1. Un écoquartier aux franges de la métropole
1.1. Les écoquartiers comme poches d’expérimentation des pratiques paysagistes innovantes
Le programme national ÉcoQuartier été lancée en 2009 en application de la loi Grenelle 2 dans le cadre du plan Ville durable. La démarche vise à « favoriser l’émergence d’une nouvelle façon de concevoir, de construire et de gérer la ville durablement, en outillant, sensibilisant et valorisant les porteurs de projets »1. Ce programme encourage les concepteurs, et parmi eux les paysagistes-concepteurs, à explorer les bonnes pratiques recommandées dans la littérature et la règlementation urbaine (About-De-Chastenet et al., 2016) notamment les pratiques de la conception urbaine écologique, telles que les systèmes de gestion différenciée et de traitement durable des eaux sur site par exemple. La mixité sociale est aussi un des aspects essentiels. Mais ces pratiques écologiques mises en pratique par les paysagistes-concepteurs dans les écoquartiers sont avant tout intégrées dans une approche beaucoup plus large du projet, celle de l’intégration de l’échelle géographique dans la manière de penser la ville. Depuis une quinzaine d’année, cet « urbanisme de révélation » (Fromonot, 2011), c’est à dire de compréhension du territoire comme palimpseste (Corboz, 2001) dans une approche sédimentaire pour révéler la mémoire des lieux (Marot, 2003) correspond à « l’émergence en France d’une nouvelle profession du paysagiste comme urbaniste » (Fromonot, 2011), telle que le décrit aussi toute une littérature américaine du Landscape Urbanism (Corner, 2004; Waldheim, 2016). Dans le même ordre d’idée, l’ « amplification géographique », nous dit le paysagiste Michel Desvigne, s’appuie sur des éléments de la géographie préexistante pour dessiner le paysage proposé (Desvigne, 2009).
Il est donc possible d’identifier d’une part des discours résultant du tournant paradigmatique vers une pensée écosystémique en cours depuis les années 2000, notamment le Landscape Urbanism américain qui énonce que l’approche paysagère en urbanisme est la plus à même de construire la ville écologique, et d’autre part un courant plus territorialiste qui s’appuie sur les structures de la géographie pour faire la ville. Or dans un espace sud européen où la figure de l’espace public minéral formel domine, les écoquartiers pourraient être des poches d’expérimentation pour les paysagistes combinant les deux approches, invitant au dialogue entre biens communs écologiques et biens communs anthropocentrés, vers la notion de « biens communs écopaysagers hybrides » (Donadieu, 2012). L’exemple des écoquartiers est intéressant car il suggère, dans un contexte d’une profession en développement et dans le contexte d’une commande publique écologique, un glissement nécessaire des discours paysagistes depuis une lecture scientifiste éco-centrée du territoire et une approche techno-managériale (De Block et al., 2018) vers la conception d’une urbanité territoriale qui prendrait en compte les fonctions et formes urbaines, la mixité sociale, mais aussi l’histoire et la culture locale.
1.2. Local/global, espace rural/modèle urbain, aux franges de la métropole
Pour explorer la manière de faire la ville par le paysage dans les écoquartiers, et la révélation du contexte local par le projet, nous avons choisi l’écoquartier Vidailhan, situé aux franges de la métropole toulousaine. Dans ce cas d’étude, nous nous situons à l’articulation entre un contexte global et un modèle urbain écoquartier national, entre le phénomène de métropolisation en cours à Toulouse et une culture locale particulière, constructive, environnementale ou sociale. La mise en place d’une image paysagère partagée dans un écoquartier questionne l’adaptation d’un discours et d’un modèle globalisé, ici l’écoquartier, vers l’incorporation de particularités locales, de racines rurales, d’un passé agricole, mais aussi de particularités métropolitaines préexistantes (De Marco, 2015). Dans l’écoquartier Vidailhan, aux franges de la métropole, cela pourrait passer par la mise en place d’une nouvelle catégorie d’espaces, ni urbains ni ruraux, décrits par (Buscemi, 2014) comme « un paysage stratifié de processus physiques, sociaux, culturels et mentaux qui ensemble créent un territoire spécifique et participent de la relation éthique et épistémologique entre l’homme et la nature ». Nous cherchons à explorer comment les pratiques paysagères et urbaines permettent dans l’écoquartier Vidailhan à Toulouse la construction d’une identité paysagère propre au territoire et respectueuse du lieu.
2. Critique de projet de paysage
2.1. La critique comme genre nouveau dans la théorie du projet de paysage
La critique de projet est une évaluation scientifique d’une projet agrémentée d’une opinion subjective de l’auteur. Noël van Dooren, dans un article sur la « critique en paysage », en décrit quatre types : la critique historique, la critique journalistique, le débat, la discussion théorique. Les ingrédients pour une bonne critique de projet, et qui justifie que ce genre prenne place dans une démarche académique, sont selon lui plusieurs aspects à expliciter dans la méthode de recherche : la description et l’illustration du projet, l’énonciation des intentions politiques et les intentions de projet à l’origine, l’observation de l’utilisation de l’espace et le programme qui a été finalement réalisé, le développement de perspectives objectives et subjectives et la formulation de considérations plus larges pour le domaine du paysage et de l’urbanisme. Le genre émergent de la critique en paysage est important car il contribue au développement de la discipline en amenant une part d’autocritique à la profession et de profondeur critique aux méthodes de recherche (Van Dooren, 2018). Nous suivrons, dans cet article, cette grille de lecture présentée par Van Dooren, que nous développerons plus précisément dans la méthode.
Mais il nous paraît important de garder un recul critique notamment par rapport à la notion d’écologie. En effet, au-delà de la « critique » en tant que nouveau genre académique, quelques recherches récentes se positionnent dans une perspective d’« écocritique » des pratiques de l’urbanisme et du paysage. Dans une critique de l’étude Metropolitan Landscapes qui explore le concept de « paysage ouvert » et son opérationnalité pour le développement de la ville de Bruxelles à travers une méthode de recherche par le projet, De Block et al. (2018) identifient plusieurs biais au modèle inclusif du « regard écosystémique » qui y est énoncé en introduction de l’étude comme « métaphore et hypothèse paradigmatique, désignant le paysage comme un ensemble conjuguant nature et culture, espace naturel et espace créé par l’homme, ou topographie naturelle + espace ouvert + tissu bâti + infrastructures ». Selon les auteurs de la critique, la définition de l’espace public est très minimale dans l’étude, elle y est réalisée dans une perspective apolitique, sans réflexion sur la mixité sociale, les formes d’appropriation. La réflexion sur le voisinage programmatique ne parvient pas à transcender le fossé nature-culture et élude la protection des espaces ouverts étudiés, favorisant un modèle de développement urbain néo-libéral et un distribution inégale de la population. Enfin, la discussion sur l’aspect (éco)systémique du projet urbain en est réduit à un discours techno-managérial sans considération du contexte socio-politique et du communautarisme exacerbé de Bruxelles. Les auteurs concluent en montrant que l’étude paysagère ignore les processus de compétition spatiale. Ils s’interrogent enfin sur la capacité du paysage à offrir une réponse urbaine pour s’adresser au contexte socio-politique difficile bruxellois (De Block et al., 2018). Cet exemple illustre l’émergence d’un discours critique sur l’urbanisme écologique mobilisant le paysage comme medium épistémologique. Peu de critiques bien construites ont été émises sur le modèle écoquartier français, et ce n’est pas l’objet de cet article. La démarche se tourne plutôt vers une critique qualitative du projet Vidailhan et les opportunités résultant de la rencontre entre un territoire et la démarche écoquartier pour construire un paysage partagé hybride aux franges de la métropole.
2.2. Écocritique d’une hybridation entre modèle urbain et contexte local
Sans avoir l’ambition d’examiner les grilles de critères publiées par le ministère pour la labellisation des écoquartiers, car ce n’est pas le cœur du sujet de notre recherche, la critique ici est menée pour comprendre comment le projet de paysage, à Vidailhan, hybride le modèle écoquartier et les caractéristiques préexistantes du lieu pour faire émerger une identité propre, rural-métropolitain. Nous explorons deux aspects, deux mouvements, l’un ascendant, et l’autre descendant, pour atteindre un point d’hybridation. L’analyse critique est « descendante » en ce qu’elle observe la théorie du projet de paysage, le mouvement du Landscape Urbanism et le modèle urbain écoquartier, c’est-à-dire les discours descendants, publiés, publics, de la recherche, le discours professionnel et le discours d’un programme urbain gouvernemental. Dans son aspect « ascendant », l’idée est de faire monter la connaissance depuis le bas en récoltant le discours du paysagiste et en observant les pratiques de conception mises en oeuvre. Cette première étape permet d’étudier si l’écoquartier s’inscrit dans la perspective d’un mouvement qui énonce clairement que le paysage est le plus à même de construire la ville écologique et un projet qui s’inscrit dans et révèle le site, en lien avec les principes du Landscape Urbanism ou urbanisme de révélation discutés en introduction. Dans cette approche « ascendante », nous souhaitons aussi examiner qualitativement la manière dont le projet a mûri, la vie du quartier s’est développée, les appropriations habitantes, la gestion, et voir comment le modèle urbain « importé » se territorialise, s’ancre sur le long terme, s’hybride avec le caractère local. Le mouvement « ascendant » décrit une greffe, des adaptations, les phases tests, les ratés et l’ancrage du projet. Le point pivot d’hybridation pourra s’avérer être une « révélation programmatique », comme décrit par Fromonot (2011), c’est-à-dire un enrichissement du modèle écoquartier par le contexte, un enrichissement du territoire local par le modèle importé.
2.3. Terrains et méthode
La méthode d’observation se déroule sur un temps long, plus d’une dizaine d’années, depuis 2010, date à laquelle j’ai réalisé ma première visite du site, alors en construction. L’approche critique s’appuie d’une part sur les discours et documents officiels, et d’autre part sur l’analyse plus pratique du projet sur le site, les formes urbaines observées, dans le contexte. Elle comprend une combinaison d’entretiens avec les acteurs du projet urbain, maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage, des visites de terrain régulières sur plusieurs saisons, la consultation de nombreux documents de projet, transmis par la maîtrise d’ouvrage Toulouse Métropole, mais aussi par les maîtres d’œuvre paysagistes, et enfin des entretiens avec des groupes représentants d’habitants.
Tableau : Chronologie des terrains et entretiens réalisés pour la critique de projet.
Dates | Entretiens et visites de site |
2010 | Entretien avec Juliette Bailly-Maître, Paysagiste-concepteur, Agence Mutabilis, Paris. |
2010-2012 | 3 visites de site |
2010 | Entretien avec P. Jourdain, responsable de projet OPPIDEA, SEM. |
2015 | 1 visite de site |
May 2018 | Entretien avec Mme Guerrerro, responsable de projet Toulouse Métropole. |
2018 | 4 visites de site |
July 2018 | Entretien avec Mr. Chaboy, Président de l’association habitante Vivr’à Vidailhan, et habitant du quartier. |
August 2018 | Entretien avec P. Jourdain, ex-responsable de projet OPPIDEA, SEM. |
Septembre 2018 | Entretien avec Pierre Aubéry, paysagiste en charge du Patus, jardin partagé, habitant du quartier. |
Entretien avec Mme Janicaud, responsable du Patus, jardin partagé, habitante du quartier. | |
Juin 2019 Sept 2019 Sept 2020 Dec 2020 Janvier 2021 | 6 visites de site |
La critique est ciblée sur la dimension paysagère du projet : comment la combinaison entre le modèle écoquartier et son adaptation au territoire fait émerger une forme urbaine tout en respectant l’identité du territoire sur lequel elle s’implante. La critique cherche à identifier des points d’hybridation entre ces deux polarités, modèle écoquartier et territoire local.
L’hypothèse émise est que cela émerge de l’articulation d’une part d’un caractère rural préexistant lui-même déjà inséré dans une dynamique péri-métropolitaine et d’autre part une éco-identité répondant à plusieurs ambitions du modèle écoquartier : densité douce proposée, espaces publics végétalisés de qualité, mixité sociale forte, système de gestion des eaux de pluie sur site. Cette identité hybride émergerait de points de frottement entre modèle et contexte local, mais aussi de surprises de terrain, de dimensions inattendues de la confrontation. Pour observer ces points d’hybridation, nous ne conduirons pas d’observations systématiques de paramètres, mais une vision transversale, une lecture du projet dans le temps, des appropriations, des prises et des déprises. Pour être fidèle à la démarche de critique définie par Van Dooren (2018), nous conduirons une description du projet, explorerons l’énonciation des intentions politiques et de projet à l’origine, nous analyserons l’utilisation de l’espace qui a été finalement réalisé. Plus précisément, nous analysons la trame végétale comme héritage rural du site, la trame urbaine en rapport avec l’eau, l’appropriation par les habitants, les espaces publics ouverts et la vie sociale locale. Dans une partie discussion, nous opérons des réflexions plus larges pour le domaine du paysage et de l’urbanisme sur la notion d’identité paysagère post-métropolitaine, la révélation d’une relation au rural, l’écologie des territoires et le vocabulaire en commun entre disciplines de la conception.
3. Quelques faits sur le quartier : contexte, chronologie, équipe
3.1. Un écoquartier à l’orée de la « porte métropolitaine » Est de Toulouse
Notre cas d’étude, l’écoquartier Vidailhan, a obtenu le label étape 3 écoquartier, ce qui signifie que le quartier a été livré. Les nouveaux habitants ont aménagé dans les premiers bâtiments en 2012. Il est à noter que Vidailhan n’a pas encore obtenu le label étape 4, stade auquel on peut commencer à évaluer la tenue des objectifs prioritaires fixés et à prendre en compte les retours d’expérience, notamment par rapport aux usages observés dans la réalité.
L’écoquartier Vidailhan se situe sur la commune de Balma, localisé à la lisière Est de la métropole toulousaine.
Le quartier est à proximité d’une polarité économique d’ordre secondaire à l’entrée Est de Toulouse, « la porte métropolitaine Balma Gramont », morcelée et constituée d’une juxtaposition d’unités monofonctionnelles, de réseau viaire et de zones commerciales. Cette polarité bénéficie d’une desserte en transport en commun grâce à l’arrêt terminus de la ligne A du métro toulousain, situé à 20 minutes à pied de notre site. La Ville de Toulouse, en collaboration avec l’Agence d’Urbanisme, a publié en Mars 2019 son plan guide « Projet Urbain Toulousain, Ville Rose Ville Verte » (Mairie de Toulouse, 2019). Parmi les recommandations sur l’aspect transition écologique et nature en ville, il est proposé une pensée en systèmes de parcs autour de cinq Grands Parcs Toulousains. Cette pensée s’appuie principalement sur le renforcement des corridors écologiques existant le long d’unités paysagères telles que les cours d’eau comme la Garonne ou l’infrastructure fluviale du Canal-du-Midi. Ces parcs sont identifiés comme des « portes d’entrée de la nature dans la ville » et comme « outil de structuration du territoire », notamment pour les déplacements doux. L’écoquartier Vidailhan se situe à proximité du Grand Parc de l’Hers.
3.2. Un contexte géographique à proximité du Grand Parc de l’Hers
Le territoire d’implantation de l’écoquartier se situe à l’articulation entre la lisière de la métropole toulousaine et un paysage de coteaux agricoles vers l’est, traversé par la vallée de l’Hers, un affluent de la Garonne. Les parcelles bénéficient d’une pente d’environ 8 % et offraient des vues traversantes, avant la construction du quartier, vers la plaine alluviale et les premiers coteaux urbanisés de la métropole toulousaine.
L’occupation agricole ainsi que les boisements et haies ont connu une évolution depuis les années cinquante, d’abord par un phénomène bien connu de remembrement, faisant émerger des parcelles agricoles plus grandes et supprimant les formes bocagères et les haies, puis par ré-enfrichement de certaines parcelles, faisant émerger des petites parcelles boisées que l’on peut voir sur la photo aérienne de 2006. La démarche d’aménagement paysager de l’écoquartier cherche à conserver cet héritage agricole du site.
Malgré la suppression progressive de haies et l’urbanisation, des continuités écologiques existent entre les hauts des coteaux à l’est et l’Hers en fond de vallée, essentiellement le long de ruisseaux. Trois de ces continuités sont particulièrement importantes pour l’écoquartier Vidailhan (cf.fig 2). En 2016, la commune de Balma sur laquelle s’implante l’écoquartier a publié son Plan guide urbain communal à l’horizon 2020-2030. Le plan inscrit la commune en relation avec le Grand Parc de l’Hers par un système de trames vertes et bleues transversales s’appuyant notamment sur ces deux ruisseaux structurants.
3.3. Une implantation dans la ZAC Balma-Gramont
Sur les communes de Balma et de l’Union, la Zone d’Aménagement Concerté Balma-Gramont, créée en 2004, est une opération d’extension maîtrisée, et elle est concédée à la Société d’Économie Mixte toulousaine OPPIDEA. Elle s’étend sur 106 hectares, dont deux tiers sont dédiés à l’activité économique et près de 30 hectares dédiés à l’écoquartier Vidailhan (cf. fig2). Selon le site internet d’Oppidea2, l’écoquartier Vidailhan compte 1 285 logements et 10 ha d’espaces verts. Il compte plus de 3 000 habitants, des dizaines de commerces et 45 000 m² de bureaux. La mixité fonctionnelle est recherchée avec une triple vocation du quartier : habitat, commerces, activités tertiaires.
Tableau 2 : Composition de l’équipe au démarrage du projet en 2008.
Établissement public de coopération intercommunale : Communauté urbaine Toulouse Métropole, en lien avec la ville de Balma. |
Maîtrise d’ouvrage : Société d’économie Mixte OPPIDEA |
Type de projet : Extension urbaine maîtrisée |
Maitrise d’œuvre : Urbaniste : KCAP - Droit de cité Architecture Paysagiste : Mutabilis paysage |
Tableau 3 : Chronologie du projet.
Dates | Phases |
2005 | Premières études urbaines. |
2010 | Entrée en phase opérationnelle. |
Mars 2012 | Premiers lots livrés. Parc public livré. |
2012 | Premiers habitants. |
2013 | Jardin de Vidailhan livré. |
2015 | Commerces, crèche et groupe scolaire. |
2021 | La grande majorité des lots sont livrés, une vraie vie de quartier est implantée. |
Le phase 2 de la ZAC et l’extension urbaine vers le nord est entrée en phase opérationnelle. |
4. Approche critique : points d’hybridation
Nous cherchons à identifier les aspects du projet et du discours des concepteurs, notamment du paysagiste Mutabilis, qui permettraient d’établir des liens avec les principes de l’urbanisme de révélation, qui selon (Fromonot, 2011), consiste à « donner la priorité au site d’intervention et à puiser dans son substrat les principes de sa mutation dans le temps ». Ainsi, « par décryptage de leur nature, par anamnèse de leur passé, par extrapolation patiente de leurs qualités intrinsèques, les lieux sont ainsi amenés à engendrer localement leur programme de leur propre évolution au fil d’un processus perpétuellement inachevé qui constitue en lui-même un projet ». Inversement, nous souhaitons aussi explorer les aspects pour lesquels le modèle écoquartier a imposé son écriture, ses éco-technologies. Chaque domaine abordé, la trame végétale, la gestion de l’eau, l’aspect temporel du projet, les espaces publics et la vie sociale du quartier, nous permet de questionner les points d’inflexion et d’hybridation entre le modèle urbain et son contexte.
4.1. Trame végétale : héritage rural du site et ambition de biodiversité
La trame urbaine proposée, développée par l’agence d’urbanisme KCAP, s’appuie sur le parcellaire agricole préexistant. Le parti pris du projet expliqué dans la présentation du projet par Oppidea publiée en 2011 est de « retisser le maillage afin de créer un continuum végétal, à la fois support de déplacement pour la faune et espace d’accompagnement de grande qualité pour la mobilité des habitants. Les bosquets et haies bocagères sont ainsi intégrés aux jardins et aux profils de rues. L’ambition de ce maillage s’étend au-delà de la ZAC et même du territoire balmanais, en visant davantage le lien avec les corridors écologiques régionaux ». De plus, l’épaississement des haies bocagères et des alignements d’arbres protège de l’érosion et du vent, permet la rétention de l’eau et l’accueil de biodiversité. Cette approche est ressentie fortement sur l’ambiance. En visitant le site, il est aisé de repérer les grands sujets et la strate arborée préexistante. Ils offrent une vraie qualité visuelle, structurante, entrant en dialogue avec les gabarits architecturaux et hiérarchisant les espaces. Ces arbres préexistants, en plus de fournir une ombre recherchée et un confort thermique en été, sont clairement hôtes d’une avifaune qui y nidifie. Les espaces ouverts ont été organisés en articulation avec le patrimoine végétal hérité des activités agricoles du site, par exemple au niveau du jardin Vidailhan, qui compte deux alignements conservés, ou sur le square qui en compte un. Plusieurs haies bocagères ont été intégrées dans le tramage urbain et certaines ont même guidé le tracé des voies. Le petit bois résulte du phénomène de reboisement progressif avant l’écoquartier.
La stratégie de plantation s’adapte à ce contexte préexistant. Pour ce qui est de la strate arborée, la qualité des essences présentes avant le projet et héritée de l’usage agricole du site, jugée « pauvre » parce que simplement composée de chênes, platanes, frênes et ormeaux, est densifiée par une palette végétale plus diversifiée. L’argument est l’implantation d’une grande biodiversité, et l’adaptation au climat de la région, composant ainsi une grande diversité de milieux. On trouve ainsi des pins, bouleaux, eucalyptus, micocouliers, cèdres. Les dispositions de nouvelles plantations évitent l’alignement et forment plutôt des bosquets d’aspects plus organiques. On retrouve toutes les strates végétales, herbacée, arbustive et arborée.
Mais c’est à l’observation de la maturation du projet, et particulièrement des régimes de gestion mis en place, que l’on peut commencer à identifier des points d’hybridation entre le projet et son contexte, le modèle et son site d’accroche. La gestion des noues, des prairies et du fond du jardin creux doit rester limitée, selon les principes de gestion alternative. Une réduction à l’essentiel de deux fauches par an permet ainsi à une flore riche de se développer, à une biodiversité de se développer. Cependant, ceci pose actuellement deux problèmes. Le premier est l’acceptation des populations, notamment par rapport au développement d’une strate herbacée riche et d’aspect plus naturel. D’autre part, pendant quelques années après la construction du quartier, la SEM Oppidea a continué la gestion et la maintenance. Lors de la rétrocession à la Mairie, la transmission de projet et de pratiques n’a pas été automatique. Cette passation inégale a entrainé des confusions sur les zones de gestion entre bandes d’espace privé, ou d’espace public, dépendant d’un régime différent (copropriétés ou services Mairie). Certains arbres ont été plantés mais pas arrosés, donc certains sujets sont morts. Ailleurs, certaines bandes sont restées sans entretien pendant plusieurs semaines, ce qui a permis à une flore spontanée d’émerger, propice à une biodiversité plus riche (fig. 7). Le contraste entre ces espaces de nature spontanée et les formes architecturales contemporaines et tout juste sorties de terre a alors questionné la réalité d’un écoquartier aujourd’hui. Comment concilier les attentes des habitants d’une nature domestiquée et les objectifs de biodiversité enrichis par la flore spontanée ? Une lisière privé - public peu claire et une rétrocession de gestion hésitante a ainsi bénéficié au développement d’espaces de nature en ville plus sauvages.
La trame végétale de l’écoquartier Vidailhan questionne. On peut y lire une véritable cohabitation entre les essences et strates rurales, et la « palette signature » proposée par l’agence de paysage et qui reflète une époque. Elle est reconnaissable par l’œil aguerri et elle comprend des essences exotiques et très variées. Des questions émergent. Cette palette ne pourrait-elle pas se composer exclusivement d’essences trouvées sur le site ou dans un périmètre géographique comme la vallée ou le bassin versant ? Pourquoi ne pas désigner des espaces pédagogiques laissés à la recolonisation seule des essences végétales ? L’accompagnement des populations, des promoteurs, et des autorités compétentes serait nécessaire pour déclencher cette volonté politique.
4.2. Trame urbaine en balcon et gestion de l’eau
La trame urbaine développée par l’urbaniste s’appuie sur les caractéristiques géographiques du site. Le projet se développe sur un territoire en pente continue de 8 %. Le sol argileux du site, avec une capacité drainante faible et couplé à la pente, a constitué une contrainte pour l’installation d’un système de gestion des eaux de ruissellement, dont l’infiltration au maximum sur le site est souhaitée dans le cadre des ambitions de l’écoquartier. La trame des voiries s’installe sur la pente de la manière suivante : face à la pente, le ruissellement des eaux de pluie est canalisée puisque la pente ne permet pas de garder l’eau en surface le temps qu’elle s’infiltre, en parallèle à la pente se développent les voiries planes qui permettent l’installation de quelques noues végétalisées, cloisonnées de légers ouvrages maçonnés dont l’objectif est de favoriser l’infiltration des eaux de pluie sur site en limitant le débit de fuite du quartier vers l’Hers, l’exutoire naturel du site ou vers les réseaux de la ville.
Le système de récolte des eaux de ruissellement trouve une finalité dans le jardin creux, sorte de bassin d’orage planté et accessible par des emmarchements.
Cette volonté de traiter les eaux de ruissellement est vertueuse. Le jardin creux est un succès, il offre un milieu riche et un foisonnement végétal intéressant. Mais les ambitions d’installation de noues végétales ont par ailleurs été réduites, soit pour raison économique, soit technique. Reste à explorer la véritable performance de ces noues et jardins creux. Quel est le volume d’eau exfiltré dans le réseau de traitement des eaux de ruissellement ? Enfin, la réalité de la qualité d’un sol peu drainant couplé aux multiples terrassements indispensables à la construction de l’écoquartier a nécessité par endroit l’importation de terre végétale pour créer des poches de plantation. L’adaptation du modèle écoquartier à un sol et une topographie engendre, dans le cas de Vidailhan, des réflexions techniques et esthétiques inédites, propre à la rencontre des ambitions écologiques et d’un territoire.
4.3. Un paysage de (post)figuration qui se développe à mesure de l’arrivée des habitants
La chronologie des constructions et des livraisons ne relève pas exactement d’une approche de « préfiguration » au sens où on l’entend dans le discours de la théorie du projet de paysage et du Landscape Urbanism. La « préfiguration » s’appuie sur le temps long du végétal et des processus naturels, et le concept de durée ou de révélation. Elle désigne une série d’installations ou de plantations qui se déroulent généralement très en amont des premières opérations afin de préparer un site, un sol, de lui permettre d’atteindre une certaine maturité, ou de s’appuyer sur des transformations pour faire émerger un état à atteindre à un moment voulu du projet. A Vidailhan, les espaces publics ouverts de nature sont clairement parmi les premiers éléments construits du quartier. Ils ont été en place très en amont du projet. En ce sens, ils préfigurent l’arrivée des bâtiments. Le jardin de Vidailhan était déjà livré en 2010, alors que les premiers logements ont commencé à être développés en 2012. En outre, parce que ces espaces publics ouverts de nature combinent les traces anciennes de la ruralité du site et la vision contemporaine du paysagiste, leur intégration ou leur gestion dans le temps posent parfois question. Le petit bois est, par exemple, une relique d’enfrichement du temps de l’occupation agricole, qui bénéficie d’une gestion aujourd’hui très soutenue paradoxale avec son origine. Alors qu’il avait été mentionné la possibilité d’une prairie fleurie et de vergers à ses abords directs, le petit bois est aujourd’hui singulièrement isolé sans lisière de transition avec des espaces enherbés tondus autour ou des jardins privés.
Les espaces ouverts ont fait l’objet des premiers aménagements, comme bien souvent dans les opérations résidentielles pour constituer un argument de vente des logements à venir. Puis un processus de développement urbain s’est déroulé à mesure que les premiers habitants apprivoisaient cette image paysagère partagée en construction sous leurs yeux. Un habitant raconte lors d’un entretien réalisé en 2018 : « Les premiers habitants déménageant, le phénomène d’urbanisation a continué. L’écoquartier s’est développé opérations après opérations. Au tout début il n’y avait que des champs agricoles aux alentours, et de belles perspectives sur le coteau en face au-dessus de la vallée de l’Hers. Il y avait quelques traces de la mémoire du site, une colonne en briques, des haies d’origine. Les reliques ont disparu progressivement, ainsi que les vues. Le dévoilement successif d’architectures contemporaines et de bâtis ont progressivement bloqué les vues tout en ménageant certaines perspectives sur le paysage ». Or ce phénomène contribue à un sentiment d’attachement. En effet, ce même habitant rajoute que la dimension « merveilleuse de l’attente et de l’inconnu », l’apparition de formes urbaines proposées dans le quartier et la richesse des styles architecturaux « a contribué à la construction d’une identité pour le quartier ». La trame urbaine tente en effet de respecter les contraintes et les qualités du site. La distribution et la discontinuité des façades permettent des ouvertures visuelles sur la vallée. La structure du quartier se développe en terrasses sur le paysage et s’adapte à la topographie du site.
Un des cœurs d’ilot comporte un jardin partagé, le Patus. Pour le jardin du Patus, on peut parler d’un phénomène de (post)figuration. Le jardin, conçu par l’atelier ATP, a été livré après les logements. La présentation du projet par Oppidea publiée en 2011 précise que depuis sa livraison en 2012, cet îlot de l'écoquartier de Vidailhan est « voué au lien social par la nature ». Dès le départ, chacun des copropriétaires de ce groupe de sept résidences s’est vu attribuer une parcelle cultivable de 2 m2. À charge pour les résidents d’entretenir et de partager leurs lopins. Près de six ans plus tard, le projet collaboratif s’est concrétisé au sein de l’association des jardiniers de Vert’dailhan. « L’îlot dispose d’un jardin de près de 2000 m2 dans lequel 1 000 m2 sont mis en commun », précise une riveraine lors d’un entretien en 2018. Mais la mutualisation vise de même les compétences. L’association peut de fait compter sur les conseils d’un paysagiste habitant et gérant de l’entreprise balmanaise Un Balcon, une terrasse. Le Patus, c’est environ 30 habitants jardiniers, propriétaires ou locataires occupants. Selon Oppidea intérrogé en 2018, « il n’y a pas eu trop de concertation avec les habitants. Ça a surtout été avec le promoteur pour la gestion à long terme. C’est un jardin fermé et privé, les parcelles sont aussi accessibles aux personnes extérieures si elles le veulent ». Selon Toulouse Métropole, il y a un « très bon retour d’expérience sur ce jardin. Les gens avaient un jardin sur le bord de l’Hers, et se sont reportés ici. La cohabitation entre privé et public, propriétaire locataire, marche très bien ». C’est une « âme au quartier ». Cette post-activation par le jardin partagé a pu paraître curieuse au départ, mais elle a fini par convaincre par un phénomène de vision commune par le paysage, une image et un projet paysager commun, post-livraison du bâti.
Les reliques sont des marqueurs de qualité par la mémoire. L’arbre mature parle pour lui-même. La maturation des strates plantées sont marqueurs de durée pour les ménages qui s’installent. Le temps du végétal, du paysage, amortit le processus parfois brutal de la rencontre entre le modèle et son territoire, la construction. Le rôle du temps du projet de paysage, et de l’élaboration progressive d’une image paysagère partagée, pré- ou post- configuration du projet urbain, contribue à renforcer l’argument de vente en amont, et galvanise la construction d’une identité « commune » en aval.
4.4. Formes urbaines : des espaces publics ouverts péri-métropolitains
La composition urbaine de l’écoquartier s’appuie sur le végétal pour structurer et hiérarchiser les espaces publics, parcs, jardins, squares et voiries publiques et leur relation aux espaces privés intimes. C’est l’atelier de paysage parisien Mutabilis qui a pensé cette trame végétale et cette mosaïque de milieux afin de structurer ce morceau de ville par le paysage et organiser les seuils et transitions public-privé. Sur les 30 hectares du quartier, 10 hectares sont végétalisés. En dehors des voiries principales, la largeur des voiries secondaires a été réduite à un minimum de surface enrobée pour réduire la place de la voiture. Ces voiries sont toutes accompagnées d’alignements. Une des voiries est accompagnée par une noue végétalisée qui permet de séparer le piéton des véhicules. Une grande diversité de cheminements sillonne le site en utilisant la topographie pour offrir des vues et des parcours. Il y a une grande porosité piétonne et un travail d’équilibre des co-visibilités par le végétal.
L’écoquartier bénéficie de quatre espaces publics ouverts végétalisés de qualité qui constituent des milieux différents. D’abord, le jardin de Vidailhan s’organise autour de sujets de hautes futaies préexistants, strate végétale que le paysagiste a complétée par une strate arborée et arbustive de type sous-bois, propice à l’avifaune notamment pour la nidification. Plusieurs zones de jeux pour enfants ombragées y trouvent leur place, ainsi que des terrains de sport. Une partie complémentaire à la partie sous-bois s’organise autour d’une grande prairie ouverte rectangulaire, offrant de longues perspective sur l’alignement préexistant de platanes et les façades architecturales de gabarits variés.
Au sud de cette prairie, on trouve le jardin creux de deux hectares traversé par deux passerelles en métal. Cet espace remplit d’une part une fonction écologique en tamponnant les eaux pluviales, et d’autre part une fonction urbaine d’espace public accessible, grâce à des emmarchements. Le milieu qui s’est développé dans ce jardin tolère des périodes en eau, semi-humides et des périodes très sèches en été. La gestion est y très limitée. Plusieurs taxodiums y trouvent place comme élément structurant et exotique de la palette.
Le Square de Vidailhan est un espace public beaucoup plus dessiné, qui sculpte la pente grâce à une série de rampes, emmarchements et mur de soutènements en gabion de galets. Il offre plusieurs plateformes libres enherbées ou équipées de nombreux jeux pour enfants, le tout faisant face à l’Ecole José Cabanis construite par l’agence 360° Architecture. Pour ce qui est de la trame végétale, un alignement préexistant de hautes tiges dialogue avec la façade architecturale contemporaine alors qu’une série de pins a été plantée à travers le square.
Enfin, déjà décrits précédemment, le petit bois constitue le seul boisement relique du quartier, et le Patus est un jardin partagé en cœur d’îlot.
Ce chapelet d’espaces publics amène une grande qualité au site, l’usage y est important. Ces espaces constituent des équipements d’envergure métropolitaine, c’est-à-dire des centralités, des équipements attractifs, à l’échelle de la commune de Balma, mais aussi de la métropole toulousaine. Presque une dizaine d’années après la livraison des premiers logements, la qualité des espaces publics de l’écoquartier résulte de l’hybridation du modèle et de son contexte. La trame végétale préexistante a été mobilisée à bon escient, accompagnant chaque place publique d’un rappel vers le passé.
4.5. Vie sociale
La cohésion sociale et le partage se vivent dans les espaces de l’écoquartier. Outre des espaces publics de qualité pour partager cette nouvelle urbanité, le quartier compte de nombreux espaces privés collectifs partagés. Des activités commerciales locales se sont progressivement implantées. Le quartier compte aussi un nouveau groupe scolaire, un centre social, et se prépare à accueillir une nouvelle maison de quartier. La densité de logement est équilibrée, avec 25 % de logements sociaux, 5 % de logements à coût maîtrisé, et 10 % de logements participatifs en autopromotion. Une vie de quartier se développe. L’association de quartier Vivr’à Vidailhan3 propose des fêtes de quartier, des événements qui commencent à attirer les autres habitants de la commune, faisant du quartier une nouvelle centralité communale. Un café associatif pourrait bientôt être mis en place.
Deux aspects questionnent cependant la notion même d’écoquartier. Le premier est la distance à la station de métro, équipement de transport public. Si l’objectif de réduire la place de la voiture dans un écoquartier paraît primordial, la distance de vingt minutes à pied pour se rendre au métro, le manque d’aménagements et de fléchages piétons pour s’y rendre et la faible fréquence des lignes de bus desservant le quartier, entraînent inévitablement une dépendance forte à la voiture pour les habitants. Alors que les mobilités actives sont encouragées à l’échelle de la commune de Balma, et que les porosités douces du quartier rendent sa traversée plaisante, d’autres solutions pourraient être encouragées telles que l’offre de vélo électriques, l’augmentation de la fréquence de bus ou la création d’un bus en site propre.
Une deuxième dimension est l’extension de la ZAC dans sa phase 2, avec les premiers chantiers qui ont été lancés en 2020. De façon directement adjacente à la lisière nord-est de l’écoquartier Vidailhan, la deuxième tranche de la ZAC prévoit des bureaux sur une première bande puis un développement pavillonnaire, interrompu par un grand espace public ouvert qui pourrait par la suite être développé en zone d’activité tertiaire. L’extension urbaine questionne ainsi une intensité urbaine qui va s’accroître, et une future pression sur les équipements publics déjà en place de la nouvelle centralité de l’écoquartier Vidailhan, l’école, les transports publics.
5. Discussion
L’analyse de ce projet a permis de mettre en évidence des points d’articulation entre le modèle et son contexte. Nous souhaitons maintenant ouvrir des perspectives de réflexion sur cette hybridation et le rôle de l’élaboration progressive d’une image paysagère partagée dans un contexte péri-métropolitain à Toulouse.
5.1. Vers une transition post-métropolitaine
Malgré les qualités citées, il est difficile de parler de phénomène de révélation du site par le projet ou d’augmentation géographique, comme la littérature nous le propose parfois. L’écoquartier reste un projet de ZAC avec ses impacts territoriaux indéniables, là où la ville n’était pas. La palette végétale proposée s’inscrit en fort contraste avec l’existant, il y a un phénomène indéniable d’imperméabilisation et de terrassement des sols, la gestion des eaux se fait au maximum par infiltration sur site mais elle reste aussi canalisée. Cependant, les points d’hybridation identifiés, comme la coexistence d’une palette végétale rurale et exotique, l’établissement progressif d’un paysage public-privé, la conservation de traces du passé, la prise en compte du contexte pour la trame urbaine contribuent à la construction d’une image paysagère partagée et d’une identité paysagère locale. Or, le phénomène d’articulation aux traces du passé ne concerne pas uniquement les reliques d’un passé rural révolu. Parmi les couches sédimentaires de la géographie du site se trouvent des infrastructures préexistantes métropolitaines qui constituent aussi une base pour le développement d’un paysage post-métropolitain (De Marco & Mattiucci, 2016). Puiser dans le site les principes du projet reviendrait donc à combiner une amplification géographique et un processus post-métropolitain, c’est-à-dire de construction de la ville sur la ville. Les espaces « paysages métropolitains » n’émergeraient à Vidailhan qu’à travers un développement post-métropolitain bénéficiant, par exemple, de la desserte d’infrastructures et d’équipements métropolitains préexistants. Le concept de « paysage métropolitain » exploré dans l’étude bruxelloise Metropolitan Landscape (Bureau Bas Smets & LIST, 2015) y est défini par trois dimensions. La « systémique », c’est-à-dire la manière dont le paysage en question est relié au réseau de continuités écologiques, le « voisinage programmatique », c’est-à-dire qu’un paysage ne peut être métropolitain que s’il est en proximité directe avec un équipement de grande envergure et donc en capacité de recevoir un public large, et enfin la dimension d’ « accessibilité », c’est-à-dire à quel point ce paysage peut être rejoint par les transports en commun. A Vidailhan, tous les espaces ouverts publics peuvent être considérés comme des « paysages métropolitains ». Le dernier point sur l’ « accessibilité » pose question à Vidailhan, qui prend l’allure d’un quartier dépendant de la voiture si la liaison au métro n’est pas retravaillée. Or, ne serait-il pas plus intéressant d’explorer le concept de « transition post-métropolitaine » comme l’émergence de « paysages métropolitains » mais uniquement dans des situations déjà urbaines, et sur des parcelles déjà métropolisées, comme des friches, des délaissés infrastructurels, plutôt que sur des terres agricoles ou des parcelles en frange de métropole ? Les futurs paysages résidentiels pourraient incarner une identité contemporaine métropolitaine-rurale en s’implantant sur des sites déjà construits mais réversibles ou en cours de mutation.
5.2. La conception paysagère comme révélation épistémologique d’une relation au rural
Il existe encore assez peu de littérature sur les concepts opératoires offerts par le paysage à l’interface entre ruralité, conception urbaine et agriculture. L’approche paysagère et les notions qu’elle propose peuvent aider à explorer cette relation spécifique portée aux territoires ruraux. L’urbanisme de révélation et l’urbanisme par le paysage sont proposés dans la littérature, mais de quelle révélation s’agit-il ? Et quelles sont les traces du passé, la mémoire collective, à révéler ? Comment cela se traduit-il en termes de pratiques de conception ? L’utilisation de l’ancien parcellaire agricole comme trame spatiale ou le prolongement de structures territoriales comme guides de la composition urbaine sont des outils fréquemment mobilisés. S’agit-il de garder un certain savoir établi, une intelligence du lieu, ou l’écriture urbaine et la conception paysagère doivent-elles réécrire au-delà des reliques, utiliser ces reliques comme archives, continuer une réinterprétation perpétuelle de ces traces ? Les zones agricoles et rurales qui ont subi des extensions urbaines sont aujourd’hui désignées comme un catégorie spatiale inédite, ni agricole, ni urbaine, mais avec une qualité intermédiaire d’ « entre deux » (Buscemi, 2014). Des références émergent sur la notion d’urbanisme agricole, sur la façon de penser un territoire systémique et sur le rôle du paysage comme approche opérationnelle pour lier la ville à sa ruralité, par exemple à travers la conception d’agroparcs à la périphérie des villes (Bonneau, 2018 ; Donadieu, 1998 ; Janin, 2015 ; Pernet, 2014).
Le paysagiste Michel Desvigne parle d’ « urbanisme agricole » comme permettant de « mettre en œuvre des strates d’expérimentation, lisibles et appropriables par tous, liant les rythmes de la vie urbaine à ceux de la nature au travers d’une structure paysagère directement inspirée des procédés et vocabulaires agricoles » (Desvigne, 2019). Les porosités à créer entre le résidentiel et le rural relèvent, selon lui, des pratiques et techniques issues du monde de l’agriculture, pour pallier les manques de la périphérie urbaine. Plus précisément, il évoque ainsi vergers, potagers, hortillonnages, maraîchage, chemins et pratiques publiques comme figures spatiales possibles. Ce paysage d’un nouveau type est à l’interface entre agriculture productive, voiries, parcs et jardins, dans un épaississement de la lisière métropolitaine, comprise ici comme l’espace de transition entre la ville et l’agricole. L’architecte Pierre Janin propose de multiples solutions opérationnelles pour penser cette lisière : les champs ouverts au public pour contribution, les forêts pâturées, les parcs agricoles, les champs d’activités agricoles en revégétalisant en milieu urbain, les lotissements agricoles, les centres-villes plantés, les grands ensembles cultivés (Janin, 2019b) ou encore les autoroutes agricoles, les rues cultivées, les chemins ruraux « urbains » (Janin, 2019a). Peu de ces notions ont été mobilisées au moment de la conception de Vidailhan, peut-être parce que celle-ci date des années 2000. Mais on voit aujourd’hui combien l’implantation de projets tels que Vidailhan sur les franges des villes et empiétant sur les terres agricoles pose question.
5.3. Écologie des territoires
Deux discours, deux approches de l’écologie en paysage et plus largement en aménagement peuvent contribuer à notre discussion. Le premier versant est le discours post-politique ou apolitique sur la notion de changement climatique (De Block et al., 2018). Dans cette vision, la conception urbaine suit des procédures techno-managériales et d’application de critères, processus souvent supervisés par des experts. Une critique de cette approche est souvent mobilisée concernant le cas des écoquartiers mais assez peu publiée dans le cadre de la théorie du projet de paysage. Les arguments avancés sont d’une part que la grille de critères et le système de labélisation constituent un cadre trop rigide pour développer une réelle vision territoriale durable (Leger-Smith, 2014). Les ambitions éco-technologiques se développeraient au détriment d’une vision plus anthropocentrée du développement social et urbain d’un morceau de ville et du geste de la conception. Dans le même ordre d’idée que la critique de l’étude Metropolitan Landscapes qui explore le concept de « paysage ouvert » à Bruxelles évoquée en introduction, l’écoquartier pourrait incarner cet éco-modèle apolitique favorisant une extension urbaine prédatrice de la ville sur les terres agricoles. Mais c’est sans compter sur l’opinion de certains concepteurs qui décrivent ce modèle de l’écoquartier comme déclencheur de pratiques urbaines plus durables, d’une véritable mise en lisibilité de pratiques paysagistes qui tendent déjà naturellement vers l’écologie, le bon sens commun. Le modèle écoquartier à Vidailhan a poussé le paysagiste à « être un peu plus performant et un peu plus pointu, et un peu plus descriptif dans ce qu’il mettait en place par rapport à l’écologie » selon la paysagiste Juliette Bailly de Mutabilis interrogée en 2010.
Le second discours s’appuie sur la notion politique de « territoire ». Cette notion se réfère à la manière dont la terre est organisée par l’humain. Elle se réfère à une certaine identité paysagère locale et incarne une responsabilité vis-à-vis de la notion de « local » (une personne ou un espace), mais aussi de droits que l’humain s’octroie sur ce territoire. Le courant territorialiste privilégie une vision du territoire comme produit d’une coévolution entre les établissements humains (organisés sur une base culturelle) et le milieu ambiant (organisé sur des bases géologiques et biologiques) (Magnaghi, 2014). Il promeut la construction d’un système global initié « par le bas » qui est la base d’un « fédéralisme municipal solidaire » (Magnaghi, 2014). Le patrimoine territorial est considéré comme bien commun. Pour revenir sur la figure du parc agricole multifonctionnel déjà évoqué, le mouvement territorialiste l’envisage comme forme expansive : une institution de gouvernement du territoire et une association volontaire et active d’acteurs. Le plan devient une production sociale du territoire pour un projet de développement local auto-soutenable. Dans le même ordre d’idée, dans son dernier ouvrage intitulé Écologie des Territoires, Paquot (2021) nous invite à « penser des regroupements qui renforcent l’autonomie des lieux et des gens ». Il préfère l’idée de « biorégion urbaine » puisque c’est « l’urbanisation des mœurs qui façonne nos manières d’être au monde et que notre culture, à l’échelle planétaire, est urbaine ».
L’écoquartier Vidailhan s’implante dans un contexte verdoyant, calme. Il propose un entre-deux équilibré ville et campagne, des espaces ouverts, une densité mais de la qualité, beaucoup d’espace piéton, la pente et le végétal combinant une intimité conservée pour chaque habitant. Or ces caractéristiques proviennent en grand partie du site originel, la commune de Balma et ses terres, un lieu vert et rural à la base. Le concept urbain, le travail du paysagiste a permis de s’inscrire dans une continuité d’écriture épistémologique d’une relation métropolitain-rural, en écho au paysage stratifié d’entre-deux, entre ville et rural, de Buscemi (2014) qui « participerait de la relation éthique et épistémologique entre l’homme et la nature ». Mais l’extension urbaine prévue directement en face de la lisière nord-est du site supprime la relation directe visuelle et physique à la terre cultivée et aux haies champêtres. Le parc naturel agricole de Pin Balma actuellement en étude se situe non loin du site, à l’extrémité de la continuité verte de la Garrigue. Dans un communiqué de Mairie de Balma publié en 2020, ce parc permettrait de « maintenir en relation harmonieuse un paysage agricole vivant et productif selon un concept original, tissant des rapports entre ville et agriculture ». Comment alors mobiliser le paysage dans la ville pour nous relier à ce territoire plus large ? Des pistes sont en place pour atteindre cet objectif à Vidailhan, mais elles restent à être activées.
5.4. Nouveau vocabulaire en commun
La confrontation du modèle écoquartier et de son contexte et l’établissement d’une image paysagère partagée rural-métropolitain questionne l’écologie des pratiques et des compétences urbaines à convoquer. L’hybridation spatiale trouve un écho dans l’hybridation des pratiques. Faire la ville sur la ville aux franges de métropole en équilibre avec les systèmes agraires et dans une perspective post-métropolitaine demande une compréhension multiple des logiques de territoire et même l’invention d’un nouveau vocabulaire en commun, un discours politique, un discours de responsabilité par rapport au « local », et ceci entre disciplines de l’urbain, l’architecture, l’urbanisme, le paysage, l’écologie, l’agronomie, etc. C’est par le renforcement de la figure de l’espace public ouvert de nature, et par ses contreparties publiques-privées (cœurs d’ilot privé collectifs) ou privées (jardins privés) que l’émergence d’un paysage hybride peut se faire. Dans un espace sud européen où la figure de l’espace public minéral formel domine, les écoquartiers pourraient constituer des poches d’expérimentation pour les concepts opératoires offerts par l’urbanisme paysager. En introduisant la nature au cœur des pratiques et des formes urbaines et en acceptant que nous introduisons un ensemble d’espèces, végétales, animales, qui grandissent, se reproduisent, changent avec les saisons, les espaces ouverts permettent une sociabilité plus diffuse dans un espace moins structuré, propice à l’échange. L’émergence d’un paysage partagé dans un quartier apporte une forte valeur ajoutée aux espaces publics minéraux plus traditionnels et réaffirme l’espace de nature comme espace public démocratique (Zask, 2018).
Conclusion
Le modèle écoquartier, où qu’il s’implante, se heure à un contexte territorial singulier. Les solutions trouvées par les concepteurs pour faire correspondre les ambitions durables du quartier avec le site constituent des points d’hybridation. Ces pivots d’articulation émergent aussi de la maturation du projet, de l’appropriation des habitants, et des surprises, parfois inattendues, que réserve cette confrontation. La situation urbaine étudiée dans cette critique de paysage concerne la frange péri-métropolitaine, au contact direct avec les premières parcelles agricoles. Le site de l’écoquartier lui-même est composé d’anciennes parcelles agricoles. L’émergence progressive d’une image paysagère partagée métropolitain-rural contribue à l’affirmation d’une identité de quartier dans ce type de situation, pas complètement urbain, pas complètement rural, mais d’entre-deux. Les ambitions écologiques annoncées dès le démarrage des études urbaines ont permis de mobiliser une approche paysagère riche pour Vidailhan, depuis la mise en place de noues et d’un jardin creux, à la gradation progressive de paysages publics-privés, la combinaison du parcellaire agricole relique et d’une palette végétale riche, et la mise en place d’une structure d’espaces publics paysagers métropolitains. L’écoquartier a donc pu constituer une poche d’expérimentation intéressante pour les pratiques du paysage et l’approche s’est efforcée d’articuler une qualité urbaine, un lien au rural, un lien au métropolitain. Les concepts opératoires mobilisés par le projet de paysage sont riches et permettent de développer des solutions, qui se situent à l’interface entre les échelles éco-technologiques du quartier et les échelles géographiques et territoriales du contexte. Deux conditions paraissent importantes pour affiner cette fabrique urbaine aux franges de la métropole et qui s’articulerait à une écologie des territoires. D’abord une convergence des pratiques urbaines, une écologie de pratiques, qui se cristalliseraient autour du projet plutôt que la juxtaposition de compétences. Ensuite un discours politique fort en faveur d’une conscience du territoire. Les espaces de nature de ces quartiers de frange pourraient ainsi rappeler cet héritage rural et renforcer cette identité passée et ce lien au socle géographique.