Introduction
La lettre commerciale constitue pour toute organisation un outil de communication professionnelle externe à finalité double : elle sert une finalité immédiate, susciter chez le client l’acte de commande en soutenant l’offre proposée, et une finalité différée, développer la Relation Client sur le long terme. Les études de Marketing et de Costumer Relationship Management mettent en avant le principe de fidélisation du client qui doit présider à toute démarche commerciale. Pour répondre à cette exigence, les entreprises doivent développer une communication personnalisée avec chacun(e) de leurs client(e)s : chaque support de communication doit véhiculer cette politique relationnelle que les entreprises s’attachent à rendre visible auprès de leurs clients.
Dans l’opinion commune, on aurait tendance à penser que la lettre commerciale regorge de stéréotypes, lieux communs et autres clichés… Sans pour autant récuser cette idée, la présente contribution entend outrepasser l’image formatée et parfois « folklorique » de ce genre de document. A l’aide d’un corpus de lettres commerciales adressées entre 2006 à 2009 par une entreprise de Vente Par Correspondance, La Redoute, à une cliente, cette étude se propose de montrer que le stéréotype constitue une ressource stratégique particulièrement utile à l’entreprise argumentative menée dans le cadre de ce genre de discours, et d’autant plus dans le cas de la vente à distance. C’est dans le cadre de l’Analyse de l’Argumentation dans le Discours fondée par R. Amossy (2000) qu’il s’agit d’examiner l’hypothèse selon laquelle le stéréotype fait l’objet d’une utilisation stratégique qui répond aux exigences introduites par la Relation Client. En d’autres termes, on soutient ici que le stéréotype est utilisé au service de la création d’une communauté d’intérêt et d’une relation de proximité entre le client et l’entreprise. On se demande notamment comment, malgré le figement et la péjoration qui le caractérise, le stéréotype peut faire bon ménage avec l’exigence de personnalisation des courriers requis par le Relation Client.
Outre la nature des stéréotypes mobilisés, cette étude s’intéresse aux modalités par lesquelles le régime énonciatif, textuel et discursif de la lettre commerciale accueille, façonne et exploite des « représentations collectives familières et des croyances partagées » (Amossy in Charaudeau et Maingueneau 2002 : 548) au service d’une politique relationnelle ancrée sur le long terme. Une première partie s’attache à circonscrire l’objet de la recherche et à préciser le cadre de l’analyse. Puis, une seconde partie est dédiée à l’analyse d’une lettre représentative du corpus sous l’angle des stéréotypes et de leurs utilisations stratégiques. Enfin, c’est à une réflexion plus transversale sur la fonction du stéréotype dans ce genre de discours qu’est consacrée la troisième partie de cette contribution.
1. La lettre commerciale : définition et enjeux
L’Analyse du discours appréhende « le discours comme intrication d’un texte et d’un lieu social » (Maingueneau et Charaudeau 2002). Elle constitue un domaine disciplinaire polymorphe qui outrepasse les cadres de la linguistique et entretient, en raison de la diversité et de la spécificité des objets qu’elle se donne, des relations avec des disciplines connexes qu’il s’agisse d’histoire, de sociologie, de littérature, d’ethnologie, etc. (Sarfati 1997). Pour définir la lettre commerciale comme objet de recherche, l’analyste du discours peut recourir, en première approche, aux manuels et ouvrages de ‘Négociation et Relation Client’ : le publipostage y est défini comme un message individuel et personnalisé envoyé par voie postale ou électronique (e-mailing) à un destinataire identifié. Il sert « une opération de prospection, de démarchage ou de vente. Ce mode de prospection est de plus en plus utilisé pour préparer l’intervention de la force de vente en cernant les contacts utiles, et pour fidéliser la clientèle. » (Garnier et Roussel 2007 : 92). La lettre commerciale personnalisée contient « une argumentation structurée sur l’offre commerciale » (Garnier et Roussel 2007 : 92). Elle est une composante du publipostage avec l’enveloppe « attrayante » (Garnier et Roussel 2007 : 92), le dépliant, le coupon réponse et éventuellement une enveloppe réponse.
1.1. Enjeux de fidélisation de la Relation Client
Depuis quelques décennies, différents facteurs tels que l’hyperconcurrence, la mondialisation des marchés, la complexité des comportements d’achat, la volatilité et la versatilité des consommateurs ont conduit les entreprises à privilégier la dimension relationnelle de l’échange commercial. Ainsi, au Marketing Transactionnel centré sur l’acte d’achat a succédé un Marketing Relationnel fondé sur l’engagement et la confiance (Mansencal Michel Meurot 2005 : 10). Dans ce cadre, la Relation Client c’est-à-dire l’ensemble du dispositif relationnel mis en place par l’entreprise pour fidéliser sa clientèle constitue aujourd’hui une valeur ajoutée pour l’entreprise. La fidélisation de la clientèle, considérée comme un facteur décisionnel, suppose la mise en œuvre de « mécanismes relationnels » (Mansencal Michel Meurot 2005 : 11) professionnalisés, un appui nécessaire sur les contacts entre le client et l’entreprise et un dépassement du « contrat de base pour encourager la reconnaissance, la proximité, et la synchronisation des discours » (Mansencal Michel Meurot 2005 : 11). La fidélisation s’inscrit dans un processus d’apprentissage : elle est basée sur la connaissance du client que l’entreprise peut acquérir et utiliser au quotidien dans ces documents de communication.
« L’orientation à long terme » (Mansencal Meurot Michel 2005 : 10) constitue un des facteurs de réussite de la Relation Client détaillés dans les ouvrages de Marketing : il s’agit de rendre visible la motivation de l’entreprise dans sa démarche de fidélisation. Chaque support de communication doit réitérer cette volonté, la rendre explicite afin de construire l’image d’une relation naturelle et de confiance fondée sur la transparence, la réciprocité, la fiabilité, la flexibilité et la solidarité. Si la Relation Client doit être suffisamment signifiée au client, elle doit cependant apparaître comme une démarche naturelle, légitime et sincère de la part de l’entreprise : suffisamment saillante pour être considérée comme une véritable valeur ajoutée de la transaction et suffisamment discrète pour ne pas être suspectée de manipulation.
La personnalisation du discours qui en résulte ne doit toutefois pas nuire à l’image de sérieux qui fait de la transaction un échange contractuel, engageant et sécurisé. Bien au contraire, la lettre commerciale doit concilier ces deux dimensions.
1.2. Spécificités de la Vente Par Correspondance
Dans le cas de la vente à distance, c’est essentiellement sur les documents commerciaux écrits adressés régulièrement aux clients que repose la construction de la Relation Client.
Les entreprises de Vente Par Correspondance misent d’autant plus sur la dimension relationnelle de l’échange commercial que celles-ci sont privées d’échange en face à face avec leurs clients. De plus, le client n’a pas de contact avec les produits distribués : le catalogue constitue la vitrine de l’entreprise. Pour rester présents dans l’esprit du client et stimuler l’achat, les vépécistes doivent en outre mettre en place un système de contacts et de relances fréquentes – essentiellement des courriers sur support papier et des e-mailings – et proposer des offres promotionnelles ciblées.
Les entreprises commerciales, et de surcroît les entreprises de Vente Par Correspondance et de e-commerce, utilisent un fichier client qui représente leur « fonds de commerce » (Manuel et Xardel 1980 : 120). Ce fichier informatisé permet de constituer, pour chaque client, un « profil » alimenté de façon continue par des données telles que le montant et la composition des commandes, les modalités de paiement, les informations « statiques » (date de naissance, sexe, composition de la famille…) et les modes de navigation sur le site internet (rubriques et articles régulièrement consultés). Ces données stockées dans le système d’information doivent permettre de « générer une information clients décisionnelle » (Mansencal Michel Meurot 2007 : 40) c’est-à-dire de faciliter le ciblage de l’offre et du discours qui la porte.
La personnalisation des courriers permet à l’entreprise de montrer qu’elle dispose d’une bonne connaissance de ses clients : cette connaissance va dépendre de la qualité du recueil et du réinvestissement des informations récoltées lors de chaque contact. Ainsi, la connaissance personnalisée de chaque client apparaît comme une valeur fondamentale de la Relation Client.
La question du stéréotype, si elle est mentionnée dans les manuels de Relation Client, est peu abordée. Elle n’est en tous les cas pas reprise dans le cadre de la conception de documents commerciaux, si ce n’est sous la forme du simple conseil de les éviter. L’objectif de cette contribution est précisément de montrer non seulement que la lettre commerciale ne peut éviter les stéréotypes mais encore que le stéréotype constitue une ressource stratégique dans la perspective de la Relation Client.
2. Lettre commerciale, analyse argumentative dans le discours et stéréotype
La lettre commerciale est animée d’une visée argumentative, ‘faire acheter’ qui fait partie du contrat de communication établi entre les partenaires (Charaudeau 1983) et passe nécessairement par la transmission d’une offre. L’Analyse de l’Argumentation dans le Discours (Amossy 2000) propose un cadre particulièrement fonctionnel qui repose sur une approche pluridimensionnelle et étendue de l’argumentation. Elle est à la fois langagière en tant qu’elle considère « la mise en œuvre des moyens qu’offre le langage » (Amossy 2000 : 23) ; communicationnelle, car elle intègre « la situation de communication dans laquelle elle doit produire son effet » (Amossy 2000 : 23) ; dialogique, puisqu’elle s’appuie sur un espace d’opinions et de croyances collectives ; stylistique et textuelle en ce qu’elle considère le texte comme « un ensemble cohérent d’énoncés qui forment un tout. » (Amossy 2000 : 24). Enfin, l’Analyse de l’Argumentation dans le Discours propose une approche générique : la parole « se situe nécessairement dans le cadre d’un genre de discours qui occupe une place particulière dans un espace social donné et comporte ses objectifs, ses règles et ses contraintes propres. » (Amossy 2008 : §15).
2.1 Un genre du discours épistolaire
La lettre commerciale relève du discours épistolaire qui implique une séparation spatio-temporelle des partenaires, une circulation spécifique du discours, en l’occurrence de la sphère professionnelle à la sphère privée, et l’adoption d’un format hypercodé.
Dans une perspective textuelle, J-M. Adam propose un « plan de texte normatif » (Adam 1998 : 42) de la lettre qui se décompose en cinq séquences : l’ouverture, l’exorde, le corps de la lettre, la péroraison, la clôture. L’exorde est chargé de préparer « la réception de l’échange en ménageant la face d’autrui […] et en introduisant le propos » (Adam 1998 : 42). Le corps de la lettre développe l’objet du discours tandis que la péroraison se donne pour tâche de récapituler et d’achever de convaincre. Celle-ci peut constituer un dernier élan de pathétique et de préparation des futures interactions avec le destinataire. Les formules d’ouverture, d’exorde et de clôture sont fortement stéréotypées, notamment dans un cadre institutionnel comme la communication commerciale. Ce plan de texte prototypique composé de cinq parties peut évidemment être soumis à des variantes : certaines des parties du plan apparaissent facultatives et plus ou moins développées. Adam insiste sur le fait que la variété des conditions socio-discursives de production et de réception se révèle notamment par des variantes en termes de thématiques, de composition, de style, d’importance accordée à tel ou tel paragraphe.
2.2 Une pratique argumentative à double finalité : vers la question du stéréotype
2.2.1. Visée et dimension argumentatives
La lettre commerciale accompagne et met en scène l’offre qui est proposée à la cliente1. Elle est donc destinée à achever de convaincre celle-ci de passer commande même s’il faut concéder le fait que c’est essentiellement de la nature de l’offre que dépend la décision. Mais la lettre commerciale s’inscrit également dans une démarche marketing plus globale : la construction d’une Relation Client sur le long terme. C’est à R. Amossy que revient la distinction visée argumentative et dimension argumentative. Il s’agit de distinguer par ce biais les discours « qui visent explicitement à agir sur le public » (Amossy 2000 : 25) et les discours qui transmettent un « point de vue sur les choses » (Amossy 2000 : 25). Elle s’appuie notamment sur les travaux de J-B Grize qui conçoit deux acceptions de l’argumentation : une acception courante qui rejoint la notion de visée argumentative et une acception étendue considérant toute démarche « qui vise à intervenir sur l’opinion, l’attitude voire le comportement de quelqu’un » (Grize 1990 : 41). Ce qui apparaît ici comme une distinction peut toutefois permettre de concevoir une articulation entre la visée et la dimension argumentative dans un même discours. Dans le cas de la lettre commerciale, la visée argumentative ponctuelle, ‘faire acheter’, devient alors le support de la dimension argumentative plus diffuse, ‘fidéliser la clientèle en créant un lien durable’.
2.2.2. Stéréotype, argumentation et Relation Client
La question du statut et des fonctions du stéréotype dans le discours argumentatif est centrale dans l’analyse argumentative : défini comme « une image collective figée, qu’on peut décrire en attribuant un ensemble de prédicats à un thème » (Amossy 2000 : 40), le stéréotype, sous diverses formes, « constitue le soubassement de tout discours à visée persuasive » (Amossy et Herschberg-Pierrot 1997 : 105). Comme le souligne Amossy, le stéréotype se rattache nécessairement au dialogisme (Bakhtine) et à l’idée que tout discours mobilise et s’approprie avec plus ou moins de liberté du déjà-dit et du déjà-pensé. Rejetant le fort coefficient de péjoration dont il est affublé, Amossy et Herschberg-Pierrot (1997 : 101) insistent sur le fait que « l’analyse argumentative contemporaine méconnaît la péjoration de la stéréotypie et de la doxa ». Elle considère que le stéréotype, en tant qu’élément doxique, contribue au bon fonctionnement de toute argumentation :
il faut néanmoins concevoir ici le stéréotype comme un élément doxique obligé sans lequel non seulement aucune opération de catégorisation ou de généralisation ne serait possible, mais encore aucune construction d’identité et aucune relation à l’autre ne pourrait s’élaborer. (Amossy 2000 : 110)
Le stéréotype fournit donc « le terrain sur lequel pourront communier les interactants » (Amossy 2000 : 111). Celui-ci peut notamment s’observer par le biais des locutions et expressions figées, des marqueurs syntaxiques, sémantiques et des topoï. La pragmatique intégrée d’Anscombre et Ducrot a défini les topoï comme les « croyances présentées comme communes à une certaine collectivité » (Ducrot in Anscombre 1995 : 86) qui garantissent l’enchaînement argumentatif. Ainsi, les topoï supportent le passage entre l’argument et la conclusion. Ils peuvent relever du réservoir idéologique et renvoyer aux croyances en cours dans une société donnée. Quelle que soit la composante discursive qui permet de le révéler, le stéréotype participe de la construction du sens. Pour ce qui concerne la lettre commerciale, il importe donc de repérer la nature et les modalités d’inscription des stéréotypes en observant notamment comment se construit une nouvelle idéologie du commerce par l’introduction de la Relation Client.
Il ne s’agit pas ici de porter un jugement qualitatif sur le corpus de lettres recueillis et encore moins de considérer le stéréotype comme un paramètre dont l’utilisation dévalorise un genre de discours déjà bien mésestimé précisément par la représentation stéréotypée que chacun s’en fait. Au regard des éléments contextuels avancés précédemment, la question du stéréotype est à reconsidérer dans la démarche Relation Client et de personnalisation des documents qui en sont les supports. Les éléments puisés dans le point de vue stratégique des théories du Marketing incitent à penser que la personnalisation va à l’encontre du stéréotype : la communication en one to one requerrait un apprentissage de l’autre, une adaptation au client, une synchronisation des discours et un recours stratégique au stéréotype. En recourant à la théorie de l’Analyse de l’Argumentation dans le Discours, on dispose d’une conception de l’argumentation qui fait du stéréotype un outil « nécessaire au bon fonctionnement de l’argumentation » (Amossy et Herschberg-Pierrot 1997 : 105). Construire la Relation Client consisterait à utiliser un paradigme de stéréotypes cohérent avec les ambitions de la démarche.
3. Usage stratégique du stéréotype dans la lettre commerciale du vépéciste La Redoute
Postulant que le stéréotype a toute sa place dans la création d’un discours personnalisé tel que le requiert la Relation Client, deux étapes d’analyse s’imposent ici :
- observer la nature et les modalités d’inscription des stéréotypes convoqués en analysant un courrier sur le plan du couple visée / dimension argumentatives
- rapporter cette analyse à l’ensemble du corpus de façon à ouvrir plus globalement la réflexion sur les stratégies récurrentes dans les lettres du corpus recueilli.
3.1. Roubaix, le 26 janvier 2009…
Ce courrier daté du 26 janvier 2009 est visuellement très structuré et aéré. Il correspond, dans sa facture, à l’image communément admise du courrier officiel. L’identification de l’instance émettrice « Direction Financière » en haut à gauche, de l’objet du courrier, de l’instance réceptrice et du cadre spatio-temporel de la production s’opère aisément. A ces éléments s’ajoutent un système de ‘code barres’ et un codage chiffré incompréhensible pour l’instance réceptrice. Cette structuration visuelle de courrier et les éléments paratextuels participent de l’image de sérieux et de fiabilité de la démarche.
Les formules d’ouverture, « Chère Madame XXXXX », et de clôture opèrent un cadrage du courrier à deux moments stratégiques du plan de texte. L’ouverture concilie proximité relationnelle, grâce à l’opérateur « chère » combiné au patronyme de la cliente, et distance par l’utilisation du titre « Madame », marqueur de respect. Elle symbolise la gestion des dimensions transactionnelle et relationnelle du discours. La clôture, « cordialement », est en revanche plus familière.
L’exorde débute par l’énoncé suivant : « Chaque année, au mois de janvier, nous faisons le bilan de l’activité commerciale de La Redoute. ». L’instance émettrice est doublement représentée : par le pronom personnel de première personne et par la mention du nom de l’entreprise. L’énoncé dissocie le tout au singulier, « La Redoute », et les éléments qui le composent, « nous ». Cela permet à la fois de garantir la portée de l’offre au niveau de l’entreprise et d’humaniser la procédure professionnelle. Cet énoncé permet d’emblée de construire un climat de transparence. Le présent « permanent » (Riegel Pellat Rioul 1999 : 300) est associé au complément circonstanciel de temps marquant la répétition. Ce complément esquisse une gradation ascendante (Bonhomme 1998 : 45-46), c’est-à-dire une progression croissante dans la précision temporelle. L’entreprise répond à l’exigence de partage des informations requis comme facteur de réussite de la Relation Client (Mansencal Michel Meurot 2007 : 10). Cette stratégie qui consiste à faire virtuellement entrer le client dans l’entreprise est récurrente dans la lettre commerciale. L’incise « , avec l’accord de notre Directeur Commercial, » qui figure dans le corps de la lettre (3ème paragraphe) peut d’ailleurs être interprétée en ce sens. Le client dispose d’une information sur le fonctionnement de l’entreprise, ce qui permet à celle-ci de garantir le sérieux de la proposition en tant qu’elle résulte d’une procédure professionnelle et de réduire la distance en proposant un rapport de places moins distancié, fondé sur la confiance. Cette valeur est reprise dans le corps de la lettre et dans la péroraison. En revendiquant une valeur qui est chère aux membres d’une communauté et qui apparait fondamentale dans la construction d’une relation de proximité, l’entreprise construit une image positive d’elle-même et de la relation qu’elle ambitionne de créer. Le recours récurrent à un paradigme restreint de valeurs fortes empruntées à la relation de couple participe de la construction d’une identité stable de l’entreprise.
Le deuxième paragraphe de l’exorde introduit le principe général communément admis sur lequel repose l’argumentation : « Nous profitons de cette occasion pour remercier certains de nos clients, qui au vu de leur profond attachement à La Redoute et de leurs commandes, ont participé à notre activité… ». Cet énoncé repose sur le topos : ‘plus le client est fidèle, plus il est remercié’. Il établit un lien entre une valeur, la fidélité, et un acte annoncé, le remerciement. Ce principe admis, qui permet à l’entreprise de se construire une identité fondée sur des valeurs comme la fidélité et la reconnaissance, est utilisé pour garantir le bien fondé de la démarche et la conclusion qui suit : « C’est donc en toute logique que votre nom, Madame XXXXX, a été retenu. »
Cette première partie se construit de façon à cibler progressivement le destinataire de la lettre et à construire le lien entre ce topos, le fonctionnement de l’entreprise et le cas particulier de la cliente. Le segment introduit par le déterminant indéfini, « certains de nos clients » est sujet du syntagme verbal « ont participé à notre activité ». Les critères servant à déterminer la participation de la cliente sont annoncés par anticipation grâce à la proposition subordonnée relative positionnée en incise. Ces critères jouent sur les deux dimensions de l’échange commercial : la dimension affective en premier lieu par le biais du syntagme stéréotypé profond attachement et la dimension transactionnelle incarnée par « commandes ». Ces deux isotopies traversent l’ensemble de la lettre et reposent sur des combinaisons lexicales contraintes. La dimension affective apparaît dans le corps de la lettre et dans la péroraison par le biais de la locution verbale témoigner sa confiance, du nom plaisir, de l’adjectif heureux et des verbes apprécier et profiter.
Cet énoncé et l’enchaînement qu’il induit reposent donc sur l’idée que seuls les meilleurs clients, selon les critères annoncés, sont remerciés. La ponctuation suspensive instaure quant à elle une connivence avec le lecteur et prépare la valorisation attendue de la cliente-destinataire : se produit un effet de zoom progressif par le passage d’un déterminant indéfini au pluriel certains de nos clients à une deuxième personne votre nom, Mme XXXXX. Le connecteur donc présente la sélection de la cliente comme une conclusion naturelle : il est relayé par l’adjectif logique qui est accentué par l’opérateur « toute » et la structure présentative introduite par c’est … que. Le présentatif met ainsi en valeur le résultat de la procédure présenté comme imparable car rationnel. L’utilisation de la forme passive permet d’une part de poursuivre l’ancrage de la démarche dans le réel en accentuant son caractère procédural et d’autre part de procéder à un effacement temporaire du locuteur au profit de la cliente qui devient sujet du verbe : la désignation métonymique de la cliente votre nom est complétée par l’incise , Madame XXXXX qui permet au locuteur de nommer directement la cliente pour répondre à l’exigence de personnalisation requis dans la démarche de Relation Client. Cette incise peut s’interpréter comme une réponse à la standardisation soupçonnée2 des courriers commerciaux, d’autant plus que l’énoncé est typographiquement mis en relief par l’utilisation d’une police de style grasse.
Le corps de la lettre reprend le topos initial de la fidélité récompensée en apportant la preuve concrète de son adéquation avec le cas particulier de la cliente :
En effet, vous nous témoignez votre confiance depuis 14 années et vos récents achats ont montré votre intérêt pour nos collections. Aussi, avec l’accord de notre Directeur Commercial, je suis heureux de vous envoyer aujourd’hui vos chèques Participation.
Ce topos est complété par un second principe qui veut que la validation d’un argument s’opère par l’apport de preuves. La crédibilité de la démarche est ainsi assurée.
Le connecteur en effet, qui inaugure le corps de lettre, appuie la structuration de celle-ci : il annonce au lecteur un développement de ce qui précède. C’est dans le corps de la lettre que la cliente devient pour la première fois sujet réel d’une action, et non plus sous une forme métonymique. C’est à ce stade également que la cliente devient en quelque sorte propriétaire des deux dimensions de l’échange commercial signalées précédemment : votre confiance pour l’isotopie relationnelle et vos récents achats pour l’isotopie transactionnelle. Ces deux réseaux sémantiques coordonnés sont transférés à la cliente : ce transfert symbolise le partage et la création d’un univers commun aux deux partenaires. Dans ce même énoncé, le complément circonstanciel de temps depuis 14 années représente pour l’entreprise le moyen d’utiliser les informations contenues dans le fichier individuel et de prouver la personnalisation du lien. Cette partie est d’ailleurs mise en valeur typographiquement par l’utilisation d’une police grasse qui suggère une hiérarchie entre cet argument et le suivant : elle prépare la suite de la phrase qui est coordonnée et qui est, dans sa généralité, transposable à d’autres lettres et à d’autres clientes. L’accent visible et informatif prend ainsi le pas sur la suite de l’énoncé qui est plus général et stéréotypé. De ce point de vue, cet énoncé peut symboliser la démarche globale de la Relation Client : introduire une personnalisation en montrant que celle-ci prime sur le discours standardisé.
C’est au terme de ce paragraphe qu’apparaît la première personne du singulier qui renvoie au scripteur et signataire de la lettre « J.P Parent ». L’accent est mis sur la relation interpersonnelle concrète : il s’agit alors d’ancrer la lettre dans la réalité en associant le client au moment de l’énonciation aujourd’hui et en restituant un acte professionnel envoyer dont il est l’objet et qui est pris en charge par un je humanisé (heureux). L’incise qui précède le je alimente la dimension contractuelle de l’échange en cadrant l’acte dans sa dimension professionnelle et collective. Elle relaie l’idée de transparence précédemment soulignée.
C’est à ce stade que l’offre est désignée : il s’agit de vos Chèques Participation. Le déterminant possessif marque l’appartenance et donc la personnalisation de l’offre. La désignation de l’offre par le syntagme figé Chèques Participation positionne le client en partenaire bénéficiaire de l’entreprise. Elle participe de la stratégie d’abolition du rapport de places client-entreprise. Dans le vocabulaire économique et juridique, la participation est une forme d'intéressement que reçoivent les salariés en fonction des résultats de leur entreprise et proportionnellement à leur rémunération. La désignation de l’offre esquisse donc un rapport de places interne à l’entreprise : le client est institué en acteur des performances de l’entreprise comme cela est revendiqué dans les principes généraux de la démarche Relation Client (David 2001 : 9). De plus, le choix des modalités de l’offre institue le client en bénéficiaire de chèques de telle sorte que le rapport de places s’en trouve inversé ou pour le moins rééquilibré. Ce n’est plus, momentanément du moins, le client qui adresse un chèque à l’entreprise.
Ce syntagme figé apparaît dans la zone paratextuelle réservée à la mention de l’objet : Objet : versement des chèques participation.
Il s’agit en effet du versement des et non de chèques participation. Le choix du déterminant est significatif : le déterminant laisse entendre que les chèques participation ont été dénombrés, définis et attribués, ce qui est cohérent avec la procédure professionnelle utilisée dans l’exorde.
Le deuxième paragraphe du corps de la lettre débute par un effet d’oralité, procédé récurrent dans le corpus recueilli :
Vous allez le voir, Madame XXXXX, ces chèques sont vraiment exceptionnels. Ils sont valables sur toutes les collections Printemps-Eté et Automne-Hiver, même dans les boutiques Linge de Maison et Equipement de la maison que vous appréciez tant et vous choisissez celui qui convient le mieux à vos envies ou besoins du moment.
Ce paragraphe semble construit de façon à lutter contre une croyance collective qui voudrait que l’offre proposée est en réalité la même pour toutes les clientes et que la personnalisation n’est qu’un leurre. Plusieurs éléments sont remarquables :
Le futur proche, Vous allez le voir, crée d’emblée une connivence en ce qu’il anticipe et prédit la nature de l’évaluation future de l’offre par la cliente. Il oriente le lecteur en le préparant à adhérer au jugement évaluatif porté sur l’offre. L’opérateur argumentatif vraiment vient compléter le syntagme verbal apposé et authentifier par anticipation le qualificatif exceptionnels. De manière générale, les adverbes de « commentaire phrastique » (Riegel Pellat Rioul 1994 : 379) ont pour fonction de modaliser une phrase et de préciser « le degré de réalité que le locuteur assigne au contenu propositionnel du reste de la phrase […] ou l’évaluation qu’il en fait » (Riegel Pellat Rioul 1994 : 379). Vraiment appuie le jugement de l’émetteur porté sur l’offre et sert l’image de sincérité qu’ambitionne de développer l’entreprise. Les opérateurs toutes et même et et viennent confirmer ce jugement en positionnant l’offre au summum de l’échelle argumentative figurant les possibilités offertes. L’incise, , Madame XXXXX, est à associer à la proposition subordonnée relative que vous appréciez tant : en effet, elle rappelle le titre et l’identité nominative de la cliente jouant à la fois sur le respect d’une distance et la personnalisation, et la subordonnée témoigne de la ‘connaissance client’ dont est détentrice l’entreprise. Cette information apparaît sur un plan à la fois syntaxiquement détaché et intégré à l’énoncé. La Relation Client se révèle à la fois naturelle et personnalisée.
À ces éléments s’ajoute l’utilisation abondante de la deuxième personne du pluriel comme cela est prescrit dans les manuels de Relation Client. Le paragraphe se clôt sur l’appel à une valeur fondamentale de notre société, la liberté. Cette valeur est incarnée par le verbe choisir pris en charge par la deuxième personne, par l’étendue de l’offre accentuée par l’opérateur de quantité toutes combiné à même qui construit un effet d’enchérissement, et par les possibilités d’adéquation optimales (le mieux) entre les modalités de l’offre et le contexte de réception dans la sphère de la cliente. Le syntagme vos envies ou besoins du moment joue sur l’idée d’adaptabilité de l’offre en articulant, par le biais du connecteur ou, les registres de la passion (envies) et de la raison (besoins).
Le Post Scriptum relaie la présentation de l’offre contenue dans le corps de la lettre :
PS : Et pour vous prouver notre reconnaissance, bénéficiez d’une offre inédite sur la collection Printemps-Eté 2009 : -20% sur TOUT le sport, le Petit Electroménager, le Gros Electroménager, l’Image & Son et le Plein Air.
Il est porteur d’une seconde offre valorisée par le qualificatif inédite et développée sous la forme d’une énumération. L’opérateur argumentatif TOUT, détaché sur le plan typographique par le recours aux majuscules, reprend l’opérateur déjà présent dans le corps de la lettre et la valeur liberté. Cette valeur est articulée dans un rapport de finalité : l’offre – et la valeur liberté – devient le moyen de la finalité prouver la reconnaissance. Dans la Grammaire du Français Contemporain, il est mentionné que pour, dans le cas des « circonstancielles décrivant une perspective » (Riegel Pellat Rioul 1999 : 510) peut être utilisé dans une construction infinitive obligatoire « quand les sujets sont coréférentiels » (Riegel Pellat Rioul 1999 : 511). Or ce n’est pas le cas, l’infinitif dissimule un sujet à la première personne alors que la principale héberge un sujet à la deuxième personne de l’impératif présent. La première personne, qui renvoie à l’instance émettrice, est présente par le déterminant possessif accolé à la valeur reconnaissance et l’instance réceptrice est instituée en sujet par la désinence verbale. L’instance réceptrice devient acteur de la relation en qualité de bénéficiaire de l’offre et de la reconnaissance adressée par l’instance émettrice.
Dans le corps de la lettre, le stéréotype implicite de l’achat inutile, coûteux, aléatoire et contraint est balayé par une description valorisante de l’offre, plus ou moins développée, qui est mise en scène dans un énoncé rythmé par l’énumération, la gradation, la proposition subordonnée et les connecteurs. La transformation de la représentation de l’achat s’opère par l’intermédiaire d’un contre-discours latent issu d’une doxa que la Relation Client ambitionne de retravailler. Cette nouvelle représentation de l’acte d’achat est conditionnée par l’ethos de l’entreprise construite dans l’exorde : celle-ci se montre en effet soucieuse de récompenser un comportement d’achat en proposant une offre ciblée sur les centres d’intérêts de la cliente.
La valeur fidélité qui était jusqu’alors suggérée est clairement nommée dans la péroraison traditionnellement chargée de récapituler le propos et d’achever de convaincre. Le principe admis présenté dès l’exorde est ainsi reformulé et synthétisé : « Croyez-moi, Madame XXXXX, votre fidélité méritait bien une telle offre. ». La marque dialogique croyez-moi relaie l’effet d’oralité (vous allez le voir) qui inaugure le paragraphe précédent. Cet ajout semble anticiper un principe commun de mise en doute ou de méfiance vis-à-vis du discours commercial. Ce marqueur combat un contre-discours qui pourrait naître de la description méliorative et hyperbolisée de l’offre. Le je qui était absent du précédent paragraphe se réaffirme ici de façon à poursuivre l’ancrage de la lettre dans le réel. Il est relayé par l’incise de personnalisation, Madame XXXXX. L’opérateur anaphorique telle renvoie à la nature et à la qualité de l’offre et valorise celle-ci en créant un lien proportionnel avec la valeur fidélité. Cette valeur s’en trouve elle-même valorisée par un effet de ricochet. De plus, cet opérateur transporte le point de vue de l’émetteur sur l’offre et donc sur la cliente. Ces éléments compensent en quelque sorte la suite de l’énoncé qui prend une forme très générale : « Au nom de toute l’équipe de La Redoute, je vous remercie de votre confiance et je vous laisse au plaisir de profiter de vos Chèques Participation. ». La réutilisation du syntagme synthétisant l’offre constitue la seule trace de personnalisation de l’énoncé. Il semble que la personnalisation ne puisse être perçue qu’en faisant entaille avec une forme stéréotypée.
3.2. Stéréotypes, objet du discours et rapport de places
3.2.1. Schématisation de l’objet du discours
La lettre commerciale personnalisée « contient une argumentation structurée sur l’offre commerciale proposée » (Garnier et Roussel 2007 : 92). Cet énoncé extrait d’un manuel de Relation Client peut générer deux interprétations : la préposition sur implique certes que l’offre commerciale est centrale pour le projet argumentatif mais également que l’argumentation ne se restreint pas à l’offre et ses caractéristiques concrètes.
La schématisation (Grize 1990) de l’offre, c’est-à-dire le processus par lequel l’instance émettrice active une partie des propriétés de son objet, passe nécessairement par les modalités de sa désignation et de sa description. Dans les lettres qui composent le corpus, l’offre est toujours désignée par une séquence figée : Offre multi-avantages ‘Spécial Emménagement’, avantages ‘spécial nouvelle collection’… La séquence d’apparence figée qui synthétise l’offre oriente d’emblée sur l’argument – un emménagement, une nouvelle collection – présenté dans l’exorde. En effet, avant d’être définie, l’offre peut être présentée comme résultant d’une procédure professionnelle : procédure de sélection en fonction de valeurs comme la fidélité, examen du dossier de la cliente, bilan de l’activité commerciale de l’entreprise sont utilisés pour justifier la proposition et la nature de l’offre. Le client devient co-producteur de l’offre dans la mesure où il y est associé. Dans d’autres cas, et comme le montrent les deux exemples suivants, ce sont des évènements réguliers qui sont réutilisés annuellement, comme la rentrée scolaire, les fêtes de fin d’année, l’anniversaire de la cliente ou des évènements plus ponctuels, comme un déménagement repéré après signalement d’un changement d’adresse :
J’ai le plaisir de vous annoncer que vous êtes bénéficiaire de notre allocation ‘Rentrée 2008’. Cette allocation vous a été attribuée après analyse de votre compte client. En effet, au regard de vos commandes récentes et de vos 14 années de fidélité, il m’a paru tout à fait normal de vous adresser cette allocation. D’autant qu’à cette période de l’année, notre budget est souvent malmené … et qu’un petit coup de pouce est toujours le bienvenu. (25/07/08)
Vous venez d’emménager… et j’espère que votre installation s’est déroulée dans les meilleures conditions […]. Pour vous faciliter la vie dans ce moment particulier, La Redoute vous propose aujourd’hui une solution unique et personnalisée, l’offre multi-avantages ‘Spécial Emménagement’. (20/11/08)
Enfin, des problématiques de la société contemporaine comme la question du pouvoir d’achat peuvent venir justifier la proposition commerciale :
Le pouvoir d’achat est au cœur de l’actualité : revendications contre sa baisse ou plans d’action pour l’augmenter… Ce qui est sûr c’est que, tous, nous voulons un meilleur pouvoir d’achat, synonyme de vivre mieux ! […] C’est pourquoi nous avons décidé de participer, à notre façon, à cette cause qui nous concerne tous […] Alors, Madame XXXXX, c’est plus que jamais le moment de dire oui à l’augmentation de votre pouvoir d’achat en profitant de nos prix les plus bas ! (27/10/08)
Le paradigme de ces justificateurs de contacts s’avère assez restreint mais ceux-ci restent toujours pertinents en vertu de l’adéquation qui est construite entre le contexte, le fonctionnement de l’entreprise et le profil de la cliente. L’empreinte doxique importante que revêt ce paradigme favorise la création d’un univers commun et une connivence entre les deux instances : il légitime les besoins et surtout l’acte d’achat en pointant par exemple une situation embarrassante pour le client et en faisant de l’offre une solution. En effet, ces « évènements » valorisent l’offre dans la mesure où celle-ci est construite comme une réponse au problème rencontré par la cliente ou aux dépenses générées. Au final, en brandissant ces évènements dans l’exorde et en se fondant sur un terrain à la fois doxique et personnalisé, l’offre génère plus les besoins qu’elle n’y répond. Le lien progressif qui se construit entre l’évènement stéréotypé, l’instance émettrice humanisée et l’effet de zoom sur la cliente participe de cette démarche relationnelle de proximité.
D’un point de vue textuel, le processus de légitimation de l’offre présent dans l’exorde, dans la première partie du corps de lettre, et repris dans la péroraison, occupe une place bien supérieure à l’offre en elle-même. Ceci laisse penser qu’il s’agit d’une étape clé pour la construction de la Relation Client. La description de l’offre apparaît tardivement, dans la seconde partie du corps de la lettre. Si l’offre doit nécessairement être présente dans la lettre en tant qu’elle constitue l’objet du discours ratifié par les partenaires, elle est textuellement cloisonnée et présentée le plus souvent en deux temps. Le second paragraphe du corps de la lettre est consacré à une description schématique des modalités concrètes de l’offre : celle-ci est en effet toujours présentée dans des énoncés à la fois rythmés, condensés et personnalisés. Cette description est généralement complétée dans la péroraison, un Post Scriptum ou dans une mention pseudo-manuscrite. L’offre apparaît donc stratégiquement confinée, ce qui lui assure une visibilité. Une mécanique textuelle structurée sur l’offre se déploie et participe de la stéréotypie de la lettre commerciale. Ce constat est cohérent avec la Relation Client et ses exigences de lisibilité, de proximité et de transparence.
Globalement, la schématisation de l’offre se construit sur un terrain polyphonique : elle prend appui sur une contre-représentation de l’offre, communément considérée comme une offre fallacieuse dont l’entreprise est bénéficiaire au détriment du client victime. La description stéréotypée, c’est-à-dire partielle et ramassée, qui est proposée tire également son efficacité du recours à des valeurs de la société comme la liberté, le bonheur et le bien-être d’une part et de l’introduction d’outils d’ancrage et de personnalisation d’autre part. Elle bénéficie ainsi d’un défigement partiel ce qui facilite sa validation par le lecteur et participe d’une levée de soupçon : l’offre n’est ni trompeuse ni trop belle, elle correspond aux envies, aux besoins et aux valeurs de la cliente.
Ainsi, au fil des documents reçus à intervalle régulier par la cliente, les modalités linguistiques, rhétoriques et textuelles de la construction de l’offre installent celle-ci dans une stéréotypie qui participe de la définition de la lettre commerciale inscrite dans une démarche de Relation Client.
3.2.2. Un rapport de places stéréotypé au service d’une construction identitaire
Dans les lettres du corpus convoqué, la centralité de la proposition commerciale induit un macro-rapport de places transmetteur/bénéficiaire d’une offre. La reconduction systématique de ce macro-rapport de places contribue à la régulation du discours commercial.
La Relation Client impose que ce rapport de places stéréotypé soit coloré, mais le macro-acte de langage directeur ratifié contraint fortement le paradigme des images de soi et de l’autre. C’est la scénographie (Maingueneau 2005) construite dans chaque courrier qui va donner corps à ce macro-rapport de places.
Pour ce qui concerne le pôle de l’instance émettrice, les énoncés portent différents outils qui vont permettre à celle-ci de répondre aux exigences de la Relation Client en acquérant une certaine identité : il en va ainsi du jeu, repéré dans la lettre précédemment analysée, sur le caractère multiple de l’instance émettrice et de la dissociation entre la troisième personne et la première personne. En entretenant un contraste entre le je renvoyant au scripteur nominativement identifié et le il c’est-à-dire La Redoute ou un membre de l’entreprise, l’énoncé injecte une dimension interhumaine à la relation. Cette dimension est entretenue par le contraste entre les deux isotopies sémantiques dominantes : l’isotopie transactionnelle – commande, collections, achats… - et l’isotopie relationnelle – plaisir, heureux, profond attachement… Ces deux isotopies sont orientées de façon à créer une zone de partage par le biais des déterminants possessifs de première et de deuxième personne. Cette humanisation de la relation transite également par le biais des images de l’instance émettrice : en effet, les énoncés construisent l’image récurrente d’une entreprise humaine, sensible et sincèrement soucieuse de proposer des solutions adaptées au quotidien de ses clients. Ses actions apparaissent gouvernées par des valeurs consensuelles comme la solidarité, la compassion, l’altruisme ou encore la bienveillance. Ce paradigme récurrent et restreint d’images participe de la nécessaire construction d’une identité humaine et stable de l’entreprise.
Pour l’instance réceptrice, la démarche de proximité et de personnalisation du discours qui entaille le rapport de places stéréotypé repose sur des marqueurs linguistiques et syntaxiques : l’utilisation des pronoms personnels et déterminants possessifs de deuxième personne, la mention à plusieurs reprises de la combinaison Titre + patronyme, le recours à des incises, des subordonnées, des compléments circonstanciels sont destinés à valoriser le client et à lui construire une identité ponctuelle reposant sur l’adéquation entre l’offre, le contexte et la ‘connaissance client’ que l’entreprise a acquise. Cette construction identitaire repose également sur un déploiement de différentes images de l’autre véhiculées dans les énoncés : selon les cas, le client devient professionnel, conseilleur, méritant, prévoyant… C’est l’évènement justificateur de l’offre qui va prédéterminer la nature des images. Au fil des courriers reçus, ce paradigme restreint des images de soi et de l’autre va donc constituer celles-ci en stéréotypes cohérents avec la démarche relationnelle. Dans cette perspective, M. Molin, historien, formule un lien entre stéréotype, images et régulation sociale :
en outre, leur ambivalence (capacité d’éducation et d’intégration mais aussi potentialité de réduction) en fait bien des outils de régulation sociale, dans la mesure où leur utilisation dans les différents modes de discours, écrit, oral ou artistique, contribue à façonner une image de soi et de l’autre, que celui-ci soit individu ou communauté, qui sert ensuite à construire les rapports entretenus avec lui dans le cadre d’une société ou des valeurs d’une civilisation (Molin in Grandières et Molin 2003 : 283).
Ces différents marqueurs de personnalisation du discours créent une polyphonie si bien que le rapport de places initial transmetteur/bénéficiaire d’une offre constitue le socle sur lequel va se construire une nouvelle norme relationnelle entre l’entreprise et le client. Ce rapport de places stéréotypé garantit le cadre antérieur connu et sécurisant de la dimension transactionnelle de l’échange commercial tout en accueillant cette nouvelle norme. Ce rapport de places, et le type de relation qu’il induit, est donc à la fois conservé et réinvesti au service de la Relation Client : la nouvelle identité des partenaires se négocie sur ce socle. Ainsi, la reconduction du rapport de places imposé par le contrat de communication facilite la mise en place et le maintien d’un nouveau mode relationnel fondé sur la proximité.
Conclusion. La stéréotypie constitutive de la Relation Client
Cette contribution espère avoir montré qu’un usage stratégique du stéréotype, sous diverses formes, constitue un paramètre nécessaire aux ambitions de fidélisation affichées dans le cadre de la Relation Client. En effet, le stéréotype, considéré d’un point de vue linguistique et rhétorique, permet globalement de retravailler les représentations associées au commerce et aux relations entreprise-client. Le stéréotype n’est donc pas étranger à la démarche de Relation Client puisque dans ce cadre, il s’agit d’utiliser les stéréotypes antérieurs où la dimension transactionnelle domine et de construire, sur cette base, de nouveaux stéréotypes introduisant la dimension relationnelle. Ceci tient aux propriétés de régulation que détient le stéréotype : comme le remarque M. Grandières, « Le stéréotype agit alors comme un outil de régulation dans une société, ayant ce qu’il faut de connu et de stable pour ne pas émouvoir et inquiéter, et de souple pour accueillir la nouveauté et l’adapter. » (Grandières et Molin 2003 : 10). La Relation Client, en tant que démarche sur le long terme, doit nécessairement créer ses propres stéréotypes. La récurrence des courriers et des procédés utilisés pour créer la proximité contribue à instituer la démarche de Relation Client en nouvelle norme du commerce de Vente à Distance. La stabilité de la Relation Client dépend notamment de la capacité du discours à jouer et à se jouer des stéréotypes.
La situation de communication et l’acte de langage directeur offrent peu de possibilités si bien que la Relation Client est contenue dans un nouveau paradigme restreint de stéréotypes. Il ne s’agit pas pour autant de penser cette restriction en termes de pauvreté du discours : celle-ci est résolument nécessaire en ce sens qu’elle facilite l’établissement d’une identité stable pour l’entreprise, le client et la relation à entretenir.
Pour être perçue, la démarche d’individualisation doit entailler visiblement le format standardisé du courrier. Toutefois, les marqueurs de la relation interindividuelle qui fonctionnent comme des outils de « déstéréotypisation » visible du discours, restent très limités et localisés. Et en définitive, seule la mention de l’identité du destinataire garantit véritablement la communication en « one to one » (Mansencal Michel Meurot 2007). Il semble donc que la lettre commerciale inscrite dans une stratégie Marketing globale procède davantage d’une personnalisation que d’une individualisation du discours : relation interpersonnelle n’est donc pas à confondre avec relation interindividuelle. Et l’irrémédiable stéréotypie du discours commercial de Vente Par Correspondance permet justement et heureusement à cette frontière de se maintenir. En d’autres termes, le recours aux informations disponibles dans chaque fichier client génère un discours personnalisé et une Relation Client de proximité, mais elle ne peut se substituer à une relation interindividuelle. ‘Information’ et ‘synchronisation du discours’ ne sont pas synonymes de ‘relation’. Dans le cas spécifique de la Vente Par Correspondance, la Relation Client ne peut que se limiter à la recherche d’une proximité qui va pallier partiellement le manque de contact physique. En cela, les stéréotypes qu’elle génère participent de la Relation Client mais simultanément ils garantissent une irréductible distance nécessaire à la conservation des frontières relationnelles et identitaires.