Le rêve américain vu au prisme du divertissement soviétique : Miss Mend (Boris Barnet et Fedor Ozep, 1926)

Résumés

Le film muet soviétique Miss Mend (1926) de Boris Barnet et Fedor Ozep (restauré et édité en DVDs en 2017) met en scène une science-fiction : l’attaque bactériologique de l’état soviétique par un ambitieux savant américain. L’action se déroule dans une Amérique où la misère des uns côtoie le luxe des autres, au gré de scènes d’action empruntées au film d’aventures : course-poursuite, bagarres de « western », mélodrame entre héroïne populaire et riche homme d’affaire, ainsi que des figures burlesques de héros populaires (deux reporters américains, un clerc). Dans un deuxième temps, l’action se déroule à Petrograd, où le savant américain tente de s’emparer du pouvoir. Les clichés hollywoodiens se poursuivent dans ce nouveau décor mais le rêve du savant se heurte à la supériorité militaire soviétique, et deux mythes classiques, Prométhée et Jupiter, sont ainsi évoqués en conclusion. La perspective transculturelle de ce récit est nourrie par le point de vue soviétique sur le capitalisme. Cette étude cherche à proposer une réflexion sur les liens entre science-fiction et mythes dans ce film à la lumière des écrits de Roland Barthes (Mythologies 1957 et S/Z 1970), qui s’intéresse aux mythes de la « petite-bourgeoisie », d’une manière semblable à l’approche des deux réalisateurs soviétiques. Outre la caricature du « rêve américain » d’un point de vue soviétique, on note l’émergence du mythe de la femme moderne des années 1920-30 qui trouve sa place dans les deux mondes.

The silent soviet film Miss Mend (1926) by Boris Barnet and Fedor Ozep (restored and edited by Lobster Films in 2017) screens a science-fiction film relating a bacteriological attack launched upon the Soviets by an ambitious American scientist. The point of view of the filmmakers shifts from scenes in the US to scenes in the USSR, with a satirical description of the myth of the American Dream as an emblem of the hated Capitalism. The action begins in the USA, with Hollywoodian clichés such as chases and fights borrowed from the westerns, a heroine of melodrama, as well as burlesque characters (two reporters and a clerk). The scientist then travels to Petrograd with his poisonous gas capsules, and new chase episodes coupled with romance take place. The Soviets win and the scientist is captured, Jupiter defeating Prometheus as in classical mythology. This study relies on the methodology of Roland Barthes (Mythologies 1957 et S/Z 1970), his interest in the myths of the ‘petite-bourgeoisie » being similar to the point of view of the film-makers. More interesting still is the myth of the modern emancipated woman which is created in the film.

Plan

Texte

Introduction

Le film de Boris Barnet et Fédor Ozep, Miss Mend (1926)1, film muet en noir et blanc teinté, est un divertissement spectaculaire proposé au spectateur soviétique ayant pour cible les stéréotypes de la société bourgeoise capitaliste, symbolisée par les États-Unis d’Amérique dans les années 20 (Tsikounas 1992 :32). Celle-ci est rendue clairement identifiable par les conflits entre ouvriers et patrons, les scènes de mises aux enchères de valeurs boursières et les ambitions individuelles, de séduction pour les uns, d’enrichissement pour les autres. L’Amérique est représentée par quatre personnages jeunes et modernes qui sont employés de l’entreprise : deux journalistes, Vogel et Barnet, et un clerc, Tom Hopkins, tous trois entichés de la dactylo Vivian Mend. Dans un film de science-fiction intégré au film d’aventures, on trouve un savant chimiste, Tchitché, figure de la corruption de l’impéralisme américain. Les quatre héros se voient investis d’une authentique mission salvatrice lorsqu’ils découvrent les ambitions criminelles du savant Tchiché. Les portraits – parfois inquiétants, ou au contraire burlesques – frisent par leur excès la satire de stéréotypes hollywoodiens, tels que le savant fou et les héros victorieux de batailles plus ou moins rocambolesques.

Nous étudierons d’abord les scènes consacrées au récit englobé de science-fiction, pour examiner les frontières du genre avec, d’une part, une esthétique naturaliste et, d’autre part, une esthétique expressionniste. Nous étudierons ensuite, dans le récit englobant, une esthétique d’une autre nature, celle du film d’aventures hollywoodien. D’un point de vue méthodologique, on adoptera le principe que « le mythe ne se définit pas par l’objet de son message, mais par la façon dont il le profère » (Barthes, 1957, 193). Car, dans Mythologies, le sémiologue s’intéresse aux stéréotypes de la « société petite-bourgeoise » incarnés dans ce film par une mythologie américaine naïve et auto-suffisante. Cependant, un nouveau mythe sera ensuite étudié, celui de la femme moderne, donnant au film une dimension originale.

1. Le monde de la science-fiction dans Miss Mend

Selon Gary Westfall qui rappelle les différentes théories de ce genre littéraire (Westfall 22), les trois éléments fondamentaux de la science-fiction seraient, d’une part, de fonder l’intrigue sur le développement plausible d’une théorie scientifique, d’autre part, de maintenir une atmosphère de réalité dans des circonstances extraordinaires, et enfin, de montrer l’objectif poursuivi. D’autres possibilités sont à considérer aussi, parmi lesquelles la projection imaginaire d’idées reçues comme émanant du « bon sens petit-bourgeois » et leur satire (Barthes 1957 : 48). En effet, si l’auteur doit s’affranchir de l’espace et du temps, il ne peut s’affranchir du monde des hommes et des femmes2.

1.1. Un monde différent

Nous entrons dans le monde de la science-fiction presque sans le savoir, avec une séquence teintée en bleu qui succède aux scènes de rues teintées en gris. Dans un plan éloigné, nous distinguons un grand paquebot transatlantique luttant la nuit contre une forte houle en haute mer [1 :1 :20 - 24:08]. Jusque-là, rien que des indices d’une réalité probable : il s’agit d’une traversée. Mais une question se pose : entre quels pays éloignés se déroule ce voyage ? Dans un plan rapproché, nous découvrons l’inquiétante silhouette voûtée d’un personnage anonyme  qui se déplace sur le pont du navire : nous le voyons envoyer une femme descendre dans les profondeurs du navire, et nous découvrons un cercueil dont le couvercle est soulevé par une main [1- 19:15], plan qui rappelle celui du mort-vivant dans Nosferatu: autant d’éléments suggérant un genre proche de la science-fiction, à savoir le fantastique.3 Tout ceci contribue à créer un univers étrange qui ne correspond pas à la réalité du monde sur lequel s’ouvre le film, celui de journalistes envoyés auprès d’ouvriers en grève défendus par Miss Mend contre la police [1:00:27 - 15:07]. Réalité que confirment les deux nouvelles qui précèdent la séquence nocturne : d’une part la voix d’un journaliste à la radio annonce que l’industriel Gordon Stern vient d’être assassiné par les bolchéviks [1:15:15] et, d’autre part, un télégramme chez Arthur Stern lui apprend la mort de son père [1:16:02]. Le raccord avec le plan du paquebot en haute mer souligne donc qu’il existe ailleurs un univers inconnu baignant dans une atmosphère mystérieuse, ce que la musique d’accompagnement à l’orgue de Robert Israël exprime avec force.4 Plus tard, la dernière partie du film [2 : 51 :35] reprend le thème essentiel à la science-fiction, celui de la traversée, cette-fois-ci sous la forme du voyage vers le pays des bolchéviks, et leur capitale Petrograd. Plusieurs péripéties ont lieu sur le Torpedo où Tchitché et Arthur Stern voyagent avec de grosses caisses de matériel toxique [2-51 :35], en particulier lorsqu’un savant soviétique est jeté à la mer et que son identité est endossée par un Américain, Arthur Stern en l’occurrence. Le voyage d’un second paquebot, le Preussen, où se trouvent les Américains lancés à la poursuite du premier, est alors présenté. D’une part, ce second voyage fait partie du récit de science-fiction où il est question de réaliser des expériences scientifiques d’empoisonnement, mais par ailleurs, il relève aussi du récit d’aventures, puisqu’il s’agit, pour Vivian Mend, de venger l’enfant qu’elle élevait et qui a été assassiné, et pour ses trois fidèles admirateurs, de l’aider à réaliser son projet.

1.2. La mise en scène de la science-fiction : le laboratoire

On a vu que, outre la nécessité de maintenir un effet de réel dans le récit de science-fiction, ce que la double structure narrative du film garantit, ce récit doit rendre crédible le déroulement de faits scientifiques. C’est la raison pour laquelle, dans la partie centrale du film, nous découvrons le laboratoire où se déroulent les expériences, ces scènes [2- 11:50-16:44] étant accompagnées d’une musique d’orgue qui reprend celle entendue lors du voyage du transatlantique, et cette reprise du thème initial confirmant le caractère mystérieux et inquiétant du personnage de Tchitché dont nous savons maintenant qu’il est le directeur de ce laboratoire. Cependant, le décor du laboratoire est naturalisé par sa ressemblance avec le modèle familier de la cuisine : tables de travail, fioles, mélanges de matières et réactions chimiques, ce que renforcent la blouse blanche et le masque des chimistes. Comme l’écrit Paul Coates, citant Robert Philmus « le caractère distinctif de la science-fiction repose sur une stratégie rhétorique : utiliser une rationalité plus ou moins scientifique pour inciter le lecteur à prendre pour réelle une situation fictive »5. La rationalité du travail opéré ici est garantie par les détails que Tchitché fournit à un groupe d’actionnaires qui doivent savoir ce qu’ils financent afin d’en tirer profit. La recherche porte sur la conception et la production d’isolateurs électriques contenant chacun une ou plusieurs doses de bactéries qui peuvent propager une épidémie foudroyante. Cette invention s’inspire de la structure même de la bactérie, un être unicellulaire à noyau diffus se reproduisant par scissiparité (division en deux cellules identiques). Un insert en plan serré sur des bocaux introduit le thème de la science comme expérimentation sur des sujets vivants [2- 12:04]. Dans ce laboratoire sont confectionnées des ampoules afin de diffuser cette arme bactériologique, mais aussi des bombes, car celles-ci sont plus rentables [2- 15:54]. C’est l’électricité, technologie signalant la modernité du projet (Schivelbusch 1995), comme l’explique Tchitché, qui permet la diffusion de gaz toxiques [2- 13:47], et le projet est de mener ces expériences sur les bolchéviks [2- 25:48].

L’importance de l’empire industriel de la famille Stern est connotée par le décor d’un grand hall où Tchitché remonte avec les actionnaires en quittant le laboratoire. Au fond de ce hall aux boiseries sombres, s’élève en effet un escalier menant aux étages supérieurs : baignant dans une demi-obscurité néo-gothique, la rampe de cet escalier est ornée de statues en armures du Moyen-Age, supposées prouver l’appartenance des Stern à une longue tradition familiale, une revendication fréquente dans les États de la côte Est. Nous découvrons que le but poursuivi, troisième trait définitoire du genre de la science-fiction, n’est pas ici la science pour elle-même. En effet, les recherches scientifiques qui ont lieu dans les sous-sols ne poursuivent ni un progrès en science fondamentale, ni un progrès pour l’humanité ; il s’agit de s’emparer d’une source d’énergie chimique qui est destinée à servir les appétits financiers d’un spéculateur insatiable. En outre, la rivalité qui semble exister entre l’empire industriel des Stern et celui qu’a secrètement fondé Tchitché expliquerait la mystérieuse scène nocturne.

2. Deux images de l’Amérique : sa classe possédante et ses aventuriers

2.1. La classe possédante entre légitimité et illégitimité

La structure narrative parallèle observée ci-dessus apporte au film une dimension réflexive, à la manière d’une antithèse. Comme le rappelle Denis Mellier, si le récit de science-fiction s’élabore à partir d’un monde complet et homogène, il peut aussi reposer sur une structure double de deux mondes concurrents, voire, dans le cas de La Planète des singes (1967), de deux temporalités (Mellier 2013 : 6). Il nous semble d’abord que ces deux mondes de l’univers fictionnel de Miss Mend sont autonomes, celui des travailleurs et leurs maîtres, d’une part, et, d’autre part l’univers souterrain du savant qui détourne la fortune de l’entreprise. Les maîtres sont représentés comme de riches Américains se considérant comme légitimes et peu soucieux de savoir que leur image est reproduite en miroir par leur employé, le savant. Les ayant spoliés de leurs biens par un faux testament suivi d’une vente au profit de son organisation, Tchitché s’émancipe de toute légitimité. Son comportement à l’égard de ses ouvriers de l’atelier de chimie évoque les abus ayant provoqué la grève au début du film. Cependant, il va jusqu’à saisir une occasion de tester son gaz toxique sur un ouvrier ayant oublié son masque : nous voyons celui-ci s’effondrer, lutter puis mourir, sans aucun effort pour tenter de le sauver de la part des témoins [2- 16:26]. Il se comporte en véritable tyran, comme en témoigne le traitement qu’il inflige à la maîtresse de maison, qu’il a séduite et qu’il manipule à sa guise avant de la tuer lorsqu’elle devient inutile [3- 1:06].

Les deux univers parallèles ne sont donc opposés l’un à l’autre qu’en apparence : l’autosatisfaction chez l’un, le complot chez l’autre, relèvent d’une même entreprise capitaliste, et cet effet spéculaire est mis en évidence par l’éclairage. Les ouvriers sont filmés de jour, dans la rue, et les ombres portées que nous voyons sont parfaitement naturelles : il s’agit de souligner avec réalisme la violence des forces de l’ordre en train de réprimer la grève [1- 03:49]. Tout au contraire, le monde parallèle du complot est souligné par un éclairage fortement contrasté, relevant de l’esthétique expressionniste, dont les ombres créent un sombre miroir du premier. Par les effets d’éclairage en contre-jour, ou ceux d’ombres portées révélant, par leur déformation de sa silhouette, la nature véritable du personnage, Tchitché a tout d’un personnage maléfique. En outre, alors que la scène sur le bateau qui introduit la science-fiction se termine [1- 22:32], le travail de la caméra s’emploie à visualiser sa nature diabolique par un travelling avant aboutissant à un très plan très serré de son front devenant flou avant un fondu au noir. Sergeï Komarov s’était spécialisé dans les rôles inquiétants, tantôt communiste modèle, tantôt conservateur perfide (Tsikounas 1992 : 110-111). Le crime qu’il commet, attribué par la presse aux bolchéviks, est décliné en plusieurs étapes éclairées d’ombres funestes : d’abord dans le navire [1- 19:15], puis lors d’une prétendue cérémonie funèbre [1- 28:05], et enfin dans une tombe [1- 52:11], où la victime tente de lui échapper avant d’être tuée. À ces échos du cinéma d’horreur vient s’ajouter le jeu de l’acteur, également semblable à celui de l’acteur / vampire cité plus haut : un dos voûté, un regard fixe exprimant l’obsession mentale (Tsikounas 1992 : 110-112). Ces effets de défamiliarisation du réel, créés par l’éclairage, viennent fortement souligner l’effet de miroir entre les deux univers du monde capitaliste.

C’est donc à un couple d’hommes d’affaires rivalisant entre eux, puis ne faisant plus qu’un, que s’oppose, dans le film, un autre modèle américain, celui du film d’aventures, tout aussi peu réaliste du point de vue soviétique, mais qui a pour qualité première d’être source de divertissements, tantôt burlesques, tantôt acrobatiques.

2.2. Une Amérique terre d’aventuriers

Pour Denis Mellier, les liens entre les deux univers parallèles donnent à chacune des deux fictions une complémentarité de signification qui peut aller jusqu’à une construction symbolique valant pour l’humanité tout entière, c’est-à-dire une dimension mythique (Mellier 2013 : 16). C’est en cela que la course-poursuite dans Miss Mend est essentielle à une lecture du film qui repose sur la reconnaissance des stéréotypes hollywoodiens. En effet, le scénario du film comporte un grand nombre de péripéties (Piotrovski 1927 : 154-157), à travers lesquelles se développent quatre figures de jeunes personnages d’un film d’aventures américain. Les deux journalistes sont filmés à bicyclette, pédalant à vive allure, tandis qu’à l’usine se déroule une scène de conflit entre gardes en uniforme et grévistes roués de coups, au secours desquels volent la secrétaire Vivian Mend et son amoureux Hopkins. Au fur et à mesure que les péripéties se succèdent, ces quatre personnages ne forment plus qu’un seul groupe, celui des héros d’une seule et même histoire, qui apparaît de plus en plus comme ayant pour mission de sauver l’humanité.

Dès lors que les deux groupes de personnages entrent en collision, pour ainsi dire, la course-poursuite devient un motif récurrent qui les mène chez les bolchéviks, lesquels constituent pour l’« Organisation » de Tchiché un ennemi fantasmé, de sorte qu’on a pu voir en celle-ci une représentation du fascisme naissant (Tsikounas 1992 : 44).

3. Les significations de la science-fiction dans le film

3.1. Le montage alterné

Grâce au morcellement en brefs épisodes de ces récits parallèles, le montage alterné crée une attente, certains épisodes étant laissés en suspens, ce qui permet, au moment de leur réinsertion dans la trame narrative par le montage, d’assurer une relation logique de cause à effet. Par exemple, dans la troisième partie du film qui se déroule dans les décors réels de Petrograd, l’hypnose infligée par Tchitché à Hopkins le met provisoirement hors-jeu dans la course-poursuite. Apparaissant en alternance avec les péripéties vécues par ses camarades aventuriers et qui lui permettent de participer de nouveau à l’action, cette durée est aussi celle de la quarantaine de tout l’équipage du Preussen causée par Fogel en cassant une ampoule toxique volée à Stern. Ayant réussi à quitter le paquebot [3- 31:41], celui-ci suit les indices laissés par Vivian mais il est bien trop en retard sur ses camarades. Tandis qu’il erre dans la ville, il fait la connaissance d’un gamin des rues dont il partage le maigre repas, une saucisse. En alternance avec cette apparente suspension de la course-poursuite, nous voyons un employé de Tchitché placer des ampoules de poison sur une ligne électrique [3- 34:38], augmentant le suspense pour le spectateur. Cette progression de la menace est ensuite reprise [3- 51:44] mais un événement d’une toute autre nature surgit à l’improviste et constitue la fin du récit de science-fiction : le chef de la police de Petrograd arrête le monstre [3- 59:03].

3.2. Le personnage de Tchitché

Ainsi les liens qui s’établissent entre les deux univers par le montage alterné contribuent-ils à susciter une participation émotionnelle du spectateur par le biais du suspense. Cependant, pour Natacha Vas-Deyres, ce seraient davantage les émotions que la logique narrative qui mobiliseraient le spectateur, émotions d’autant plus violentes qu’elles sont contradictoires, comme par exemple la peur et/ou l’espoir (Vas-Deyres 2018 :10). Le personnage de Tchitché joue à cet égard un rôle central. Il est imprévisible, inspirant de ce fait un sentiment de peur. Nous le voyons expérimenter le poison mortel sur son propre employé ou, plus tard, tuer son amante qui lui est toute dévouée. Il s’autorise un mépris des conventions de l’espace architectural défini par le hall et l’escalier en créant un autre lieu de pouvoir dans les caves obscures. Il manipule le temps et accélère, par l’assassinat de son père, le moment où Arthur Stern devient son héritier, il méprise les lois en forgeant un faux acte de donation dont la signature arrachée au mourant est substituée au document authentique – lequel est détruit lors de l’enlèvement et l’assassinat du notaire légal [1 - 08:25 ; 1- 1:58]. Il faut donc se représenter des spectateurs tenus en haleine par un comportement dont le caractère imprévisible augmente démesurément, dépassant toutes les proportions du monde ordinaire, car il n’obéit qu’à une seule loi, celle de la spéculation.

3.3. Le savoir entre alchimie et science

Le savoir sur les manipulations de la matière appartient à la tradition de l’alchimie transmise au fil des siècles, et même si, en parallèle, s’est développé le savoir scientifique, l’imagination populaire n’en a pas moins continué d’attribuer aux transformations de la matière une forme de puissance surnaturelle. Par le pouvoir que lui donnent ses expérimentations et les progrès de la technologie, qui lui permettent de dominer le monde terrestre, l’homme de science se substitue à son créateur. En effet, Tchitché s’empare arbitrairement des pouvoirs et donc de l’autorité de son employeur, Stern, le créateur de cet empire industriel. À la manière d’une divinité diabolique, il exerce un droit de vie ou de mort sur ceux qui l’entourent. Quant aux explications qu’il fournit aux actionnaires, elles décrivent une manipulation de bactéries fort mystérieuses, car invisibles à l’œil nu, comme une donnée scientifique qu’il maîtriserait. En ce qui concerne les règles du genre, qui sont d’échapper aux lieux communs du monde ordinaire, le récit de science-fiction qui est mis en abyme dans le film crée bel et bien un espace-temps autonome dont les lois sont l’œuvre d’un créateur qui sait s’entourer de mystère. Et pourtant, le montage alterné intègre certaines scènes du film relevant de la dérision.

3.4. L’hypnose ou la science remise en question

Dans la troisième partie du film se déroulant hors de l’Amérique, Hopkins a été chargé de surveiller Tchitché, mais celui-ci a tôt fait de le rendre inoffensif en l’hypnotisant [3- 13 :31]. L’ego surdimensionné du personnage qui s’expliquait jusque-là par la soif de pouvoir et de richesse, présente dès lors les traits caractéristiques du savant fou, motif typique par lequel le récit de science-fiction dérive vers le récit d’horreur. Le spectateur soviétique pouvait reconnaître le docteur Caligari, le médecin fou qui hypnotise son malade pour lui faire commettre des crimes à sa place dans Le Cabinet du docteur Caligari (Das Cabinet des Dr Caligari, 1919) de Robert Wiene. Il en allait de même du docteur Mabuse, le médecin fou qui utilise l’hypnose pour dépouiller de riches familles dans Docteur Mabuse, le joueur (Dr Mabuse der Spieler, 1922) de Fritz Lang. La manipulation par l’hypnose dévalorise dans tous ces cas la valeur scientifique du personnage. On peut donc se demander dans quelle mesure Tchitché n’est pas un personnage de caricature ?

4. Les enjeux de la caricature

4.1. Tchitché : une caricature du savant américain ou du spéculateur en bourse ?

La prise de position de Tchitché à l’égard des bolchéviks, qui les présente comme une incarnation du mal absolu, paraît normale à Arthur Stern, car ils sont accusés, on l’a vu, de l’assassinat de son père. On pense au commentaire de Barthes sur le mythe des soucoupes volantes : « On supposait que la soucoupe volante venait de l’inconnu soviétique, de ce monde aussi privé d’intentions claires qu’une autre planète » (Barthes 1957 : 42). Le monde soviétique est inconnu des Américains, dans Miss Mend, et partant, nécessairement criminel.

Or si l’on examine le point de vue soviétique du film de Barnet, c’est l’inverse qui s’impose et ce sont les Américains qui sont soupçonnés d’une entreprise criminelle à l’égard des bolchéviks dont nous savons qu’ils n’ont pas assassiné Gordon Stern. La distance entre les deux mondes culturels donne lieu à des scènes qui rendent les Américains grotesques. Par exemple, l’armure de l’une des statues du Moyen-Âge utilisées pour orner la maison bourgeoise offre à Barnet une excellente cachette afin d’assister à une réunion secrète du comité de l’Organisation [2- 27:03]. Quant à Hopkins, qui semble, plus tard dans le train, avoir été réduit à l’imbécilité par l’hypnose, on constate qu’il s’éveille bientôt et consulte une revue sur le sujet, oubliée sur la banquette, ce qui lui permet de donner le change à Tchitché [3- 26:35]. Plus tard encore, le même Hopkins arbore un masque à gaz pour se fondre parmi les savants à la solde du même Tchitché et surveiller ainsi la progression de leurs activités diaboliques [3- 48:25]. Dans ces deux épisodes, nous assistons à la déconstruction de l’univers de science-fiction par la dérision.

D’où, pour un spectateur soviétique, une prise de distance dans ce film à l’égard de la réalité scientifique d’un récit qui se déroule en Amérique, pays par définition fort éloigné des bolchéviks, à la fois dans l’espace et dans le temps. Il est ainsi possible d’argumenter que le monde du récit de science-fiction, auquel appartient, par antithèse, celui des héros du film d’aventures, correspond à la construction d’une Amérique imaginaire, « mythique » au sens de Barthes, car représentant la culture de la « petite-bourgeoisie ». Ce dernier développe cette idée à propos de l’œuvre de Jules Verne, inventeur du « Nautilus », qui ne serait rien d’autre qu’une « une caverne adorable » (Barthes 1957 : 82).

4.2. Les Américains de la « petite-bourgeoisie » de Barthes

En effet, les Américains liés au destin des usines de l’empire Stern appartiennent à une société qui est très loin du réalisme politique du cinéma soviétique : les reporters envoyés pour rendre compte d’une grève dans une usine reviennent avec un récit romanesque décalé par rapport à la réalité de la lutte des classes. Un portrait de l’héroïne, d’abord au crayon, puis au trait de pinceau, est proposé par Fogel au lieu des clichés photographiques attendus [1- 13:50]. Il provoque la fureur du rédacteur du journal qui veut des images « réelles », un concept qui est typique des années 1920, comme le montre par exemple l’éloge que l’on a fait d’un photographe capturant le moment de l’assassinat du maire de New York, William Gaynor, en 1910 (Sontag 1977 : 193). Ce glissement du cliché photographique au dessin au crayon stylisant le personnage pose la question du réel d’une image : ne serait-elle pas toujours un fantasme ? On assiste à un montage de trois portraits de Vivian Mend qui montrent le caractère imaginaire des photos de Fogel : nous voyons en même temps Hopkins improvisant au piano, et Barnet composant un poème [11 :59 - 15 :07].

Ainsi Vivian est-elle une source d’inspiration pour les trois Américains, qui imaginent une femme idéale, certes, comme lors de la promenade où chacun lui cueille des fleurs [1- 44:12], mais assez différente : pour Hopkins, l’amoureux transi, elle est l’objet d’un fantasme romanesque. Pour le photographe, Fogel, il s’agit d’une idée abstraite de la femme qu’il veut définir par le trait de son dessin à la manière d’une image emblématique porte-drapeau. Barnet, quant à lui, voit en elle une image de l’idéal national de liberté, d’égalité et de fraternité. Au début du film, tout au contraire, Arthur Stern la traite comme un simple objet de plaisir : il cherche à la séduire en lui cachant son identité, répétant ainsi sans le savoir, comme nous l’apprenons plus tard, le traitement infligé à la sœur de Vivian par son propre père, Gordon Stern. Pour l’ambitieux Tchitché enfin, elle est une pièce maîtresse de l’échiquier, car il a découvert que l’enfant qu’elle élève seule est le fils naturel de Stern père, et donc son héritier au même titre que son demi-frère Arthur Stern.

4.3. Le jeu sur les clichés

L’attention du spectateur est essentielle pour l’identification de ces stéréotypes américains. Comme l’analyse Myriam Tsikounas, Miss Mend appartient aux films soviétiques qui interpellent le spectateur en utilisant les procédés des formalistes russes : « Pour resserrer l’attention du public, les cinéastes modifient le champ visuel. […] Pour susciter l’intérêt de l’assistance, les metteurs en scène […] tentent également de représenter le monde de manière inédite, de le “donner à voir et non à reconnaître” » (Tsikounas 1992 : 43). Le spectateur de Miss Mend découvre donc les Américains par les codes visuels. Le cadrage en plan moyen de Vivian Mend devant sa machine à écrire peut représenter, pour les uns, une publicité du fabricant de machines ou, pour les autres, le code du travail : c’est une employée de bureau. Mais il y a une troisième manière de voir ce plan, c’est celle par laquelle « je réponds au mécanisme constitutif du mythe, à sa dynamique propre, je deviens le lecteur du mythe » (Barthes 1957 : 214). L’objet est alors vu comme l’attribut qui définit les qualités exceptionnelles du personnage : ainsi, apercevoir la voiture décapotable et y sauter « en vol » révèle l’agilité de Vivian [1- 05:56], s’enivrer et se bagarrer montre l’insouciance des jeunes Américains [1-31:41], mais enfourcher des chevaux inconnus témoigne de leur hardiesse [1- 1:08], tandis que maintenir hors de l’eau la canne et le chapeau d’un « gentleman » est le signe de la vanité d’un Tom Hopkins [2- 02:16].

Cependant, quoiqu’en disent les formalistes précités, ces personnages de Miss Mend remplissent aussi les deux fonctions du code sémiotique des arts visuels définies par Barthes : fournir à la fois un lieu commun culturel répondant à l’horizon d’attente du spectateur, et une image engendrant « la transformation incessante de la ligne phrastique [ou, à l’écran, de l’énoncé visuel] en volume textuel », c’est-à-dire « faisant signe » (Barthes 1970 : 135). Il serait donc légitime d’étudier également l’horizon d’attente culturel du spectateur soviétique venu voir « des Américains ».

4.4. Le cinéma hollywoodien

Pour Myriam Tsikounas, il s’agirait en effet d’un film de production courante sur le modèle des Extraordinaires Aventures de Mr. West au pays des Bolcheviks (Boris Barnet, 1924). Avec ses automobiles et ses motos roulant à tombeau ouvert, Miss Mend serait un digest des comédies de Mack Sennett.  On y trouverait aussi les stars hollywoodiennes telles que le personnage comique de Charlot, ou encore Douglas Fairbanks, dans le rôle de héros sans peur des films de cape et d’épée comme Robin Hood (1922), lorsque Barnet s’entraîne à la boxe [1-39 :45] ou se cache dans une caisse pour suivre Vivian à Petrograd [2-11 :01]. De même « il arrive à la dactylo Miss Mend des aventures similaires à celles de Pearl White » (Tsikounas 1992 : 89-90).

Le film contribue dans cette optique à l’élaboration de mythes nationaux dans un but commercial, à l’intention d’un public populaire naïvement convaincu de l’universalité du rêve américain : liberté, égalité des chances et prospérité assurée (De Cordova 2001 : 6). Le rôle joué dans le monde de la presse par un William Randoph Hearst, en particulier par la publication de ses feuilletons (Dahlquist 2013), est amplement démontré par des revues comme Photoplay (Gelman, 1972). Le stéréotype créé par les aventures de la star Pearl White (1889-1938), dont le nom devint celui de son personnage en 1913, rendue également célèbre grâce à la série américaine de Pathé Frères The Perils of Pauline (1914), comporte des savoirs types tels que le maniement des armes, la conduite automobile, et une grande agilité dans les acrobaties, pour lesquelles elle garantissait ne pas être doublée, risquant véritablement sa vie ou du moins un accident (Dahlquist 2013). L’amalgame entre l’image publique de la star et le personnage du film aurait pu contribuer à rendre Vivian Mend plus convaincante encore.

5. Le point de vue soviétique dans Miss Mend

5.1. Le refus du système des stars hollywoodiennes

Cependant, pour Eikhenbaum, la star hollywoodienne est incompatible avec le modèle du cinéma soviétique : pour ce critique « nous [les cinéastes russes] traitons l’acteur de cinéma russe comme le « réel », en ignorant tout à fait « l’actorisme » en tant que tel » (Eikhenbaum, in Albéra 1996 : 220). La signification du personnage de Miss Mend pour un spectateur soviétique ne serait donc pas le fruit d’une entreprise purement commerciale, comme si la dimension mythique du modèle américain était effacée au profit d’un mythe proprement soviétique, celui de la femme moderne prenant en charge ses obligations à l’égard de la société. Il faudrait donc distinguer dans le courage de ce personnage, celui de l’aventurière et celui de la femme élevant seule l’enfant de sa sœur grâce à son travail lui valant un salaire.

5.2. Vivian Mend et le mythe de la femme moderne ?

En effet, Vivian Mend est un personnage qui parait échapper dans le film aux stéréotypes américains évoqués ci-dessus. Ce personnage féminin incarne dans le film les changements apportés dans la société bourgeoise par la figure de la nouvelle femme forte, décrite par exemple dans les films américains d’Alice Guy-Blaché réalisés pour Gaumont entre 1911 et 1913. Sa situation n’a rien de romanesque et ne correspond pas à l’épanchement des sentiments de la société du 19e siècle que l’on rencontre dans la littérature (voir par exemple le cinéma russe prérévolutionnaire d’un Evgueni Bauer)6. Tout se passe comme si, bien qu’étant américaine, elle pouvait à certains égards être une héroïne soviétique sur le modèle de Natacha, celle du film Aelita (1923). Natacha incarne la femme courageuse et responsable qui est capable de créer une société égalitaire, l’antithèse de l’image de la femme de pouvoir, reine de Mars, pour laquelle seul compte le plaisir (séduction, tenues extravagantes, et rêve de toute puissance). Cette femme avide de séduction est d’ailleurs incarnée dans Miss Mend par la femme de Stern, Elizabeth Stern : celle-ci est le stéréotype de la femme du XIXe siècle, entièrement dépendante de son mari, mais qui se pâme d’amour pour un homme de pouvoir, Tchitché, au point de trahir son mari et son beau-fils en devenant l’instrument de l’ambition de son amant. Vivian Mend a elle-même hérité de cette condition d’esclave sexuelle dans la société bourgeoise, dont sa sœur a été la victime. Mais nous voyons qu’elle s’en est émancipée : elle est employée comme secrétaire et se caractérise socialement comme autonome par son attribut, la machine à écrire. Elle combat pour la condition des travailleurs et défend les grévistes avec acharnement. Une fois l’usine Stern vendue (au profit de Tchitché et de son Organisation), nous la voyons travailler comme blanchisseuse dans un entresol. Elle élève seule l’enfant du maître et une fois celui-ci empoisonné, c’est encore de son propre chef qu’elle décide de le venger en s’embarquant pour Petrograd. Les trois héros doivent se précipiter à sa suite pour participer à son combat. Dans la mesure où celui-ci symbolise la lutte des classes, on peut se demander dans quelle mesure cette Américaine ne démontrerait pas la justesse du modèle révolutionnaire de Natacha dans Aelita pour un public soviétique ?

5.3. Une destinée utopique ?

La dimension mythique du personnage de Vivian est à nouveau reformulée lorsqu’elle entretient avec Barnet une relation romanesque, ratifiée pour ainsi dire par le cliché hollywoodien de la fin heureuse, leurs aventures se terminant par un baiser dans un train. Lorsque Vivian décide de quitter les bolchéviks, on est étonné de voir ce départ en train, comme si la traversée maritime entre deux pays éloignés, d’abord avec le cercueil de Stern, puis avec les deux navires dans lesquels s’embarquent les personnages, qui avait eu lieu au début du film, n’avait plus sa place dans le récit. Le plan cadrant Vivian et Barnet depuis le quai, sous les yeux d’un Hopkins accouru au moment du départ, montre d’abord chacun à sa fenêtre. Le plan suivant, qui cadre le baiser final librement proposé par Vivian à Barnet, requalifie le modèle hollywoodien en laissant ouvert le lieu et le temps où va se dérouler leur destinée future. Les deux personnages nous parlent ici d’un univers utopique que nous devons dès lors imaginer, où la lutte des classes aura disparu et où le domaine d’application des sciences se limitera à l’amélioration de la vie quotidienne grâce aux progrès de la technologie. Comme s’il s’agissait d’un couple semblable à celui qui s’engage dans la construction de la future société soviétique devant un feu de cheminée illuminant leurs visages, image sur laquelle se termine Aelita (Costa de Beauregard 2020 : 28). Il ne s’agirait alors nullement d’une utopie, mais d’une réalité renvoyant dos à dos science-fiction et mythologie dans un univers propre au seul cinéma.

Conclusion

Science-fiction et mythologie constituent en effet les formes essentielles de ce film. La première forme donne à l’intrigue une dimension particulière à travers le motif du savant fou dont la spéculation financière démesurée repose sur ses connaissances dans le domaine de la chimie mais le rend aveugle à la réalité du monde soviétique, au point de lui faire croire qu’il peut s’en rendre maître grâce à ce savoir scientifique. La science-fiction emprunte également à la mythologie et devient de ce fait, pour le réalisateur soviétique, un élément contribuant à la satire d’une Amérique qui se rêve éveillée. En effet, aucun des Américains du film n’échappe à cette croyance qu’ils vivent le rêve américain où liberté, égalité et fraternité assurent à chacun la prospérité, grâce au droit à la propriété individuelle, révélant ainsi une naïveté américaine qui ne s’est jamais démentie. Seule Vivian Mend échappe à cette dénonciation de la naïveté.

Cependant le film invite également à une lecture d’un modèle de société qui relève de l’universel, la référence à la mythologie apparaissant comme une réponse apportée aux contradictions de la condition humaine. Ainsi le récit du savant fou peut se lire comme une réécriture du mythe de Prométhée, et le chef de la police de Pétrograd mettant un point final à son ambition impérialiste, comme la victoire attendue de Jupiter. Dans un même ordre d’idée, Vivian Mend s’engage dans un combat digne d’Athéna ou de Minerve, déesse de la guerre, lorsqu’elle se lance à la poursuite de celui qui incarne le mal absolu. Mais à ce petit jeu avec les grands mythes classiques, certes étrangers à l’univers culturel du public populaire du film, Athéna, Minerve, voire même Diane, semblent au final s’effacer au bénéfice de Vénus, la déesse de l’amour. Tant il est vrai que le cinéma est un art, et, par conséquent, ne fait sens qu’en présence d’un spectateur, chacun de nous voyant le film qu’il veut.

Bibliographie

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Notes

1 Ce film appartient à la catégorie « Aventures étrangères » du cinéma soviétique. Il fut produit par Mejrabpom-Rouss sur un scénario de Fedor Otsep, V. Sakhanovski et Boris Barnet, d’après le roman feuilleton de Marietta Chaguinian, publié sous le pseudonyme de Jim Dollar et intitulé Mess Mend, ou un Yankee à Petrograd (1923-1925), et d’après une nouvelle de Jack London intitulée Jim Dollar (que nous n’avons pas réussi à trouver). Les fascicules de ce best-seller étaient mis en page et illustrés par Alexandre Rodchenko. Les 3 DVD ont été produits par la Lobster (Albéra 2016 :223). Dans notre texte, les références à ces DVD apparaissent entre parenthèses : le premier chiffre est le numéro du DVD, les suivants indiquent les repérages séquentiels. L’intrigue se déroule en Amérique, pour la première partie, et se résume aux efforts de Tchitché (Sergueï Komarov) pour s’emparer d’une puissante entreprise. Il lui faut pour cela séduire Elizabeth Stern (Natalia Rozanel), obtenir du patron Gordon Stern (absent du casting) un document donnant à celle-ci son propre laboratoire scientifique, l’assassiner, tenter d’assassiner la dactylo Vivian Mend (Natalya Glan), puis empoisonner son neveu, un enfant qu’elle élève seule, car il est le fils du patron. Trois jeunes héros, le photographe Vogel (Vladimir Fogel), le reporter Barnet (Boris Barnet) et l’employé de bureau Tom Hopkins (Igor Ilinski), découvrent ces crimes et poursuivent le monstre. La seconde partie du film se déroule à Petrograd : Tchitché, qui a convaincu l’héritier Arthur Stern (Ivan Koval-Samborski) de lui obéir, lance une attaque contre les bolchéviks. Il essaie d’empoisonner la population de la ville en installant le procédé qu’il a inventé, mais il est arrêté par la police de Petrograd et se tue par erreur dans une cage d’ascenseur. Ayant rempli leur mission, les quatre Américains quittent Petrograd. Retour au texte

2 Westfall cite à titre d’exemple les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift et les Fables d’Esope. Par ailleurs, rappelons que Miss Mend se fonde sur la très grande richesse des romans d’anticipation européens, mais surtout russes puis soviétiques, qui foisonnent avec les inventions dues aux progrès de la science et la naissance de la société industrielle au 19e siècle. Plus concrètement, un auteur de science-fiction comme Alexis Gastev (Heller 1983 : 53-60), révolutionnaire professionnel, avait commencé à écrire dès 1904 (Heller 1979 : 32-34). Retour au texte

3 Le motif de la traversée d’un navire menaçant est également utilisé dans un film comme Nosferatu le Vampire, (1922), une adaptation du roman Dracula, de Bram Stoker, réalisée par F. W. Murnau. La même scène est filmée lorsque le vampire, en apparence mort dans son cercueil en route pour l’Écosse, revient dans le monde des vivants pour y accomplir ses méfaits. Les frontières entre les deux genres, le fantastique et la science-fiction, sont particulièrement poreuses comme le montrent les motifs de la traversée et du navire surnaturel, et Nosferatu constitue un intertexte indéniable de Miss Mend. Retour au texte

4 Robert Israel (1963 -) est un compositeur de musique de films muets. On trouve sur YouTube le film intitulé The Invisible Orchestra, un documentaire réalisé par Robert Israel sur la création musicale destinée au cinéma muet, où il présente sa composition pour Miss Mend. Voir aussi le site du compositeur : [https://www.robertisraelmusic.com. Consulté le 28/09/2021. Retour au texte

5 « The distinguishing feature of science fantasy involves the rhetorical strategy of employing a more or less scientific rationale to get the reader to suspend disbelief in a fantastic state of affairs », Robert Philmus, 1970, p vii. Cité par Paul Coates, 1994 : 38. Retour au texte

6 On connaît au moins trois films de Evgenei Bauer, réalisateur russe prérévolutionnaire : Le crépuscule de l’âme d’une femme (1913), Après la mort (1915), La Mort du cygne (1916). Filmés avec l’éclairage hollywoodien du clair-obscur et de nombreux plans serrés du visage de l’actrice, ils sont consacrés à l’expression des sentiments du personnage féminin. Edités en DVD sous le titre Mad Love par le British Film Institute de Londres, 2002. Ref. BFIVD515. Voir Costa de Beauregard 2014. Retour au texte

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Référence électronique

Raphaëlle Costa de Beauregard, « Le rêve américain vu au prisme du divertissement soviétique : Miss Mend (Boris Barnet et Fedor Ozep, 1926) », Textes et contextes [En ligne], 17-1 | 2022, publié le 15 juillet 2022 et consulté le 11 octobre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=3400

Auteur

Raphaëlle Costa de Beauregard

Professeur émérite, Université Toulouse Jean Jaurès, 5 allées Antonio Machado, 31058 Toulouse cedex 9

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