Images de l’entre-deux : l’Irlande du Nord dans les films Divorcing Jack et ’71

  • Somewhere in between: Images of Northern Ireland in the films Divorcing Jack and ’71

Résumés

Le cinéma, à travers sa construction discursive, sa voix indépendante et sa portée populaire, offre un véhicule unique pour aborder la violence politique en Irlande du Nord liée à la division sectaire. Les films sur ce conflit politique, assez répandus depuis ces trois dernières décennies, ont reflété les changements en Irlande du Nord et ont donc participé à l'évolution de la société. Cet article, qui traite de deux films sur le début et la fin des Troubles - Divorcing Jack (1998) de David Caffrey et ’71 (2014) de Yann Demange - observe la lutte incertaine du « héros » qui, pour une raison ou une autre, se trouve dans une zone dangereuse « entre deux » factions. Notre intention ici est de nous concentrer sur ces deux films, à la croisée de genres différents, qui dépeignent le sort des individus qui n'appartiennent à aucune communauté. L'article aborde les questions d’un espace entre-deux, une notion qui bouscule les stéréotypes et les représentations de l’Irlande du Nord.

Cinema, through its discursive construction, its independent voice and its popular reach, offers a unique medium to address Northern Ireland’s political violence linked to the sectarian divide. There has been a growing number of films about the political conflict in the last three decades which have reflected the changes in Northern Ireland and therefore taken part in the course of the evolution of society. This article, which deals with two films about the beginning and the end of the Troubles—Divorcing Jack (1998) by David Caffrey and ’71 (2014) by Yann Demange—focuses the uncertain struggle of the “hero” who, for one reason or another, finds himself in a dangerous zone between two factions. Our intention here is to focus on both films, at a crossroad of different genres, which portray the fate of individuals who don’t belong to any community. The paper tackles the questions of an in-between space, which is a notion that debunks stereotyped representations of Northern Ireland.

Plan

Texte

Les arts visuels, images fixes ou animées, nécessairement propices aux transferts culturels, aux échanges de récits, façonnent, dans le présent, des identités individuelles et collectives. Si l’entre-deux s’entend comme une recomposition des représentations, le cinéma s’avère un espace particulièrement privilégié, matérialisant l’entre-deux, notamment dans le rapport histoire et fiction, c’est-à-dire les images filmiques données à voir sur un événement ou une période de l’histoire ou d’une société en mouvement. Cet article porte sur les images et les enjeux du discours filmique des films Divorcing Jack (1998) de David Caffrey et 71 (2014) de Yann Demange dans le contexte politique, social, culturel et historique en Irlande du Nord et au Royaume-Uni. La production de films portant sur le conflit politique nord-irlandais (de 1968 à 1998) fut particulièrement importante pendant la période du processus de paix (1990-1998). Au-delà du témoignage qu’ils portent sur les changements historique, politique et sociétal, qui se sont produits en Irlande du Nord, leurs images cinématographiques du conflit qui se révèlent de différents genres, proposent un entre-deux, un forum situé entre la sphère institutionnelle et la sphère publique. Comme l'explique Francesco Casetti dans son ouvrage Les Théories du cinéma, « le film ne constitue jamais un duplicata de la réalité environnante : au contraire, il n'en sélectionne que quelques fragments, il les charge de sens, les rend fonctionnels pour une histoire ou une thèse, les compacte en une nouvelle unité » (Casetti 2008 : 145). L’historien Marc Ferro – qui catégorise les discours de l’Histoire en trois types : « histoire générale ou officielle », « histoire mémoire » et « histoire-fiction » – fut l’un des pionniers à étudier le cinéma en tant que source historique et à attribuer au film un rôle « d’agent de l’histoire » (Ferro 1993 : 107).

Actualité ou fiction, la réalité dont le cinéma offre l’image apparaît terriblement vraie ; on s’aperçoit qu’elle ne correspond pas nécessairement aux affirmations des dirigeants, aux schémas des théoriciens, à l’analyse des opposants. Au lieu d’illustrer leurs discours, il lui advient d’en accuser la dérision […]. Le film a cet effet de déstructurer ce que plusieurs générations d’hommes d’État, de penseurs, avaient réussi à ordonner en un bel équilibre. Il détruit l’image du double que chaque institution, chaque individu, s’était constitué devant la société (Ferro 1993 : 39).

Aussi, le cinéma, dans sa construction discursive, à travers sa voix indépendante et sa portée populaire, constitue un entre-deux offrant à la fois une version alternative à « l’histoire officielle » ainsi qu’une « nouvelle unité » d’un récit du passé dont la résonance s’inscrit dans le présent. Selon Marc Ferro, dans le cas de l’histoire-fiction, « on choisit des informations qui semblent significatives au moment où l’œuvre s’accomplit. Ce n’est pas le passé qui est aux commandes, (…) mais le présent » (Ferro 1993 : 214). En effet, l’Irlande du Nord est explorée sous la lumière du processus de paix dans le film Divorcing Jack (1998) de David Caffrey et dans le film 71 (2014) de Yann Demange, réalisé après le processus de paix. La démilitarisation et l’abandon de la violence politique de la société nord-irlandaise ayant contribué au développement de productions de films, ouvrent, dans la sphère publique, un espace de réinterprétation de l’histoire ou encore de médiation, axe qui sera l’un des objets de l’étude dans cet article. L’observation de la notion d’entre-deux traitera également du positionnement individuel de celui qui se trouve volontairement ou involontairement hors du conflit politique. Existe-t-il un entre-deux possible en Irlande du Nord se laissant repérer depuis le positionnement marginal qui, dans ces deux films, est celui du soldat britannique et du journaliste, deux figures se situant hors du codage que met en place le communautarisme binaire et sectaire ? En dépit des seize années qui séparent la sortie de ces deux films et des deux périodes différentes explorées – l’aube du processus de paix dans Divorcing Jack et les Troubles du début des années 1970 dans ’71 – ces films se distinguent parmi les représentations cinématographiques du conflit politique nord-irlandais et se concentrent sur un personnage principal qui n’appartient à aucun camp. Celui-ci se trouve être la victime des deux groupes paramilitaires opposés : l’IRA (Irish Republican Army) et l’UVF (Ulster Volunteer Force). Bien qu’hybrides, les genres cinématographiques de Divorcing Jack et 71 s’ancrent dans la comédie pour le premier et le thriller pour le second. La forme, tout autant que le contenu, offrent de nouvelles perspectives sur ces périodes, en adoptant une distance parodique, empreinte de dérision, vis-à-vis des clivages politiques et religieux et en décloisonnant les frontières de la division sectaire pour mettre en lumière le périlleux parcours de l’individu qui se positionne hors du sectarisme. Les deux films en question ne proposent pas une vision binaire du conflit en plaçant au centre celui qui ne revendique aucune appartenance communautaire. Leur positionnement « ailleurs » ou nulle part permet de projeter à l’écran la complexité de la reconstruction de la société nord-irlandaise en offrant un espace de remédiation et une relecture du passé. Ces questions sont au cœur de cet article qui, afin de dégager la spécificité de ces deux films, présentera d’abord la production cinématographique liée à l’Irlande du Nord, puis traitera des films Divorcing Jack et 71, à travers les perspectives novatrices brisant les stéréotypes qu’ils projettent à l’écran.

1. Les films sur l’Irlande du Nord, un espace de relecture de l’histoire

Les films traitant à la fois des Troubles (1968-1998) et du processus de paix1 ont été majoritairement réalisés au cours des années 1990 et 2000, c’est-à-dire pendant le processus de paix et surtout à partir de la signature de l’Accord du Vendredi Saint (10 avril 1998)2. Alors que la tradition nationaliste irlandaise analyse les rapports entre l’Irlande et le Royaume-Uni selon le paradigme colonial, la tradition unioniste ne peut imaginer une Irlande sans les Britanniques, en dehors du Royaume-Uni. Les images filmiques constituent un entre-deux ouvert à toutes les communautés d’appartenance, par-delà les allégeances exclusives et opposées. Si l’interprétation de ces deux récits de l’histoire explorée dans les films peut cristalliser et figer les discours historiques ou, inversement, les dynamiser, on constate que les films représentent majoritairement la communauté catholique nationaliste et républicaine masculine. En effet, certains acteurs du conflit politique sont relativement absents de l’image cinématographique, notamment la communauté protestante ou encore les femmes, sous-représentées du point de vue politique, figurant essentiellement comme victimes du conflit politique. Depuis le rétablissement des institutions politiques en Irlande du Nord en 2007, si chaotiques soient-elles3, les réalisateurs ont revisité les Troubles d’un point de vue différent en représentant, par exemple, un soldat britannique comme victime du sectarisme dans la ville de Belfast, ce qui est le cas de ’71. Les films sortis pendant les Troubles représentaient ce conflit en Angleterre en se focalisant principalement sur l’IRA. Hennessy de Don Sharp (1975), The Long Good Friday de John Mc Kenzie (1979), A Prayer for the Dying de Mike Hodges (1987) et Hidden Agenda de Ken Loach (1990) explorent les répercussions des Troubles en Angleterre et véhiculent l’image de l’IRA à travers des individus isolés de la société ou encore des groupes non identifiés, invisibles à l’écran. Il est à noter que le propos du film The Long Good Friday ne traite pas directement du conflit nord-irlandais. Le point de vue est celui du parrain de la pègre londonienne qui finit par chuter, notamment parce qu’il ne comprend pas ce qu’est une lutte armée pour une cause politique, ce qui rend l’IRA indécodable à l’écran. Le discours filmique de Hidden Agenda se concentre sur les supposées conspirations/machinations impliquant le gouvernement conservateur de l’époque. Ces films à la croisée des genres cinématographiques de gangster et thriller d’espionnage rendent le conflit opaque et incompréhensible, renforçant les représentations stéréotypées relatives à cette situation. L’idéologie républicaine appartient au hors champ, ce qui rend un portrait d’autant plus menaçant et une vision relativement simpliste, voire manichéenne, du conflit. Angel de Neil Jordan (1982) et Cal de Pat O’Connor (1983), réalisés par des cinéastes irlandais, représentent la violence politique exclusivement en Irlande du Nord, et par conséquent donnent une autre dimension au conflit. Angel explore l’aspect métaphysique de la violence, et dépeint les Troubles à travers les yeux d’un saxophoniste qui parcourt l’Irlande du Nord, apparaissant comme un paysage onirique et cauchemardesque. Le film démontre que la violence est cyclique, sans début ni fin, puisqu’il n’y a pas d’arbitre en Irlande du Nord, du moins que la police ne protège pas la population. Le film dénonce implicitement la collusion entre la RUC et les paramilitaires loyalistes. Cal, dans une structure narrative tragique et un décor réaliste, dénonce la violence paramilitaire républicaine ainsi que la violence paramilitaire loyaliste tout autant criminelle et dont l’aspect sectaire est particulièrement développé. Si le film suggère une vie intercommunautaire possible, dans la mesure où de riches protestants offrent un travail et un logement à un catholique dont la maison a brûlé à la suite d’un acte criminel loyaliste, il illustre de façon sous-jacente le conflit politique nord-irlandais à travers la conquête du territoire ainsi que le sectarisme en Irlande du Nord dont les catholiques sont les principales victimes. Maeve, de la réalisatrice nord-irlandaise Pat Murphy (1981), fait figure d’exception par rapport aux « images filmiques masculines » dans la mesure où il explore les Troubles à travers le regard féministe qu’une femme porte sur la communauté catholique et l’IRA en s’exilant à Londres. Le point de vue féministe de Maeve dépeint le portrait des femmes irlandaises soumises à l’autorité masculine républicaine. Le film tente de démontrer que les mythes fondateurs républicains tiennent les femmes à l’écart du discours officiel de l’histoire de l’Irlande et du conflit politique nord-irlandais.

Les films tournés pendant le processus de paix se focalisent sur l’Irlande du Nord. On observe une dynamique pacifiste étant donné que ces films présentent des héros qui ne sont pas dans l’IRA ou qui tentent de s’en écarter. Inspirés d’une approche post-coloniale, les films The Crying Game (1992) de Neil Jordan et High Boot Benny (1993) de Joe Comerford remettent en question les stéréotypes du conflit politique en se concentrant sur la quête de l’identité en Irlande du Nord. Some Mother’s Son de Terry George (1996) et H3 (2001) de Les Blair abordent le sort des prisonniers républicains lors des grèves de la faim, du point de vue d’une mère de détenu pour le premier et le second sacralise la mémoire collective des prisonniers républicains. Le film Silent Grace (2001) de Maeve Murphy aborde également les grèves de la faim mais à travers l’expérience des femmes activistes de l’IRA dans la prison d’Armagh. In The Name of The Father (1993) de Jim Sheridan représente le scandale judiciaire des « Quatre de Guilford ». The Boxer (1997) de Jim Sheridan explore le parcours d’un boxeur qui s’émancipe de l’IRA en luttant contre le sectarisme à Belfast et porte aussi sur les positions divergentes internes à l’IRA relatives au premier cessez-le-feu de 1994. Titanic Town (1998) de Roger Mitchell met en scène une femme catholique qui milite pour la paix intercommunautaire. Bloody Sunday (2002) de Paul Greengrass et Sunday (2001) de Charles McDougal retracent l’une des tragédies de l’histoire en Irlande du Nord qui a exacerbé les Troubles, celle du Dimanche sanglant, le 30 janvier 1972, lorsque quatorze manifestants de Derry meurent sous les tirs des parachutistes de l’armée britannique, lors de la marche pour défendre leurs droits civiques. Les films Nothing Personal (1995) de Thaddeus O’Sullivan, Resurrection Man (1998) de Marc Evans et As the Beast Sleeps (2001) de Harry Bradbeer se concentrent sur la communauté protestante représentée à travers les portraits de loyalistes radicaux et des paramilitaires. Enfin, avec Divorcing Jack, le film An Everlasting Piece (2001) de Barry Levinson est la seconde comédie qui explore les Troubles en usant de parodie et de satire pour représenter les paramilitaires en Irlande du Nord. Ce film porte sur la réconciliation entre catholiques et protestants par le biais de deux héros issus de chaque communauté qui se lancent ensemble dans un commerce de perruques, une entreprise œcuménique en Irlande du Nord, incongrue au regard de la période en question. Ces deux comédies révèlent particulièrement la mouvance du processus de paix dans la mesure où il est possible, au cinéma, de prendre de la distance et de rire d’une période tragique de l’Irlande du Nord. Alors que le parcours du binôme mène à la réussite dans An Everlasting Piece, celui du héros solitaire dans Divorcing Jack est beaucoup plus chaotique.

2. Divorcing Jack : Un entre-deux en Irlande du Nord situé dans un nouvel espace-temps

Si le renoncement à la violence politique est le thème développé dans les films réalisés pendant le processus de paix, Divorcing Jack témoigne également d’une reconstruction toutefois fragile de l’Irlande du Nord. Ce film donne à voir de nouvelles images de Belfast et le territoire incertain, ouvert, de l’entre-deux se lit à plusieurs niveaux : dans le parcours du personnage principal et par la représentation du passage de la fin des Troubles à la mise en place du processus de paix via les institutions politiques. Cet espace-temps de l’ouverture possible esquissé à travers le prisme de la comédie remet en question la violence politique en la ridiculisant et en usant de l’humour noir.

Le film contextualise l’action dans une situation fictive, une période située dans le temps juste après la signature de l’Accord du Vendredi Saint, en se projetant dans l’avenir d’une Irlande du Nord constitutionnellement autonome, saisie au moment de la campagne électorale de son Premier ministre. Malgré l’optimisme qui émane du processus de paix représenté dans Divorcing Jack, le film en dépeint un portrait plutôt sombre et cynique en usant d’hybridité en termes de genres cinématographiques : un thriller qui se manifeste à travers la comédie et l’humour noir4. Les meurtres continuent de se perpétrer sur des victimes innocentes, les actes de violences découlant souvent de situations cocasses, la violence paramilitaire est subvertie et parodiée. Le processus de paix, quant à lui, est dépeint avec cynisme5. Soulignant l’absurdité de la violence en Irlande du Nord, le scénario mêle des scènes de la vie quotidienne et ordinaire à des scènes tragiques, laissant entendre que malgré l’évolution de la situation politique et la période d’optimisme qui en résulte, le quotidien des Nord-irlandais demeure extrêmement imprévisible et violent. La spécificité de Divorcing Jack se situe donc dans l’imbrication du drame et du rire, de la tragédie et de la plaisanterie grotesque. Comme Pierre Sorlin l’observe, certains films font de l’ironie « un moyen de ne pas céder au désespoir : il faut se moquer de tout, sinon la situation deviendrait intenable » (Sorlin 1997 : 163). Il note aussi que dans les comédies de ce genre :

l’effet comique intervient de manière inattendue, souvent au terme d’une scène où s’est amorcée une fausse piste, et il rassure le spectateur qui y retrouve des situations ou des mimiques familières. Les moments dramatiques sont en revanche annoncés puis largement développés (Sorlin 1997 : 159).

Si certains critiques jugent le ton du film irrévérencieux eu égard à la complexité du conflit politique nord-irlandais et aux tragédies qu’il a engendrées en pointant l’humour noir6, le fait même qu’il soit désormais possible d’utiliser l’humour (qu’on le considère déplacé ou non) pour dépeindre l’Irlande du Nord témoigne de l’amorce d’une distance possible, d’une période entre-deux, que constitue le sas de la représentation d’une fiction cinématographique pour explorer le conflit politique nord-irlandais. Divorcing Jack présente également la particularité d’avoir été tourné intégralement en Irlande du Nord, alors que les autres films abordant le même sujet furent pour la plupart tournés dans le Sud pour des raisons budgétaires mais également de sécurité7. Le film est issu d’une production nord-irlandaise stricto sensu, les maisons de production étant la BBC Films, Scala, The Arts Council of England et The Arts Council of Northern Ireland. Le scénario écrit par Colin Bateman (1994), qui a lui-même adapté son roman pour le cinéma, s’émancipe d’une vision binaire et revendique la position flottante de l’entre-deux. Alors que ses romans sont très appréciés en Irlande du Nord, ils ne connaissent en général pas le même succès de l’autre côté de la frontière8. Issu de la communauté protestante et unioniste nord-irlandaise, Colin Bateman explique qu’il n’est pourtant en aucun cas politisé ou religieux9. De fait, le conflit politique nord-irlandais dans le film est utilisé comme source de parodie et non comme vecteur d’une vision partisane. Cette position de l’entre-deux est incarnée par le personnage principal, le journaliste Dan Starkey (David Thewlis) dont la lecture satirique de la société nord-irlandaise va mettre sa propre vie en péril.

L’intrigue suit ce journaliste alcoolique, désabusé, à la vie dissolue10, qui tente de couvrir l’actualité à Belfast, entre le fragile processus de paix et les camps paramilitaires réfractaires à ce processus. Les chroniques satiriques qu’il écrit sur la vie politique nord-irlandaise pour un journal de Belfast, Belfast Evening News, reflètent cette tonalité acerbe, l’action étant située à la veille des élections du Premier ministre nord-irlandais. L’une des premières scènes s’ouvre sur un lâcher de ballons devant l’hôtel de ville de Belfast, et sur cette bande-image, le son diégétique fait ressortir de façon tangible le sentiment d’euphorie à l’égard du candidat favori : la bande-son fait retentir de manière assourdissante le nom de Michael Brinn et les slogans11, via des haut-parleurs situés dans toutes les rues. La journée doit être « joyeuse et optimiste » comme le rédacteur-en chef de Dan Starkey lui demande d’écrire dans son article, mais le journaliste ne suit pas cette consigne et raille le potentiel futur Premier ministre en faisant allusion à ses liens avec les paramilitaires12. Les articles de Dan Starkey révèlent donc le décalage entre l’engouement relatif pour la renaissance des institutions nord-irlandaises et la vision cynique de cette même situation relatée par un journaliste qui ne croit pas à l’avenir supposé prometteur de l’Irlande du Nord, estimant que le pouvoir serait corrompu si le candidat Michael Brinn remportait les élections. Ce passage de la fin des Troubles à l’aube d’un nouvel avenir, n’est pas envisagé comme radieux par le journaliste, qui dépeint avec scepticisme, voire pessimisme, cette période dans Divorcing Jack, reflétée comme un entre-deux incertain de l’évolution politique et institutionnelle en Irlande du Nord. Dan Starkey va à contre-courant de l’optimisme général et le film met en scène un héros qui se moque de la politique nord-irlandaise. En usant d’ironie pour décrire les hommes politiques qui seront peut-être amenés à diriger la province, son regard sur cette société le positionne dans un entre-deux où il ne peut qu’être marginal, par rapport aux postures normées, opposées, qui ainsi s’entretiennent mutuellement.

Le montage du film, ici ancré esthétiquement dans la comédie, renforce le portrait satirique de la politique en mettant en lumière l’aspect artificiel de cette effervescence : tous les bâtiments sont filmés en surexposition et la luminosité de la ville est excessive. De même, la première prise de vue du candidat brosse un portrait grotesque de Michael Brinn (Robert Lindsay) car la scène de la conférence de presse, filmée en contre-plongée, souligne la démesure de la popularité du personnage. Entouré d’une horde de journalistes principalement composée de femmes, ses talents du séducteur prévalent sur ceux du stratège politique éclairé, ce qui d’emblée réduit considérablement sa crédibilité. Ainsi, en suggérant que la situation politique est intrinsèquement corrompue étant donné le passé paramilitaire violent du futur Premier ministre, la perspective d’un avenir meilleur s’ouvrant pour la ville de Belfast semble compromise et la joie ambiante surfaite. Derrière l’enthousiasme exacerbé et ces images rayonnantes et inédites célébrant la renaissance de la ville de Belfast, Divorcing Jack démontre que tout n’est qu’artifice et que cette façade ne parviendra pas à camoufler les crimes, la violence et la corruption politique qui ont profondément meurtri la ville et continueront de se perpétuer.

Dan Starkey, héros malgré lui (voire anti-héros), est de surcroît piégé dans une intrigue où il se trouve à la fois poursuivi par l’IRA, l’UVF et la police, et n’échappe que de peu à la mort. Il se retrouve en effet accidentellement impliqué dans un meurtre le propulsant au cœur du conflit opposant les factions paramilitaires. Après être sorti acheter une pizza, Dan Starkey se rend dans l’appartement de Margaret (Laura Fraser), la jeune étudiante avec qui il a récemment eu une aventure. Cette jeune fille était en fait l’ancienne petite amie du leader de l’IRA, Cow Pat Keegan (Jason Isaacs). Le journaliste la retrouve ensanglantée et mourante, lui tendant une cassette audio sur laquelle est écrit Dvorac. Ce dernier mot que Margaret peine à prononcer est compris comme ‘Divorce… Jack’ par Starkey. Celui-ci prend cette cassette audio compromettante pour le candidat à l’élection. En effet, à la place d’un enregistrement de musique classique, il s’agit des aveux de Michael Brinn, révélant son implication dans un attentat à la bombe perpétré par l’IRA qui a fait de nombreuses victimes.

Dès lors, Dan Starkey, qui se trouve victime d’un chantage à propos de la cassette, est confronté à l’enlèvement de sa propre femme par l’IRA. En outre, une autre victime des terroristes paramilitaires, un journaliste américain travaillant avec Dan Starkey pour couvrir l’actualité nord-irlandaise, se fait tuer après avoir été torturé par l’IRA. Il en ressort que la paix en Irlande du Nord est utopique et relève bien de la fiction dans Divorcing Jack. La dernière scène du film réduit à néant tout espoir d’avenir politique dans la région. La mise en scène symbolise ici le parcours du héros mettant sa vie en péril par son positionnement éthique qui est incompatible avec le contexte politique du moment, manifestement toujours ancré dans la violence. Dan Starkey, détenant la cassette compromettante, se trouve physiquement situé entre Michael Brinn qui veut la récupérer afin d’éviter un scandale d’État et Cow Pat Keagan qui exige en échange de l’argent et le pouvoir. Les deux rivaux, déterminés à extorquer à Dan Starkey cette cassette, exigent aussi du journaliste qu’il rende une image positive d’eux dans la presse. Ils ont recours au mode opératoire terroriste qui consiste, entre autres, à proférer des menaces, à faire du chantage et à prendre en otage des innocents. En effet, à la fin de cette scène, Dan Starkey, devenu l’otage des deux terroristes, échappe de peu à la mort. Le film se termine sur l’explosion des voitures que les deux hommes avaient piégées eux-mêmes et ces derniers périssent. Ainsi disparaissent tout candidat, toute élection et tout espoir de renaissance institutionnelle. Cet « état des lieux » souligne le vide institutionnel ou du moins l’absence de résolution de cette question. Le mot de la fin est donné à Dan Starkey qui exprime son désespoir quant à la situation politique qui déshumanise fondamentalement la vie des Nord-irlandais en se focalisant sur le sort des « individus »13 dont le parcours individuel est de facto étouffé ou anéanti ceux qui détiennent le pouvoir. La notion de l’entre-deux ici est pointée comme une rupture entre la société civile et les politiques. La diégèse du film est concomitante de la dévolution du pouvoir, la décentralisation politique mise en œuvre en Écosse et au pays de Galles par le gouvernement New Labour mené par Tony Blair. Nick Redfern, dans son propos sur le film (2010 : 135-149), évoque la similitude entre le personnage de Michael Brinn et le Premier ministre en question, en termes de popularité comme candidat aux élections. Si le titre du film Divorcing Jack pourrait faire allusion, métaphoriquement, à l’image de l’Union Jack en décomposition et représenter un entre-deux qui pourrait désunir les quatre nations du Royaume-Uni, il s’avère que pour le cas spécifique de l’Irlande du Nord, l'arrivée au pouvoir de Tony Blair le 1er mai 1997 a donné un second souffle au processus de paix dans la mesure où l’IRA a annoncé un nouveau cessez-le-feu en juillet 1997, lequel a ouvert la porte à de nouveaux pourparlers. Aussi, la fin radicale du film peut également être interprétée comme un nouveau départ pour une Irlande du Nord qui resterait à construire dans une société sans criminels, sans terrorisme ni corruption politique.

Si le film laisse entendre que la violence politique est toujours inhérente au paysage nord-irlandais, cependant, de manière paradoxale, il laisse entrevoir un nouvel imaginaire de l’Irlande du Nord notamment grâce aux images inédites de la ville de Belfast. Divorcing Jack, par le prisme de la comédie, ne dépeint pas un tableau lugubre de Belfast et offre une iconographie inédite dans l’ensemble des représentations cinématographiques abordant le même sujet. En effet, les représentations traditionnelles associées aux Troubles sont absentes du film : ni tanks de l’armée britannique, ni soldats, ni hélicoptères, ni peintures murales (reflets de revendications sectaires) ne figurent dans ces images filmiques. À la place, le film explore de nouvelles représentations de Belfast en faisant abstraction du sectarisme. La ville est montrée comme une ville moderne, en voie de gentrification, voire de destination touristique, ou même de mondialisation. En effet, le film met en scène de nouveaux quartiers, évoquant un entre-deux qui ouvre des horizons pour d’autres possibles. Les édifices flambant neufs et les rues commerçantes suggèrent la nouvelle vie trépidante des gens de Belfast, telle une ville qui pourrait prospérer comme n’importe quelle autre grande ville d’Europe.

La plupart des films réalisés avant les cessez-le-feu n’avaient pas été tournés à Belfast mais dans d’autres lieux. Inévitablement, cette nécessité d’utiliser des lieux de substitution (comme Dublin, Londres et Manchester) a renforcé la vision de Belfast comme étant un endroit abstrait, appartenant au domaine imaginaire, dépourvu de marqueurs spécifiques géographiques et physiques. Il manque des ‘points de repère’ […], ce qui a donné l’impression que Belfast n’était pas un endroit réellement habité. Cependant, en filmant dans la ville, l’équipe de réalisation de Divorcing Jack a eu pour objectif de montrer une réalité qui n’apparaît pas dans les films antérieurs, tout en représentant le ‘nouveau’ Belfast émergeant à la suite du processus de paix. […]. Par conséquent, le film […] cherche aussi des endroits qui sont inédits dans la représentation cinématographique de la ville : les banlieues du sud de Belfast, le Quartier de la Cathédrale rénové, la salle de concert et parc des expositions modernisés (Waterfront)14.

De la même façon, il y a rupture dans la culture visuelle de la représentation de la police nord-irlandaise. La RUC (Royal Ulster Constabulary) est exclue du paysage dans Divorcing Jack, elle est remplacée par une entité fictive nommée NIPD (Northern Ireland Police Department) et dont l’acronyme renvoie à l’image de la police new-yorkaise (NYPD : New York Police Department). La loi sur les pouvoirs spéciaux de 1922 avait donné à la RUC des pouvoirs supplémentaires pour le maintien de l’ordre. Ouverte à l’origine aux catholiques comme aux protestants, elle est rapidement devenue une force de police protestante. La RUC qui, pendant les Troubles, était majoritairement constituée d’officiers de police protestants et unionistes, a été à plusieurs reprises mise en cause pour des brutalités et pour son attitude partiale, prenant pour cible les catholiques. Le gouvernement britannique, via un rapport publié en 1971, avait de son côté nié les violences imputées aux forces de la RUC15. En écartant cette force de police du paysage socio-politique nord-irlandais, tel que le dépeint le film, le discours filmique tente d’apaiser ou d’éviter la frontalité conflictuelle, en proposant une voie autre, moins binaire, faisant ressortir des modalités différentes, à la fois de conflit et de médiation possible, une Irlande du Nord moins clivée, avec des zones d’entre-deux en ce moment de passage de la période des Troubles à une société dans un processus de paix.

Le film propose également une nouvelle image des paramilitaires qui suscite le rire en ayant recours à la comédie, notamment empreinte de la stratégie esthétique du burlesque. Les membres de l’UVF, loin de correspondre au profil du terroriste ou du psychopathe d’un thriller – récurrent dans les films traitant du même sujet – ne parlent presque pas dans Divorcing Jack, communiquent entre eux par des gestes et des échanges de regards, ont des mimiques qui dérivent de la pantomime, du gag et de la farce. Par ailleurs, leur apparence physique est totalement atypique en termes d’iconographie dans la mesure où les paramilitaires ne portent pas de cagoule noire mais un chapeau, une chemise et des bottes de cowboy. Le thème principal du western Les Sept mercenaires est utilisé comme bande-son extra diégétique lorsque les membres de l’UVF se lancent dans la nuit, en sortant d’un pub, à la poursuite de Dan Starkey. Les paramilitaires de l’IRA ne sont pas épargnés, au point qu’en lieu et place d’une cabane délabrée au fin fond d’un comté de l’Ulster16, le chef de l’IRA habite une luxueuse demeure qui a des allures de ranch. L’iconographie du western contribue ainsi à établir la dimension baroque du paysage de la violence politique de Divorcing Jack, où la violence paramilitaire est subvertie et parodiée et où l’excentricité des situations renforce la comédie, selon le principe selon lequel « l’excès annule la tragédie » (Sorlin 1997 : 156). En termes d’intertextualité entre les genres cinématographiques, on peut d’ailleurs ajouter qu’un entre-deux se joue ici entre le western et le western spaghetti qui a apporté, dans les années soixante, l’ambivalence et une amoralité impitoyable au genre du western qui établissait des frontières claires entre les héros et les personnages redoutables qui réglaient leurs comptes en plein jour, « à la loyale ». Alors que la binarité du conflit nord-irlandais, de fait propice à une représentation par des codes narratifs fermés, donc sans entre-deux, la parodie, nourrie de différents genres cinématographiques dans le film, brise ces codes et opère un effet d’ouverture, un entre-deux. Les paramilitaires de tout bord sont ridiculisés et la comédie présente un tableau satirique des républicains et des loyalistes, observés du même point de vue. Ce portrait annule à la fois toute question idéologique et tout traitement manichéen du conflit. Celui-ci est finalement subverti en termes d’iconographie, bousculant les codes que l’on associe aux identités traditionnelles nord-irlandaises. Le dernier exemple à ce sujet pourrait être illustré par le personnage de Lee (Rachel Griffith) une religieuse, de prime abord, qui vient en aide à Dan Starkey lorsqu’il est poursuivi par les paramilitaires de l’UVF (Schwerter 2018). Alors qu’il est gravement blessé, cette femme le fait monter en voiture et lui apporte des soins par la suite. Au cours de cette scène, Starkey découvre que Lee, déguisée en religieuse, est en réalité une infirmière qui travaille comme strip-teaseuse de nuit, l’image de l’Église catholique étant ainsi parodiée à travers le personnage de Lee. Ainsi, dans Divorcing Jack, les repères identitaires et institutionnels sont revisités par le prisme de la comédie, suscitant le rire. Cette lecture du passé relativement récent offre une distance, un entre-deux, propice à une remédiation du conflit.

Ce qui nous est donné à voir dans le film n’en est pas moins une vision ambivalente de l’avenir de Belfast. Divorcing Jack génère cet entre-deux, entre optimisme à travers la renaissance de la ville, et pessimisme à travers les personnages résolument violents et corrompus de Michael Brinn et Cow Pat Keagan, les civils qui continuent à subir la violence sectaire, et enfin par le regard que porte Dan Starkey sur l’évolution de la société nord-irlandaise. En tant que journaliste, son défi professionnel est de couvrir l’actualité de façon objective et il est confronté à des risques élevés. Il met sa propre vie en danger en cherchant à faire son travail tout en refusant de répondre au chantage et aux exigences des paramilitaires. La mort du journaliste américain démontre que le positionnement impartial lié à la fonction demeure une prise de risque qui peut être fatale et le film suggère que la dangerosité de l’entre-deux reste d’actualité17. Le recours à l’humour noir dans Divorcing Jack prouve l’absurdité de la situation et le choix d’une iconographie inédite reflète la coexistence surréaliste à Belfast de deux univers aussi ordinaires que terrifiants, une oscillation, dans le sillage d’un processus de paix à la fois transitionnelle et par définition, instable, entre espérance et désespérance. Ce portrait surréaliste de la ville de Belfast est également dépeint dans le film 71 combinant le réel et l’étrange à travers le regard du personnage principal, un soldat anglais, envoyé à Belfast en 1971 et piégé dans l’entre-deux de la violence sectaire qui sévit cette année-là.

3.71 : Images inédites d’un soldat piégé entre deux factions

Le film 71 (2014), du réalisateur britannique Yann Demange18, offre des images tout à fait inédites des Troubles à l’écran dans la mesure où le point de vue émane d’un soldat anglais qui, contrairement aux nombreuses représentations cinématographiques antérieures, n’est pas celui qui traque principalement les Nord-irlandais catholiques, mais celui qui se fait agresser, traquer par les deux camps paramilitaires opposés : l’IRA et l’UVF. Le soldat de l’armée britannique devient une victime impuissante, piégée dans l’entre-deux sans attache communautaire. Tout comme les civils, il est vulnérable, pris dans la violence sectaire et il lutte pour sa survie. En ce sens, 71 rompt avec les stéréotypes cinématographiques dominants. Le jeune soldat Gary Hook (Jack O’Connell), issu d’un milieu social défavorisé du nord de l’Angleterre, est recruté par l’armée britannique et envoyé à Belfast en 1971. En décalage avec les autres films (de fiction) qui projettent des images de soldats britanniques tous représentés de façon identique, dans l’exercice de leur mission dans un contexte de guerre et aux ordres de leurs supérieurs, le début du film de 71 présente le personnage dans son contexte familial et se concentre sur la personnalité de Gary Hook, soulignant son caractère doux et ingénu. Le portrait mis en avant est, avant toute chose, celui d’un jeune homme relativement isolé dans la mesure où son petit frère, un jeune adolescent, semble être le seul membre de sa famille.

Gary Hook se montre très attentionné à l’égard de ce frère, pensionnaire dans un internat situé au nord de l’Angleterre (que Gary Hook a lui-même fréquenté pendant son enfance). Afin de le rassurer, il lui explique qu’il est envoyé en Irlande du Nord pour assurer la sécurité et apaiser les tensions entre les communautés catholique et protestante et lui promet qu’il reviendra sain et sauf. Cette jeune recrue de l’armée britannique est complètement novice quant à la nature de sa mission. Il ajoute qu’il n’y a aucune inquiétude à avoir dans la mesure où il n’y a pas d’ennemis puisqu’il reste sur le territoire britannique. C’est bien de ce point de vue-là que le film explore le parcours individuel de ce soldat, qui se retrouve catapulté au milieu de la violence sectaire en Irlande du Nord sans comprendre ni connaître les idéologies nationaliste, républicaine, unioniste et loyaliste, encore moins les conséquences du conflit politique nord-irlandais. Pour Gary Hook, les ennemis ne sont pas identifiables, voire invisibles. De la même manière, les noms des rues n’apparaissent que très rarement à l’écran alors que paradoxalement, la ville de Belfast est fracturée par la division sectaire à une rue-près. En faisant le choix de ne pas nommer ces rues, le film se concentre sur un entre-deux non identifié, non délimité, évoquant un no man’s land. En d’autres termes, le film décloisonne la violence sectaire, brouille les démarcations entre les partis adverses nord-irlandais, pour rendre à l’écran l’image d’un unique territoire ennemi qui serait indétectable, indéchiffrable pour le soldat, attribuant au hors-champ le rôle de la menace suprême, indicible et omniprésente. Le suspense et la tension vont croissant dans le film au fil du déroulement de l’intrigue, entre menaces et représailles, délations et assassinats, conférant à 71 le fond et la forme d’un thriller.

L’action se situe à Belfast Ouest, bastion à dominante républicaine, en 1971 – titre éponyme du film – et la reconstitution de l’apogée de la période des Troubles dans le film met en lumière l’hostilité à l’armée britannique, laquelle est perçue par la population comme une force d’occupation, une nouvelle forme d’impérialisme et de colonialisme britannique. Le conflit interne à l’Irlande du Nord se décuple, se manifestant entre autres par la haine intercommunautaire, le sectarisme, où les catholiques et les protestants vivent les uns à côté des autres dans la crainte de leurs voisins respectifs. En effet, à cette époque-là, les grandes formations politiques se sont divisées et les groupes paramilitaires se sont multipliés entre 1969 et 1972, ce qui a engendré des émeutes et des violences sectaires atteignant leur apogée. Du côté des loyalistes, le film se concentre sur l’UVF en montrant que les membres du groupe paramilitaire sont intrinsèquement liés à toute la communauté et que l’embrigadement commence dès le plus jeune âge. L’évolution de cette organisation paramilitaire est notoire au début des années 1970. Comme Wesley Hutchinson l’explique :

Les fractures au sein de l’unionisme donnèrent également lieu à l’émergence de mouvements extra-parlementaires. […] Un groupuscule loyaliste avait repris le sigle de l’UVF en 1966, l’année du cinquantième anniversaire de l’Insurrection de Pâques. Il commença une série d’attentats et d’assassinats contre des cibles catholiques et nationalistes. […] Il devint vite ‘l’organisme loyaliste le plus redouté, le plus anti-catholique et le moins prévisible’. Pendant les années soixante-dix, l’UVF fut associée à une série de meurtres particulièrement atroces commis par un groupe connu comme les Bouchers du Shankill. L’organisation se spécialisait dans des tit-for-tat killings, meurtres sectaires commis au hasard en représailles pour des attaques de l’IRA contre des cibles protestantes ou contre les forces de l’ordre (Hutchinson 2001 : 148-149).

Du côté républicain, la violence politique était principalement dirigée contre la RUC et l’armée britannique. Si la RUC était une force de police interne à l’Irlande du Nord, les soldats britanniques, techniquement externes au conflit intercommunautaire, sont devenus les cibles de l’IRA. Le film 71 projette à l’écran, à travers l’expérience de Gary Hook, le vécu et le désarroi des soldats britanniques qui pénètrent dans Belfast Ouest où sévissent les commandos paramilitaires IRA et UVF, perpétrant des actions terroristes au prétexte de représailles. C’est une fois arrivé à Belfast que Gary Hook reçoit les premières informations concrètes de sa mission. Comme l’explique l’officier britannique à ses hommes, le secteur de Belfast Ouest présente une géographie des plus complexes car le quartier est fracturé par la division sectaire : les fiefs républicains et loyalistes se trouvent juxtaposés, à une rue-près. L’aversion envers les soldats britanniques est palpable en Irlande du Nord. Toutefois, si les bastions républicains sont tout à fait hostiles et les bastions loyalistes légèrement moins, cette nuance peut signifier la vie ou la mort pour n’importe quel soldat qui se trouverait dans l’une ou l’autre de ces zones. Le film explore notamment les zones NO GO des républicains de Falls Road et les guerres intestines de l’IRA entre l’IRA officielle et la faction armée, la PIRA :

Deux thèses s’affrontaient, une faction souhaitant la fin de l’abstentionnisme traditionnel et un recentrage sur des bases strictement politiques, explicitement marxistes, l’autre souhaitant la poursuite de l’abstentionnisme républicain traditionnel et le maintien de la lutte armée jusqu’au retrait définitif des Britanniques. […] En décembre 1969, […] les dissidents se retirèrent du mouvement et prirent le nom de l’IRA Provisoire (PIRA), les réformateurs devenant l’IRA Officiel (Hutchinson 2001 : 149).

Gary Hook se trouve dès sa toute première opération au cœur d’une situation qu’il ne maîtrise pas et qui l’effraie : Gary et les soldats en patrouille sont les cibles d’insultes, crachats et jets de pierres, et immédiatement, doivent faire face au déclenchement d’une émeute. Les résidents catholiques se révoltent à cause de la présence de ce bataillon britannique déployé pour prêter main forte à la RUC lors d’une perquisition d’armes chez les républicains. Le camarade de Gary se fait rouer de coups par les résidents. C’est à la fois avec le sort que va subir le soldat et à travers le regard d’une femme que le film donne une dimension tragique à l’entre-deux. En effet, alors qu’une mère exhorte les résidents du quartier à arrêter de frapper le camarade de Gary en rappelant qu’ils s’acharnent sur « un jeune comme eux », ce soldat se fait exécuter par deux membres de l’IRA. Il gît ainsi sur le pavé, une autre mère agenouillée pleure pour l’enfant/soldat. Dans ce plan, le film combine à la fois une représentation traditionnelle – celle de la souffrance des mères et femmes catholiques pour leurs fils ou maris – et images inédites : cette fois-ci, l’empathie est éprouvée pour un soldat anglais, « l’envahisseur » du point de vue républicain. Le film, réalisé quarante-trois ans après la période qu’il retrace, brise ici, pour la première fois, les stéréotypes en abolissant ou en inversant les clivages animant la perception et la qualification haineuse des républicains, s’agissant des soldats britanniques. Le conflit politique se lit dans une dimension universelle, qui dépasse l’aire géographique et la population nord-irlandaise. Cette femme, qui veut sauver la vie d’un homme, dit à Gary de s’enfuir en courant, les deux membres de l’IRA cherchant à l’exécuter également. Dès lors, il devient un jeune fugitif vulnérable, s’engouffre dans les ruelles sombres de Belfast et se retrouve traqué. Cette scène, filmée par la caméra à l’épaule, projette à l’écran des images qui sautent, reflétant un portrait de la situation chaotique et non maîtrisable en Irlande du Nord en 1971. Ce cadrage rappelle celui que l’on voit dans Au Nom du Père (1993) de Jim Sheridan lorsque le héros catholique Gerry Conlon est poursuivi par les soldats britanniques dans les rues de Belfast, mais dans 71, les rôles sont inversés. Par ailleurs, la stratégie esthétique du film est empreinte de surréalisme – l’intrigue, centrée sur le personnage de Gary Hook, met en relief un entre-deux indéchiffrable, entre le réel et l’étrange. La peur, omniprésente dans ce quartier de Belfast Ouest, est intensifiée par les éclairages nocturnes sur le visage de Gary Hook, filmé dans la pénombre, renforçant ainsi la dimension abstraite qui caractérise le film 71. Gary court dans ces ruelles a priori sans issue et le quartier s’apparente à un labyrinthe d’où il est difficile de sortir. Il utilise des passages secrets empruntés par les paramilitaires de l’IRA et reliés directement aux maisons des résidents. La vie privée des familles catholiques paraît de ce fait non seulement imbriquée dans l’univers de l’IRA mais aussi surveillée par cette organisation paramilitaire. L’image de l’IRA qui se dégage de ce film est comparable à celle d’une institution de surveillance, en charge de contrôler tout individu, telle une prison19. Le contrôle qu’exerce cette organisation paramilitaire dans le film opère par délation, dans une zone de surveillance à périmètre limité. Les dirigeants de l’IRA incarnent en effet le rôle de supérieur hiérarchique détenant le droit de regard permanent et d’action sur la vie privée des habitants de ce quartier catholique, tout comme sur le soldat anglais. Aucune légitimité n’est accordée à l’individu et la vie est organisée par un « appareil disciplinaire » émanant de l’IRA. Michel Foucault observe que l’utilisation du regard est primordiale au bon fonctionnement de toute institution disciplinaire :

L'exercice de la discipline suppose un dispositif qui contraigne par le jeu du regard ; un appareil où les techniques qui permettent de voir induisent des effets de pouvoir, et où, en retour, les moyens de coercition rendent clairement visibles ceux sur qui ils s’appliquent (Foucault 1975 : 201).

Toutefois, Gary Hook poursuit sa course sans savoir où il va mais finit par échapper aux deux membres de l’IRA et se retrouve ensuite dans la partie Est de Belfast, du côté protestant, unioniste et loyaliste. Le film projette à l’écran la traque du personnage principal qui s’accomplit en 24 heures, se focalisant sur le soldat piégé dans l’entre-deux de la division sectaire – un individu isolé sans communauté de loyauté sectaire. Gary Hook cherche à se réfugier et erre désormais dans de nouvelles rues de Belfast, renvoyant à la métaphore d’un labyrinthe. Outre cette image, le film représente explicitement l’armée britannique comme un acteur externe au conflit interne en Irlande du Nord et souligne qu’il n’y a pas de position entre-deux possible à l’échelle individuelle. Au lieu de le protéger, où qu’il soit, l’uniforme militaire de Gary Hook l’expose à la mort à tout moment. Ce quartier de Belfast ressemble à un guet-apens, menacé par la violence paramilitaire, hors de contrôle et non sécurisé par les autorités britanniques. Si le montage du film ne rend pas le nom des rues visibles, la nuit noire renforce, de surcroît, l’aspect identique de toutes ces rues pour le soldat désorienté, qui cherche désespérément un abri demeurant introuvable. La quête de repères et de marqueurs géographiques délimitant les espaces fait écho à la reconstitution spatiale interprétée par la tradition unioniste :

Sa lecture de l’espace semble également une lecture dominée par des paradigmes de parcellisation : on recherche le réconfort du mur, ou de son avatar, la frontière, qui délimite l’espace, qui réduit le territoire que l’on va défendre ; on se préoccupe d’identifier une ville ou un ‘espace-refuge’ vers lequel se retirer ; cette culture hantée par le sentiment de sa propre vulnérabilité a la tentation du ghetto (Hutchinson 1999 : 11).

Alors que Gary Hook ne voit pas les frontières qui séparent les républicains des loyalistes à Belfast, il se retrouve finalement dans le bastion protestant, manifestement fermé et hostile à tout individu qui viendrait de la communauté catholique. Le soldat anglais se situe près des bannières Orangistes de Shankill Road clamant No Surrender20, et découvre le cri de ralliement connu du discours unioniste et loyaliste, refusant toute forme d’ouverture – le trait dominant de ce discours étant celui de la négation. Pourtant, c’est dans ce quartier, fermé à l’autre, que Gary Hook connaîtra un court instant de répit et obtiendra de la reconnaissance de la part d’un enfant nord-irlandais. Le film dépeint l’environnement sociopolitique du jeune garçon issu de la classe ouvrière protestante de Belfast Est. Orphelin de père loyaliste tué par l’IRA, il voit en Gary Hook un héros à plusieurs niveaux : un héros de guerre et une figure héroïque qu’il imagine aux côtés de son père. Lors de la rencontre entre Gary et l’enfant, celui-ci révèle la haine sectaire qui l’anime et son endoctrinement à la cause des paramilitaires loyalistes. Exalté, l’enfant évoque la Première Guerre mondiale et la bataille de la Somme où les membres de l’UVF avaient rejoint les troupes britanniques. Comme Martin Dillon l’observe :

L’UVF fut formée par Lord Edward Carson pour défendre l’Ulster contre le Home Rule. Cependant, les événements ont mené l’UVF dans une direction différente, vers les champs de batailles en France pendant la Première Guerre mondiale. Les membres de l’UVF se sont battus courageusement dans la 36ème Division d’Ulster et ont légué un héritage héroïque. […] Deux ans après la guerre, beaucoup de ces hommes qui avaient gonflé les rangs de l’UVF en 1912 derrière les cris de ralliement de Carson, retournèrent à la vie civile, usés et las de se battre, mais il y en eut d’autres qui choisirent de rester dans l’organisation pour défendre la population protestante. […] Entre 1920-1922, […] l’UVF s’orienta vers la violence et l’assassinat sectaire. […] Le meurtre sectaire faisait partie du quotidien et jeunes et vieux, hommes et femmes, devinrent ses victimes… les innocents souffraient. […] L’avènement des manifestations pour les droits civiques au début des années 60, et le fait que les catholiques commencèrent à se manifester pour obtenir des réformes politiques et sociales, persuadèrent les éléments influents de l’unionisme d’Ulster que l’UVF devait reprendre ses activités21.

Le film 71 montre que cet enfant issu de la communauté unioniste et loyaliste sera également une victime de cette ligne politique, n’ayant pas eu le choix d’être élevé différemment. Le fanatisme, déjà profondément ancré en lui, le mènera à la mort. En essayant de reconduire son héros, son soldat anglais, à sa caserne, ils tombent tous les deux dans un guet-apens et un pub explose. Gary Hook est grièvement blessé mais l’enfant meurt. Gary Hook, figure héroïque aux yeux de l’enfant et paradoxalement soldat ordinaire et anti-héros, traqué dans l’entre-deux au milieu des camps opposés, recherché de tous côtés, se fait soigner et opérer sans anesthésie par un ex-infirmier catholique qui lui révèle que, pour l’armée britannique, il n’est que de la « chair à canon ». À travers ce personnage issu de la communauté catholique, apportant des soins à celui qui est considéré par cette même communauté comme l’envahisseur, le film place l’individu au centre, s’émancipant ainsi du paysage sectaire nord-irlandais. Le soignant panse les plaies de Gary Hook, physiques mais probablement psychologiques aussi, en lui expliquant que le fait d’être devenu soldat n’est pas le bon choix pour lui. En effet, si son engagement dans l’armée peut signifier la recherche d’une appartenance à une famille, cela ne se vérifie pas au cours de l’intrigue. L’armée ne lui porte pas secours et de surcroît finit par exercer une pression sur lui dans la mesure où il est tenu de garder le silence auprès des services de renseignements. Gary Hook, anti-héros fugitif, traqué par des ennemis de tout bord, finira par rentrer chez lui en Angleterre, métaphore du seul espace de refuge dans le parcours d’un soldat britannique pendant la période des Troubles en Irlande du Nord.

Conclusion

En plaçant au cœur de l’intrigue la question de survie qui est centrale pour deux individus qui se positionnent en dehors de la division sectaire, Divorcing Jack et 71 s’émancipent des stéréotypes clivants nord-irlandais pour se concentrer sur le sort d’un héros qui s’aventure dans une zone où il « ne devrait pas être ». Le personnage de Dan Starkey, tout comme Gary Hook, représentent la façon dont les civils sont pris au piège dans un conflit dont ils ne sont pas les acteurs. De plus, ce positionnement hors des camps retranchés pendant les Troubles ou à la fin de cette période n’étant pas une mouvance collective, elle est individuelle, ce qui rend cette situation extrêmement difficile pour l’individu en question. Ces films démontrent que celui qui choisit de se situer dans une zone entre-deux factions, ni dans un camp, ni dans l’autre, donc hors d’un territoire balisé, prend, en Irlande du Nord, une direction qui peut être fatale. Néanmoins, le portrait de ces personnages, victimes des conflits opposant les camps paramilitaires, remet en question les perceptions courantes des rôles de victimes et d’agresseurs, notamment dans le cas du soldat dans 71. La lecture des Troubles à la lumière du présent dans ces deux films inverse ou trouble les versions convenues de l’histoire, conférant ainsi au cinéma un espace qui dynamise les récits traditionnels, rendant justice aux victimes oubliées ou ignorées du conflit. Ces deux perspectives inédites sur le conflit nord-irlandais dans Divorcing Jack et 71 sortent du cadre d’une représentation binaire ou manichéenne de l’Irlande du Nord en reflétant la complexité de l’entre-deux spatio-temporel. Si l’Irlande du Nord est un territoire « troublé », c’est en tant que lieu de confrontation entre des positions fermées, antagonistes, mais où l’imbrication des factions en fait un seul lieu, toujours entre-deux. Par ailleurs, ces deux films réalisés à seize ans d’intervalle, juste au moment de l’accord du Vendredi Saint pour Divorcing Jack et sept ans après le rétablissement extrêmement difficile des institutions politiques nord-irlandaises pour 71, démontrent que représenter le passé récent nord-irlandais ne retranscrit pas l’histoire de façon figée, mais au contraire, ces discours filmiques s’intègrent dans le contexte général de leur production, prennent part à l’évolution de la situation politique nord-irlandaise et incarnent également ce rôle « d’agent de l’histoire » comme le montre Marc Ferro. En ce sens, cet espace cinématographique constitue un entre-deux, celui d’une remédiation qui contribue à ouvrir d’autres horizons. Comme le souligne John Hill, ces films « participent aussi à la lutte symbolique perpétuelle sur la représentation du passé et les significations qui devraient y être attribuées dans le présent »22.

Bibliographie

Filmographie

Divorcing Jack, David Caffrey, 1998.

71, Yann Demange, 2014.

Notes

1 Entre 1969 et 1998, 3 289 personnes ont été tuées dans le Nord et 42 216 blessées suite à la violence politique (Elliott Sydney / Flackes W. D. 1999 : 681-687). Retour au texte

2 L'accord du Vendredi Saint (également nommé Accord de Belfast), signé le 10 avril 1998 par les Premiers ministres britannique et irlandais, Tony Blair et Bertie Ahern (Taoiseach) et soutenu par les principaux hommes politiques nord-irlandais, David Trimble (Ulster Unionist Party), John Hume (Social Democratic and Labour Party), et Gerry Adams (Sinn Féin), a permis de trouver des solutions pour résoudre le conflit politique. Cet accord prévoit des institutions qui garantissent un gouvernement intercommunautaire et un « système d'équilibres entre les deux traditions en Irlande du Nord dans un cadre démocratique libéré de la menace de la violence terroriste » (Hutchinson 2001 : 164). Retour au texte

3 On note le rétablissement en février 2024 des institutions politiques, bloquées depuis les élections de mai 2022 suite aux désaccords sur le Protocole sur l’Irlande du nord, signé lors du Brexit, et la nomination, pour la première fois, d’une Première ministre nationaliste (Michelle O’Neill). Retour au texte

4 Le réalisateur décrit son film à la croisée de plusieurs genres cinématographiques : comme « (…) un mélange de genres (…) il y a cette rupture conjugale au début du film (…) ensuite on entre dans le genre thriller, puis dans le genre complot politique, la conspiration comme dans les films Nixon et JFK. […] a mixture of genres […] you’ve got that domestic break up at the start (…) then you’re into the thriller genre, then you’re into the political, Nixon, JFK conspiracy kind of movie […] »). Notre traduction. Voir l’entretien : Joanne Hayden, « The Only Way is Up» : An Interview with David Caffrey, Film West, no. 34, 1998. Retour au texte

5 « L'humour frise si dangereusement les limites - comme faire des blagues sur l'Holocauste - qu'à certains moments, on a presque peur de rire ». (« The humour is so dangerously on the edge – like making jokes about the Holocaust – that at times you’re almost afraid to laugh »). Notre traduction. Sunday Tribune, « Nun’s the word as ‘Divorcing Jack’ says the unspeakable », 18/10/98: 6. Retour au texte

6 « un humour noir impertinent et provocant » (« an irreverent and challenging black humour ». Notre traduction (McLoone 2000 : 83). Retour au texte

7 Angel de Neil Jordan (1982), High Boot Benny de Joe Comerford (1993), Nothing Personal de Thaddeus O’Sullivan (1995), Some Mother’s Son de Terry George (1996), Resurrection Man de Marc Evans (1998) ont été réalisés dans le Sud. Retour au texte

8 Dans un entretien avec le journaliste Mick Heaney, Colin Bateman explique qu’il a rencontré des difficultés auprès des éditeurs pour publier Divorcing Jack dans le Sud : « Ils m'ont envoyé une note disant qu'il n'y avait pas de marché possible pour ‘un polar unioniste’. C'est comme s'ils pensaient que je revêtais l’Union Jack le matin avant de commencer à travailler » (« [ …] they sent me a note saying there was no market for ‘a unionist thriller’. It was as if they thought I put my Union Jack on in the morning before I start work »). Notre traduction. Mike Heaney, “Intelligence from the Y-Front”, Sunday Times, 28/11/99 : 18. Retour au texte

9 « Je suis en aucun cas politisé ou religieux » (« I’m not political or religious in any way »). Notre traduction (Ibid.: 18). Retour au texte

10 Pierre Sorlin observe que dans ce genre de comédies « les anti-héros attirent l’indulgence par leur faiblesse avouée » (Sorlin 1997 : 161). Retour au texte

11 « L’avenir s’annonce brillant, l’avenir c’est Brinn ! Votez pour Michael Brinn » (« The future is bright, the future is Brinn! Vote Michael Brinn! »). Notre traduction. Retour au texte

12 « S’il est élu, Michael Brinn va troquer Belfast Ouest contre la brasserie de Dublin. Ils peuvent récupérer nos problèmes de Troubles et nous, nous boirons les leurs. (…) Michael Brinn va parrainer les petites rencontres des paramilitaires autour de leur café du matin avec un fusil dans une main et un paquet de biscuits ‘Jaffa’ dans l’autre ». (« If elected Michael Brinn is going to swap West Belfast for the Guinness brewery in Dublin. They can have our Troubles and we can drink theirs. […] Michael Brinn is going to sponsor paramilitary coffee mornings with an Armalite in one hand and a packet of Jaffa cakes in the other »). Notre traduction. Retour au texte

13 « Des individus. Ce sont quand même les individus qui ont fait tout ce qu’ils ont pu pour voter pour vous. Des individus qui ont laissé tomber leur histoire pour vous hisser au pouvoir. (…). Je suis un individu. Vous êtes un individu. Pollux du Manège enchanté est un putain d'individu. Vous êtes tous les mêmes tous les deux. On retourne direct à la guerre civile avec vous parce que vous n'en avez strictement rien à cirer des individus. Le problème avec vous deux, c'est qu'on est tous des chiffres. Un million de livres. Dix mille morts. Treize squelettes. Des chiffres ! Et c'est facile, parce que les chiffres ne sont pas des gens. Les chiffres ne pensent pas. Ils ne sortent pas prendre un verre avec les copains ». (« Individuals. It’s individuals that went out of their way to vote for you. Individuals giving up their heritage to put you into power. (…) I’m an individual. You’re an individual. Dougal off the Magic Roundabout’s a fucking individual. You’re both the same. We’re going straight back to the civil war here because you two don’t give a flying fuck about individuals. The problem with you two is it’s all numbers. One million pounds. Ten thousand dead. Thirteen skeletons. Numbers. And it’s easy, because numbers aren’t people. Numbers don’t think for themselves. They don’t go out for a drink with the lads ». (Notre traduction). Retour au texte

14 « For a mixture of financial and security reasons, most of the films made prior to the ceasefires substituted other locations for Belfast. Inevitably, this dependence upon stand-in locations reinforced the sense of Belfast as an abstract place of the imagination emptied of specific geographical and physical markers. Given the various cities that have substituted for Belfast (such as Dublin, London and Manchester), this has also meant that there has been little accumulation of […] ‘landmarkers’ […] and little sense of Belfast as an actual lived-in space. However, by filming in the city, the makers of Divorcing Jack not only aimed to show the actuality of Belfast missing from earlier films but also to represent the ‘new’ Belfast emerging in the wake of the peace process. […] Thus […] the film also searches out locations that are new in the cinematic representation of the city: the suburbs of south Belfast, the redeveloped Cathedral Quarter and the modern concert hall and exhibition centre, the Waterfront ». Notre traduction (Hill 2006 : 213). Retour au texte

15 E. Compton, Report of the enquiry into allegations against the Security Forces of physical brutality in Northern Ireland arising out of events on the 9th August, 1971, Londres, Her Majesty’s Stationery Office (HMSO), 1971. http://cairn.ulst.ac.uk/hmso/compton.htlm. Retour au texte

16 Ceci est le cas du film The Crying Game de Neil Jordan (1992). Retour au texte

17 On note ici que le jeudi 18 avril 2019, Lyra McKee, une jeune journaliste de 29 ans, a été tuée en Irlande du Nord en exerçant ses fonctions. Ceci a eu lieu un « soir d’émeutes qu’elle était en train d’observer, dans le quartier catholique de Creggan, dans la ville nord-irlandaise de Derry-Londonderry. Ce meurtre a été immédiatement qualifié de terroriste par les autorités. Il a été reconnu quelques jours plus tard par la New IRA, un groupe de dissidents républicains qui poursuit la lutte armée pour la réunification de l’île d’Irlande. Les épisodes de violence urbaine sont relativement courants en Irlande du Nord. Ils sont en général liés aux tensions intercommunautaires qui continuent d’empoisonner la société nord-irlandaise » (Jeannier 2019). Retour au texte

18 71 est le premier long métrage de Yann Demange. Né de mère française et de père algérien, il vit en Angleterre depuis l’âge de deux ans. 71 a remporté le Prix du Jury à Beaune, au Festival du film policier lors de sa sortie. Retour au texte

19 Cette image est également rendue dans le film The Boxer de Jim Sheridan (1997). Retour au texte

20 « Le cri de guerre le plus renommé, No Surrender !, lancé à Londonderry en 1689, a fait de nombreux petits : que ce soit We won’t have Home Rule, à l’époque du projet de loi sur l’Autonomie, Not an inch lors des travaux sur la Commission frontalière, ou Ulster says No !, au moment de l’Accord anglo-irlandais, les signaux émanant de la forteresse unioniste se déclinent en négatifs et n’invitent pas au dialogue » (Hutchinson 1999 : 40). Retour au texte

21 « The UVF was formed by Lord Edward Carson to defend Ulster against Home Rule. However, events took the UVF in a different direction and onto the battlefields of France in the Great War. UVF members fought bravely with the 36th Ulster Division and provided heroic legacy. […] Two years after the War many of those men had swelled the ranks of the UVF in 1912 behind the rallying cries of Carson were back in civilian life, tired and weary of fighting, but there were others who chose to remain in the organization to defend the Protestant population. […] Between 1920-1922, […] the UVF became involved in communal violence and sectarian assassination. […] Sectarian assassination became a daily way of life and young and old, male and female, became its victims…the innocent suffered. […] The advent of civil rights protests in the early sixties, and the facts that Catholics were beginning to agitate for political and social reforms, persuaded influential elements within Ulster Unionism that the UVF should be reactivated ». Notre traduction (Dillon 1990 : XVIII-XIX). Retour au texte

22 « In this way, such films do not only contribute to the ‘healing’ process that accompanies ‘peace’ but also participate in the continuing symbolic struggle over the representation of the past and the meanings that should be attached to it in the present ». Notre traduction (Hill 2006 : 241-242). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Cécile Bazin, « Images de l’entre-deux : l’Irlande du Nord dans les films Divorcing Jack et ’71 », Textes et contextes [En ligne], 19-1 | 2024, publié le 15 juillet 2024 et consulté le 23 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=4540

Auteur

Cécile Bazin

MCF en civilisation britannique et irlandaise, Laboratoire de Recherche Sociétés & Humanités – LaRSH, Université Polytechnique Hauts-de-France, Campus Le Mont-Houy, 59313 Valenciennes

Droits d'auteur

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