Cet ouvrage publié en 2020 par Agnès Alexandre Collier (TIL – Université de bourgogne), Guillaume Gourgues (TRIANGLE – Université Lumière Lyon 2) et Alexandra Goujon (CREDESPO – Université de Bourogne) traite de la question de l’innovation politique comme réponse à la crise de la démocratie représentative. Au lendemain du mouvement historique des gilets jaunes en France, qui, en plus de demander une amélioration de leur condition de vie, critiquaient également le manque d’association des citoyens à la prise de décision politique dans leur pays, l’étude des innovations politiques visant à renouveler l’intérêt des citoyens pour la démocratie représentative proposée dans ce livre entre en résonnance avec l’actualité politique française et même au-delà.
La crise de la démocratie représentative n’est pas un objet d’étude nouveau en science politique, mais l’angle d’approche de cet ouvrage, lui, est novateur. Publié comme un aboutissement de plusieurs années d’échanges et de recherches initiées à l’Université de Bourgogne autour de la participation citoyenne en marge des organisations partisanes, cet ouvrage se focalise sur l’innovation politique plutôt que l’innovation démocratique et élargi son champ de recherche à plusieurs pays à travers un regard croisé entre différentes méthodologies allant de la recherche en civilisations étrangères à la sociologie politique. Ainsi, l’ouvrage, surtout à destination de spécialistes, fournit dans l’ensemble une bibliographie conséquente et variée pour tout travail sur la réaction à la crise de la démocratie représentative.
L’approche de l’ouvrage se veut globale et, sans vraiment être comparative (dans le sens ou deux même approches ne sont pas comparées entre différents pays), se situe dans une démarche dialoguée entre différents contextes nationaux. La construction de ponts analytique entre les études de différents types d’innovations dans des contextes aussi variés que l’Espagne, la France, l’Italie, le Royaume-Uni, L’Ukraine et les Etats-Unis ainsi qu’a des échelles différentes (dans le cadre du village de Saillans en France, qui possède des instances démocratiques développées, ou à travers l’examen de mouvements de contrôle de l’action politique locale comme celui des Strong Communities en Ukraine) a permis aux auteurs et autrices du livre de montrer à la fois des convergences et des mouvements contradictoires entre ces innovations ; l’idée défendue par l’ouvrage étant qu’à partir de l’observation d’innovations précises et du lien tissé entre celles-ci peuvent se tirer des conclusions globales. Ainsi, cet ouvrage de science politique intéressera tous chercheurs s’intéressant à l’étude des mouvements sociaux, des élections (ou des stratégies électoralistes), de la démocratie représentative mais également à la politique comparée. L’ouvrage est divisé en chapitres analysant chacun une innovation politique.
Ces chapitres sont regroupés en trois grandes parties, que les auteurs décrivent comme des flux d’innovation. La première grande partie regroupe les innovations portant sur la sélection des élites politiques mais également sur les dispositifs innovant sur la question de la sélection des candidats par les partis. La seconde partie se concentre sur les innovations partisanes ou para-partisanes incluant des citoyens non-adhérents à la prise de décision politique, à l’action militante ou au contrôle de l’action politique. Enfin, la dernière partie du livre se consacre à la question des TICs et étudie l’impact des innovations politiques technologiques sur la mobilisation électorale et l’activité militante.
Dans l’ensemble l’ouvrage réussi à montrer la diversité des innovations politiques mise en place pour répondre à la crise de confiance en la démocratie représentative. Le livre montre également avec succès les limites de ces innovations, démontrant parfois que plus d’innovations ne signifie pas forcément une participation accrue ou un regain d’intérêt puissant envers la démocratie représentative (Guillaume Gourgues et Clément Mabi examinent par exemple le cas de Saillans, un village Français aux institutions démocratiques plus collégiales et délibératives qu’ailleurs, qui, malgré son côté innovant et son caractère politique horizontal ne parvient tout de même pas à impliquer si extraordinairement ses habitants dans la prise de décisions). Dans certains cas il est même affirmé que l’innovation contribue à la crise de confiance envers les institutions classiques de la démocratie parlementaire (comme illustré par Alix Meyer qui nous explique que les groupes de financements para-partisans aux Etats-Unis forment une ressource puissante pour les partis mais au détriment des militants de base de ceux-ci).
Cette accumulation d’exemples montre clairement le besoin d’un dialogue interdisciplinaire pour comprendre les innovations politiques et finalement constitue en lui-même une invitation à ce dialogue par les portes qu’il ouvre. La conclusion de l’ouvrage, écrite par Anika Gauja, intitulée The Challenge of Innovating Representative Democracy s’inscrit dans ce constat et montre que la nature complexe du problème posé à la démocratie représentative est observable globalement. Par conséquence, seul un dialogue pluridisciplinaire et la combinaison d’observations précises par des spécialistes de différents champs géographiques peuvent être en mesure de répondre à un problème global.
Cependant, la diversité des sujets d’étude de cet ouvrage constitue à la fois une force mais également une faiblesse de l’ouvrage ou plutôt une promesse latente. Par sa nature elle-même innovante, et, donc, constituant un point de départ, le livre présente un déséquilibre géographique (par ailleurs souligné par le comité éditorial de l’ouvrage) en faveur du contexte français, qui y est le plus étudié. Ainsi, chacun des aspects étudiés mériterait une approche comparative pour compléter la problématique de l’ouvrage et élargir sa portée. Ainsi, les constats faits par Anais Théviot sur l’usage des mégadonnées dans le cadre de la campagne présidentielle française de 2017 nous donnent envie de les inscrire dans une comparaison avec des constats qui seraient faits avec une méthodologie similaire mais dans d’autres contextes nationaux afin de voir s’ils corrèlent ou divergent.
En somme, l’ouvrage propose d’intéressantes pistes de réflexion sur les sujets étudiés dans chacun de ses chapitres, montrant qu’ils ont à la fois leur place dans l’étude de chaque contexte politique national mais également de manière globale. A ce titre l’une des questions posées par Anika Gauja dans sa conclusion (servant de liant à l’ensemble des chapitres) témoigne de la volonté initiatique de l’œuvre et sur le besoin de multiplier les dialogues disciplinaires : est-ce que l’innovation politique ne participerait pas à la rhétorique globale du besoin d’innovation ? Par cette question et sa position à la fin de l’ouvrage, Anika Gauja nous montre que non seulement il y a bien un besoin d’étude de ces innovations mais aussi un besoin de l’étude du phénomène de l’innovation politique de manière générale, ce que ce livre se propose de commencer.