon sont les noms de deux personnages mais Uter prend finalement les deux noms, à la mort de Pandragon. Retour au texte

10 Ibid. :157: « Lors fist Merlins venir par force d’art les pierres d’Irlande el cimetire de Salibere, qui encore i sunt ». « Nus hom ne vit onques si grosses pierres ». Retour au texte

11 Ibid. : 140 : « une samblance d’un viel home quenu ». Retour au texte

12 Merlin trompe Uter, aussi, en lui envoyant une lettre qu’il fait passer pour une lettre de la femme qu’il aime : « la samblance del garçon qui avoir aportées les letres » (Ibid. : 143 ; « l’apparence du jeune homme qui avait apporté la lettre »). Retour au texte

13 Merlin explique son plan à Uterpandragon en ces termes : « je vous baillerai la samblance le duc, qu’ele de lui ne vos counoisse » (Ibid. : 171 ; « je vous donnerai l’apparence du duc, afin qu’elle ne puisse faire la différence entre lui et vous »). Pour l’occasion, Ulfin, proche conseiller du roi, et Merlin lui-même prendront l’apparence des deux chevaliers compagnons habituels du duc de Tintagel. Retour au texte

14 Ibid. : 145 : « saciés que je ne muerai mais a piece me semblance se a vos non priveement ». Retour au texte

15 Roussineau 1996. Retour au texte

16 Heldris de Cornouailles 2007 et 2000 : 459-557. Retour au texte

17 The Vulgate Version 1908-1916 et Artus de Bretagne 2015. Retour au texte

18 Op. cit. : 126 : « vuels tu savoir por quoi ta tor kiet, et por quoi ele ne puet tenir, et qui abat l’uevre ? […] Ses tu qu’il a desous ceste tor ? […] si a deus dragons qui ne voient goute. Si est li uns rous et li autres blans, et si sent bien li uns l’autre ». Retour au texte

19 Ibid. : 131: « Merlin, di moi la senefiance des deus dragons ». Et lors dist Merlins a Vertigier : « Vertigier, li rous dragons senefiera toi, et li blans senefiera les fils Costan ». Retour au texte

20 Ibid. : 155 : « un dragon vermel qui volera par l’air entre ciel et terre ». Retour au texte

21 Ibid.: 156 : « Lors conta Merlins a Uter la senefiance del dragon qui voloit par l’air ». Retour au texte

22 Ibid.: 92 : « Ensi fu cil nés, et quant les femes le virent et le reçurent, si en orent grant paor, pour çou que eles le virent plus pelu, et plus grant poil avoir que eles n’avoient veü as autres enfans ». Retour au texte

23 Ibid. : 115: « envoiera[i] querre le sanc de l’enfant ». « J’enverrai chercher le sang de l’enfant » (ma trad.). Retour au texte

24 Ibid. : 115 : « commande qu’il soit ocis et que li sans [l]’en soit aportés en ceste manière que nos t’avons dit ». Retour au texte

25 Ibid. : 151 : « je ne parlerai mais devant le peule se oscurement non ». Retour au texte

26 Ibid. : 152 : « Et Merlins commença lors ses oscures paroles a dire dont ses livres fu fais des profecies ». Retour au texte

27 Ibid. : 93 : « li enfes le regarda et dist : « Mere, n’aiés paor, que vous ne morrés ja par cose qui por moi soit avenue ». Quant la mere oï son enfant parler, si li fali tous li cuers, et s’en esmaia, et lascha les bras, et li enfes commença a braire quant il fu cheüs a terre ». Retour au texte

28 Ibid. : 94 : « Et li enfes aloit par le tor et vit se mere qui ploroit, si commença a rire et a faire samblant de grant joie ». Retour au texte

29 Ibid. : 94 : « Et li enfes respont : « Bele mere, or mentent. Vous ne serés ja honie tant com je vive, ne ne trouverés qui vous ost adeser ne metre a justice de mort fors Diu ». Retour au texte

30 Ibid. : 98 : « counoist bien que [l’enfant] dist que sages ». Retour au texte

31 Ibid. : 101 : « par raison sacent tot cil qui cest enfant verront que il ne virent onques plus sage ». Retour au texte

32 Merlin est aussi celui qu’on met à l’épreuve et qu’on essaie de tromper. Quand devient devin « officiel » du roi Pandragon, un chevalier se fait prédire sa propre mort trois fois, sous des habits différents, pour voir si Merlin annonce trois fois la même chose. Merlin donne en apparence trois réponses différentes, mais en fait trois morts à la fois cou brisé, pendu et noyé, ce qui arrive lors d’un accident de cheval, lors du passage d’une rivière sur un pont. Retour au texte

33 Ibid. : 123 : « Dame, vous savés bien que ce n’est pas ses fils ; ains savons bien que ço est fils a cel provoire qui la cante ». Retour au texte

34 Ibid. :  97 : « Et li enfes s’en coreça et dist : « Je counois miels mon père que tu ne fesis onques le tien. Et ta mere set miels qui t’engenra que la moie ne sace qui m’engenra ». Retour au texte

35 Ibid. : 97 : « Tu dis voir. Je ne sai dont cis sens te vient, car tu sés plus que nos tot ». Retour au texte

36 Zumthor 2000 : 174-175 souligne l’utilisation par Robert de Boron des rapprochements avec la figure christique. Walter 2000 évoque même l’échec de Merlin comme Antéchrist car les démons sont peu inventifs et se contentent de calquer le Christ. Retour au texte

37 Robert de Boron 1981 : 102 : « je t’aprendrai a avoir l’amor de Jhesucrist et joie pardurable ». Retour au texte

38 Voir Zumthor 2000 : 63 : « un Antéchrist racheté avant même sa naissance ». Retour au texte

39 Robert de Boron 1981 : 91 : « Et nostre Sire qui tout counoist et set, par la penitance de la mere et par l’errement de le confession et par la buene repentance que il sot que en son cuer avoit, ne par son gré ne par sa volenté ne li estoit avenu, et par la force del batesme dont ele estoit lavée en fons, volt nostre Sires que li peciés ne li peüst rien nuire, si li douna Deus pooir de savoir les coses qui sont a venir ». Retour au texte

40 Ibid. : 158 : « je sai les coses dites et alées, et si les tieng par nature d’anemi. Et nostre Sire qui est poissans m’a doné le sens de savoir les coses qui sont a venir. Et por çou, si m’ont li anemi perdu, que jour n’ouvrerai ja a lor volenté. Or savés vous dont li pooirs me vient de çou que je fac ». Retour au texte

41 Ibid. : 102-103 : « Il est costume de tels mauvais cuers qui le notent ançois le mal que le bien. Ensi come tu m’oïs dire que jou estoie conceüs de diable, si m’oïs tu dire que nostre Sire m’avoir douné son memoir de savoir les coses qui sont a avenir. Et por çou, se tu fusses sages, devroies tu savoir auquel je me devroie tenir ». Retour au texte

42 Zumthor 2000 : 173 avance que « Merlin serait ainsi d’une certaine manière le contraire de l’Antéchrist ». Retour au texte

43 Suivant les textes, il est vrai, on concède la possibilité d’un dernier cri de Merlin, d’un appel au secours dont il sait qu’il ne pourra pas avoir de succès puisque La Dame du Lac, seule peut rouvrir le caveau où l’enchanteur est entombé vivant. Il est même question d’un texte intitulé le Cri de Merlin d’un maître Hélie, qui rapporterait cet épisode. Suivant les œuvres, on attribue à tel ou tel chevalier l’audition de ce dernier cri et éventuellement la consignation des prophéties de Merlin, transmises à travers la dalle du tombeau. Il faut encore concéder que, suivant les textes, on admet que Merlin meurt dans cet ultime lieu, ou, qu’il pourra un jour ou l’autre en être libéré comme d’après une longue dormition. Retour au texte

44 Robert de Boron 1981 : 104 : « je te dirai molt de coses, que tu i metras çou que nus hom fors moi ne te pooit dire ». Retour au texte

45 Ibid. : 92 : « diables li ot le cors formé, et nostre Sire i met esperit por oïr et por entendre. Et il a cestui en a plus douné que a autrui por çou que grans mestiers li estoit. Lors verra bien au quel il se devroit tenir ». Retour au texte

46 Ibid. : 128 : « je vous di bien que li blans dragons ocira le rous ». « Je vous dis bien que le blanc tuera le roux » (ma trad.). Retour au texte

47 Ibid. : 129 : « tant se combatirent que au blanc sailli feus et flame par la bouce et par les narines, si en arsi le rous. Et quant li rous dragons fu mors, si se traist li blans d’une part, si se couça, et ne vesqui que trois jors ». Retour au texte

48 Baudry 2007 : 232 sq. Retour au texte

49 El Baladro 1907 : 3-162, 153 a-b. Voir également Michon 1980 et El Baladro 1957-62. Retour au texte

50 El Baladro 1907 : 153b-154a. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Myriam White-Le Goff, « Merlin, l’Antéchrist sage », Textes et contextes [En ligne], 12-1 | 2017, publié le 21 novembre 2017 et consulté le 25 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=516

Auteur

Myriam White-Le Goff

MCF HDR, Langue et Littérature médiévales « Textes et Cultures », E.A. 4028, Université d’Artois (Arras), 9 rue du Temple, BP 10665, 62030 Arras Cedex

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