1. La nouvelle et son contexte
Le 4 décembre 1967, un an et deux mois après avoir remporté le Hugo Award de la meilleure série de science-fiction pour son cycle Fondation1, l’écrivain Isaac Asimov publiait la nouvelle « Segregationist » (Ségrégationniste) dans les pages du journal Abbottempo. Distribuée par une compagnie pharmaceutique basée à Montréal, cette revue à vocation médicale traitait usuellement de sujets aussi divers que les médicaments, les thérapies, la nutrition ou l’histoire de la médecine. À l’occasion, si le sujet s’y prêtait, elle publiait et diffusait aussi de courts récits qui accompagnaient les articles scientifiques et qui rendaient le journal plus accessible au grand public. Cependant, la tendance s’inverse ce lundi du mois de décembre 1967, date de sortie du quatrième numéro d’Abbottempo, lorsque le nom d’Isaac Asimov éclipse, le temps d’une publication, celui des autres auteurs de la revue.
Par la suite republiée en 1969 dans le recueil Nighfall and other stories, puis dans The Complete Robot en 1982, ce récit2 s’inscrit dans l’une des thématiques phare du célèbre auteur de science-fiction : la robotique. Dans ce court récit de seulement dix pages, Isaac Asimov dépeint un monde futuriste au sein duquel les Métallos – nom qu’il donne ici aux robots humanoïdes, dotés d’une conscience similaire à la nôtre, en anglais « Metallo » – cohabitent au quotidien avec les êtres humains. Bien que leur anatomie soit faite de métal et de composants électroniques, à la différence de l’anatomie humaine constituée de chair et de sang, ils représentent une des deux « variétés d’intelligence3 » (Asimov 1982 : 162), comme l’énonce l’un des protagonistes de la nouvelle, vivant d’égal à égal dans cet univers fictionnel. De prime abord, la trame du récit semble plutôt simple à appréhender : à la manière d’une pièce de théâtre ancrée dans un lieu unique, proche d’un huis clos, elle se divise en trois temps bien déterminés et n’accueille, en tout et pour tout, que trois personnages4. Dès les premières lignes, Asimov nous plonge dans une joute verbale entre un chirurgien et son ingénieur médical qui évoquent, un peu comme dans un dialogue socratique, une importante opération médicale à venir, et débattent des conséquences philosophiques et sociales de la métallisation progressive de l’être humain, par l’utilisation de greffes et de prothèses. Rapidement, les avis des deux protagonistes se révèlent être drastiquement opposés : alors que l’ingénieur médical revendique sa totale acceptation du phénomène d’hybridation entre humains et Métallos, le chirurgien paraît, à l’inverse, éprouver du ressentiment à l’égard de ce qu’il nomme lui-même, plus en aval dans le récit, un « métissage5 » (Asimov 1982 : 163). Abrégé par l’entrée, dans le cabinet médical où se déroule l’intrigue, d’un patient qui s’avère être celui dont l’opération faisait jusqu’ici polémique, ce débat constitue, en substance, le premier temps de la nouvelle.
Lors du second temps du récit, l’ingénieur médical se met en retrait des échanges et cède la parole au patient du chirurgien, un sénateur devant recevoir une greffe du cœur. Durant cette séquence, plus longue que la précédente, chirurgien et sénateur discutent des choix relatifs à la transplantation cardiaque dont va faire l’objet ce dernier. Parmi les sujets abordés, le principal concerne la décision du patient de se faire greffer un cœur en métal plutôt qu’un cœur en matière polymère, qu’il considère comme du « vulgaire plastique6 » (Asimov 1982 : 159). Bien que cette décision déplaise au chirurgien, bien décidé à vanter les mérites de son « cybercœur fibreux7 » (Asimov 1982 : 159), le sénateur maintient sa position initiale, reste sourd aux arguments du médecin et clôt abruptement la discussion en réaffirmant son souhait de se voir transplanter un cœur « en alliage de titane8 » (Asimov 1982 : 160), qu’il juge plus durable, plus efficace et, surtout, plus élégant et plus digne de la place sociale qui est la sienne. C’est à cet instant que son désir de métallisation corporelle non plus partielle, mais intégrale, autrement dit son souhait de ne pas simplement devenir un hybride mais une véritable entité métallisée, émerge et que, en parallèle, il émet des propos ouvertement discriminatoires à l’égard des robots.
Enfin, dans un troisième et dernier temps, l’ingénieur médical réapparaît et entame avec le médecin la conversation qui parachève l’intrigue, dans un face à face n’opposant toujours que deux protagonistes. Le chirurgien y émet des avis de plus en plus critiques quant au « métissage » de l’humain et de la machine, allant même jusqu’à assumer un réel souhait de ségrégation entre les deux espèces. Il maintient du reste cette position avec fermeté, se contentant d’un froid et banal « alors, qu’il en soit ainsi9 » (Asimov 1982 : 163), lorsque son assistant lui fait remarquer que ses paroles ressemblent à un « discours ségrégationniste10 » (Asimov 1982 : 163).
Il est déjà à noter que le titre de la nouvelle provient justement des termes employés durant cet ultime différend et que ce choix lexical, historiquement lourd de sens aux États-Unis11, va prendre une importance accrue dans la conclusion du récit. En effet, le lecteur est poussé à reconsidérer le sens de toute la scène finale par le retournement de situation que l’auteur impose par la dernière phrase de son récit, émise par le narrateur à l’attention du praticien-cardiologue : « Malgré le sujet brûlant, le ton de sa voix n’avait jamais augmenté et, comme à son habitude, aucune expression ne se lisait sur son visage métallique bruni12 » (Asimov 1982 : 162). Alors que, durant toutes les discussions précédentes, tout semblait indiquer que le trio n’était composé que d’humains, plus ou moins tolérants et complaisants à l’égard de leurs alter ego robotiques et plus ou moins favorables à l’hybridation de la chair et du métal, ce retournement bouscule ce que l’on croyait acquis jusqu’alors : le chirurgien, personnage central de l’intrigue, est en réalité un Métallo. Cette révélation qui remet en perspective tout le synopsis confère au récit une dimension nouvelle, plus riche et profonde, notamment eu égard au discours « discriminatoire » qui sous-tend l’histoire.
Avec son Cycle des robots, Isaac Asimov démontre son génie littéraire (que lui-même vante souvent dans ses préfaces) et affirme sa place de « père de la robotique » dans l’univers de la science-fiction13. Cependant, bien que l’auteur soit l’un des grands idéateurs de la figure du robot, et ainsi d’une des figures les plus fécondes et originales du genre14, d’autres écrivains, d’autres « rêveurs »15, avaient avant lui apposé eux aussi leur marque sur cette trouvaille fictionnelle16. L’entité mécanique de bronze ou d’acier, animée par la magie ou par la technologie, est en réalité présente dans les cultures populaires depuis plusieurs milliers d’années. De manière analogue, le « métissage » de l’humain et du métal relève, lui aussi, d’une pensée récurrente chez les conteurs, les penseurs et les romanciers, au cours de bien des époques et dans bien des lieux. En définitive, et bien que sa nouvelle soit menée d’assez belle manière, Asimov n’y évoque finalement que peu de thèmes fondamentalement inédits et innovants. Tout au long de « Ségrégationniste », il joue de stéréotypes qu’il remet au goût du jour tout en en métamorphosant la portée et le sens, et ce afin de rendre plus marquante la chute de son récit.
Ces stéréotypes transculturels et souvent fort anciens, Asimov les puise, consciemment ou non, dans un vaste fonds commun mythologique enrichi par des sources multiples, dans lequel notre culture s’enracine. Notre propos est de les identifier afin de montrer comment la nouvelle « Ségrégationniste » se nourrit de représentations mythiques, quelles sont précisément ces représentations, et comment l’auteur les réactualise dans la littérature de science-fiction moderne. Sans prétendre à une quelconque forme d’exhaustivité, nous tenons à préciser que les exemples sur lesquels s’appuie cette recherche sont de ceux qui, selon nous, ont eu le plus d’impact dans la culture de notre époque, autrement dit ceux qui, ayant enfanté des projections imaginaires et des images mentales toujours très vivaces, jouissent d’une place durable au sein de nos univers fictionnels favoris.
La réflexion se scindera en trois temps. Dans un premier temps, nous reviendrons sur quelques visions mythiques de l’hybridation entre l’Homme et les matières métalliques qu’avaient déjà développées les Anciens en leur temps de manière tantôt littérale, tantôt métaphorique, notamment par le truchement du langage poétique et de l’image de l’armure. Dans cette analyse liminaire, nous analyserons comment ces images légendaires d’un « métissage » bio-métallique occupaient déjà, en des temps lointains, une place prééminente dans l’imaginaire collectif ; comment elles accèdent aujourd’hui au rang de motif itératif de la science-fiction ; et enfin, comment elles permettent de comprendre les prises de position des différents personnages de l’intrigue de « Ségrégationniste ».
Dans un second temps, nous porterons plus spécifiquement notre regard sur l’humain métallisé (l’homme de fer et la femme d’or et d’argent tels que les mythes originels se les représentent) afin de de mettre en évidence les éléments imaginaires et mythèmes auxquels renvoient la métamorphose fantastique de la substance humaine dont traite la nouvelle d’Isaac Asimov. La querelle qui anime les acteurs de la nouvelle sera ainsi éclairée et prendra tout son sens, notamment à travers la révélation des désirs profonds du sénateur quant à l’évolution de son anatomie.
Enfin, dans un troisième et dernier temps, nous conclurons cette analyse en essayant de mettre à jour quelques exemples du rapport social et psychologique que nos ancêtres des temps mythologiques pouvaient entretenir avec les entités robotiques primaires. Au moyen de la révélation de ces liens originaux, qui revivifient en définitive le cliché de la dualité maître/esclave, nous tâcherons enfin d’expliquer en quoi cette thématique, couplée aux différentes idées précédemment évoquées, permettent d’expliquer les attitudes des deux interlocuteurs principaux, le chirurgien et le sénateur, l’un comme l’autre fermement opposés à une quelconque forme de cohabitation des êtres humains avec les robots et vice-versa.
2. Aux aurores du métissage : le berceau de l’hybridation entre chair et métal
Dès les premiers échanges entre le chirurgien et l’ingénieur médical, au début de « Segregatonist », la question de la transplantation cardiaque – fil rouge de la nouvelle – est débattue. Interrogé sur les détails de la greffe, et plus spécifiquement sur les matériaux que cette dernière va mettre en œuvre, l’ingénieur précise sans ambages que le patient « veut du métal, c’est ce qu’ils veulent tous17 » (Asimov 1982 : 157). Avec cette remarque, anodine au demeurant, Isaac Asimov instaure discrètement une ambiance conflictuelle au sein de son récit. Alors que cette tension n’aura de cesse de croître au fil des pages, pour finalement atteindre son paroxysme lors du retournement de situation final, il faut constater que celle-ci est suscitée par une idée presque banale pour un lecteur du XXIe siècle : la représentation mentale d’une compatibilité sans réserve, voire d’une complémentarité du tissu humain organique et de la matière métallique. Bien que cette idée puisse paraître résolument contemporaine (nous pensons notamment ici aux importants progrès scientifiques récents, qui permettent la greffe d’implants en titane ou de prothèses de carbone), elle est en réalité fort ancienne et déjà présente dans les mythes anciens qui alliaient corps et métallurgie. Dans les récits antiques déjà, deux traces distinctes de ce fantasme d’hybridation bio-métallique peuvent être décelées. La première se retrouve dans des formes de langage, notamment dans les métaphores et dans les analogies lyriques qu’employaient régulièrement les auteurs dès lors qu’ils cherchaient à magnifier les traits d’un personnage, à en ennoblir les caractéristiques physionomiques ou à en glorifier les attributs intellectuels. « Homère, pour offrir une image physique de la fermeté de l’âme, la compare au fer », relève par exemple Aubin-Louis Millin de Grandmaison dans son ouvrage Minéralogie Homérique, ou essai sur les minéraux (1790 : 48). Grâce aux propriétés physiques hors normes des métaux, largement ancrées dans l’imagination collective depuis les débuts des arts métallurgiques, cette comparaison permettait aux aèdes de mettre en exergue avec force et romantisme certaines spécificités corporelles ou psychologiques d’un individu donné. L’image des « poumons d’airain » (de Grandmaison 1790 : 79) de Stentor, crieur de l’armée grecque lors de la guerre de Troie, offre une illustration de ce que l’amalgame poétique de la chair et du métal pouvait posséder d’allégoriquement puissant. Dans une veine similaire, Rolf Hellebust explique, dans son essai Flesh to metal, qu’il existe « une légende d’un forgeron sibérien qui s’était lui-même forgé des tripes d’acier18 » (2003 : 119), métaphore assez évidente du potentiel énergétique que l’on associe à la métallisation du corps. Enfin, il serait difficile de ne pas établir un lien entre la puissante image du « cœur de fer » utilisée par Télémaque dans L’Odyssée, lorsque celui-ci invoque le courage et la bravoure de son père19, et la transplantation cardiaque qu’évoque le récit d’Asimov.
Comme nous l’avons évoqué précédemment, les matières métalliques nourrissent les imaginaires ancestraux du fait des nombreuses propriétés tangibles dont jouissent ces dernières. Naturellement, dès lors que l’évocation d’un humain composite surgit dans un récit, dès lors que l’image d’une chimère anthropomorphe liant chair et métal émerge dans un conte ou une légende, les caractéristiques du règne minéral sont transposées vers le règne du vivant auquel elles se communiquent. Dans le champ actuel de la science-fiction, il est intéressant de constater que ce qui n’était autrefois qu’un ensemble d’analogies20 destinées à encenser les qualités d’un héros est devenu, avec le temps, une thématique solidement ancrée dans l’histoire du genre. En effet, le cœur « de fer » d’Ulysse est au fond à rapprocher du cœur en titane du sénateur, l’un manifestant une fermeté de l’esprit, l’autre, une fermeté du corps : « le métal est physiquement plus fort, oui.21 » (Asimov 1982 : 160), concède d’ailleurs le chirurgien de « Ségrégationniste » durant ses démêlés avec son patient. Cependant, alors que cette image renvoyait à un rêve inaccessible durant l’Antiquité, elle suscite dans le récit d’Asimov des réactions contradictoires. Si le sénateur semble approuver et valoriser l’« hybridation », puisqu’elle doit lui permettre de s’élever, à terme, au-dessus de ses congénères humains (un fantasme de la supériorité intrinsèque des attributs des métaux), le chirurgien, lui, la rejette strictement.
Avant d’examiner plus en détail les raisons de la répulsion que ressent ce personnage, il est un autre exemple de l’amalgame entre chair et métal qui mérite d’être mis en lumière : celui de l’armure métallique. Étant modelée selon les formes du corps humain afin d’être portée à la manière d’un vêtement, elle adopte naturellement les aspects constitutifs de celui-ci. Elle est une sorte de copie en creux de l’anatomie humaine, une seconde peau dont peuvent se vêtir celles et ceux qui souhaiteraient profiter, au moins partiellement, des propriétés conférées par les métaux. Une fois portée, l’armure fait corps avec l’être qu’elle a pour mission de protéger. Elle double sa silhouette naturelle et semble s’amalgamer à sa morphologie à tel point que, souvent, l’humain s’efface au profit du métal. Dans l’Iliade, quant au chant XX, le prince troyen Énée vante les qualités de son ennemi Achille (« Achille n’aura pas tant d’aisance à me vaincre, même s’il se vante d’être tout de bronze22)», ce n’est de toute évidence pas Achille qui est réellement fait de bronze, mais bien la célèbre armure qu’il porte, confectionnée par le dieu-forgeron Héphaïstos à la demande de Thétis23, mère du héros grec. Mais Énée suggère une fusion du corps de son ennemi (sa némésis) avec la cuirasse qui le recouvre, comme si, grâce à elle, ses muscles étaient d’airain véritable.
Dans les mythes scandinaves de genèse, par exemple le traditionnel Edda de Snorri Sturluson, le dieu Thor n’est jamais représenté sans sa paire de gants de fer. En effet, « il ne peut en être dépourvu quand il veut saisir le manche du marteau24 » (Sturluson 1991 : 53-54), ces gants s’imposent comme un fragment indissociable de son anatomie, sans lequel, perdant force et ressources, son autorité souveraine ne saurait s’imposer. Enfin, que dire de l’apparition du héros Väinämöinen, barde et protagoniste central du Kalevala, l’épopée cosmogonique finnoise compilée par Elias Lönnrot durant la première moitié du XIXe siècle, qui surgit des flots, tout de cuivre vêtu ?
Un homme sorti de la mer,
Un héros s’éleva des vagues ; […]
Il portait un casque de cuivre,
Des bottes de cuivre aux deux pieds,
Des mitaines de cuivre aux mains. (Lönnrot 2009 : II, 111-119)
Parce qu’il arrive au monde paré d’un casque, de bottes et de gants de cuivre, Väinämöinen ne véhicule pas, par essence, l’image d’un corps biologique usuellement admise chez un être humain, même s’il s’avère être d’ascendance divine. Dès sa naissance, sa tête, ses pieds et ses mains semblent se métalliser spontanément, faisant de lui un nouvel être hybride, ni entièrement taillé dans le cuivre, ni réellement constitué de sang et d’humeurs.
En définitive, lorsque l’ingénieur médical du récit d’Isaac Asimov explique au chirurgien que le patient est enthousiasmé par les qualités d’un nouveau cœur en titane, il n’évoque pas seulement une image mentale issue des progrès scientifiques récents, comme on pourrait le supposer. Il ne se contente pas non plus de simplement remettre au goût du jour des schèmes issus de la culture populaire contemporaine25. Avec cette évocation d’un organe titanisé, c’est en réalité toute une part de l’imaginaire métallurgique antique qui est transposé dans la nouvelle. Plus précisément, deux branches bien précises de cet imaginaire : celle de l’hybridation bio-métallique métaphorique opérée par le langage26 d’une part, et celle de l’hybridation réelle suggérée par l’armure de fer ou de bronze, d’autre part.
Pour valider plus spécifiquement ce second rapprochement, nous pouvons noter, en guise de conclusion, l’analogie implicite qu’établit le chirurgien entre les effets recherchés par l’usage d’une cuirasse de métal (qui confère à son porteur une certaine forme de résistance et de pérennité) et ceux, fondamentalement similaires, provoqués par la greffe d’une prothèse anatomique en titane : « Les hommes […] aspirent à la force physique et à l’endurance que nous leur associons.27 » (Asimov 1982 : 162). Avec cette affirmation, le franc rejet du « métissage » que revendique le chirurgien dès les premières lignes de la nouvelle trouve ici un premier élément d’explication. Si l’humanité est par essence fragile et vouée à dépérir et que, à l’inverse, les Métallos semblent ne pas être soumis à cette fatalité, l’hybridation, en transférant aux êtres humains les propriétés du métal, retire aux robots une certaine forme de supériorité et les ampute de ce qui, dans l’esprit d’un robot fier de son identité, leur conférait jusqu’alors un avantage évident sur leurs créateurs.
3. L’humain métallisé à l’aune de la hiérarchisation mythique des métaux
Dès ses prémices, l’altercation entre le chirurgien et l’ingénieur médical semble devoir prendre des proportions plus conséquentes que ce que le texte laissait initialement attendre, avec notamment des premiers signes de rejet et de haine de l’autre. Avec l’entrée en scène du sénateur, le lien précédemment évoqué entre mythes originels et science-fiction s’agrémente d’une nouvelle référence. En effet, lors de sa discussion préopératoire avec le chirurgien en charge de sa future greffe, l’élu du Sénat impose sa volonté et demeure inflexible : « Je deviendrai aussi métallisé que je le souhaite.28 » (Asimov 1982 : 160), affirme-t-il notamment. Dans cette allégation, le sénateur manifeste en réalité un souhait bien plus conséquent que celui d’une simple transplantation d’un organe en métal. Dans son esprit, cette greffe ne semble représenter qu’une étape vers une métallisation plus complète de son anatomie, qu’un palier de l’évolution de sa nature biologique vers une nature intégralement métallique. Ce processus est déjà entamé, comme en témoigne une autre affirmation du personnage : « Si je me casse une côte, je la ferai remplacer par du titane29 » (Asimov 1982 : 160). Les images des poumons d’airain de Stentor et de l’armure native de Väinämöinen laissent place, dans l’esprit du lecteur, à des représentations imaginaires plus radicales : celles de corps intégralement constitués d’or ou de titane ; celles d’êtres vivants dont la substance même serait d’argent ou de bronze ; celles de l’humain métallisé tel que le dépeignent les contes primitifs.
Dans les nombreux récits cosmogoniques et anthropogoniques que nous ont laissés les Anciens, il est intéressant de constater que la genèse de la race humaine n’est pas toujours relatée de manière similaire. Parmi ces nombreuses évocations, il en est une sur laquelle notre thématique impose de nous attarder quelques instants : celle du mythe des races proposé par Hésiode dans Les Travaux et les Jours. Dans son récit, Hésiode dépeint cinq âges successifs, cinq périodes temporelles bien déterminées durant lesquelles la nature de l’être humain évolue, ou plutôt se dégrade au fil du temps. Si cette vision d’un déclin progressif de l’humanité n’est en soi pas isolée et unique30, le poète grec nous propose cependant une variation intéressante de cet archétype : chaque race, ou presque, est ici constituée d’un métal bien particulier. En ouverture de son article « Le mythe hésiodique des races, essai d’analyse structurale », Jean-Pierre Vernant résumait ainsi le contenu de cette légende :
Les races semblent se succéder suivant un ordre de déchéance progressive et régulière. Elles s’apparentent, en effet, à des métaux dont elles portent le nom et dont la hiérarchie s’ordonne du plus précieux au moins précieux, du supérieur à l’inférieur : en premier lieu l’or, puis l’argent, le bronze ensuite, enfin le fer. (Vernant 1960 : 22)
Dans ce mythe, quatre races métalliques sont successivement présentées, offrant de fait quatre illustrations distinctes de ce que pourraient être, en substance, un Homme d’or, un Homme d’argent, un Homme de bronze et un Homme de fer : une cinquième, située entre la race de bronze et la race de fer, est réservée aux héros des plus illustres légendes grecques qui, eux, ne subissent aucune métallisation31.
Il importe de préciser que ces êtres humanoïdes ne sont en rien des hybrides, des cyborgs ou des humains augmentés, mais bel et bien des entités intégralement métallisées, des créatures dont l’anatomie toute entière est faite d’un métal bien spécifique, et ce d’une manière qui n’a rien de métaphorique. Comme le relève Jean-Pierre Vernant dans l’extrait cité, une forme de hiérarchisation naturelle de ces races s’instaure d’emblée, du fait des caractéristiques physiques intrinsèques des métaux qui les constituent. Dans leur article « Le symbolisme des métaux et le mythe des races métalliques », Pierre et André Sauzeau (2002 : 266) rappellent certaines de ces spécificités matérielles : alors que « l’or est inaltérable », ce qui produit une race d’êtres incorruptibles physiquement et moralement, le fer, qui compose la toute dernière race (celle à laquelle nous appartenons, selon Hésiode) est quant à lui « sombre, noir » (Sauzeau 2002 : 271), il rouille et s’altère avec le temps, rappelant de fait le sort de l’humanité en général. Et dans le Livre des morts des anciens Égyptiens, la hiérarchie des métaux transposable au corps humain trouve un nouvel écho : « L’Égypte ancienne offre un exemple paradigmatique de notre mythe, basé sur la substance paradigmatique de la divinité : l’or. […] La chair des divinités est faite de ce métal32 » (Hellebust 2003 : 23-24). Tout comme chez le poète grec, l’or est ici aussi présenté comme l’élément qui compose l’anatomie de la classe dirigeante, une substance qui façonne les êtres supérieurs ; rien d’étonnant à cela, d’ailleurs, puisque « l’or […] est un symbole royal » (Vernant 1960 : 30-31). Enfin, pour clore cette série de portraits d’humains mythiques naturellement métallisés par la présentation d’une image féminine au cœur d’un univers résolument masculin, on peut évoquer la légende finnoise de « La création de la fiancée du forgeron Ilmarinen », présentée en ces termes dans le Kalevala :
Une femme sortit de l’âtre,
Une tresse d’or de la forge,
Tête en argent, cheveux en or,
Le corps tout entier magnifique. (Lönnrot 2009 : XXXVII, 139-142)
Sculpté à partir de métaux précieux récoltés au sommet des vagues, le corps de cette femme merveilleuse nous apparaît d’instinct comme supérieur à celui d’un humain ordinaire dont la chair est vouée à disparaître. Puisque l’or pur ne rouille pas et que l’argent fin ne s’oxyde pas, ils confèrent naturellement supériorité et immortalité, comme en témoignent les deux premières races évoquées par Hésiode ou les dieux égyptiens, dont les structures anatomiques respectives s’avèrent finalement fort proches.
Puisqu’une hiérarchie semble spontanément s’instaurer dans l’imaginaire collectif entre métaux nobles et métaux non-nobles, comme l’illustrent les différents textes et mythes évoqués, la volonté principale du sénateur du récit d’Isaac Asimov prend ici tout son sens et se colore d’une dimension proprement « ségrégationniste ». En choisissant le titane comme nouvelle et unique composante de sa future anatomie, celui-ci ne cherche pas seulement à s’élever au-dessus de ses congénères humains mais exprime indirectement tout le mépris que lui inspirent les robots.
Découvert à la fin du XVIIIe siècle, le titane ne pouvait évidemment pas faire l’objet d’une quelconque représentation dans les légendes antiques. Cependant, du fait de son importante résistance à la corrosion, de son faible poids ou encore de son exceptionnelle coloration blanche, ce métal est aujourd’hui considéré comme rare et semi-précieux, proche de l’or par ses qualités physiques et dans les rêveries, toujours au sens bachelardien du terme, qu’il suscite. Ainsi il est aisé de voir dans le choix de ce matériau un exemple de la soif de domination que le sénateur éprouve aussi à l’égard des êtres robotiques, constitués essentiellement de métaux plus modestes comme le fer ou l’acier. À travers la question « Avez-vous peur que je me transforme en robot ?33 » (Asimov 1982 : 161), accompagnée d’une brève tirade qu’il adresse en suivant au chirurgien, l’élu du Sénat manifeste son aversion pour les robots et atteste qu’en aucun cas il ne souhaite être comparé à ceux-ci. S’il souhaite ainsi métalliser son corps, ce n’est pas pour être robotisé, mais pour se distinguer au contraire de ces êtres et se rapprocher du panthéon des dieux du Nil, de la race d’or d’Hésiode ou de la fiancée d’Ilmarinen, donc pour frôler le divin et affirmer sa prédominance sur son prochain, quelle qu’en soit la race ou l’identité.
Parallèlement, au terme ce chapitre, l’analogie entre la métallisation de l’humain qu’évoquent les mythes et les formes qu’en présentent les récits modernes de science-fiction nous permet aussi de mieux appréhender le sens de l’attitude du chirurgien. En complément des raisons liminaires qui le poussaient déjà à s’opposer fermement à l’hybridation de la chair et du métal, un nouveau motif apparaît ici : le titane étant un métal rare, proche de l’or, une métamorphose progressive de l’humain par le biais de ce métal le placerait, lui et ses semblables, dans une désagréable position d’infériorité physique et sociale, position qui était la leur par le passé et dont ils ont su se défaire avec le temps.
4. Mythe et mémoire : antagonisme et servitude dans la relation du robot et de l’Homme
Avec les éléments d’interprétation proposés jusqu’ici, le comportement et les aspirations profondes des deux personnages principaux de l’intrigue s’éclairent quelque peu. Alors que le sénateur souhaite visiblement se hausser au-dessus de ses semblables grâce à une « titanisation » de son corps, le chirurgien semble surtout redouter que ses congénères puissent un jour perdre l’égalité dont ils jouissent désormais au regard des humains, égalité qu’ils semblent avoir dû conquérir comme le suggère cette remarque faite à son interlocuteur : « depuis que les Métallos sont devenus des citoyens34 » (Asimov 1982 : 162).
Dans un cas comme dans l’autre, il est intéressant de voir que les positions de ces deux personnages se rejoignent, bien qu’elles soient antithétiques, dans une revendication assez similaire : celle d’une ségrégation entre l’humanité et les entités robotiques35. Ce conflit identitaire, perceptible tout au long du récit, s’exprime d’une façon évidente dans les dernières pages, notamment lorsque le chirurgien s’emporte et s’écrie : « je suis moi-même, très heureux d’être moi-même, et je ne souhaite être rien d’autre que moi-même36 » (Asimov 1982 : 163). Bien que cette colère ait été longuement attisée par les remarques acerbes et l’arrogance grotesque du sénateur lors de la scène précédente, il semble bien qu’elle trouve en réalité son origine dans un antagonisme quasiment immémorial. En effet, au même titre que le fantasme de l’hybridation et que les légendes évoquant la métallisation de l’humain, le mythe du robot et de son rapport problématique avec l’humanité plonge, lui aussi, ses racines au plus profond de nos traditions littéraires et poétiques.
Dans les récits fondateurs de notre civilisation, la figure du robot apparaît déjà étonnement bien ancrée dans l’esprit des poètes, aèdes et auteurs. Parmi les plus célèbres de ces créatures métalliques mythiques, on pourrait citer Talos, un « authentique robot, un géant de bronze construit par Héphaïstos pour Minos, qui l’avait affecté à la garde la Crète », selon la description qu’en fait la mythologue Françoise Frontisi-Ducroux en introduction du catalogue de l’exposition Robots Sculptures, les machines sentimentales (Frontisi-Ducroux 1986 : 7). Originellement dépeint par Apollonios de Rhodes dans son ouvrage Les Argonautiques, Talos est l’une des premières visions, si ce n’est peut-être la première, de ce qui, dans les écrits anciens, s’apparente à une entité robotique anthropomorphe. En cela, il peut être considéré comme l’ancêtre de toutes les machines dotées d’une forme d’existence autonome, comme l’origine de ce qu’Yves Vadé nomme avec justesse le « fantasme de l’automate » (2003 : 42). Néanmoins, la figure d’un ancêtre commun aux robots modernes n’est pas la seule chose intéressante à relever dans ce passage des Argonautiques. En effet, outre le fait que son corps métallique est constitué « d’airain indestructible » (Apollonios de Rhodes, 1892 : IV, 1646), Talos est aussi doté par son auteur de traits psychologiques. Il est un gardien thaumaturgique, une sentinelle surnaturelle chargée de surveiller et de protéger à tout prix l’île de Crète des incursions de visiteurs humains indésirables. Il n’hésite pas à projeter sur l’équipage du mythique Jason « de lourdes pierres, pour empêcher les héros d’aborder au port », comme le décrit Apollonios de Rhodes (1892 : IV, 1678-1679).
On voit que, dès sa genèse, le robot est de fait présenté comme l’ennemi de l’Homme. Il cherche à l’anéantir sans même le connaître, comme s’il lui vouait une aversion innée et inscrite dès l’origine dans ses mécanismes cognitifs primaires. De cette réaction instinctive émerge un ultime élément d’explication du comportement du sénateur, acariâtre de nature : si Talos, l’ancêtre de tous les automates anthropomorphes, est d’emblée présenté comme une menace à l’égard de l’humanité, la forme de ressentiment qu’éprouve l’élu du Sénat à l’égard de la race robotique dans son ensemble pourrait alors relever en définitive d’une forme de rivalité immanente et ancestrale. Il faut noter en outre que la présence croissante, évoquée dans le récit, de robots toujours plus nombreux dans l’environnement immédiat des humains, et à des postes de plus en plus prestigieux (en témoigne la place du chirurgien), peut constituer un argument supplémentaire de nature à conforter un esprit ouvertement xénophobe dans son désir de ségrégation.
Cependant, le mythe de Talos ne nous offre pas seulement un élément d’explication de la position du sénateur. Constituant une des sources originelles d’une des thématiques les plus représentatives du genre de la science-fiction, il contribue également à rendre plus compréhensible l’animosité qu’éprouve le chirurgien à l’attention de la totalité de la race humaine. Dans Les Argonautiques, en effet, on peut observer que le combat qui mène Talos à sa perte n’est ni honnête, ni loyal, et que de cette absence de morale peut éventuellement naître un désir persistant de revanche. Dans la légende, celui-ci est vaincu par la sorcière Médée qui préfère employer la ruse et la perfidie plutôt que de chercher à l’affronter lors d’un duel à armes Àd’une rage pernicieuse », ainsi que l’évoque Apollonios de Rhodes (1892 : IV, 1669-1670). Après cet ensorcellement, le premier de tous les robots est décrit par l’auteur comme plongé dans un état proche de la folie, heurtant de fait de sa cheville la pointe d’un rocher acéré et se vidant ensuite de son liquide vital, avant de tomber « sans force avec un bruit immense » (Apollonios de Rhodes, 1892 : IV, 1688-1689) : une mort, en définitive, dénuée de toute forme de gloire ou d’honneur. À cet épisode mythique, qui suffirait à motiver la vive rancune des Métallos à l’égard des humains, on pourrait associer un autre mythe également susceptible d’expliquer les actes et déclarations du chirurgien. Dans l’Iliade, le forgeron Héphaïstos, père d’un très grand nombre de machines animées dans la mythologique gréco-romaine, est décrit comme étant parvenu à forger deux robots aux traits féminins, qu’Homère décrit en ces termes :
Des servantes […], toutes d’or, mais semblables à de jeunes vivantes ; elles ont un esprit dans leur diaphragme ; elles ont la voix, la force et les immortels leur ont appris à agir. (Homère 2000 : XVIII, 418-419)
Dans cette autre vision de créations robotiques primitives, qui suit chronologiquement la précédente, les automates ne sont pas directement présentés comme des ennemis de l’Homme, pour une raison évidente : ces créatures sont en fait ses esclaves. « À soutenir le roi elles s’empressaient donc » (Homère 2000 : XVIII, 419). Ici, les créations robotiques sont asservies et n’ont pour seul but que d’assister le dieu forgeron dans ses œuvres. Bien que dotées d’une forme d’intelligence, elles ne possèdent aucune liberté ni aucun libre arbitre, ce qui fait d’elles des entités corvéables dont la situation ne présente rien d’enviable. Si, dans la nouvelle d’Isaac Asimov, les Métallos sont, comme les humains, des citoyens de l’univers fictif que l’auteur dépeint, l’histoire des servantes d’Héphaïstos porte la trace indélébile de l’esclavage ; une trace que nous ne connaissons que trop bien dans notre monde et qui, de toute évidence, peut, elle aussi, expliquer l’aversion du chirurgien à l’égard de l’humanité dans sa plus grande partie.
5. Conclusion
La nouvelle « Ségrégationniste » d’Isaac Asimov convoque bien trois ensembles distincts de représentations collectives mythologiques : trois imaginaires littéraires antiques bien spécifiques dans lesquels s’ancre la culture européenne du XXIe siècle. En effet, dès les premières lignes de son récit, l’auteur fait appel à des images renvoyant à des formes antiques d’hybridation entre le corps humain et les matières métalliques. Ce motif, déjà perceptible dans de multiples écrits et poèmes des premières ères de notre civilisation, insuffle dès son commencement une aura mythique à la narration d’Asimov.
Bien que l’auteur n’exploite pas ouvertement cette filiation mythologique – aucune mention directe n’en est faite –, sa présence implicite ne manque pas d’enrichir la nouvelle en faisant apparaître l’hybridation bio-métallique comme une amplification fantasmatique de l’humain. Avec l’introduction de la figure du robot, qui apparaît paradoxalement pour le sénateur comme un repoussoir, le thème de l’hybridation ou du « métissage » acquiert une connotation différente. En souhaitant ouvertement titaniser son corps, le sénateur convoque un imaginaire mythique exaltant la transmutation métallique du corps humain et conjurant la vision désormais honnie du métissage. La transmutation métallique du corps humain semble propre à réaliser un rêve de surhumanité que l’auteur tourne en dérision37. Enfin, la médiation du mythe permet de comprendre la tension croissante qui corrompt peu à peu l’harmonie apparente de la cohabitation entre robots et êtres humains telle qu’elle est initialement évoquée. Certains éléments mythiques de notre mémoire collective révèlent le lourd passif – antagonisme, hostilité, servitude – qui obère et sape par avance les relations entre êtres humains et robots, conférant en définitive au récit un caractère de méditation philosophique ironique et désabusée sur la persistance ou le resurgissement quasiment inévitable, dans la psychologie humaine ou robotique, d’un ressentiment xénophobe « ségrégationniste ».
Évidemment, cette relecture renvoie à des références mythologiques spécifiques sans doute étrangères à bien des lecteurs actuels de science-fiction, ce qui en complique sans doute l’identification. Mais du fait de l’ancrage de ces références dans l’imaginaire collectif et de leur présence dans bon nombre de mythes contemporains qui en réexploitent les thématiques, une lecture de « Ségrégationniste » à la lumière de cet arrière-plan mythique apparaît ainsi tout à fait fécond et éclairant, même si le Kalevala, Les Argonautiques ou le mythe hésiodique des races ne figurent pas nécessairement dans la bibliothèque de tous les amateurs d’Asimov.
À propos des récits science-fictionnels de notre époque, enfin, il pourrait être intéressant de s’interroger sur les liens qu’entretiennent par exemple, à travers leurs motifs, codes et images, des textes tels que l’Edda, l’Iliade ou l’Odyssée, avec la part science-fictionnelle de notre imaginaire actuel. RoboCop, l’un des cyborgs du cinéma hollywoodien, ne relèverait-il pas d’une représentation ultramoderne d’un fantasmagorique guerrier antique, dont l’armure serait hybridée avec son corps ? Le T-1000 du film Terminator 2 (« liquid metal man »), du fait de sa nature intrinsèquement métallique et polymorphe, ne serait-il pas à inscrire dans le lignage des entités sacrées faites d’or, d’argent et de bronze des mythes égyptiens, scandinaves et gréco-romains ? Ou bien la guerre qui oppose l’humanité aux entités robotiques dans la diégèse de la trilogie Matrix ne symboliserait-elle pas une résurgence d’un conflit dont les origines se perdent, en réalité, dans la nuit des temps ? Autant d’interrogations qui, si nous avons fait le choix de les occulter durant cette étude pour nous focaliser sur leurs sources et leurs genèses respectives, mériteraient un jour un examen sérieux et approfondi.