De la photo déchirée à la langue fragmentée : quelques documents sur l’immigration clandestine portugaise vers Paris

Résumés

L’immigration portugaise en France a été un phénomène considérable, qui entre 1960 et 1975 a concerné près d’un million de personnes. Due à la situation économique et politique du Portugal, cette immigration s’est déroulée dans des conditions extrêmes, et souvent dans la clandestinité. Ses protagonistes mêmes l’ont majoritairement oblitérée, mais des artistes tels que Gérald Bloncourt, Christian de Chalonge et Olga Gonçalves ont puisé dans ce drame individuel et collectif pour composer des œuvres qui sont des témoignages vivants et des créations puissantes.

Portuguese immigration to France was an important phenomenon, affecting nearly a million people between 1960 and 1975. Due to the economic and political situation in Portugal, this immigration took place in extreme conditions, often in clandestinity. Its protagonists have mostly obliterated it, but artists such as Gérald Bloncourt, Christian de Chalonge and Olga Gonçalves have drawn from this individual and collective drama to compose works of art that are living testimonies and powerful creations.

Plan

Texte

Introduction

Il s’agit ici de collationner des documents qui illustrent une immigration dont on ignore qu’elle fut en bonne partie clandestine : celle qui est venue constituer la communauté portugaise en France, silencieuse et intégrée, tellement intégrée et tellement silencieuse que les idées, les impressions et les chiffres faux circulent encore. Son intégration a été si immédiate et durable qu’on ignore généralement que dans la seconde moitié du XXe siècle la communauté portugaise, « la plus importante communauté étrangère de ce pays, est clandestine. Entrée en France, avec sa valise en carton, après avoir fait le saut de deux frontières gardées par les policiers de deux dictatures, la voici aujourd’hui forte d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants. »1

L’immigration portugaise en France suit trois grandes vagues, qui vont de la fin du XIXe siècle au seuil du XXIe siècle. Je me concentrerai sur la deuxième, qui coïncide avec les Trente Glorieuses en France. Il s’agit ici de faire état du caractère clandestin de la majeure partie de cette émigration et de représenter ses conditions de voyage et d’installation ; et également de soupeser le silence qui accompagne ce phénomène, entre secret individuel honteux et drame politique national, tout en mettant en lumière quelques artistes qui, par les images ou par les mots, ont matérialisé ces déchirements silencieux ou oblitérés. Je place ce mélange de données économiques, d’images documentaires et de faits fictionnels sous une devise par laquelle l’art s’autorise à éclairer la réalité : « Escrevo. Preciso da fiçcão para ver melhor a realidade » — J’écris. J’ai besoin de la fiction pour mieux voir la réalité : une formule d’Olga Gonçalves, l’éblouissante romancière qui compte parmi les auteurs qui ont guidé ma réflexion.

1. Une immigration silencieuse

1.1. Des chiffres vertigineux

Depuis la fin du XIXe siècle, l’émigration est pour le Portugal le régulateur d’une société et d’une économie défaillantes : « elle a été une “soupape de sûreté” pour atténuer les tensions sociales à la fin du XIXe siècle, avant d’être quasi interdite sous la dictature tout en étant une importante source de devises pour l’économie du pays » (Dos Santos 2013 : 7). Jusque dans les années 1960, l’immigration du sud de l’Europe vers la France vient majoritairement d’Italie, ensuite d’Espagne, à mesure que l’économie du pays transalpin se fortifie et que le pouvoir franquiste renonce à son rêve de frontières étanches. À la fin des années 1950, l’Espagne entreprend d’organiser et de gérer les contingents de candidats à l’émigration, en créant l’Institut espagnol de l’émigration et en signant en 1957 un accord bilatéral avec la France. Ainsi « en 1961, les Espagnols représentent 61 % des travailleurs introduits officiellement en France par l’Office national d’immigration » (Mills-Affif 2004 : 109-138).

C’est à la suite de cet entrebâillement de la frontière franco-espagnole que le Portugal va devenir à son tour le pays d’émigration par excellence. « Aucune autre communauté dans l’histoire ne s’est formée aussi rapidement, à l’exception peut-être des Polonais », observent les historiens Marianne Amar et Pierre Milza (cités dans ibid. : 120) : en dix ans, la présence portugaise en France va passer de 50 000 personnes 1962 (soit le même nombre que dans les années 1930) à plus de 700 000, avec un pic d’arrivées entre 1969-1970, au rythme de 150 000 par an et « l'année 1970 voit se réaliser le score le plus élevé : plus de 135 500 nouveaux ressortissants portugais entrent en France au cours de ces douze mois, dont 88 500 travailleurs et 47 000 membres des familles » (Lebon, 1989 : 11).

En 1975 les Portugais en France sont environ 760 000 ; ils représentent presque le quart de la population étrangère, constituant ainsi la première communauté étrangère résidant en France. L’immigration familiale prend le relais et amplifie le phénomène : 29 000 entrées au titre des regroupements familiaux en 1969, 47 000 en 1970, autant l’année suivante. Rappelons que le Portugal compte à l’époque 7 millions d’habitants : derrière l’anonymat des statistiques, ce flux migratoire représente le départ, chaque jour, de quatre-vingt-dix familles vers la France, et la désertification des villages.

On ignore généralement que jusqu’en 1975, la majeure partie de ces immigrés arrive sur le territoire français a salto, « en sautant », avec um passaporte de coelho, avec un « passeport de lapin »2. Une enquête publiée par la Préfecture de la Seine en 1965 indique que « Les clandestins représentaient 25 % des immigrants en 1958, 44 % en 1960 et 54 % en 1963 ; d’après un sondage réalisé en mars 1965 dans la Saine, le pourcentage de clandestins était de 67,1 % »3. C’est que pour comprendre les causes et esquisser les conditions de cette immigration clandestine, il faut considérer la situation politique du Portugal de l’époque.

1.2. Les raisons de l’émigration clandestine

Officiellement, l’Estado Novo portugais veut contrer l’émigration. La dictature fasciste instaurée par Salazar en 1933 — le dictateur sera remplacé en 1968 par son bras droit Marcelo Caetano — a besoin de ces forces vives pour cultiver la terre au Portugal et faire la guerre en Angola : aussi prétend-t-elle limiter l’émigration en se fondant sur trois arguments, synthétisés dans sa thèse de l’historien Victor Pereira.

Le premier argument met en avant « la défense de l’intérêt de la nation » : il faut contrer l’émigration au nom de l’intérêt général. Victor Pereira cite le cas d’un notable de l’intérieur du pays, à la fois pharmacien et propriétaire de terres, qui en juin 1961 écrit au ministre de l’Intérieur pour lui demander que soit freiné le « terrible exode de travailleurs ruraux vers l’étranger, particulièrement vers la France » (Pereira 2012 : 35).

Le second argument consiste à présenter ces départs comme une menace contre les valeurs morales et religieuses protégées par le régime salazariste : « Les migrants quittent une société rurale érigée en véritable “oasis de moralité” aux valeurs religieuses intactes […] L’émigration déracine ces paysans heureux, les livrant à tous les maux de la ville et de la modernité. Ce déracinement est source de malheur, de désorientation. Loin de la terre de ses ancêtres, l’émigré ne peut que souffrir de la saudade. » (Pereira 2012 : 37).

Le troisième argument est explicitement politique. Les Portugais qui s’éloignent de leur cadre de vie habituel, hermétiquement clos aux idées subversives, vont faire l’expérience de la démocratie. « Sans leurs “tuteurs”, les Portugais risquent de se voir “contaminés” par les idées révolutionnaires diffusées par le Parti communiste français et par le Parti communiste portugais, auxquels sont prêtées d’importantes ressources pour politiser les travailleurs migrants. Les notables craignent que ces idées finissent par s’introduire au Portugal, gouverné par un parti unique appelé União Nacional. En 1962, un maire de l’intérieur du pays refuse que des travailleurs soient envoyés fût-ce temporairement en France car “ces hommes rentraient de France communistes” » (Pereira, 2012 : 50).

Cependant, la dictature a besoin de flux d’argent entrant pour soutenir l’économie du pays. Toute l’ambiguïté est là : les transferts d’argent dus aux émigrants revivifient l’économie pré-industrielle du Portugal, et en contrepartie, en France la prospérité des Trente Glorieuses repose sur une main d’œuvre abondante et peu coûteuse. Un hypocrite « accord de main-d’œuvre » est donc signé en 1963 par l’Office national d’immigration (ONI) et les autorités portugaises. Mais le « passeporte de emigrante » n’est délivré aux candidats à l’émigration qu’au terme d’un parcours administratif tortueux, qui exclut les travailleurs ruraux, et exige un minimum d’alphabétisation (dans un pays qui compte 33% d’analphabètes), voire le diplôme de l’école élémentaire, ainsi qu’un garant à l’étranger : l’émigration clandestine vers la France s’en trouve paradoxalement confortée.

De surcroît, à la fin des années 1960, aux arguments économiques s’ajoute la guerre coloniale en Angola : une véritable hémorragie de forces vives, avec 8000 morts, 28 000 blessés, 40% du PIB consacré à la guerre. Le service militaire est alors porté à quatre ans, dans des conditions de vie ou de survie extrêmes — elles formeront la matrice des romans apocalyptiques d’Antonio Lobo Autunes. Les jeunes gens préfèrent l’exil à la guerre deviennent des déserteurs qui vont exploiter le réseau de passeurs espagnols et portugais mis en place lors de la décennie précédente.

Après la Révolution des Œillets d’avril 1974, les Portugais continuent à migrer en France mais se dirigent également vers la Suisse, le Luxembourg ou la Grande-Bretagne, tandis que s’amorce un mouvement de retour au pays : de 1975 à 1982, le nombre des départs de ressortissants portugais est estimé à 146 000, contre 94 000 entrées, soit un solde migratoire négatif de l’ordre de 52 000 personnes. Selon les statistiques du ministère de l’Intérieur français, 39 % des 94 000 bénéficiaires de l’aide au retour sont de nationalité portugaise (Weil 1991 : 107). Dix ans après la révolution, l’intégration du Portugal au sein de la Communauté économique européenne en fait le « bon élève » de l’Europe, selon les propos de Jacques Delors. Dès lors, l’immigration portugaise entre dans un cône d’ombre : elle n’intéresse guère la population française, tandis que les émigrants cherchent à occulter une histoire faite de pauvreté, d’inégalités sociales et de guerres coloniales. En 1989, une exposition retraçant « les 25 années de l’immigration portugaise en France », qui documentait les bidonvilles et les difficultés rencontrées par les émigrants, suscite l’indignation de l’ambassadeur portugais en France, qui la juge « misérabiliste »4. Le silence qui entoure le caractère clandestin de l’immigration portugaise en France vient de cette stratification d’hypocrisies étatiques et de honte individuelle.

1.3. Un accueil hostile

Le grand média de ces années-là, la télévision, fait timidement état des conditions de vie de cette immigration :

Dans les années Soixante, les Portugais filmés par les reporters de télévision sont des êtres en souffrance, qui charrient dans leur sillage tout un cortège de malheurs. Sous-prolétaires vivant à l’écart de la civilisation dans l’immondice des bidonvilles, ils sont travailleurs clandestins, chômeurs, et subissent de plein fouet la misère, l’exploitation, le racisme. Aux souffrances liées aux conditions d’existence s’ajoute, pour certains, le souvenir récent des persécutions politiques, de la torture […]. Qu’ils aient rejoint la France pour fuir la misère, les persécutions ou la guerre, la situation des immigrés portugais n’est jamais réjouissante. Sur l’ensemble de la période, quinze documents contiennent au moins une parole d’immigré portugais. La communauté lusitanienne est la plus représentée au sein de l’immigration européenne. (Mills-Affif 2004 : p. 130).

Mais à part cette quinzaine de courts reportages, la place des Portugais dans le média populaire français est discrète, à l’image de leur place dans la société. Contrairement aux immigrés maghrébins, les Portugais ne connaissent ni la langue ni les usages français, et vivent en communautés solidaires et closes. Le rêve de retour est persistant, et conforté par la loi Stoléru – du nom du Secrétaire d'État auprès du ministre du travail, chargé de la condition des travailleurs manuels sous le gouvernement Chirac, puis chargé des travailleurs manuels et immigrés sous le gouvernement Barre. Car en cette fin des années 1970 où le chômage dépasse le cap symbolique du million de personnes, les regards changent sur la crise et sur l'immigration. Réduire la présence des immigrés en France apparaît comme un moyen d'enrayer l'aggravation du chômage, reprenant ainsi la vieille équation : trop de chômeurs = trop d'immigrés. Dans la foulée de la suspension de l'immigration de travail en 1974, est proposée en 1977 le dispositif d'aide au retour volontaire, assorti d'une subvention de 10 000 francs par personne - dite « million Stoléru ». Le projet de loi, dénoncé au sein même des institutions républicaines par des hommes de gauche comme de droite, est finalement abandonné en 1978, mais c’est dans ces conditions tendues que l’immigration portugaise s’invisibilise, alors même qu’elle se fixe sur le territoire français.

Lorsque le regroupement familial se met en place, au tournant des années 1970, les femmes et leurs familles s’avèrent un levier essentiel dans le processus d’intégration : parce qu’elles vont à la messe et s’adaptent à la langue et à la cuisine du pays, parce qu’elles-mêmes travaillent, parce que leurs enfants sont scolarisés en France5, autant d’éléments que favorisent l’assimilation des hommes, qui eux souffraient de mal connaître la langue française. Les Portugais travaillent principalement dans le bâtiment, mais comme les tisseuses de soie de la complainte ancienne, ils ne s’en trouvent pas mieux logés6. Cette population immigrée en provenance d’un pays ‘périphérique’ pauvre vit en lisière des centres urbains : pour s’en tenir à l’Île-de-France, où les statistiques et les témoignages sont plus denses, on estime à 150 000 les Portugais ayant transité par le bidonville de Champigny-sur-Marne, le plus grand de France et probablement d’Europe, qui pouvait accueillir 15 000 personnes en même temps ; ils se distribuent ensuite à Franc-Moisin, La Courneuve, Aubervilliers, Carrières-sur-Seine, et dans tout le territoire français hormis le PACA. Le bidonville de Champigny sera rasé en 1971 : aucune mémoire urbaine n’en demeure7.

2. Les images arrachées

On a vu que la géopolitique et l’économie expliquent le caractère clandestin de cette immigration, lequel à son tour explique l’invisibilité qui la caractérise. Cependant, deux artistes ont été frappés, au seuil de ces années 1960, par les conditions dramatiques dans lesquelles vivaient ces familles portugaises immigrées, et par les conditions tragiques dans lesquelles les clandestins effectuaient la traversée de la péninsule ibérique : ils ont su en tirer des œuvres d’art époustouflantes, qui méritent d’être considérées aussi pour leur dimension documentaire.

2.1. L’humanisme de Gérald Bloncourt

Le premier artiste incarne une photographie humanitaire qui n’est pas simplement humaniste. Né à Haïti en 1926 et mort hélas en novembre 2018, cet artiste du noir et blanc trempé par la Résistance et influencé par Robert Capa a documenté avec puissance un demi-siècle de combats sociaux, et s’est attaché à l’expérience des Portugais immigrés clandestins en France au point d’affronter lui-même la traversée de la péninsule ibérique et de partager le quotidien des bidonvilles. Dans l’entretien accompagnant l’exposition au Musée de l’Immigration qui a révélé récemment l’amplitude de l’immigration portugaise en France8, Gérard Bloncourt raconte l’inspiration et les convictions qui animent ses photographies, qui se donnent également à voir dans son blog fouillé et généreux9 :

Pour moi, la photo est une arme. Elle permet de toucher des millions de gens. Quand ils lisent un journal, même s’ils ne voient pas le nom du photographe, ils voient la photo et ça leur rentre dans la tête. C’est ma salle d’exposition quotidienne, permanente, populaire, ouverte au public de la rue. Et puis c’étaient mes convictions, profondes, de dénoncer cette misère. Pas seulement celle des ouvriers, mais la misère en général. Toutes les inégalités. Le sort des immigrés. Je suis un immigré aussi. (Poinsot / Volery 2019 : 138).

Bloncourt raconte aussi la genèse de ses reportages qui couvrent une pleine année de misère, à cheval entre 1964 et 1965 : comment il décida de photographier les bidonvilles où vivaient les Portugais, comment il fut pris à parti, puis, reconnu par un camarade de la CGT, comment il s’immergea dans cette communauté dont il se sentait instinctivement proche. Une immersion où il paya de sa personne : c’est ainsi qu’il entreprit le voyage depuis Chaves, presqu’à la frontière entre le Nord du Portugal et l’Espagne, jusqu’à Hendaye. Et sa fidélité à la cause portugaise est grande, qui le ramena à Lisbonne au moment de la Révolution de Œillets, dont il laisse de bouleversantes images :

J’ai parcouru ces régions où naquirent les grands découvreurs du Monde, Henri le Navigateur, Vasco de Gama… J’ai vu les sordides bidonvilles des bas-fonds de Lisbonne… J’ai suivi les routes de l’immigration… J’ai vécu les rencontres avec les passeurs clandestins de Porto, monté les sentiers de Chaves, parlé avec le petit berger au manteau de paille, goûté l’aurore dans les Pyrénées, goût d’hiver, de pleurésie, d’angoisse… Je me suis mêlé aux longues files d’attente en gare d’Hendaye… Ici, derrière chacun de ces visages, il y a le Portugal, son demi-siècle d’obscurité, de misères, d’oppression…10

2.2. L’épopée de Christian de Chalonge

Un autre artiste qui a documenté presque sur le vif la périlleuse aventure de l’immigration portugaise en France est un cinéaste. Christian de Chalonge, né en 1937, a été l’assistant de Valerio Zurlini pour Le Désert des Tartares et de Costa Gavras pour L’Etat de siège ; marqué par le néoréalisme italien, Chalonge est connu pour ses films engagés et ses mises en scène incisives, notamment le film L’argent des autres qui en 1978 reçoit le César du meilleur film et le César du meilleur réalisateur. Dix ans auparavant, son tout premier long-métrage, O Salto, est la narration digne, forte et sans enjolivures, tournée presque comme un documentaire, de l’émigration de jeunes Portugais vers la France. Le noir et blanc rigoureux, la présence d’une lumineuse Ludmilla Mikaël, la production et distribution par Les Artistes Associés, indiquent la haute exigence et l’immédiate consécration du jeune réalisateur : ce premier film est présenté au Festival de Venise de 1967 où il remporte le prix de l'Office catholique international du cinéma11.

Cette narration — le voyage d’un groupe de jeunes gens qui traversent deux pays, deux frontières, plusieurs cours d’eau, la nuit et le froid, à pied et en camion — est portée par des acteurs non professionnels, portugais et espagnols. Dans un entretien récent, Christian de Chalonge raconte son inspiration première — le désir de raconter la solitude dans les grandes villes et de dénoncer les faits divers sinistres de migrants qu’on retrouvait morts dans les Pyrénées — ainsi que les conditions de tournage : les figurants espagnols et portugais, l’acteur principal qu’il fallait doubler, le tournage dans le Pays Basque espagnol pour ne pas courir de risques. Il considère son film comme « un film dur […] sur les regards […] avec des mondes parallèles » et l’histoire comme « un éternel recommencement » — à la lumière sinistre de notre présent12.

La narration est structurée par un geste, une image, qui est matériellement un symbole – l’étymon même de symbole, du grec symballo, qui signifie « je réunis les deux morceaux d’un même objet ». Il s’agit de la photo déchirée. Au moment du départ, l’émigrant clandestin remettait au passeur une photographie qu’il déchirait ; le passeur conservait une moitié de cette photographie, ce dernier gardant l’autre moitié ; arrivé à destination, il l’envoyait à sa famille : c’était le signe qu’il était bien arrivé et qu’on pouvait finir de payer le passeur – on rapporte qu’un passage coûtait l’équivalent du salaire annuel d’un gendarme13.

Le réalisateur voulait intituler son film « le voyage du silence », reprenant le titre d’un poème de Paul Éluard : finalement ce fut le mot portugais o salto qui l’emporta. Ce mot a plusieurs niveaux d’explication, aussi bien métaphorique (faisant étrangement écho aux mémoires d’un autre ‘immigré’, l’artiste italien Ardengo Soffici qui vécut à Paris de 1900 à 1907, et intitula Il salto vitale son autobiographie relatant sa découverte de la Ville Lumière et l’invention des avant-gardes historiques) que politique : il est le titre d’une revue animée en France par des réfugiés portugais de 1970 à 197414. Il a également une signification très simple : l’émigration portugaise vers le Brésil au début du XXe siècle était ainsi désignée parce que les émigrants sautaient, littéralement, dans les barques qui prenaient le large. Adopté, diffusé, banalisé, on va voir que ce mot polysémique va habiter durablement l’imaginaire portugais.

3. La parole fragmentée

La littérature a quasiment ignoré ce drame. Il y eut certes des poèmes, essentiels pour un peuple et une langue où la tradition orale et chantée est si importante : comment ne pas citer ici les sublimes « Portugal nas ruas de Paris » de Manuel Alegre15 ou « Canção do desterro » de Zeca Afonso16… Mais la poésie évoque, ne raconte pas. Or, il y eut très peu de textes narratifs écrits, et a fortiori traduits, sur ce sujet – qui maintenant semble éclore17. Deux raisons à cela, qui renvoient à l’essence même de cette émigration : le pays était pauvre donc l’analphabétisme important ; et le régime était totalitaire, donc la censure impérieuse. L’invisibilité de l’immigration portugaise, dont on a déjà parlé, a fait le reste18. Dès lors, la plupart de ceux qui accomplissaient ce saut n’avaient pas les outils pour le dire, ceux qui les avaient n’avaient pas la possibilité de publier leurs écrits, et de toute manière presque personne ne voulait entendre leurs témoignages. Une raison supplémentaire est formulée par la chercheuse Marina Matozzi, qui met en avant une volonté inconsciente d’occulter les traces, fussent-elles rares, de cette anti-épopée19. Si bien que les documents sont rares : mais ils peuvent être éclatants, et c’est tout un pan de la société française et de l’histoire portugaise qui est narré dans ces trois récits.

3.1. Un instrument politique : Acidente Ocidental

Il est vrai que la censure salazarienne ne bloqua pas Acidente Ocidental publié par Fernando Madureira en 1972 : très probablement parce que la trame de ce mince récit pouvait servir le discours officiel. Le jeune protagoniste, Florêncio, issu d’une famille pauvre, coincé entre le chômage et le service militaire, décide de tenter le salto avec son ami Rui ; les deux jeunes gens tentent, échouent, sont arrêtés et reconduits au pays, conscients qu’ils seront emprisonnés comme déserteurs. La critique de la situation économique et politique portugaise parcourt et motive la narration, jusque dans un Big Brother local, le « Grande Olho Peninsular » (Grand Œil Péninsulaire) qui traque les personnages et brime leurs corps et leur imaginaire (le roman n’étant pas traduit en français, je donne ici ma propre traduction) :

Mais ce n’est toujours pas Paris. C’est la pluie et la boue et une patrouille de la Garde Civile. C’est la route bloquée par le Grand Œil Péninsulaire. C’est la loi de la mitraille et le doigt dans la gâchette. Il fait gravir la montagne, tomber, enterrer son corps dans la boue pour échapper au Grand Œil Péninsulaire. Il faut manger 26 kilomètres de boue et trouver un pont en bois, quelque part, sur une carte tracée dans une calligraphie scolaire. […] Derrière chaque arbre, une ombre. Et dans chaque ombre, l’immense Œil Péninsulaire grand ouvert, terriblement lumineux, sadique, unique. (Madureira 1972 : 131).

Avec sa chute ouverte, le retour de Florêncio et Rui au pays, le serment fait à sa mère de ne pas retenter le saut (mais cette promesse, la dernière phrase du livre, s’arrête brusquement, comme si la voix s’étranglait…), le roman de Madureira semble écrit pour décourager l’émigration, et sert de ce fait les visées de la censure. L’édition originale porte même en annexe cette note du Secrétariat National à l’Émigration :

La presse s’est fait l’écho des difficultés que rencontrent certains travailleurs portugais dépourvus de papiers, empêchés de ce fait à traverser l’Espagne et à entrer en France. […] Afin que des situations de ce type ne se répètent pas, une fois encore le Secrétariat National à l’Émigration prévient tous du risque que prennent inévitablement ceux qui émigrent sans se munir préalablement d’un contrat de travail et de leur passeport. (Madureira 1972 : 189).

Néanmoins, la geste de Florêncio et Rui est investie d’une dimension symbolique qui remotive tout le livre : « “Il est dangereux de se pencher au-dehors, traduit mentalement Florêncio. Mais non, Ce qui est dangereux, très dangereux même, c’est qu’un gars ne se penche à la fenêtre de sa vie, pense Florêncio » (Madureira 1972 : 110).

3.2. Un engagement moral : Cinco Dias, Cinco Noites

Le livre Cinco Dias, Cinco Noites, à savoir « Cinq Jours, cinq nuits », apparemment proche d’Acidente Ocidental, aussi bien chronologiquement que narrativement, est à la fois un roman et un témoignage : et cette dualité est mise en lumière par le statut ambigu de son auteur. Le récit, écrit dans les années 1950, est publié par les éditions communistes Avante au lendemain de la Révolution des Œillets sous le nom de Manuel Tiago : il s’agit du pseudonyme avec lequel Cunhal a fait paraître ses œuvres romanesques. Álvaro Cunhal, figure historique de l’antifascisme puis leader du parti communiste portugais (1913-2005), laisse en effet, à côté de son action politique matérialisée par plusieurs tomes d’articles et interventions, une œuvre littéraire consistante, signée Manuel Tiago – ainsi que des tableaux et gravures signés Antonio Vale20. La biographie de Cunhal atteste de très nombreux passages clandestins entre les frontières portugaise et espagnole, et espagnole et française : s’il a voulu garder sa vie politique et sa vie artistique distinctes, ne révélant l’identité de Manuel Tiago qu’en 1995, il est patent que l’une se nourrit de l’autre.

Cinco Dias, Cinco Noites est un roman d’apprentissage sobre et glaçant, qui reçut un accueil enthousiaste lors de sa sortie en 1975, adapté au cinéma par José Fonseca e Costa en 1996. On accompagne le voyage du jeune André depuis Porto jusqu’à la frontière entre l’Espagne et la France, escorté par le contrebandier-passeur Lambaça, un homme intrigant et déplaisant (j’emprunte les traductions des passages cités à Infante Do Carmo, 2010) :

À la veille de ses dix-neuf ans, André s’est vu forcé à émigrer. On lui procura de l’argent, on lui signala une adresse à Porto et on lui dit que, sur place, on trouverait le moyen de lui faire traverser la frontière vers l’Espagne. Les choses ne furent, pourtant, pas aussi faciles. À Porto, les gens qui devaient l’accueillir lui assurèrent dans en premier temps qu’ils ne pourraient rien faire. Ce n’est qu’au bout de deux semaines d’une attente angoissante que l’on finit par lui indiquer un certain Lambaça, un contrebandier qui se disait disposé à conduire André en Espagne moyennant le paiement de mille escudos.
Mais il fut immédiatement prévenu :

– Ce type a déjà un casier judiciaire, pour des bagarres, des coups de couteaux, et, apparemment, aussi pour vol. La solution est mauvaise, mais nous, nous n’en voyons pas d’autre. À toi de décider.

André décida d’accepter et on lui présenta l’homme.

C’est quasiment un huis clos à ciel ouvert, un tête-à-tête dans un paysage escarpé. S’ils croisent des paysans taiseux, une prostituée au grand cœur, à aucun moment les voyageurs ne rencontreront leurs poursuivants potentiels. Et finalement Manuel Tiago nuance le personnage roublard de Lambaça, et partant la figure du passeur, qui certes exploite le clandestin qui émigre, mais qui l’aide aussi : « dans les dernières lignes du récit qu’il fait sortir Lambaça de l’ombre ; à ce moment-là, en effet, ce personnage austère s’illumine d’humanité lorsqu’il refuse l’argent que lui propose André comme paiement définitif. » (à Infante Do Carmo, 2010). Si bien que l’expérience du salto est la révélation d’une humanité partagée.

3.3. Une invention linguistique : Este verão o emigrante là-bas

Je vais me focaliser maintenant sur romancière portugaise née à Luanda, en Angola, en 1929, et morte en 2004. Olga Gonçalves laisse une œuvre prodigieuse de densité et d’intelligence, dont le roman le plus emblématique, Este verao o emigrante là-bas, paru en 1978, croise élégamment l’expérimentation fictionnelle et l’exploration sociologique. Rien n’a été traduit, à ma connaissance et d’après le catalogue de la BNF, de cette auteure qui mériterait relecture, parce qu’elle éclaire notre présent aussi, c’est pourquoi pour elle aussi, je propose ma traduction.

La narratrice homodiégétique est une intellectuelle portugaise qui, à l’occasion d’un séjour en France, va à la rencontre de la communauté portugaise parisienne et des environs. L’immigration s’est stabilisée, la Révolution des Œillets a rendu au Portugal une crédibilité internationale, les émigrants reviennent régulièrement au pays : le roman national peut recommencer. Olga Gonçalves pose le contexte économique et politique, comme la montée du chômage et le plan de rapatriement des étrangers. Elle nous tend un miroir dérangeant, quand elle visite le Musée Marmottan et cite les lettres de Monet à l’époque de sa plus grande pauvreté, alors qu’il se sent « émigré à l’intérieur de son propre pays » (Gonçalves 1992 : 115). Elle accomplit un travail de sociologue et égrène avec force détails la volonté conjointe d’intégration dans le pays de résidence et de préservation de la culture nationale :

Nous avons beaucoup d’associations. A Paris et dans toute la France. Culturelles, bien sûr. Et aussi récréatives. On a de tout. Quant au sport, on a une équipe de foot, une de gym, une de tennis. Il y a l’atelier folklore, un labo photo, et même une bande de clowns. Il y a du théâtre et une chorale. On voit tout ça dans les associations, tout doucement mais ça vient. Tout avec nos efforts, tout payé par les émigrants. Et dans beaucoup d’associations, des cours pour les enfants portugais. Le français aussi on l’enseigne, bien sûr. Mais là c’est la Mairie qui paie les profs et qui les envoie. Les curés des paroisses nous donnent des salles. (Gonçalves 1992 : 129).

Cette marqueterie de monologues, de citations de documents originaux et d’entretiens, donne à entendre pleinement la langue perdue. Le flux narratif englobe dans un même élan le monologue intérieur de cette bourgeoise aisée, interrogative, perplexe, et les incertitudes linguistiques de ses interlocuteurs, ouvriers, manœuvres, maçons21, et de leurs femmes aussi. La prose portugaise est émaillée des mots français employés par les immigrés portugais, qui renvoient tous au champ lexical de l’habitation et de la vie quotidienne – Bonjour, habitations, pubela, tobus, l’habitude, o ménage — et l’interlangue, « la rencontre entre la langue portugaise et la langue française » (Gonçalves 1992 : 202) frappe dès le titre sibyllin, intraduisible, qui signifie « cet été l’émigrant là-bas »… Car symétriquement la narratrice pose aussi la question du retour, chaque été ou bien au moment de la retraite, du saut à l’envers, examine aussi le culte de l’émigrant au Portugal, où il est accueilli avec force fêtes factices, ainsi que la manne financière que l’émigration apporte et dont le pays dépend22. Le saut est encore une fois raconté, donc remémoré, revécu, et remotivé par la notion de retour :

On trouvait un petit chalutier, et avec on contournait l’Espagne, on entrait dans le Golfe de Gascogne, et voilà, les gens mettaient pied à terre. Oh, il y en avait qui faisaient le saut ! Un homme pouvait passer la frontière avec une pièce d’identité, ou même une simple carte de supporter de foot. Ça, on se retrouvait à la frontière. On poursuivait en camionnette, comme du bétail. On se servait de “passeurs“, je veux dire, les gens qui nous contactaient pour nous déposer en France. C’est eux, les passeurs, qui connaissaient tout. Moi aussi j’ai été passeur, un peu par hasard. Exactement, par hasard. Quarante-sept hommes dans un chalutier, et moi qui les commandais, je me suis trouvé responsable de tout. (Gonçalves 1992 : 77-78).

C’est cette écrivaine de la langue qui a la formule thaumaturgique qui relie la fiction et la réalité : « J’écris. J’ai besoin de la fiction pour mieux voir la réalité. » (Gonçalves 1992 : 179).

En guise de conclusion : sidération et considération

Je confie la conclusion de ce voyage à rebours aux images du documentariste José Vieira. Né au Portugal en 1957, José Vieira arrive en France dans les années 60 et découvre « la boue et les baraques du bidonville de Massy, en banlieue parisienne […] Quarante ans plus tard, de documentaire en documentaire, José Vieira fouille la mémoire de cet exode qui fut “un des plus importants de l’Europe de l’après-guerre” »23. Vieira parcourt toute cette documentation fragmentée et dispersée pour composer des documentaires lyriques, sensibles et éloquents, dans lesquels il raconte l'exode de ces émigrés portugais qui ont quitté leur pays pour venir travailler en France dans les années 60, mais également le quotidien d'autres populations qui connaissent des situations identiques de nos jours, comme les Roms. Son premier film, Les gens du salto, produit en 200124, raconte à la première personne du singulier et du pluriel cette mémoire collective, alternant images en noir et blanc (tirées de documents de l’époque et du film de Christian de Chalonge) et reportages ou interviews en couleurs. On suit ces « paysans illettrés » entassés entre Chilly et Massy, pris en tenaille entre Salazar et De Gaulle, entre l’expérience de misère au Portugal et le spectacle de la consommation en France, entre amertume et saudade ; on écoute différents témoignages de ces gens « sans papiers et sans paroles », on revient avec eux sur les lieux du salto, et tandis que la voix du réalisateur énonce, vers la fin du documentaire, « nous avons réécrit l’histoire pour lui donner une fin plus acceptable, plus digne », on se dit qu’enfin cette immigration clandestine s’est trouvé une voix et une trace.

J’espère que cette juxtaposition de données économiques, statistiques et politiques, et de tessons artistiques et fictionnels, contribuera à faire connaître « cette histoire complexe qui réveille des mémoires longtemps douloureuses » (Volovitch-Tavares Marie-Christine 2008) et à passer, comme tout au long de ce colloque, de la notion de sidération à celle de considération, pour reprendre la formule frappantes de Marielle Macé dans Sidérer, considérer. Que l’étonnement, l’ébahissement devant la révélation – qui, hormis ceux pour qui cette histoire est inscrite dans la mémoire individuelle ou familiale, voyait ces immigrés portugais, connaissait leur sort de clandestins ? – donne désormais le pas à la considération.

Bibliographie

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Weil, Patrick, La France et ses étrangers, Paris : Calmann-Lévy, 1991.

Notes

1 Ainsi débute l’article de Jacques Hauser qui ouvre l’important dossier consacré à l’immigration portugaise dans la revue Hommes et migrations (Hauser : 1989) Ce numéro monographique est une des premières études d’ensemble en français consacrées à ce pan de l’immigration en France. Les autres jalons significatifs sont en 2013 l’exposition de photographies de Gérald Bloncourt à la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, et en 2022 un recueil de témoignages préfacé par Victor Pereira intitulé Exils. Retour au texte

2 Ce chiffre est avancé par le blog http://lusitanie.info, qui compile plusieurs témoignages inédits — par exemple ce récit de salto accompli par des enfants : « En 1971, nous avons quitté le Portugal pour la France. Mes parents vivaient en France depuis un an. Ma mère était venue chercher ses 5 enfants au Portugal pour les ramener en France. Nous étions 5 enfants de 2 à 8 ans. Comme nous, les enfants, n’avions pas de passeport, nous avons dû traverser la frontière espagnole à pied par les montagnes accompagnés d’une jeune fille espagnole. On ne devait pas parler, ni courir, ni se retourner. Je me souviens qu’on était passé par une rivière et on devait marcher sur les pierres. Puis nous avons attendu notre mère dans un café, c’était le lieu de rencontre. Ensuite, nous avons pris le train pour Paris. Voilà, nous étions arrivées en France. Le pays où il fait très froid en hiver. » http://lusitanie.info/2009/08/les-10-peu-glorieuses-ou-limmigration-portugaise-en-france-dans-les-annees-60/. Le volume collectif Exils présente treize témoignages de saltos. Retour au texte

3 « L’immigration portugaise », Population, 1966 : p. 576. Retour au texte

4 C’est l’historien Victor Pereira qui raconte cet incident diplomatique (cf. Pereira b, 2017 : 34). Le journaliste Jorge Valadas rapporte que, « en avril 2016, la publication d’un modeste recueil de témoignages de déserteurs portugais provoqua un véritable tollé au Portugal » (Exils, 2022 : p. 19). Retour au texte

5 « Le nombre d'élèves portugais dans le système scolaire français passe de 212 506 en 1976-1977 à 238 472 en 1980-1981, à 188 430 en 1987-1988 : la courbe reflète une dénatalité dans la communauté portugaise (corrélée à l’emploi des femmes), mais une part constante dans la présence d’élèves étrangers. L’acquisition de nationalité française et les mariages mixtes ont dilué les éléments statistiques, qui ne nous intéressent que pour prendre la mesure du phénomène. » (Lebon 1989 : 17). Retour au texte

6 « Le secteur du BTP emploie 45 % de la main-d'œuvre masculine portugaise au lieu de 11 % des nationaux ; cette position dominante peut s'exprimer autrement : plus d'un tiers de tous les étrangers occupés dans le bâtiment et les travaux publics sont de nationalité portugaise » (Lebon 1989 : 10). Retour au texte

7 L’historienne Marie-Christine Volovitch-Tavares détaille avec volubilité l’originalité de sa recherche et la complexité de ses sources dans un entretien passionnant, réalisé en 2014 avec l’Observatoire de l’Émigration sis à Lisbonne : http://observatorioemigracao.pt/np4/4952.html (page consultée le 28 septembre 2022). Retour au texte

8 À l’occasion de l’exposition de photographies de Gérald Bloncourt « Pour une vie meilleure », L'immigration portugaise à travers cinquante photographies en noir et blanc de Gérald Bloncourt, op. cit., la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration a mis en ligne un dossier fouillé sur les traces et les mémoires de cette histoire auquel cet article doit beaucoup : https://www.histoire-immigration.fr/musee-numerique/expositions-temporaires/pour-une-vie-meilleure-photographies-de-gerald-bloncourt (page consultée le 28 septembre 2022). Retour au texte

9 Voir https://www.bloncourt.net/pictures/temps_passe/diapo_01.html et, plus spécifiquement sur l’immigration portugaise, http://bloncourt2.over-blog.com/2014/07/l-immigration-portugaise.html. Et pour réentendre la voix chaleureuse de Gérald Bloncourt, cf. https://www.histoire-immigration.fr/musee-numerique/regards-de-photographes/rencontre-avec-gerald-bloncourt (pages consultées le 28 septembre 2022). Retour au texte

10 Ces lignes sont tirées du discours de Gérald Bloncourt, récipiendaire de la grande-croix de l’ordre portugais Infante Dom Henrique, et rapportées dans son blog : http://bloncourt2.over-blog.com/2016/06/gerald-bloncourt-recoi-la-grande-croix-de-l-ordre-portugais-du-infante-d-henrique.html (page consultée le 28 septembre 2022). Retour au texte

11 Il convient ici de reporter l’incipit de la critique du journal Le Monde par Alain Murcier du 2 décembre 1967 : « O salto : en portugais, le saut. C'est celui que font, que tentent, les plus courageux des hommes d'un des recoins de l'Europe qu'englobe encore la frontière de la faim. Le saut par-dessus cette frontière, c'est un saut dans l'inconnu, paré, par ceux qui en reviennent, des couleurs de la terre promise. La route de 2 000 kilomètres qui y mène, celle-là même qu'empruntent en sens inverse les "vacanciers" parisiens, dont le Chanaan se trouve – pour quinze jours – sur les riantes plages de Lusitanie, cette route est jalonnée de cadavres. Car les hommes qui fuient un pays incapable de les nourrir, qui viennent offrir leurs bras dans un pays qui en manque, qui, ce faisant, comblent les vœux des gouvernements portugais et français, sont, par l'effet conjugué de la vanité nationale et de la paresse administrative, considérés – et traités lorsqu'ils se font prendre – comme des hors-la-loi. La route des immigrés officiels, avec passeports et contrats de travail, n'est pas rose. Celle des clandestins serpente à travers une obscure forêt de Bondy peuplée de gens d'armes qui tendent des embuscades, et de malandrins qui rançonnent. Pour les pauvres, décidément, les siècles n'ont pas de numéro. Tout le monde, depuis toujours, leur tombe dessus. Des centaines de milliers de Portugais en ont fait, ces dernières années, l'expérience. Christian de Chalonge, dans son premier long métrage, la décrit. Il dévide comme une bobine la route luisante la nuit sous les phares des trafiquants de main-d'œuvre. Il montre comment ils se relaient pour livrer aux mains de nouveaux passeurs qui les tondent leur cargaison de moutons à forme humaine, transis de peur, de froid et de faim. Au bout de la bobine, il y a le bourbeux bidonville de Champigny-sur-Marne, aplati entre les gratte-ciels blancs dressés à grand renfort de main-d'œuvre portugaise. » Retour au texte

12 https://archive.org/details/ChristianDeChalongeProposDuFilm (page consultée le 28 septembre 2022). Retour au texte

13 Ce chiffre est avancé dans le documentaire Agripino, uma evasão portuguesa, tourné par Guillaume Mazeline en 2006. Retour au texte

14 Cf. l’étude d’Ana Cristina Climaco Pereira, La presse de l’émigration politique portugaise en France – analyse du journal O Salto 1970-1974, mémoire de DEA d’histoire sous la direction d’Andrée Bachoud, Université de Paris VII, 1992, et la providentielle numérisation de ce bulletin de liaison : https://odysseo.generiques.org/ark:/naan/a011378300207vm4gb9 (page consultée le 28 septembre 2022). Retour au texte

15 Cf. « Portugal nas ruas de Paris » de Manuel Alegre, dans le recueil O canto e as armas, Lisboa, Dom Quichote, 1967. Je me permets d’ajouter ma traduction de ce poème célébrissime au Portugal : « Solitaire/ parmi la foule j'ai vu mon pays./ C'était un profil de sel/et d'avril./ C'était un pur pays bleu et prolétaire./ Un anonyme passait. Et c'était/ le Portugal qui passait solitaire parmi la foule/ dans les rues de Paris. //J'ai vu ma patrie éparpillée/ gare d'Austerlitz. Paniers/ et paniers par terre. Morceaux/ de mon pays./ Restes/ Bras/ Ma patrie sans rien/ déversée dans les rues de Paris.// Et le blé ?/ Et la mer ?/ Est-ce la terre qui n'a pas voulu de toi/ ou quelqu'un qui a volé les fleurs d'avril ?/ Solitaire parmi la foule j'ai marché avec toi/ le regard lointain comme le blé et la mer./ Étions-nous cent, deux cent mille ?/ Et nous marchions. Bras et mains à louer/ mon Portugal dans les rues de Paris. » Retour au texte

16 Cf. https://www.youtube.com/watch?v=yKEaerOoYuA, paroles de Zeca Afonso (page consultée le 28 septembre 2022), album Traz outro amigo tambèm, 1970. Retour au texte

17 Outre les romans portugais qui depuis une dizaine d’années se focalisent sur cette anti-épopée, par exemple Livro de José Luís Peixoto paru en 2009 (traduit du portugais par François Rosso, Paris : Grasset, 2012), on peut signaler une vague d’ouvrages français relevant aussi de la culture populaire : le guide ludique publié par Agnès Pellerin (2009), les albums du bédéiste Cyril Pedrosa (voir notamment Portugal, paru en 2011, Prix Le Point de la BD, Prix Bédélys Monde, Prix des Libraires de bande dessinée, Prix du public du Festival d'Angoulême…), ou le film La cage dorée tourné par Ruben Alves en 2013. La récente publication d’Exils, choix de témoignages d’exilés et de déserteurs portugais, indique-t-elle un changement de perspective ou de sensibilité ? Retour au texte

18 Il faut signaler ici un ouvrage puissant, qui cependant ne ressort pas du champ littéraire, As Histórias Dramáticas da Emigração de Waldemar Monteiro, paru en 1969, censuré en 1970. L’auteur était traducteur auprès du service social de la main-d’œuvre étrangère en France, et c’est de cette expérience qu’il tire la matière de son livre. Il fut aussi journaliste et documentariste, mais sa mort en 1969 a comme stoppé l’impact que son livre aurait pu avoir après la Révolution, ainsi que sa version française (Waldemar Monteiro 1974). Pour les mêmes raisons, je me borne à citer les titres des ouvrages ou mémoires d’exilés politiques, tels que Mario Soares (1975) ou Raul Simões Pinto (1995). Retour au texte

19 Spécialiste de la ‘littérature de l’émigration’, Martina Matozzi explique que cette « supposée absence de textes » renvoie à une position idéologique endossée par des intellectuels, de Miguel Torga dans un discours publié en 1955 à Eduardo Lourenço dans un essai de 1993 : la volonté inconsciente de ne pas ternir l’épopée des Découvertes qui est le roman national portugais. Cf. son essai (2020), livre tiré de sa thèse soutenue en 2016. Retour au texte

20 Voir la contextualisation historique et politique de cette œuvre fictionnelle chez Pereira (2017). Retour au texte

21 En 1982, 74% des actifs portugais en France sont ouvriers, et 30% d’entre eux employés dans les BTP (Lebon 1989 : 10). Retour au texte

22 Lebon (1989 : 20) souligne « l'importance des sommes envoyées au Portugal par les travailleurs sur leur rémunération ; en proportion de l'ensemble d'abord (entre 40 et 47% du total, sauf en 1975 à cause de la situation politique qu'a connue ce pays cette année-là), rapportées à l'effectif des actifs ensuite. » Depuis toujours, les Portugais ont eu un comportement de transferts très développé : les sommes vont de 2 781 (28,9% des revenus de ces travailleurs) en 1974 à 6 958 (20,1%) en 1987. Retour au texte

23 Cf. la section qui lui est consacrée dans le dossier de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, https://www.histoire-immigration.fr/sites/default/files/musee-numerique/documents/filmoport2.pdf (page consultée le 28 septembre 2022). Retour au texte

24 https://www.youtube.com/watch?v=Ybv5YBkJWa0 Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Isabel Violante, « De la photo déchirée à la langue fragmentée : quelques documents sur l’immigration clandestine portugaise vers Paris », Textes et contextes [En ligne], 17-2 | 2022, publié le 15 décembre 2022 et consulté le 21 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=3936

Auteur

Isabel Violante

Maîtresse de Conférences HC, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CMMC (Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine), Université Côte d’Azur, UPR 1193, Département des Langues, 90 rue de Tolbiac, 75013 Paris

Droits d'auteur

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