Présentation du dossier “Réflexions sur le parti conservateur britannique”

  • Presentation of “Reflections on the British Conservative Party”

Texte

Le 6 mai 2010 a ouvert une page inédite dans l'histoire politique de la Grande-Bretagne. La victoire du parti conservateur après treize années de gouvernements New Labour, sous l'égide de Tony Blair puis de Gordon Brown, a été toutefois assombrie par un résultat surprenant mais prévu par les sondages : l'absence de majorité absolue pour le vainqueur, illustrée par la métaphore éloquente d'un Parlement suspendu ou bloqué (« Hung Parliament »), situation assez rare dans l'histoire britannique. Avec 306 sièges contre 258 pour les Travaillistes et 57 pour les Libéraux-Démocrates, soit 20 sièges de moins que ce que les Conservateurs auraient dû obtenir pour bénéficier d'une majorité absolue à Westminster, le jeune leader du parti, David Cameron, s'est vu contraint de conclure un accord de coalition avec le leader libéral-démocrate, Nick Clegg pour former le gouvernement.

Cette victoire contrastée a été souvent attribuée par les commentateurs aux efforts de modernisation entrepris par David Cameron, élu à la tête du parti en décembre 2005. Qu'en est-il réellement ? De manière très différente, les trois articles proposés s'interrogent sur l'évolution, la cohérence et les limites éventuelles de cette entreprise de reconstruction idéologique.

Pour commencer, l'article de Keith Dixon et Gilles Christoph se propose de prendre le contre-pied de cette thèse à partir de l'hypothèse implicite d'une filiation thatchérienne. Si les effets bénéfiques du thatchérisme sur le parti conservateur sont attestés par sa longévité à la tête du gouvernement, plus rarement évoqués sont les dégâts causés par les gouvernements Thatcher (1979-1990), rendus souvent responsables du déclin (1990-97) puis de la longue traversée du désert (1997-2010?) du parti conservateur après le départ de la « Dame de fer ».

Dans cette perspective, l'article de Keith Dixon et Gilles Christoph se penche sur les racines du « mal » qu'il situe à l'origine du projet thatchérien. Il offre un regard historique sur ce qui constitue le substrat idéologique du parti conservateur : le néolibéralisme, en étudiant les sources du combat intellectuel qui a précédé et préparé ce que l'on appellera plus tard la révolution thatchérienne. Le voyage que les auteurs nous proposent dans le Londres de l'entre-deux-guerres, au sein de la prestigieuse London School of Economics - qui a vu défiler les plus grands intellectuels britanniques - et en Ecosse à la fin des années 1960 et au début des années 1970, à l'université de St Andrews, nous plonge au coeur des matrices institutionnelles du néo-libéralisme britannique, dont l'ancrage tient à l'importance des ces deux institutions universitaires. Pour les auteurs, c'est là que tout a commencé : dans ces deux lieux « d'émergence de collectifs individuels qui allaient contribuer à l'avènement du thatchérisme en parvenant à fusionner différents courants de pensée : les écoles d'économie autrichienne et britannique (LES) et le libéralisme économique associé au conservatisme identitaire (St Andrews) ».

Dans une perspective très contemporaine, cette fois-ci, l'article de Valérie Auda-André explore l'une des stratégies qui figurent au cœur de la modernisation idéologique actuelle du parti : le localisme. Si l'association entre localisme et conservatisme est a priori inattendue, l'auteur nous montre au contraire que le localisme s'inscrit dans une tradition ancienne du parti conservateur et emprunte également au New Labour de Tony Blair et Gordon Brown. À ce titre, il n'a rien de la stratégie nouvelle et inédite vantée par les Conservateurs, d'autant plus que le projet de Cameron, qui s'apparente à une coquille vide, s'avère plus fallacieux qu'il n'y paraît, consistant en fait à réintroduire de la « recentralisation sournoise » par le biais d'une apparente relocalisation du pouvoir hors des collectivités locales mais plutôt au sein des communautés.

L'article d'Andrew Gamble, grand spécialiste du parti conservateur outre-Manche, nous offre, pour finir, une synthèse éclairante des développements qui ont considérablement accru la popularité du parti conservateur d'après les sondages, notamment à la fin de l'année 2008. Cette popularité s'explique surtout par défaut : le contexte de la crise du crédit, qui a d'abord paradoxalement bénéficié à Gordon Brown, a révélé la faillite de l'économie britannique jusqu'alors considérée comme un modèle de réussite. L'incapacité du gouvernement à faire face à l'ampleur des déficits publics et à un taux record d'endettement des ménages, a offert l'occasion au parti de Cameron de dénoncer la responsabilité de Gordon Brown et de s'engouffrer ainsi dans la brèche laissée par l'échec du gouvernement néo-travailliste.

Au lendemain de la victoire de David Cameron, ces trois regards sur les Conservateurs britanniques invitent à une réflexion stimulante sur les politiques actuelles et futures du parti, inévitablement contraintes par l'exercice du pouvoir et a fortiori limitées par le partage de cette lourde responsabilité avec les Libéraux-Démocrates.

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Référence électronique

Agnès Alexandre-Collier, « Présentation du dossier “Réflexions sur le parti conservateur britannique” », Textes et contextes [En ligne], 5 | 2010, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=264

Auteur

Agnès Alexandre-Collier

Centre Interlangues (EA 4182), Université de Bourgogne, UFR langues et communication, 2 bd Gabriel, 21000 Dijon

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