Paolo Colombo, Gioachino Lanotte, Azzurri. Storie della nazionale e identità italiana

Référence(s) :

Paolo Colombo, Gioachino Lanotte, Azzurri. Storie della nazionale e identità italiana, Milan : UTET, 2021, 333 p., ISBN 978-88-511-8233-5

Texte

Enseignants d’histoire contemporaine à l’université du Sacré-Cœur de Milan, Paolo Colombo et Giochino Lanotte se présentent d’emblée comme des tifosi lambda, qui entendent allier leur passion pour le football, commune en Italie, avec leur métier d’historien pour proposer un essai qui étudierait simultanément les vicissitudes sportives des équipes nationales de football transalpines (à la fois les Squadre Azzurre masculines qui participent aux Coupes du monde et aux Jeux olympiques, mais aussi la formation féminine) et la construction de l’identité nationale italienne. Le projet est formulé clairement dès les premières lignes : « Comment et quand l’italianité prend-elle les formes que nous lui connaissons ? Comment et quand les Italiens tissent-ils un sentiment d’appartenance nationale qui leur est propre ? Comment et quand se délimitent les dynamiques de fonctionnement de notre pays ? » (p. 11). Ceci dit, il ne sera plus vraiment question d’identité nationale dans l’ouvrage, la réponse à ces questions passant par une classique histoire culturelle, à la fois sociale et politique, de l’Italie vue à travers ses équipes nationales, comme le reconnaissent P. Colombo et G. Lanotte quelques pages plus loin. Il s’agira plutôt d’insérer les grands moments de la Nazionale (par exemple les titres mondiaux de 1934 et 1982, la demi-finale de Coupe du monde en 1970 contre la RFA) dans le contexte général, tant politique que culturel. L’entreprise est menée de manière élégante et précise et si un spécialiste du football italien n’apprendra pas grand-chose, un lecteur peu familier de la matière y trouvera des analyses fines s’appuyant sur une bibliographie bien maîtrisée. C’est en quelque sorte une histoire générale de l’Italie du xxe siècle vue au prisme de la Squadra Azzurra qui est proposée ici et l’ensemble constitue une bonne introduction aux deux aspects pris en considération.

Pour éviter de s’engluer dans une narration où tous les paramètres (strictement sportifs, politiques, sociaux, culturels) seraient abordés de front à chaque épisode marquant, les auteurs ont fait le choix d’un plan thématique, avec des développements chronologiques à l’intérieur de chaque partie ou sous-partie. La première (« Affaires et politique ») est ainsi consacrée à la construction et à la modernisation des stades à chaque fois que l’Italie a organisé une grande compétition internationale, que ce soit la Coupe du monde 1934 (chapitre 1), les Jeux olympiques en 1960 (chapitre 2) ou, de nouveau, le championnat du monde en 1990 (chapitre 3). Le propos est exhaustif et met bien en valeur la volonté des autorités politiques, qu’elles soient fascistes ou démocrates-chrétiennes, de présenter l’Italie comme une nation moderne et une puissance industrielle. Elles s’appuient pour ce faire sur les architectes futuristes, à la manœuvre des années 1930 aux années 1960, qui maîtrisent parfaitement la technologie du béton, ce qui leur permet de bâtir rapidement des enceintes à la pointe de l’innovation. On retrouve ce phénomène en 1990 avec le stade San Nicola de Bari, conçu par Renzo Piano, même si ce stade devient vite l’exemple des « cathédrales dans le désert », surdimensionnées et extrêmement coûteuses. La Coupe du monde 1990 constitua en réalité l’apogée du système de pots-de-vin mis en place par la Démocratie chrétienne, révélé deux ans plus tard par l’opération Mani pulite (« Mains propres ») et conduisant à la chute de la Première République italienne.

La deuxième partie, intitulée « Médias et narration », aborde quant à elle les liens entre culture de masse et culture du football tout au long du xxe siècle. Le chapitre 4 s’intéresse aux grands commentateurs radiophoniques puis télévisuels des matchs de la Nazionale, en commençant par la figure de Nicolò Carosio, qui commença sa carrière sur les ondes de l’EIAR (Ente Italiano per le Audizioni Radiofoniche) sous le fascisme dans les années 1930 et la poursuivit à la Rai dans l’après-guerre. Il dut laisser sa place au cours de la Coupe du monde 1970 après que l’ambassadeur d’Éthiopie en Italie eut protesté contre une de ses remarques adressée à l’arbitre de touche éthiopien, coupable d’avoir annulé pour hors-jeu un but de Luigi Riva lors du match de la Squadra contre Israël en phases de qualification. Sont ensuite analysés les styles de ses successeurs, Nando Martinelli et Bruno Pizzul, plus ou moins en phase avec les évolutions politiques d’une Italie en crise dans le dernier tiers du xxe siècle. Les chapitres 5 et 6, consacrés respectivement aux chanteurs et aux écrivains qui ont produit une ou plusieurs œuvres traitant de l’équipe nationale, invitent à un voyage sonore et littéraire où sont cités de grands noms comme des artistes moins renommés. Dans le domaine de la chanson, on passe ainsi de Nuntereggaepiù de Rino Gaetano (1978) à Notti magiche. Un’estate italiana (1989), d’Edoardo Bennato et Gianna Nannini, l’hymne de la Coupe du monde 1990. Dans le champ littéraire, la description passe des poèmes d’Umberto Saba écrits dans les années 1930, rassemblés sous le titre de « Cinque poesie sul gioco del calcio » et publiés dans le recueil Il Canzoniere, au roman Azzurro Tenebra de Giovanni Arpino (1977) qui revient sur la désastreuse performance de la Squadra Azzurra à la Coupe du monde 1974 organisée en RFA, en passant par l’autobiographie du footballeur d’extrême gauche Paolo Sollier, Calci e sputi e colpi di testa (1976). Enfin, dans la troisième partie (« Patrie et campanile »), sont successivement étudiés l’intensité du tifo pour l’équipe nationale en comparaison de celui pour les formations de club (chapitre 7) – ce qui pose la question de l’articulation entre petites patries et sentiment national dans un pays souvent décrit comme profondément désuni –, puis les accès de déception provoqués par des défaites amères (chapitre 8) – et ce que ces derniers révèlent de l’attachement des Italiens à une des institutions les plus populaires du pays, pour le meilleur ou pour le pire. Un dernier chapitre fait quant à lui office de bilan à l’orée du xxie siècle.

Un ouvrage qui offre par conséquent un panorama ─agréable à lire─ des rapports de la société italienne à son équipe nationale. Le plan choisi, chrono-thématique, présente néanmoins le défaut majeur d’écraser la perspective et d’inscrire l’affirmation du football dans la culture de masse et le champ politique de la Péninsule dans une sorte d’atemporalité, comme si le calcio avait surgi, armé et casqué, au tournant des années 1930 pour occuper le devant de la scène. Cela n’a pas été le cas, le football ne s’imposant comme sport national qu’au début des années 1960, supplantant alors le cyclisme, comme les deux auteurs le savent bien1.

Notes

1 On leur doit en effet, il y a presque quinze ans, une histoire du Bel Paese vue au prisme du Tour d’Italie cycliste, le Giro : Paolo Colombo, Giachino Lanotte, La corsa del secolo. Cent’anni di storia italiana attraverso il Giro, Milan, Mondadori, 2009. Retour au texte

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Fabien Archambault, « Paolo Colombo, Gioachino Lanotte, Azzurri. Storie della nazionale e identità italiana », Textes et contextes [En ligne], 18-1 | 2023, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=4302

Auteur

Fabien Archambault

Maître de conférences en histoire contemporaine, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 17 rue de la Sorbonne 75005 Paris, Centre d'histoire sociale des mondes contemporains (CHS)

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