La promenade végétale comme moyen de réenchanter l’espace urbain

Résumés

Longtemps conçue comme un rituel prenant place dans les jardins et les parcs, comme une activité sociale fortement axée sur le paraître, la promenade se définit désormais en fonction de nouveaux parcours (coulée verte, promenades plantées) qui confirment l’intérêt du qualificatif « promenade végétale » et qui témoignent de nouvelles visées récréatives. Cet article présente les hypothèses de recherche sur la promenade végétale élaborées par l’équipe GRIVE (Groupe de recherche interdisciplinaire sur le végétal et l’environnement). Après une mise au point visant à expliquer comment la promenade végétale se distingue des autres types de promenades urbaines et cherchant à la définir à la fois comme activité et comme lieu, nous formulons plusieurs propositions, concernant le point de vue de l’aménagement ou le point de vue géopoétique : faire ressentir la tension entre le sauvage et le cultivé ; aménager l’espace pour la flânerie plutôt que comme un boulevard ; concevoir l’espace urbain comme un espace de liberté ; repenser le rôle des arbres ; réenchanter le sauvage urbain grâce à une démarche géopoétique. La réflexion s’appuie sur un exemple de promenade végétale sur les bords de l’Èbre à Saragosse ; sur des textes littéraires écrits par Pierre Sansot, André Carpentier et Pierre Morency, témoignant d’une expérience de promenade végétale en milieu urbain; sur des expériences de flânerie collective et individuelle, comme celle sur le thème des arbres organisée par l’Atelier de géopoétique La Traversée, invitant les participants à partager leurs émotions, sensations, réflexions, par le biais d’un blogue. La marche, la recherche et la création se trouvent en effet au cœur de cette démarche.

For a long time conceived as a ritual taking place in gardens and parks, as a social activity centered on appearances, strolling now defines itself in terms of new paths (green belt, planted paths) that confirm the interest of the term “vegetal strolls” while testifying of new recreational aims. This article presents the research hypothesis developed by GRIVE (Groupe de Recherche Interdisciplinaire sur le Végétal et l’Environnement) on vegetal strolls. After a first segment aiming to expose how the vegetal stroll differentiates from other types of urban strolls and working to define it as an activity and a place, we formulate numerous propositions in terms of landscaping and geopoetic points of view: to make palpable the tension between wild and cultivated; to organize space as to make it auspicious to dawdling rather than as a boulevard; to conceive urban space as a place of freedom; to rethink the role of trees; to reenchant the urban wilderness using a geopoetic approach. The reflexion bases itself on an example of vegetal stroll found on the shores of the Ebro river in Zaragosa; on literary texts written by Pierre Sansot, André Carpentier and Pierre Morency, describing experiences of vegetal strolls in urban context; on experiences of individual or collective dawdling, as the tree-themed one organized by the geopoetic workshop La Traversée, that afterward invited its participants to share their emotions, feelings and thoughts in the form of a blog. Walking, research and creation are indeed at the heart of this approach.

Plan

Texte

Le syntagme « promenade végétale » ou « balade végétale » sert habituellement à désigner les promenades urbaines aménagées. Les noms utilisés – coulée verte, trame verte, corridor vert, promenade plantée…– soulignent une volonté de placer au centre le végétal, ce qui répond à un besoin criant de donner accès aux citadins et citadines à des espaces de nature en ville. Il s’agit de mettre le corps en mouvement dans l’espace urbain, de favoriser le bien-être de la population. Légèrement différente de l’acception usuelle, la définition de la promenade végétale élaborée par GRIVE, le Groupe de recherche interdisciplinaire sur le végétale et l’environnement1, intègre à la fois la question de l’aménagement et le point de vue du promeneur ou de la promeneuse. Elle comprend autrement dit les deux acceptions du terme “promenade” données par le dictionnaire : “action de se promener” et “lieu aménagé pour la flânerie et la déambulation” (CNRTL). Si le végétal y occupe une place prépondérante, c’est soit parce que le lieu lui-même est aménagé pour favoriser l'appréciation esthétique des plantes (jardins, parcs, coulées vertes) ou adapté pour la marche (sentiers forestiers, sentiers de grande randonnée), soit parce que l'attention du promeneur ou de la promeneuse se porte avant tout sur la végétation (flânerie, activités d'herborisation, de cueillette, etc.). La promenade végétale peut donc se dérouler a priori dans différents types d’environnements, mais nous nous limiterons dans le cadre de cet article à l’espace urbain. Afin d’expliquer en quoi elle peut devenir un moyen de le réenchanter, nous observerons deux manières de l’aborder qui ne sont pas mutuellement exclusives : récréative et géopoétique. Après avoir fait le point sur la tension entre le sauvage et le cultivé dans le contexte urbain, nous nous intéresserons à des procédés d’artialisation in situ, pour reprendre les termes d’Alain Roger (1997), en questionnant les stratégies d’aménagement utilisées dans le cadre d’un projet réalisé à Saragosse2. Il s’agira d’expliquer comment la promenade végétale se distingue des autres types de promenades urbaines, de rappeler l’évolution dans la conception de la promenade et de l’envisager comme un espace adapté à la flânerie. Ensuite, nous donnerons des exemples d’artialisation in visu à partir de la littérature, grâce à certains auteurs comme Pierre Sansot, André Carpentier et Pierre Morency, et de la photographie, notamment à partir des réalisations d’une artiste, Claudette Lemay. L’approche adoptée dans cet article écrit à quatre mains, fruit d’une collaboration entre une géographe et une littéraire, s’inscrit en partie dans le cadre de la recherche-création. La dimension subjective fait donc partie prenante de la démarche, les expériences menées de manière individuelle ou collective ainsi que la pratique de la création littéraire et artistique forment le point de départ de la réflexion. Celle-ci s’écarte donc des méthodes de recherche conventionnelles.

1. La tension entre le sauvage et le cultivé

Pour pouvoir réfléchir à la relation entre le sauvage et le milieu urbain, il nous semble important de revenir sur l’étymologie du terme : « [s]auvage » est issu du latin salvaticus-silvaticus, comme l’anglais et l’allemand wild, ‘sauvage, féroce, bestial’ de Wald, la forêt. » (Brosse 2000 : 294). D’ailleurs, l’emploi du terme « sauvage » utilisé par les Français au XVIe siècle en Amérique du Nord n’avait pas au début de connotation péjorative, il désignait simplement les gens qui vivaient dans la forêt (Monette 2012). C’est donc un terme utilisé à l’origine pour désigner le végétal à l’état naturel, tel qu’il se développe dans les forêts boréales majoritairement. Avant de donner lieu au fameux débat entre civilisation et sauvagerie, avant le mythe du Bon sauvage, il désignait la forêt, dont la définition actuelle est une « étendue d’arbres » (Cnrtl).

Or, la forêt s’oppose à la ville : ce sont deux milieux que les végétaux habitent différemment. Même si les forêts ont bien changé depuis les pratiques d’aménagement et de déboisement, même si elles ont disparu en partie et qu’elles sont gérées comme des espaces cultivés, du moins pour la majorité d’entre elles, il n’en demeure pas moins que ce sont des espaces végétalisés appréciés pour leurs nombreux bienfaits. Tandis que la ville se définit d’abord par la construction de voies, de bâtiments, par un quadrillage où le vert est délimité, confiné à certains lieux (parcs urbains, plates-bandes, bords des rues, etc.), dépendant des mesures prises par les autorités pour intégrer ou non des espaces verts et des espèces végétales. Dans une moindre mesure, la végétalisation dépend aussi des habitants et habitantes de la ville, qui investissent leurs propres espaces ouverts ou les lieux mitoyens (terrains devant la façade, cours arrière, balcons, terrasses, escaliers, bords de fenêtres, ruelles, etc.). Toujours est-il que l’espace urbain se présente d’abord et avant tout comme un espace aménagé, cultivé, où rien n’est laissé au hasard. Si le sauvage apparaît, c’est toujours en tension avec l’espace cultivé. Une tension manifeste quand on observe les plantes sauvages réussissant contre toute attente à s’insérer dans les interstices de la ville : entre les craques des trottoirs, dans les terrains vagues, sur les toits, le long des gouttières, etc. Certain.e.s artistes ont d’ailleurs tenté de cartographier ces végétaux qui poussent en dehors des cadres. Dans certains endroits, des activités de découverte sont également proposées aux citadin.e.s, qui visent à mieux connaître ces plantes échappant au regard la plupart du temps3. Cela dit, il serait dommage de s’arrêter à ce cas bien particulier des plantes s’insérant dans les espaces interstitiels et de laisser de côté les enjeux propres au végétal en milieu urbain. Plutôt que de nous interroger sur la présence du végétal sauvage en ville, nous partirons de l’hypothèse que le réenchantement de l’espace urbain repose sur la tension entre le sauvage et le cultivé qui caractérise l’espace urbain. La question qui nous occupera sera donc de comprendre comment la promenade est à même de créer cette tension en milieu urbain.

2. La promenade végétale aménagée

Avant de s’intéresser plus spécifiquement à la promenade végétale, il importe de s’attarder sur la promenade aménagée.

2.1 Évolution dans la conception des promenades

La promenade est une forme d’aménagement qui n’est pas nouvelle, elle s’inspire de formes plus anciennes. Par exemple, au cours du XVIIIe siècle en France, la promenade se développe à Paris sur les grands boulevards ; en Italie c’est la passeggiata, en Espagne, à Barcelone, c’est la rambla où des promenades, véritables lieux de socialisation, seront ouvertes pour le plaisir des habitants qui s’y retrouveront à la fin de la journée. La promenade à Barcelone va se répandre à partir d’une forme particulière plaçant le piéton au centre de la voie de circulation. Cette image de la rambla est très présente chez les Barcelonais et Barcelonaises, dans la mesure où elle constitue une forme urbaine qui leur est propre. En France, on assiste petit à petit au développement des promenades publiques (Paquot 2006 : 81), à tel point que le terme « promenade » ne se limite pas à la seule action de marcher, de se promener, mais fait référence également à un lieu aménagé pour se promener. De plus, au XIXe siècle, l’aménagement de ces espaces, au même titre que les parcs urbains, contribue à introduire la nature en ville et plus spécifiquement le végétal. C’est à partir d’une double vision hygiéniste et esthétique, portée par des paysagistes tels que Frederick Law Olmstead, que le végétal en ville est réintroduit à travers les parcs et promenades urbaines, le tout visant à rendre la ville plus salubre. C’est pourquoi Frederik Olmstead désignait ces différents espaces de nature comme « les poumons de la cité » (Toublanc & Bonin 2012). De plus comme le soulignent certains auteurs : « la végétation devient dès cette époque un moyen de rendre la ville viable et vivable » (Anquetil, Adeline et al. 2014 : 17). Avec le temps, la question du végétal évolue. En effet, alors qu’aux XVIIIe-XIXe siècles, le végétal en ville était associé à une mise en valeur esthétique des espaces de promenade, au courant du XXe siècle, avec l’arrivée du courant moderniste, le végétal s’intègre dans une logique d’espaces verts qui viennent combler les « vides » de la ville en s’éloignant des espaces de promenades tels que les grands boulevards plantés, les jardins publics… Il faudra attendre les années 70 pour que le végétal trouve une place importante dans les réflexions sur la ville selon une approche écologique de cette dernière qui tend davantage vers l’aspect « sauvage » du végétal en milieu urbain. Viennent ainsi se combiner dans la réflexion des urbanistes et des architectes paysagers tant des préoccupations écologiques, qu’esthétiques, d’ambiance, de confort, etc.

2.2 Promenades et importance du végétal dans l’aménagement 

Comme mentionné plus haut, la promenade végétale s’intègre dans une logique d’aménagement des espaces urbains. La façon de penser les grands boulevards, les jardins, marque une volonté de structurer l’espace pour qu’il réponde aux besoins de la promenade. Cette dernière étant très codifiée, cela nécessite de réfléchir à un aménagement de lieux propices à cette activité. Dans cette perspective, « le végétal devient ainsi une des lignes de force de la production urbaine. Il s’agit alors d’articuler des échelles d’aménagement, des densités, des rapports d’intensité entre le minéral et le végétal, favorables à la qualité des lieux et des liens sociaux » (Da Cunha 2009 : 4). Certaines villes ont d’ailleurs travaillé à mieux faire connaître les espèces végétales le long des espaces aménagés pour la promenade, notamment les espèces arboricoles.

2.2.1. Les arbres

Les arbres sont généralement plantés pour offrir plus de confort aux promeneurs et promeneuses en plus de mettre en valeur certaines perspectives. Ainsi que le remarque Tuan au sujet des campus universitaires américains :

[…] des arbres sont plantés sur le campus pour apporter de l’ombre et de la verdure, pour le rendre plus agréable. Ils font partie d’un dessein délibéré de créer un lieu. N’ayant que peu de feuilles, les arbres n’ont pour l’instant qu’un impact esthétique modéré. Pourtant, ils peuvent déjà donner lieu à des rencontres humaines chaleureuses ; chaque jeune arbre est un lieu potentiel d’intimité, mais son usage ne peut être prédit puisqu’il repose sur le hasard et le jeu de l’imagination (Tuan 2006 : 143-144).

Comme le met en lumière Tuan, l’arbre intervient aussi comme lieu potentiel d’intimité, de socialisation : « Les arbres sont plantés dans une intention esthétique, délibérément, mais leur valeur réelle peut être de tenir le rôle de lieux de rencontres humaines sincères et impromptues » (Tuan 2006 : 145). Ceci prouve qu’entre l’intention des aménageurs, des urbanistes et l’expérience vécue par les usagers et usagères, les lieux plantés d’arbres offrent bien plus que du confort, de l’esthétique. En effet, ceux-ci donnent accès à une part d’inattendu, à travers les possibles rencontres qu’ils suscitent.

N’y aurait-il pas lieu dès lors de repenser le rôle des arbres dans le milieu urbain ? À cause de leurs racines qui s’étendent dans le sous-sol de la ville à l’abri des regards, à cause de leurs branches qui s’étirent vers les hauteurs à la vue de tous et toutes, ce sont des êtres vivants qui possèdent d’emblée une envergure cosmique. Pierre Sansot rappelle à cet égard qu’ils scellent une « alliance avec les trois ordres du cosmos », même si leur installation en ville ne va pas toujours de soi :

« On a conçu, on concevra de plus en plus des lieux (je parlerai plutôt d’espaces) dans lesquels l’arbre joue un rôle mineur. Pareilles esplanades nous fascineront par leur nudité, leur artificialité. Une fois les grilles franchies, nous attendrons notre mise sur orbite. Je ne crois pas cette absence du végétal souhaitable, bien que je ne cède pas à la religion du magnolia ou du séquoia. Je n’en appelle pas à des archétypes qui hanteraient pour toujours l’imaginaire des hommes. Je constate que l’arbre scelle une alliance précieuse avec les trois ordres du cosmos. Il plonge par ses racines dans les ténèbres; quand il est jeune, il vit à hauteur d’homme et devient l’un des nôtres. Certains s’élancent vers le ciel dont ils accueillent et interprètent les messages. » (Sansot 1993 : 97-98)

Refuser les archétypes ne veut pas dire pour autant ignorer les résonances affectives que peuvent avoir les arbres pour les habitants et habitantes de la ville. Comme l’explique Alain Corbin dans La douceur de l’ombre, si l’arbre est une figure privilégiée dans la plupart des cosmogonies et des cultures, c’est parce qu’il « est un passeur entre la terre et le ciel, entre le chtonien et l’ouranien. Il participe de la mort et de la régénération.4 » (2013 : 37) Jouant le rôle d’une « horloge cosmique », il instaure au cœur des villes un rythme naturel décalé par rapport au rythme trépidant caractéristique de l’espace urbain, vibrant selon le tempo effréné des voitures, des métros, des tramways, des heures de bureau, des heures de pointe, des passants et passantes pressé.e.s. Indiquant les saisons avec l’apparition des bourgeons et des fleurs, la chute des feuilles ou des samares, l’arbre nous rappelle que l’univers est soumis aux lois cosmiques, qui existent depuis le début de l’humanité :

Le contact intime avec l’arbre peut aussi être perçu comme manière de réexpérimenter des émotions de l’homme ancestral, d’éprouver une antériorité par rapport à la culture urbaine, de retrouver le sauvage. Ressentir le vieillissement, la solitude, la disparition de l’arbre, c’est aujourd’hui exprimer la tragédie du paysage. Cela dit, cet ensemble d’émotions s’inscrit en tension entre le sentiment d’analogie et celui d’une radicale altérité. (Corbin 2013 : 179, nous soulignons)

C’est donc bien cette tension entre le sauvage et le cultivé qui s’observe lors de la rencontre avec les arbres dans la ville. L’analogie dont parle Corbin se rapporte à la verticalité de l’arbre, qui a depuis l’Antiquité été mise en relation avec la posture verticale de l’être humain : « Ce qui fonde la ressemblance entre l’arbre et l’homme et ce qui, du même coup, facilite l’anthropomorphisation du végétal est d’abord leur commune verticalité. L’homme selon Platon, serait un arbre céleste qui pousse avec sa racine tournée vers le haut. » (Corbin 2013 : 135). Toutefois, l’altérité radicale de l’arbre ne se résume pas à la dimension cosmique qui lui est associée.

Si les espèces arboricoles retiennent davantage l’attention que les autres espèces végétales5, c’est aussi parce qu’en étant en partie invisibles (racines) ou inaccessibles (hauteur extrême), ils échappent en quelque sorte à l’emprise de l’humain. Insaisissable – par la vue, la main, l’esprit –, l’arbre ne se plie pas facilement à la volonté de domination de l’humain sur la nature. La présence de l’arbre dans les promenades plantées, dans les jardins ou au bord des rues, garantit une ouverture vers l’infini parce qu’il tend vers les limites verticales de la ville, marquées par les indices de l’urbain que sont les gratte-ciels, les fumées d’usines, les nuages de smog. Même s’il a été planté, même s’il est cultivé, l’arbre pointe avec ses branches vers un au-delà de la ville, comme pour signifier qu’il échappera toujours à toute emprise.

Ainsi que le montre bien Pierre Morency dans Le regard infini. Parcs, places et jardins de Québec (1999), la présence de très grands arbres – entre autres – suscite la sensation d’échapper temporairement aux limites de la ville :

« Est-ce la présence de ces très grands arbres, pins parmi les hêtres, érables à côté des frênes ? Est-ce la pluie des flèches de lumière arrosant le tapis des jeunes pousses ? Ou bien les poursuites nerveuses des écureuils, le chant profond des tourterelles tristes, le rire triomphal des pics flamboyants ? Toujours est-il que tout de suite me visita ce bien-être que seule procure la marche en forêt : mon esprit, allégé, se déploya vers les hauteurs. Je ne ressentais nul besoin de me dire que ce bois n’était pas un vrai lieu sauvage; la rumeur de la ville et du port n’arrivait pas à altérer la simple joie d’être là, de circuler parmi les arbres de tout âge, attentif à ce que peut offrir un lieu comme celui-ci, un des seuls, si près de la vie urbaine, à pouvoir vous prodiguer un air sylvestre de première fraîcheur. (1999 : 15-16)

En relatant des promenades végétales vécues, en construisant des paysages in visu, l’écrivain nous permet de voir autrement le végétal, auquel nous sommes aveugles la plupart du temps (Hallé 2014), y compris les arbres, que l’on ne regarde plus tellement ils font partie du « mobilier » de la ville, tellement ils vont de soi dans le paysage urbain. Pierre Sansot relate ainsi le bonheur ressenti au Jardin du Luxembourg qui, « pendant la saison froide, [l]’émeut par le dénuement de ses branches. Elles griffent le ciel. Elles introduisent pureté, étirement, dans un espace surchargé de monuments et d’humains. » (1993 : 88-89) L’hiver met en relief la transformation des arbres, les lignes épurées qui contrastent avec les autres éléments du paysage urbain, invariables malgré les changements de saison.

2.2.2. La promenade de l’Èbre à Saragosse

Après cet intermède à propos des arbres, revenons à la question de l’aménagement des promenades végétales pour observer de plus près l’exemple de Saragosse, où un réseau de promenades et de sentiers s’organise tout le long de l’Èbre et de ses affluents mettant en valeur la végétation, les écosystèmes. À cet effet, dix-huit fascicules ont été publiés sous le nom : « Zaragoza y sus riberas » (Saragosse et ses rives), qui présentent différentes sections des abords de l’Èbre avec une volonté de mise en valeur de la flore et de la faune présente dans ces espaces.

Un exemple dans l’encadré ci-dessous met en évidence le territoire présenté, sa localisation et donne des explications sur certaines espèces végétales comme l’orme. Les arbres occupent une place importante dans ces fascicules comme des éléments incontournables servant de repères le long des différentes sections de promenades.

Fig. 1.

Fig. 1.

Fig. 2.

Fig. 2.

Fig. 3.

Fig. 3.

Dans le réaménagement des berges de l’Èbre, de nombreux arbres ont été préservés, notamment au niveau de la forêt fluviale, espace naturel au cœur de la ville. Il y avait un enjeu en termes d’irrigation de la partie mourante de la forêt qui est constamment menacée par le climat sec. De nouvelles plantations ont donc été réalisées afin de concevoir des espaces certes semi-naturels mais viables. Il importe de souligner que la dimension sauvage est recherchée par certains à des fins de contemplation : « Ça me plaît la partie la plus proche du fleuve et sauvage » (S3; nous traduisons). De plus, l’ombre est aussi très appréciée en raison du climat très chaud et sec l’été. Les arbres à feuilles caduques sont ainsi perçus comme un bon choix en raison de l’ombre qu’ils procurent en période estivale, alors qu’ils laissent passer les rayons du soleil en période hivernale. Sans cette ombre, il serait beaucoup plus difficile pour les habitants de Saragosse de se déplacer sur la promenade par temps chaud. Cependant l’appréciation visuelle de l’aspect sauvage de la végétation serait mitigée : « Aussi sauvage […] il y a des personnes à qui cela ne plaît pas. » (S5; nous traduisons). C’est pourquoi, nous le verrons plus loin, l’aménagement des espaces de promenades végétales à Saragosse offre plusieurs alternatives répondant à ces besoins et perceptions différentes. L’accent mis sur le végétal favorise une approche singulière des lieux riverains, qui deviennent ainsi des espaces où il fait bon flâner.

3. Un espace adapté à la flânerie

3.1 Se défaire des codes impliqués par la promenade…

Si l’on reprend les nombreux écrits traitant de la civilité entre le XVIe et le XVIIIe siècles, au nombre de quatre-vingts environ, on remarque que parmi ceux-ci plusieurs ont instauré un lien entre civilité et promenade (Turcot 2007 : 25). En effet, on se rend compte que la façon de se promener va imposer « une pédagogie du corps fondée par des hiérarchies sociales qui organisent les déplacements » (Turcot 2007 : 25). Ainsi on parle de maintien du corps, de mettre en place une gestuelle acceptable pour « l’homme honnête », de dresser le corps, etc. La nécessité de penser les espaces favorables à la promenade va orienter les façons d’aménager les jardins, notamment ceux qu’on nomme les jardins à la française qui vont donner lieu à l’apparition de deux notions : l’allée plantée et la promenade. Comme le mentionne Turcot : « les arbres plantés sont intégrés à un ensemble de lignes parallèles qui forment toutes des promenades que l’honnête homme peut emprunter… La construction du jardin est pensée pour faire se rassembler les promeneurs et leur offrir la possibilité de se toiser, de s’envisager et de se juger. » (2007 : 65). La scénographie proposée à travers l’agencement des arbres et des végétaux favorise le rituel social de la promenade de civilité qui repose sur les principes de voir et d’être vu.e. Ainsi on comprend que l’aménagement des allées favorise plus ou moins la flânerie6 :

La promenade m’apparaît comme une pratique diligente, intelligente, et non point comme un devoir ou une forme de paresse. Je sais qu’un jardin m’accueille quand je me sens porté par lui. […] Certains jardins ont été dotés d’itinéraires trop larges. Ce ne sont plus des allées, avec ce que ce mot comporte de noble, mais des boulevards. Du même coup, je me crois en ville et j’ai perdu le bénéfice d’une flânerie dans un jardin. (Sansot 1993 : 137)

Les jardins à la française se distinguent en effet des jardins à l’anglaise plus bucoliques, ou encore des aménagements plus récents, qui invitent à la flânerie avec une végétation plus proche du sauvage.

3.2. …pour favoriser la flânerie à travers la proximité avec le végétal : l’exemple de Saragosse

Comme mentionné plus haut, les préoccupations environnementalistes de la deuxième moitié du XXe siècle ouvrent de nouvelles pistes de réflexion en termes d’aménagement des espaces urbains et de l’intégration du végétal. L’aménagement de promenades au bord de l’Èbre à Saragosse au début du XXIe siècle est particulièrement intéressant car il parvient à intégrer le végétal tant dans une réflexion écosystémique qu’esthétique, sans oublier la question du confort, de l’ambiance, ce qui permet d’offrir aux usagers de véritables espaces de promenades végétales (photographies 1 à 8). Ainsi les promenades végétales vont s’inscrire dans une sorte de gradation de la plus structurée (photographies 1 et 2) en passant par une mise en scène des lieux (photographies 3 et 4) à la plus sauvage (photographies 5, 6, 7 et 8) afin que chacun et chacune puisse vivre l’expérience de la promenade végétale à la hauteur de ses aspirations.

Photographies 1 à 8.

Photographies 1 à 8.

À Saragosse, plus on se rapproche de la rive du fleuve (photographie 9), plus les chemins se réduisent, et la végétation devient dense. Cette proximité avec le végétal offre un environnement plus propice pour se laisser porter par l’espace qui nous entoure. Ainsi le végétal au cœur de la promenade devient un moyen de ré-enchanter les espaces du quotidien. Comme le mentionne Francesco Carreri :

on s’ouvre aux incidents du parcours, aux détournements, à la possibilité de trébucher et de se tromper délibérément de chemin. Jouer avec le hasard et l’imprévu est en effet le seul moyen pour prendre la ville par surprise, de manière indirecte, latérale, ludique, non fonctionnelle, de se retrouver dans des territoires inexplorés où de nouvelles questions se font jour. (2016, p.71-72)

Photographie 9.

Photographie 9.

Comme nous le montre la photographie 9, ces sentiers étroits non aménagés, nés du piétinement improvisé des marcheurs voulant se rapprocher de la végétation pour s’y laisser surprendre, favorisent le sentiment de liberté voire la sérendipité.

4. Concevoir l’espace urbain comme un espace de liberté

Malgré tous les efforts d’aménagement pouvant être mis en œuvre, la promenade ne prend véritablement sens qu’à partir du moment où une attitude marquée par l’attention envers la composante végétale de l’environnement prévaut chez le promeneur ou la promeneuse. Par exemple, les promenades de Jane Jacobs, organisées chaque année à Montréal la première fin de semaine du mois de mai, ont donné lieu à l’organisation par des citoyens et citoyennes de plusieurs promenades sur la thématique du végétal : en lien avec l’agriculture urbaine, avec les plantes printanières, la canopée, les arbres indigènes de nos quartiers, etc. (Promenades de Jane 2019). En fait, la promenade végétale peut avoir lieu dans n’importe quel endroit pourvu que les plantes ou les arbres y soient présents de façon structurée ou, au contraire, plus sauvage. C’est surtout une question de posture qui est en jeu pour le promeneur ou la promeneuse. 

4.1 le mouvement de dérive propre à la flânerie

Au lieu de subir les effets délétères du milieu urbain, de percevoir d’abord et avant tout la rigidité des structures, le degré élevé de pollution, l’anonymat des foules, le promeneur ou la promeneuse peut choisir d’innover, de refuser la monotonie, d’« inventer son chemin », comme le dit bien André Carpentier, qui relate dans Moments de parcs ses promenades à travers la ville de Montréal :

J’entre dans le parc par un sentier à découvert. Des éclats lumineux viennent aussitôt se briser sur moi, ce qui devrait me combler, sauf que je me trouve plutôt ébloui. Je me hâte donc vers une zone parsemée d’arbres où je me laisse dériver d’un ombrage à l’autre, comme si j’improvisais un sentier. Tous les motifs sont bons au flâneur pour inventer son chemin… (2016 : 58)

Créer son propre itinéraire en milieu urbain revient à se laisser aller au gré de l’ombre, de l’envie du moment, de « parcour[ir] un espace aux traits familiers, bien que porteur de mystère, d’indicible, de consent[ir] à perdre certains repères et à se laisser guider par la perception immédiate » (Carpentier, 2004 : 46). Il s’agit de se laisser dériver d’un lieu à un autre, d’un jardin à un autre, d’un quartier à un autre, une dérive qui peut aussi par moments causer des incursions du côté de l’imaginaire. Comme l'explique l'auteur, « il arrive que le corps suive un itinéraire, mais que l’esprit soit errant. Dans tous les cas, j’aime parler d’une dérive, et du dériveur comme de celui qui s’abandonne à un mouvement spontané, qui lâche prise » (Carpentier, 2004 : 47)7. C’est bien ce que raconte Pierre Sansot, qui se met à imaginer dans son livre Jardins publics les plantes qui poussent derrière les portes closes :

Sauter d’un jardin à un autre et, au cours de cet enjambement, ne pas s’affaisser dans une fondrière de goudron, considérer cette esquisse de pelouse comme un jardin, lever les yeux vers les jardins suspendus, imaginer que cette porte cochère d’un hôtel particulier, si elle s’entrouvrait, nous donnerait accès à des arceaux fleuris, entendre au loin des oiseaux qui ont trouvé où se nicher dans un branchage, prendre en considération un arbre que l’homme n’a pas su civiliser. Le marcheur inspiré découvre sans mal des sentiers dont il a seul le secret. Il n’a donc pas le sentiment de déployer des efforts exagérés pour battre la campagne des villes. (1993 : 181)

Ce témoignage montre bien que l’attitude du flâneur ou de la flâneuse est déterminante dans la mesure où il ou elle choisit de prêter attention au végétal, peu importe où il se trouve. À l’image de ces passionné.e.s de jardins qui voyagent de jardin en jardin à travers le monde, ainsi que Didier Decoin le relate dans Je vois des jardins partout, le flâneur ou la flâneuse à travers la ville peut suivre l’inspiration du moment et échapper ainsi au diktat, parfois contraignant, de l’aménagement urbain. La liberté d’aller, de ne pas suivre les allées prévues par les paysagistes, permet de faire jouer la tension entre le sauvage et le cultivé dans la mesure où la proximité du végétal plonge le flâneur ou la flâneuse dans un état méditatif. Quand ce ne sont pas des élans d’imagination qui prennent naissance, ce sont parfois des rappels des séjours en forêt qui surviennent. Dans la prose d’André Carpentier, l’aménagement urbain ne parvient pas à repousser complètement le sauvage, qui surgit lorsque la forêt se rappelle soudainement au flâneur :

« Me faufilant dans l’espace composite d’un grand parc, telle une barque prenant port, je ressens aussitôt une calmante impression de monde à l’arrêt. C’est que le fond remuant et bruital de la ville s’atténue peu à peu, et j’en viens presque à oublier sa présence lointaine. / Bien que l’écriture de la terre y soit paysagée, pour ne pas dire civilisée, ces grands parcs, qui tirent leur raison d’être du contraste qu’ils offrent par rapport aux réseaux urbains d’habitation et de circulation, n’en gardent pas moins, dans nos consciences, certaines caractéristiques de leur état natif, sous forme d’abrégés de forêts, de prairies, de lacs, avec leurs connotations apaisantes. Cela est notamment frappant à certaines heures des jours d’été, comme maintenant, alors que la vie citoyenne semble s’être retirée du parc. […] La lumière chatoie sur un pré couturé de sentiers en lacets et semé de peupliers, d’érables, de chênes, de tilleuls. Formes, couleurs et lumière sont rythmées par le délicat battement de ces grands arbres derrière lesquels le soleil, à peine déclinant, présage quelques roseurs » (2016 : 54-55).

La vertu apaisante, calmante, de ces zones ombragées, de ces « abrégés de forêts », repose sur une connaissance intime des forêts, sur des expériences préalables ayant permis de ressentir ce bien-être réconfortant. Grâce à ce lien tissé par la mémoire entre le lieu présent et la forêt distante, grâce à cette « impression de monde à l’arrêt » qui suggère la suspension du temps, la marche en milieu urbain se superpose à celle en milieu sylvestre. Capter le sauvage à partir des parcs devient possible à partir du moment où la promenade végétale suscite des élans d’imagination et des rappels mémoriels ayant pour effet de réenchanter le milieu urbain.

4.2. La liberté des plantes

Comme on l’a vu, c’est lors de l’interaction entre le promeneur ou la promeneuse et le végétal que se développe cet élan vers la forêt originaire. Dans certains cas, la relation peut même prendre les traits de la réciprocité, lorsque la liberté des plantes déclenche celle du promeneur ou de la promeneuse. Dans ce passage de Jardins publics par exemple, la vue des jardins abandonnés suscite des émotions singulières, parce que l’auteur pressent la « folie » du végétal :

Jardins abandonnés, jardins dédaignés. Le sort des premiers me paraît plus enviable. Ils échappent à notre surveillance. Ils s’en donnent à cœur joie. […] De là, en eux, une sorte de folie, comme celle d’un écolier en liberté, et une extrême sauvagerie, car il leur faut oublier des décennies de contrôle tatillon, de culture. (Sansot 1993 : 69-70)

Parce qu’ils n’obéissent plus à l’ordre établi au départ par le jardinier, la jardinière ou les aménageurs et aménageuses de la ville, parce que les plantes ne sont plus taillées, mais évoluent à leur façon, sans qu’on les oblige à suivre un modèle prévu d’avance, l’auteur y voit une « extrême sauvagerie », dont il se délecte, d’ailleurs. La comparaison avec « l’écolier en liberté » faisant l’école buissonnière montre bien que cette tension est toujours sous-jacente chez les plantes, celle de sortir du cadre, de retourner à « l’état sauvage », que ce sont seulement nos habitudes de contrôle de la nature qui en font des êtres « cultivés ».

D’autres libertés sont prises aussi par les plantes, que nous ignorons la plupart du temps car nous pensons trop souvent à elles comme à des êtres enracinés, alors qu’elles sont toujours en mouvement. Malgré tous les efforts pour les cantonner à des enclos, à des endroits bien identifiés, elles se déplacent :

Les plantes voyagent. Des plantes provençales font un tour dans la capitale. Marseille accueille les spores de l’Île-de-France. L’explication n’en exténue pas la poésie. Le hasard des trains, les migrations des oiseaux permettent à des plantes exogènes de prendre vie hors de leur pays natal. […] Certaines plantes entreprennent parfois, de leur propre chef, un voyage au long cours. (Sansot 1993 : 100)

Le caractère limité du jardin, son installation en milieu urbain, pratiqué avant tout en fonction des sédentaires, n’empêche pas le voyage des plantes. C’est bien ce que souligne l’architecte-paysagiste Gilles Clément, qui tente de redonner au végétal une forme de pouvoir en favorisant les friches, le mouvement des plantes. Dans le but de renouveler l’art du jardin, il propose de concevoir des « jardins libres », c’est-à-dire des espaces où les herbes folles, les ronces, les orties, en un mot celles que l’on appelle communément les « mauvaises herbes », côtoient les plantes cultivées : « Laisser pousser les herbes, inviter les taupes aux labours traversiers […] en bref tenter de travailler avec la dynamique naturelle des êtres vivants et d’infléchir, si besoin est, pour la tourner en avantage, c’est-à-dire en jardin » (Clément 1997 : 39). Laisser les plantes occuper l’espace à leur façon, c’est accepter de faire face à l’imprévu, à l’improvisation, aux surprises que provoquent les plantes vagabondes, celles qui poussent là où on ne l’avait pas prévu. Dans son livre sur Le jardin en mouvement (2001) et dans son Éloge des vagabondes (2014), il démontre tout l’intérêt de ces plantes rebelles qui sortent de l’espace qui leur était assigné, ou encore qui viennent d’ailleurs, grâce au vent, aux insectes, aux oiseaux…

À l’instar de l’architecte-paysagiste, Sansot appelle à libérer les plantes de l’enclos où elles ont été cantonnées et invite à remettre en question la domination de l’être humain sur la nature :

Le jardin met en scène une nature qui appelle des soins, un entretien, de l’attention, mais non plus un ‘travail’. […] Il n’existe que pour lui-même et notre propre plaisir…. C’est dans un jardin, peut-être plus que partout ailleurs, que le citadin prend conscience qu’il a réellement tranché les liens qui unissaient l’homme à la terre. (1993 : 98)

On observe donc une ouverture réciproque entre le végétal et l’humain, faisant en sorte que la liberté de l’un appelle celle de l’autre. Parce qu’il fait prendre conscience de la nécessité de renouer le lien avec la terre, le végétal, de même que l’écriture, contribue au réenchantement de l’urbain. 

4.3 Flânerie et écriture

En donnant la possibilité de souligner les points aveugles, de libérer l’esprit, autant celui de l’écrivain ou de l’écrivaine que celui du lecteur-promeneur ou de la lectrice-promeneuse, l’écriture permet de libérer les jardins urbains de l’emprise du temps ou de celle des humains :

Jardins dans lesquels j’éprouvais de la gêne : toutes ces plantes soumises à nos regards, disposées au garde-à-vous, ressemblaient à des animaux parqués dans un zoo. J’aurais aimé ouvrir grand les portes de leur ménagerie et les restituer à leur innocence primitive. (Sansot 1993 : 85)

Si le flâneur ou la flâneuse n’a pas le pouvoir de transformer le lieu in situ, son travail d’écriture prolonge le désir d’émanciper les plantes. Comme on le constate dans la citation suivante, le mouvement de la promenade finit par infiltrer la pensée dans la mesure où l’écriture cherche à redonner au végétal la liberté de pousser en dehors des cadres et des clôtures, ne serait-ce qu’en imagination :

Du pollen, des graines voltigent, au gré des vents, de-ci de-là, et poussent en un enclos des fleurs dont on n’avait pas prévu l’existence. Ailleurs, les clôtures interdisent de pareils échanges. / Je préfère oublier l’amer savoir, penser un monde où les éléments n’ont nul besoin de l’homme pour se diriger. Je préfère à nouveau répéter la formule enchantée. Elle préserve la liberté du monde végétal, elle lui restitue une parole bâillonnée. (Sansot 1993 : 117, nous soulignons)

La littérature offre donc une alternative à cette situation trop souvent rencontrée dans les espaces urbains, où les plantes cultivées obéissent à la géométrie et à l’esthétique imposées par la majeure partie des architectes-jardiniers ou architectes-jardinières. Dans tous les cas, il s’agit pour l’écrivain ou l’écrivaine, comme le rappelle Pierre Morency, de « faire écho à la définition que donnait Baudelaire de la beauté et tenter de saisir, puis de faire voir l’infini dans le fini. » (1999 : 8, l’auteur souligne). C’est en effet ce qui guide les itinéraires à travers les parcs de la ville de Québec qu’il propose dans Le regard infini, un ouvrage comprenant des photographies de Luc-Antoine Couturier et des textes informatifs de Jean Provencher :

Ce livre, j’aimerais qu’on puisse s’y promener, y suivre des itinéraires sans autre but que celui de faire des découvertes, qu’on puisse, au détour d’un paragraphe ou même d’une phrase, s’arrêter dans un coin de verdure où la pensée se déleste des bruits et des contraintes pour se peupler de visions. J’aimerais qu’on y découvre des arbres derrière les murs et sous les arbres des gens capables de voir des lueurs au fond de l’ombre et l’unité de tout ce qui vit. J’aimerais qu’on y devine un ordre analogue à l’ordre même de la ville, puisque toute ville digne de ce nom, comme les meilleurs livres, propose, selon les mots du poète, un ordre dans le désordre du monde. » (Morency 1999 : 8, nous soulignons)

Les passages soulignés montrent bien l’importance des arbres dans ce geste visant à ouvrir le regard – et l’esprit – du lecteur-promeneur ou de la lectrice-promeneuse. Au lieu du regard rivé sur les murs, l’écrivain nous invite à regarder les arbres derrière les murs, si grands qu’ils les surplombent généralement, de porter attention à distinguer les lueurs au fond de l’ombre prodiguée par ces géants de la nature, ce qui devrait permettre d’apercevoir un ordre autre que celui des architectes et des urbanistes, un ordre qui n’est pas dicté par l’humain mais bien par ceux qui portent toujours en eux une part de sauvage, au sens de sylvestre, à savoir les arbres.

Décaler le regard habituellement porté sur l’espace du dehors, c’est aussi ce que cherche à faire à sa façon la géopoétique, située à l’intersection de plusieurs disciplines.

5. Réenchanter le sauvage urbain grâce à la géopoétique

5.1. Alliance des arts et de la science, de la géographie et de l’écriture

Champ de recherche et de création transdisciplinaire, la géopoétique a pour but d’intensifier le rapport entre l’être humain et la Terre à partir de différentes perspectives et pratiques qui se croisent : recherches historiques et géographiques, réflexions philosophiques, productions littéraires et artistiques, activités académiques, marches et explorations dans différents milieux, dont le milieu urbain. Ce mouvement initié par le poète et philosophe Kenneth White à la fin des années quatre-vingt-dix favorise le croisement des sciences de la terre, la géographie en particulier, avec la littérature, la philosophie et les arts (White 1994). Comme le montrent bien les articles publiés dans le collectif Ville et géopoétique (2016), la géopoétique urbaine apporte son lot de défis. Parmi les expérimentations menées au Québec par l’Atelier de géopoétique La Traversée depuis une quinzaine d’années, l’une des activités ayant principalement pour cadre le milieu urbain a été celle du « Retour du flâneur ». Celle-ci propose aux participant·e·s de fréquenter un espace-thème (ruelle, parc, matin, arbres, etc.) sur le mode de la flânerie et de contribuer à un blogue dédié à ce thème par le biais de textes, photos, vidéos, etc. Ces “notes de terrain” sont présentées à la fin d’une période variant de quelques mois à une année complète lors d’une soirée rassemblant les participant·e·s à l’activité. (voir site web de La Traversée)

L’édition 2018-2019 du « Retour du flâneur », animé par Chloë Rolland et Claudette Lemay, a ainsi porté sur le thème des arbres, ce qui a donné lieu à de nombreuses contributions placés sur le blogue “Au retour du flâneur – les arbres”. Certaines étaient issues de flâneries individuelles, d’autres de flâneries collectives.

5.2. Flânerie individuelle

La contribution de Claudette Lemay, intitulée « Chicane de clôtures » et tissant les liens entre l’écriture et la photographie, montre bien comment la géopoétique peut contribuer au réenchantement du sauvage urbain :

Personne ne se souvient
comment ni quand ça a commencé

Photographie 10.

Photographie 10.

Je te frôle, tu me laisses faire

Je me dépose, tu me soutiens
Je grandis
Tu résistes, je me plie
Tu m’entraves, je me tords
Je m’endurcis, tu penches un peu
Tu m’encadres, je t’assiège
Je t’enveloppe, tu me transperces
Je t’avale […] » (2019)

L’artiste a sélectionné parmi ses clichés une série de variations sur le thème de l’arbre qui finit par incorporer la clôture étant censé le restreindre à un espace précis, délimité : « Je m’étire hors du cadre » disent tous les arbres photographiés, qui s’expriment aussi par le biais du poème. De la clôture en métal, ou du grillage aux mailles serrées, on passe au ciment, aux racines qui se faufilent entre deux marches : « J’allonge une patte sous l’escalier ». Dans cet alliage étonnant, mêlant le « je » végétal au « tu » formé de matières dures, urbaines, comme le métal et le ciment, la souplesse de la branche ou du tronc émeut la promeneuse, surprise par la capacité de l’arbre à se tordre et à s’adapter, voire à dépasser les limites imposées. Ce sont des arbres rebelles à leur manière, engagés dans un corps à corps avec des éléments d’un autre règne, celui du mobilier urbain, installé par des individus n’ayant aucun souci pour l’arbre grandissant tout près, aucun intérêt pour le vivant au cœur de la ville. La rêverie est déclenchée par la vue de l’arbre qui se contorsionne, qui adopte des formes étranges, qui grandit malgré les obstacles. 

Le poème et la photographie mettent en évidence un phénomène courant, mais que personne ne voit généralement. Le regard attentif de la géopoéticienne, marqué par la sensibilité, redonne au végétal une présence, il le soustrait à l’invisibilité dont il fait souvent les frais, que ce soit en ville ou ailleurs. D’ailleurs, une liste d’arbres est donnée à la fin du billet, qui invite les flâneurs ou flâneuses urbain.e.s à rendre visite à ces arbres contorsionnistes, à leur prêter attention, à aller observer de visu ces étranges alliages, à déclencher, autrement dit, d’autres promenades végétales. La volonté de partager les expériences, les regards, les connaissances, est d’ailleurs l’une des caractéristiques du mouvement géopoétique, qui ne se fait jamais en vase clos mais dans le cadre d’une communauté, en présence ou par le biais du virtuel (blogues, site web, réseaux sociaux).

5.3. Flânerie collective

Si certaines flâneries collectives s’adressent aux membres de La Traversée, d’autres ont lieu dans le cadre de séminaires, de groupes de recherche, dans un cadre académique s’ouvrant pour l’occasion sur l’extérieur, des activités auxquelles est conviée également la communauté traverséenne. L’initiation à la géopoétique est ainsi offerte à des étudiants et étudiantes lors de flâneries collectives, comme celle qui a été organisée en mai 2019 à l’Arboretum Morgan, un parc situé sur le territoire de Montréal. Un double apport, scientifique et littéraire, a été privilégié lors de cet événement8. Précisons qu’une telle flânerie pourrait se faire dans n’importe quel parc urbain, à condition que diverses espèces d’arbres y soient présentes.

La promenade végétale était animée par le biologiste Yves Mauffette, professeur à l’UQAM, qui a travaillé à l’Arboretum quand il était étudiant. Il a donc partagé un point de vue de scientifique, pour qui un arboretum est un lieu d’étude et de conservation, en présentant à chacun des arrêts des « capsules biologiques » ayant pour but l’identification des arbres et des fleurs printanières, le tout parsemé d’anecdotes concernant le végétal. Invité.e.s à apporter avec eux des textes littéraires évoquant les arbres, les participants et participantes en ont lu des extraits sur place, adossé.e.s aux arbres ou en face d’eux. Quand un poème évoquant un érable rouge est lu sous un érable rouge, et que l’on vient tout juste d’identifier l’espèce à laquelle cet individu appartient, le texte prend un autre sens. Adressée à l’arbre, en plus de s’adresser aux participants et participantes, la lecture crée des échos entre les mots et les branches, entre les adjectifs et les feuilles, entre la voix et le bruit du vent dans les frondaisons. Une autre dimension se déplie, se déploie, qui relie le texte à l’environnement, au groupe de lecteurs et lectrices, d’auditeurs et auditrices, pour qui cette promenade végétale et littéraire s’inscrit dans le cadre d’une expérimentation collective appelée à se poursuivre au gré des années.

La dimension pédagogique demeure un élément incontournable de ces activités, même pour ceux et celles qui fréquentent l’Atelier de géopoétique depuis longtemps, étant donné que de nouvelles disciplines (scientifiques ou artistiques) sont convoquées au cours des explorations (la géologie, par exemple, sur un site minier). Si l’on demande aux spécialistes invité.e.s pour l’occasion de faire un effort de vulgarisation, le groupe doit de son côté adopter une posture facilitant l’acquisition de nouvelles connaissances. Ce qui se développe au fil des rencontres, c’est la maîtrise des techniques de l’attention, qui forment l’un des enjeux principaux des activités d’initiation à la géopoétique dans un cadre académique. En effet, cette démarche alliant la science et la poésie a moins pour but d’apprendre que d’aiguiser son regard grâce aux connaissances scientifiques, historiques, géographiques, sociologiques, etc. Celles-ci restent parcellaires, elles ne sont pas complètement assimilées. Une excursion n’est pas suffisante pour apprendre à différencier les arbres, il faudrait pour y arriver multiplier les excursions, les exercices de reconnaissance, comme cela se fait dans les cours de biologie sur le terrain. Ce qui importe, en géopoétique, c’est que la curiosité s’aiguise, que le regard s’ouvre sur des aspects invisibles jusque-là, que l’attention aux détails s’accentue. Pour en donner une illustration, revenons sur l’exemple de la promenade hivernale, dont parle Pierre Sansot, et imaginons qu’elle se situe non pas au Jardin du Luxembourg mais dans un pays nordique. Comment percevoir le sauvage urbain alors que le végétal est enfoui sous la neige et que la faune hiberne, quand elle n’a pas rejoint des cieux plus cléments ? Les seuls éléments du paysage évoquant le végétal sont les arbres ; et encore, ceux-ci n’ont pas de feuilles, ni de fleurs, ni de fruits, il n’y a guère que les écorces qui permettent de les distinguer entre eux. Comme il est bien évidemment impossible d’accorder à tous les arbres la même attention, il faudra en choisir quelques-uns et observer leur écorce sous tous les plans, ce qui exige déjà un effort conséquent à une température de -10 °C. Mais lesquels choisir ? Durant la balade en raquettes, on tâchera de garder une attention flottante, de se laisser dériver au gré des arbres rencontrés, de laisser le végétal capter notre regard jusqu’à ce que l’attention se fixe sur l’un des troncs, qu’elle s’y accroche pour une raison ou une autre. L’écorce est-elle lisse, mince et rugueuse, épaisse et rugueuse, squameuse ? A-t-elle des fragments qui s’effritent facilement, des lamelles écailleuses, filamentées, qui se détachent de haut en bas ou qui s’entrecroisent ? Chercher à répondre à ces questions oblige à s’arrêter, à examiner attentivement le tronc, à le toucher, à le caresser, à prendre des notes, à consulter les photos d’un guide ou à interroger un ou une botaniste. La promenade s’interrompt pour laisser place à l’observation, au désir de mieux connaître le règne végétal, éléments essentiels pour réussir à percevoir sa beauté avec plus d’acuité.

Il s’agit donc de décentrer le regard, ainsi que tous les autres sens, de porter une attention particulière aux odeurs, aux sons, au silence, au toucher, au goût éventuellement. Au lieu de projeter ses propres émotions vers l’arbre, de l’anthropomorphiser, comme cela se fait couramment, on essaiera plutôt de s’en approcher, de tendre l’oreille, de laisser retentir en soi les échos du végétal, de capter les impressions du vivant, de les prendre en photo, de les traduire en vocables. Les mots et les images sont des empreintes, ils conservent la trace de l’expérience, ils en assurent le prolongement en conduisant éventuellement au poème, au récit, au partage sur un blogue. Une température plus clémente offrira d’autres possibilités, telles que le croquis, le dessin, la peinture, le tataki-zomé (technique japonaise consistant à réaliser des empreintes végétales grâce au martelage et révélant les linéaments des feuilles, les couleurs nuancées des fleurs9).

6. Conclusion

Si la question de l’aménagement prime généralement quand on parle de promenade urbaine, il est important de prendre également en considération l’attitude du promeneur ou de la promeneuse. Étant donné la longue tradition de cette activité impliquant des codes précis ayant changé depuis le XVIIIe siècle et évoluant selon les critères esthétiques et hygiénistes en vigueur, il est plus que jamais nécessaire de s’interroger sur la manière dont le sauvage peut être intégré dans le milieu urbain. L’exemple de la promenade sur les bords de l’Èbre à Saragosse montre bien que les rives laissées à elles-mêmes – du moins en partie – permettent un rapprochement avec le végétal et instaurent ainsi une ambiance plus paisible pour la promenade. Les écrivains-flâneurs ou écrivaines-flâneuses proposent quant à eux de considérer la déambulation de manière plus large, en suivant des chemins non prévus par les urbanistes, en suivant l’inspiration du moment, ou les ombres des arbres. L’écriture devient un moyen de souligner la présence du végétal, de superposer des expériences vécues en forêt avec celles de la ville, de dépasser les limites habituellement accolées au paysage urbain. L’arbre en particulier joue un rôle primordial dans le processus de réenchantement du sauvage urbain : sa dimension cosmique, son caractère inaccessible, font en sorte qu’il échappe à l’emprise de l’humain. Les exemples issus d’activités géopoétiques, qu’il s’agisse de flâneries individuelles comme celles des artistes ou des écrivains et écrivaines, ou de flâneries collectives comme celles menées avec des groupes d’étudiants et étudiantes, montrent bien que la transdisciplinarité ainsi que le développement de certaines techniques de l’attention donnent l’occasion d’apprécier à sa juste valeur la nature en ville. À partir du moment où se crée une tension entre le sauvage et le cultivé, souvent provoquée par le décentrement du regard, autant pour l’architecte-paysagiste que pour le promeneur ou la promeneuse, la promenade végétale permet de réenchanter le milieu urbain, d’ouvrir le fini sur l’infini. C’est peut-être alors une question d’attitude qui est en jeu – autant celle des aménageurs et des aménageuses que celle des promeneurs et promeneuses – et qu’il nous appartient de transformer.

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Notes

1 Les réflexions du GRIVE, qui touchent à la fois les volets récréatif, esthétique, géopoétique, scientifique, pédagogique et écologique, tentent de comprendre les transformations du rapport au végétal depuis les débuts de la crise environnementale. Le Groupe de recherche interdisciplinaire sur le végétal et l’environnement réunit des chercheurs et chercheuses de plusieurs universités du Québec, travaillant en biologie, sciences de l’environnement, géographie, histoire des forêts, études littéraires et sémiotique. La promenade végétale a fait l’objet d’un article dans Enjeux et sociétés (2019). Nous tenons à remercier Noémie Dubé et Jean-Pascal Bilodeau, nos assistants de recherche, qui ont fait la révision et la mise aux normes. Retour au texte

2 Récits de parcours effectués in situ avec des usagers des promenades au bord de l’Èbre à Saragosse (juin 2016). Retour au texte

3 Voir par exemple les projets de l’artiste Simon Boudvin, comme Ailanthus altissima, réalisé à « La ferme du buisson »: https://www.lafermedubuisson.com/simon-boudvin_2. Ou encore le programme de science citoyenne intitulé « Sauvages de ma rue », mis en place par Tela Botanica et une équipe scientifique du laboratoire CESCO, qui offre un ensemble d’activités de repérage, dont des promenades, visant à mieux connaître les espèces sauvages poussant en milieu urbain : https://www.tela-botanica.org/projets/sauvages-de-ma-rue/ Ce projet n’étant pas accessible aux personnes demeurant en dehors du territoire français (comprenant des espèces végétales spécifiques), nous n’avons pas pu malheureusement expérimenter ce type de promenades et l’intégrer parmi nos objets d’étude. Retour au texte

4 Rappelons que dans la mythologie grecque, le chtonien se rapporte à ce qui se trouve dans les profondeurs de la terre tandis que l’ouranien renvoie au ciel (Ouranos est la personnification du ciel). (voir Corbin 2013) Retour au texte

5 Les descriptions de Pierre Morency dans Le regard infini débutent avec l’évocation des arbres, qui jouent selon lui un rôle primordial. À titre d’exemple voici comment commence la présentation du parc Cavalier-du-moulin: « Voilà deux lieux urbains plutôt exigus, portant des arbres, des réverbères et des bancs, deux joyaux sertis dans des quartiers fréquentés, deux oasis inattendues, qui offrent au promeneur une halte où se compénètrent quiétude et beauté du décor. » (1999 : 89, nous soulignons) Par la suite, rappelant la conviction que les arbres parlent, il prend le point de vue d’un oiseau pour décrire la végétation. C’est grâce à l’arbre qu’il est capable de percevoir « l’infini dans le fini » (Baudelaire). Retour au texte

6 La polysémie du terme « promenade », à la fois espace et activité, nous a semblé plus appropriée pour aborder les différentes facettes de notre rapport au végétal, mais il faut bien comprendre que ce concept recouvre en partie celui de flânerie, né dans un contexte urbain. Comme l’écrit Alain Montandon, « la promenade n’est pas dirigée vers un but, mais parcourt un lieu; elle ne mène pas au lointain, à l’inconnu, mais reste dans un espace connu, dans l’espace de la culture propre. […] La promenade flirte sans cesse avec la limite et l’illimité, la nature et l’esprit, le clos et l’ouvert, le repos et le mouvement, l’ici et le là-bas, elle est intersection dynamique, lieu de rencontre. » (Montandon, 2000 : 17). C’est au XIXe siècle que le flâneur solitaire apparaît, entre autres, dans les écrits de Baudelaire qui ont inspiré le philosophe Walter Benjamin. Le flâneur propose une nouvelle forme de promenade « sans hâte, au hasard, en s’abandonnant à l’impression et au spectacle du moment » (Robert, 2009 : 1055). L’avènement du flâneur marque une volonté de s’émanciper tout en portant un regard critique sur la société. Dans cet article, qui ne vise pas à discuter les liens entre flânerie et promenade, nous considérons les termes « flâneur.se » et « promeneur.se » comme équivalents, comme le fait d’ailleurs Pierre Sansot dans cette citation. Retour au texte

7 Cette manière de concevoir la dérive, mouvement caractéristique de la flânerie urbaine (« Ce déambulateur urbain, - que Baudelaire nomme flâneur, que j’appelle aussi le dériveur, et même le dériveur à plumes lorsqu’il est écrivain » (Carpentier, 2004 : 45)) est assez différente de la méthode déambulatoire mise en place par Guy Debord et le courant situationniste dans les années 1960. La dérive situationniste consiste à parcourir et à réciter un itinéraire effectué dans la ville (Bonard et Capt, 2009) et vise à s’émanciper des chemins imposés par un urbanisme fonctionnaliste qui se veut contrôlant. Cela se traduit sur le terrain par une forme de protocole qui consiste à « dériver » à plusieurs et à réaliser des comptes-rendus individuels, qui seront par la suite croisés pour parvenir à une connaissance objective des lieux parcourus. Ainsi la dérive est une façon d’appréhender la ville pour mieux la connaître et la transformer, qui a influencé et influence encore artistes, scientifiques, citoyens et penseurs. Ce sont les transformations de la société et par là-même de la ville qui ont impulsé l’apparition de la flânerie (société moderne et industrielle) et de la dérive (société du spectacle). Retour au texte

8 D’autres flâneries collectives ont privilégié l’apport artistique, comme celle organisée par Laetitia de Coninck au parc Lafontaine, axée sur l’art performance et la photographie. Retour au texte

9 Voir les œuvres réalisées par Sandrine de Borman, artiste belge membre de La Traversée. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Sylvie Miaux et Rachel Bouvet, « La promenade végétale comme moyen de réenchanter l’espace urbain », Textes et contextes [En ligne], 16-1 | 2021, publié le 15 juillet 2021 et consulté le 22 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=3179

Auteurs

Sylvie Miaux

Professeure agrégée, Laboratoire en loisir et vie communautaire, Université du Québec à Trois-Rivières, Adresse postale : Département d’études en loisir, culture et tourisme UQTR 3351, boul. des Forges, Trois-Rivières (Québec) G8Z 4M3 Canada,

Rachel Bouvet

Professeure titulaire, Figura. Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire, Université du Québec à Montréal, Adresse postale : Département d’études littéraires Université du Québec à Montréal, C.P. 8888, succ. Centre-ville, Montréal, Québec, H3C 3P8 Canada

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