Oriane Monthéard. Keats et la rencontre : poèmes et lettres

Référence(s) :

Oriane Monthéard. Keats et la rencontre : poèmes et lettres. Collection « Esthétique et représentation : monde anglophone (XVIIIe-XIXe siècles) », Grenoble : UGA Editions, 2020, 366p., ISBN 978-2-37747-201-7

Texte

Parue quelques mois avant le bicentenaire de la mort du poète John Keats, cette monographie se propose d’étudier son œuvre dans toute sa richesse en entremêlant l’analyse minutieuse de la correspondance et des poèmes sous l’angle original de la rencontre. Version remaniée de la thèse de doctorat de l’auteure, Oriane Monthéard, cet ouvrage en conserve la rigueur et l’organisation claire en quatre parties équilibrées accompagnées de transitions particulièrement fluides et de lectures analytiques très fines.

Keats et la rencontre est en effet un ouvrage dont la structure invite le lecteur, comme son titre l’indique, non seulement à prendre connaissance des diverses formes que prend la rencontre dans l’œuvre poétique et épistolaire du poète, mais aussi à lui-même entrer en contact avec cette œuvre plurielle, sensible et souvent drôle dont Oriane Monthéard relève aussi bien les continuités que les paradoxes. Suite à une introduction qui partage le processus de réflexion de l’auteure et s’accompagne d’un tableau synthétique des liens entre les poèmes et les lettres vers lequel il est aisé de revenir au cours de la lecture, le lecteur est plongé au cœur du texte en commençant par la correspondance. La lettre est ainsi présentée comme un véritable lieu de rencontre dont les codes stricts sont souvent respectés par Keats, qui accorde néanmoins une attention toute particulière à son destinataire, comme le démontrent les analyses exigeantes de l’emploi des pronoms et de la ponctuation singulière du texte épistolaire keatsien. Les marques de ponctuation comme le tiret insufflent mouvement, spontanéité et vivacité à la lettre comme pour lui donner corps, combler l’absence physique du destinataire et créer une forme d’intimité.

L’intimité se fonde également sur l’expression d’expériences sensorielles et esthétiques fortes mues par un désir de s’adapter au destinataire et présente dès lors Keats comme un épistolier aux masques multiples, similaire au poète caméléon décrit dans ces mêmes lettres. La correspondance tisse ainsi un lien particulier avec les poèmes adressés, comme les épîtres ou les poèmes hommages, qui deviennent, au même titre que les lettres, le signe d’une recherche de contact dont le contenu est le plus souvent tourné vers le destinataire, où le locuteur se fait discret et humble, mais cherche également à faire don de lui-même, le texte poétique devenant une offrande à l’autre absent.

La quête d’échange qui se dessine entre Keats et ses destinataires intimes se mue alors, dans l’analyse d’Oriane Monthéard, en quête d’une rencontre difficile avec le lecteur d’une part, et avec l’autre féminin de l’autre. Bien que les titres, les incipit, les citations et les dédicaces soient autant de marques de prise de contact avec le lecteur, l’œuvre de Keats est marquée à la fois par le refus de formaliser la rencontre avec ce dernier et par celle de l’accompagner dans son entrée dans le poème. Toutefois, l’originalité de cette partie de l’ouvrage tient plus particulièrement au choix de l’auteure de se concentrer non sur l’ouverture des poèmes, mais sur les clausules, qu’elle présente comme la trace tangible des difficultés que Keats rencontre dans sa relation à son lectorat et qui, comme dans la correspondance, témoignent du malaise que ressent le poète face à l’adieu, que la séparation doive se faire en poésie ou dans les lettres. Forte d’une contextualisation synthétique, cette seconde partie permet également de comprendre certaines particularités de l’écriture du poète, qui préfère la dimension intime, individuelle, au collectif, souvent représenté de manière péjorative dans la correspondance. Par ailleurs, les lettres et la préface à Endymion regorgent d’adresses au public qui, loin d’être des rencontres, sont des ruptures qui révèlent un autre paradoxe de l’œuvre : le rejet du public et la volonté, avouée à la fois dans la correspondance et la poésie, de se rendre utile à l’humanité. Ainsi Keats emploie-t-il des stratégies parfois contradictoires dans la prise de contact avec le public. Toutefois, la volonté d’éviter les ruptures et de maintenir les échanges qui font l’originalité et le succès de ses correspondances inspirent également son écriture poétique, qui est, à ses débuts, souvent destinée à un lectorat proche ou familier avant de se consacrer, avec le recueil de 1820, à un public moins intime. Le lecteur, de la lettre, du poème, devient finalement une sorte de légataire et la rencontre entre l’artiste et son lecteur se transforme peu à peu en assimilation.

Par extension, Oriane Monthéard démontre habilement, dans la troisième partie, que toutes les questions posées par le rapport au lecteur sont exacerbées dans le rapport amoureux lorsque le contact avec la figure de la femme aimée devient une contamination et une fragilisation souvent fatale du sujet masculin. Comme avec le lecteur, dans les lettres et les poèmes, on retrouve ainsi dans le rapport à la féminité une ambivalence entre le désir de fusion et la mise à distance de la figure féminine, perçue comme foncièrement étrange. Pourtant, les personnages masculins de l’œuvre s’effacent souvent devant les personnages féminins comme pour réduire inlassablement la distance qui les sépare. L’ouvrage d’Oriane Monthéard, en se concentrant sur le thème de la rencontre, met ainsi en avant, sous un angle novateur, le caractère profondément humain de l’œuvre de John Keats, aspect qui avait déjà été relevé à de nombreuses reprises, en particulier par Jack Stillinger et Helen Vendler.

L’ouvrage se conclut enfin, en quatrième partie, par une transition fluide du désir de rencontre avec l’autre vers la rencontre des genres des textes. Ainsi, l’intensité et la vivacité du contact amoureux s’apparentent à l’intensité de l’expérience poétique du beau dans un entrelacement subtil entre féminité, beauté, poésie, désir et étrangeté. L’idéalisation de la femme et de la poésie entraine ainsi un désir fort de rencontre tout en rendant l’entrée en contact difficile, sinon impossible. Par ailleurs, l’évocation poétique et épistolaire de la perméabilité des genres dans l’œuvre de Keats permet à Oriane Monthéard de dévoiler le parallèle propre à Keats entre perméabilité des genres féminin/masculin et perméabilité des genres littéraires en consacrant la dernière partie de l’ouvrage aux glissements stylistiques, aux traces de la lettre dans le poème et du poème dans la lettre et aux autres formes de poésie qui existent dans l’œuvre, comme la prose poétique, et qui renforcent ainsi l’argument selon lequel l’œuvre de Keats aide à la découverte de l’indistinction et du franchissement des limites floues entre la présence au monde et l’absence. Cet ouvrage vient ainsi compléter les analyses de l’œuvre du poète romantique visant à inclure le genre ou à proposer une étude conjointe des lettres et des poèmes en offrant l’avantage de présenter la correspondance à la fois comme un texte à étudier pour lui-même, et non comme un simple éclairage sur les poèmes, et comme un texte privé qui nous invite à rencontrer le poète autrement.

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Référence électronique

Laure-Hélène Anthony-Gerroldt, « Oriane Monthéard. Keats et la rencontre : poèmes et lettres », Textes et contextes [En ligne], 17-2 | 2022, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=4010

Auteur

Laure-Hélène Anthony-Gerroldt

Professeure agrégée d’anglais, Centre Interlangues Texte, Image, Langage (EA 4182), Université de Bourgogne Franche-Comté, UFR Langues et Communication. 4 boulevard Gabriel, 21000 Dijon

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