Corps silencieux, corps burlesques

Résumés

Cet article cherche à montrer comment la tradition des esthétiques silencieuses s'est déplacée au XXe siècle dans l'expression du corps. Il s'intéresse particulièrement au corps érotique. Après avoir montré comment la présentation érotique du corps silencieux correspondait à un silence triplement imposé au sujet féminin, il cherche comment la singularité de l'art burlesque pourrait permettre de penser un autre silence du corps féminin.

This paper intends to demonstrate how silent aesthetics have been expressed through the body during the 20th century. Our analysis highlights more particularly the erotic body. Having proved how the erotic presentation of the silent body implied a silence imposed upon the female subject, this study seeks in comic art a way to think another form of silence for the female body.

Plan

Texte

Parce qu’il est identifié à l’expression d’un absolu qui dépasse la parole humaine quotidienne, le silence est compris, dans la tradition poétique moderne, comme ce qui n’a pas de corps. Comme la danseuse de Mallarmé, qui n’est « pas une femme qui danse » notamment « parce qu’elle n’est pas une femme, mais une métaphore résumant un des aspects élémentaires de notre forme » (Mallarmé, 2003 : 201), le corps silencieux n’est pas un corps parce qu’il se résume dans l’idée dont il est l’expression. Il y a là une idée forte qui structure une bonne partie du système des arts. Et pourtant, les expressions silencieuses aux XXe et XXIe siècles sont envahies de corps qui font retour comme un refoulé et prennent des formes et des qualifications diverses. Il faudrait faire un catalogue complet, mais on peut déjà tenter une rapide typologie en s’appuyant sur les catégories définies par Vladimir Jankélévitch pour caractériser ce qui dépasse l’expression verbale (Jankélévitch, 1983 : 92-93) : les corps souffrants, malades, mourants, finissent par délaisser la parole et par choisir le cri qui est au-delà ou à côté du langage et permet d’articuler ce que les mots ne peuvent pas dire – ils conduisent ainsi vers une figure de l’indicible1 ; les corps érotiques, frémissants de désir et de plaisir, s’expriment directement dans un langage qui là encore se passe de mots – un silence ineffable que les expressions silencieuses doivent s’efforcer de toucher. Bien entendu, ces expressions ne sont pas silencieuses au même sens du terme : il y a bien du bruit dans le cri, il y a bien des soupirs dans le plaisir. Cependant, l’histoire du « silence » dans la civilisation occidentale nous apprend que le terme est utilisé avec une plasticité constante : le silence peut certes être privation de tout bruits, mais il peut aussi être sonore, comme le « silence de la forêt », métaphorique, comme le silence des grands espaces ou la musique silencieuse (Garric, 2015 : 88-90). L’esthétique silencieuse a joué de cette plasticité pour assimiler, de façon tout à fait fallacieuse, il faut bien le reconnaître, les différentes formes de silence. L’idée des « corps silencieux » provient directement de cette plasticité. Ces corps, ainsi, bien que relativement nouveaux dans l’histoire du silence2, rejoignent le système esthétique traditionnel où le silence fonctionne comme une forme de dépassement et de ce fait de distinction. Selon une stratégie courante dans l’histoire des expressions silencieuses (Garric, 2015 : 52-60), le langage (qu’il soit poétique, pictural, musical, pantomime, cinématographique), en mettant en scène son propre dépassement (il cesse d’être langage puisqu’il est silence) confère une distinction dans le champ culturel et social. Mais au lieu d’associer cette distinction à un oubli du corps dans l’idéalité, comme le faisait couramment le XIXe siècle, le XXe siècle associe intimement les corps, le silence et la distinction. Je propose ici une première approche, encore exploratoire, de ce grand mouvement qui est venu apporter à la question traditionnelle du silence une nouvelle coloration, en mettant le corps au centre de ses préoccupations.

1. Deux versions du silence dans les expressions silencieuses

Quand il revient réflexivement, dans Voix écrite, sur sa pratique de l’écriture dans ses témoignages autobiographiques et ses romans, Patrick Autréaux réarticule les principes de l’expression silencieuse héritée du XIXe siècle et donne ainsi un exemple archétypal de la façon dont l’esthétique silencieuse peut assimiler le corps malade à un « corps silencieux ». L’écriture du corps malade et souffrant, qui a fait le succès de son œuvre, est explicitement reliée au « silence » :

Il m’avait permis d’entrevoir qu’écrire était une façon de s’efforcer, par le langage, de rejoindre ce qui échappe au langage, d’accueillir ce qui se tait et qui est l’être vivant sous les mots, ce corps muet, réinventé par eux. Mes premiers livres avaient tenté justement de manifester cela. Un infans qui n’était pas seulement l’enfant d’avant le langage, mais ce corps portant le sans-mots de la douleur, de l’extase, de l’orgasme, de ces expériences auxquelles j’avais cherché et cherchais encore à donner une forme écrite, des mots qui dessineraient mon corps invisible. C’est cet informe en moi, silencieux, qui avait parlé si bruyamment quand j’avais été malade, puis quand mon cœur s’était détraqué. (Autréaux, 2017 : 81)

Le corps de l’orgasme comme le corps de la douleur ne sont pas concrètement des « corps silencieux » : le cri de l’orgasme comme le râle du malade sont au contraire très bruyants. Mais Autréaux réactive ici en qualifiant ce corps de « corps silencieux », les lieux communs qui ont, tout au cours du XIXe siècle, mélanger les différents sens du terme « silence ». Cette assimilation lui permet de rapprocher immédiatement une réalité physique (le « corps silencieux ») et une expression artistique (la littérature, comprise comme expression de ce qui échappe au langage, et ainsi, comme « expression silencieuse »). Il rassemble ainsi dans ce passage tous les éléments qui construisent l’esthétique silencieuse héritée du XIXe siècle : l’écriture est cette expression silencieuse qui « par le langage [rejoint] ce qui échappe au langage » et qui, pour cela, s’identifie au silence. L’écriture du témoignage de la maladie donne une forme concrète à ce paradoxe (« cet informe […] silencieux, qui avait parlé si bruyamment »), en visant le corps malade – et ce corps devient la figure même du silence où se rejoignent à la fois la souffrance et l’érotisme (« le sans-mots de la douleur, de l’extase, de l’orgasme »). Or cette expérience de l’écriture touchant le corps silencieux ne se contente pas de construire une éthique du témoignage face à la maladie : elle rattache l’écriture à une tradition supérieure qui oppose la littérature véritable et le langage superficiel :

Cette conférence au bord des rives du lac Michigan m’engageait à questionner d’une manière nouvelle ce que pouvait signifier la littérature, ce qu’elle pouvait être : non pas une masse indistincte, matière à études, cette somme de livres, ce royaume encombrant et imaginaire, plus ou moins inutile à la plupart des gens, mais ce qui permettait à des expériences, ne pouvant se reconnaître autrement, de se rejoindre. […] Cette voix silencieuse peut incarner une présence à nos côtés, qui ne nous dupe pas, ne donne pas l’impression d’être floués, dépossédés de soi-même.

Avec une telle attente, il m’était difficile de tolérer ceux qui ne prenaient pas de risques. Ceux à qui manquait le je ne sais quoi. Ceux qui mentaient. Ceux qui trichaient. Tous les profanateurs. (Autréaux, 2017 : 70)

La littérature, en se confrontant à l’expérience du silence (qu’il s’agisse du silence du corps malade ou à l’expérience concentrationnaire qu’Autréaux assimile à un « silence » et qu’il compare à sa propre expérience, en s’abreuvant pendant sa maladie de lectures de témoignages des camps), s’attribuerait ainsi une valeur supérieure. Elle se distinguerait ainsi de cette « masse indistincte » qui compose la littérature, ensemble vague de livres caractérisé par « l’imaginaire ». Cette position élitiste est commune au discours sur le silence. Seulement, on peut constater combien, chez un auteur du début du XXIe siècle, cette mise en avant du silence est liée de façon intrinsèque à la présence du corps. L’infans, ce n’est pas un individu confronté au langage et à son apprentissage, mais c’est le corps lui-même : « ce corps portant le sans-mot de la douleur ».

Ce déplacement du silence vers le corps ne doit pas faire oublier la dialectique que j’ai mise en valeur dans le contexte du XIXe siècle et début du XXe : l’identification pure et simple du silence à une veine exigeante et élitiste, la caractérisation du silence comme un retrait hautain, laisse de côté, écrase une expression silencieuse mineure. En faisant du silence le tout de la vraie littérature, Autréaux effectue, à la suite de bien d’autres, un tour de passe-passe, qui exclut du silence d’autres formes de silence. Puisque nous parlons de corps souffrants, pensons à une bande dessinée contemporaine des premiers livres de Patrick Autréaux, Mister O de Lewis Trondheim. Cette série de gags très simples, présentés pour chacun d’entre eux en une planche de soixante cases carrées, raconte l’histoire de Mister O, un personnage représenté par un simple rond agrémenté de deux traits brisés pour les jambes et de deux traits pour les bras. Dans chaque planche, Mister O cherche à traverser un précipice, par tous les moyens possibles et imaginables : il abat un arbre qu’il couche au-dessus du vide, il essaie de sauter à l’aide de leviers, de se faire propulser par un taureau, d’utiliser des ressorts, de glisser sur une branche couverte de bouse de vache, etc. À chaque fois, non seulement sa tentative est un échec, mais elle est suivie (presque systématiquement) de sa mort. Cette mort laisse entendre une certaine souffrance du personnage, exprimée par une bouche aux commissures tournées vers le bas et laissant apparaître des dents serrées. Cependant, cette souffrance passe justement par un signe stéréotypé, de même que la mort, signifiée par deux étoiles qui remplacent les yeux du personnage. C’est cette simplification – alliée à la simplification du corps en une simple patate ronde – qui modifie radicalement le statut du corps souffrant et mourant : au lieu de provoquer la compassion du spectateur, par une identification au corps humain, elle provoque une distance face à la matérialité accentuée de ce corps. Le gag qui lui est appliqué joue alors à plein : selon la logique du risible expliquée par Bergson, le corps est ramené à sa matérialité par ses échecs à franchir le précipice. Un oiseau sort de l’arbre abattu et provoque la chute de Mister O ; la branche qui devait faire levier se casse et Mister O tombe ; le taureau qui devait le propulser horizontalement l’envoie en l’air et il s’écrase par terre ; les ressorts s’emmêlent ; la bouse le fait glisser jusque dans le précipice, etc. À chaque fois, c’est la pesanteur qui s’impose au corps : pour reprendre les termes de Bergson, « au lieu de participer à la légèreté du principe qui l’anime, le corps [n’est plus] à nos yeux qu’une enveloppe lourde et embarrassante, lest importun qui retient à terre une âme impatiente de quitter le sol » (Bergson, 2007 : 38). Or, dans le cas de Mister O, cette lourdeur embarrassante du corps le mène jusqu’à la mort. L’effet comique, qui crée une distance avec le corps risible en le tirant vers sa matérialité, permet aussi que sa mort apparaisse comme un événement anodin, voire comme un gag. Cet effet est d’autant plus marquant qu’il est soumis à un principe de répétition qui plaque d’autant plus le mécanisme sur le corps qui a cessé d’être vivant.

Dans ce processus, le caractère muet de la bande dessinée n’est pas secondaire. Il est un élément qui complète la simplification des corps : des corps parlants seraient plus évidemment habités d’une âme que ces patates simplifiées sans paroles. Le silence ne peut donc pas être compris comme un caractère qui traduirait unilatéralement un indicible attaché au corps. Il joue aussi un rôle fonctionnel dans le déroulement du gag visuel. Il crée alors le corps burlesque, cet intermédiaire entre le corps humain et la matière qui assure l’effet comique. Dans la confrontation avec le corps silencieux que vise le silence littéraire d’Autréaux, l’existence de ce corps burlesque joue un rôle fondamental : le rappel têtu d’une tradition autre que les corps souffrants et les corps érotiques ne doivent pas faire oublier. Tout l’enjeu d’une réflexion vraiment complète sur le silence dans les expressions du XXe siècle – et donc, puisque le silence au XXe siècle prend une inflexion ostensiblement corporelle, d’une réflexion sur les corps silencieux – est de comprendre comment coexistent ou comment s’affrontent ces deux régimes des corps silencieux.

2. Les corps silencieux des femmes

Il y aurait un travail d’enquête important à faire pour comprendre comment l’esthétique silencieuse est passée d’une position idéaliste où la valorisation du silence allait nécessairement de pair avec une idéalisation du corps (selon la logique de Mallarmé, cité au début de cet article) à cette position où le silence est le langage du corps. Il ne fait aucun doute que le surréalisme joue un rôle important dans cette histoire, de même que le développement de l’érotisme cinématographique. Une telle enquête ne pouvant se déployer dans le cadre d’un simple article, je me contenterai de revenir à un texte connu de Georges Bataille, la préface à Madame Edwarda. Bataille s’oppose violemment au rire qui marque une distance vis-à-vis du corps, qui amène à « rire de ses organes sexuels » (Bataille, 2004 : 317) ; il rejette ainsi évidemment le processus de distance qui est à l’origine du rire burlesque. Il propose à la place un rapport avec le corps où la distance est abolie entre mon corps et le corps autre, et dans le corps entre la joie et la douleur. C’est l’abolition de la distance qui joue dans le rapport érotique. Or cette abolition correspond à l’expérience mystique par laquelle on prononce le nom de Dieu qui dépasse infiniment le langage :

Nous ne pouvons ajouter au langage impunément le mot qui dépasse les mots, le mot Dieu ; dès l’instant que nous le faisons, ce mot se dépassant lui-même détruit vertigineusement ses limites. Ce qu’il est ne recule devant rien, il est partout où il est impossible de l’atteindre : lui-même est une énormité. Quiconque en a le plus petit soupçon se tait aussitôt. […] Mais l’être ouvert – à la mort, au supplice, à la joie – sans réserve, l’être ouvert et mourant, douloureux et heureux, paraît déjà dans sa lumière voilée : cette lumière est divine. Et le cri, que, la bouche tordue, cet être tord peut-être mais profère, est un immense alleluia, perdu dans le silence sans fin. (Bataille, 2004 : 317).

La filiation mystique, et avec elle l’héritage de l’esthétique silencieuse du XIXe siècle, sont flagrants dans la première moitié de ce texte qui réarticule le paradoxe d’un langage s’approchant de ce qui dépasse le langage – paradoxe qui conduit inéluctablement au silence (« se tait aussitôt »). Cependant, la deuxième partie du texte agrège ce silence dépassant les limites du langage au corps « ouvert sans réserve ». Cette ouverture se joue dans des expériences limites, « la mort, le supplice, la joie », et correspond donc à des sensations où se joue un dépassement de soi (« douloureux et heureux »). Elle donne lieu à une expression particulière, le « cri » immédiatement relié à la célébration dans la prière (« alleluia ») et au silence (« perdu dans le silence sans fin »). L’absolu silencieux se trouve ainsi déplacé au cœur du corps particulier. Cependant, il ne faut pas croire que cette installation de l’absolu au cœur d’un individu (Madame Edwarda, en l’occurrence), conserve à l’individu sa particularité. L’ouverture du corps correspond à une désubjectivation : ouverture de moi à l’autre dans laquelle le moi et l’autre se perdent également3. Cependant, dans cette désubjectivation, l’énonciation reste assumée par une figure personnelle et dans le rapport érotique, cette figure personnelle est masculine.

Il y a là un point essentiel qui donne son inflexion au corps érotique silencieux : il est essentiellement un corps féminin. Son silence ne se contente ainsi pas d’être l’ineffable du plaisir – il est aussi silence du corps contemplé. Il ne fait ainsi pas de doute que l’évolution qui érotise le silence au XXe siècle s’appuie sur le stéréotype qui associe les femmes au mystère. Là encore, je n’indiquerai que rapidement des pistes dans le processus qui mène à cette érotisation. Je prendrai en exemple quelques poésies de René Char, sans prétendre qu’ils correspondraient à l’ensemble de sa poétique. Ces poésies m’intéressent au moment où elles s’inscrivent dans un mouvement général des expressions silencieuses au XXe siècle. L’association du silence à la poésie se retrouve régulièrement dans les poèmes de Char. De ce point de vue, il s’inscrit pleinement dans la lignée de l’esthétique silencieuse du XIXe siècle. Ainsi, quand il présente ainsi le créateur : « L’homme qui s’épointe dans la prémonition, qui déboise son silence intérieur et le répartit en théâtres, ce second est le faiseur de pain. » (Char, 1982 : 19), René Char se rattache à l’identification traditionnelle de la « parole intérieure » à un silence que l’écrivain (ou le poète) doit amener à une écriture qui (« le répartit en théâtre »), mais sans le trahir, en lui laissant sa valeur silencieuse. De même, quand, dans Les Feuillets d’Hypnos, le poème témoigne « presque silencieusement », se donne comme « parole du plus haut silence » (Char, 1982 : 90), il reprend l’idée d’une parole muette qui dépasserait le langage ordinaire. Or ces notations plutôt traditionnelles sont associées à des caractérisations du corps de la femme. Ces caractérisations peuvent renvoyer à l’ineffable du plaisir : « Je n’entends plus, montant de la fraîcheur de mes souterrains le gémir du plaisir, murmure de la femme entr’ouverte » (Char, 1982 : 100). Le corps de la femme est caractérisé comme chez Bataille par son ouverture au moment du plaisir – et cette ouverture se traduit par une expression « presque silencieuse », « le gémir du plaisir, murmure ». Il n’est pas indifférent que, dans le contexte des Feuillets d’Hypnos, ce langage murmuré puisse être compris comme une allégorie de la poésie : dans les temps de guerre que vit alors Char, la poésie s’est absentée, et le poète « n’entend plus » dans sa solitude, monter la voix de la poésie, parce qu’il se consacre à une autre forme d’action. Or justement, la poésie est allégorisée par le corps de la femme et son langage à peine articulé. Le corps féminin est ainsi placé dans une triple position de soumission au langage poétique masculin : seul est montré le plaisir féminin, objectivé dans l’acte sexuel et séparé du plaisir masculin ; le corps ne parle que dans un murmure inarticulé auquel le poète va donner sa forme articulée (quand bien même il s’agirait d’une poésie silencieuse) ; enfin, ce corps n’a pas d’existence concrète puisqu’il n’est que l’allégorie de la poésie.

On retrouve cette situation dans les poésies qui font du corps féminin l’objet du regard désirant de l’homme. Ainsi, dans « Congé donné au vent » :

À flancs de coteau du village bivouaquent des champs fournis de mimosas. A l’époque de la cueillette, il arrive que, loin de leur endroit, on fasse la rencontre extrêmement odorante d’une fille dont les bras se sont occupés durant la journée aux fragiles branches. Pareille à une lampe dont l’auréole de clarté serait de parfum, elle s’en va, le dos tourné au soleil couchant.

Il serait sacrilège de lui adresser la parole.

L’espadrille foulant l’herbe, cédez-lui le pas du chemin. Peut-être aurez-vous la chance de distinguer sur ses lèvres la chimère de l’humidité de la Nuit ? (Char, 1982 : 20)

Le motif traditionnel de la femme rencontrée au hasard et jamais revue est ici explicitement associé au silence : « il serait sacrilège de lui adresser la parole », mais ce silence est aussi explicitement lié à une sensualité corporelle d’une fille « extrêmement odorante » dont les bras sont associés au travail des champs. La parole silencieuse qui caractérise cette jeune fille se cueille « sur ses lèvres » qui ne prononcent aucun mot, mais permettent seulement de voir le mystère (« la chimère de l’humidité de la Nuit »). La parole silencieuse est ainsi explicitement associée à la sensualité corporelle des lèvres humides. Char identifie ainsi le motif du silence, le désir du corps de la femme et, enfin, la poésie même. Car il ne fait pas de doute que cette fille croisée dans les champs est aussi allégorie de la poésie. Avec elle, le poète rencontre le silence des « lèvres » portant « la chimère de l’humidité de la nuit ». Certes elle conduit le poète même au silence : « il serait sacrilège de lui adresser la parole », mais ce silence reste interne à la fiction du poème. Il est relayé par la parole du poète qui écrit le poème. En d’autres termes, le poète utilise l’instant silencieux qu’il va cueillir sur les lèvres de la femme pour prendre lui-même la parole et s’attribuer le prestige d’une parole silencieuse. Dans la contemplation du corps féminin comme dans sa possession dans l’acte d’érotisme silencieux, la femme se retrouve triplement mise au silence : c’est celle qui ne doit pas parler, c’est celle dont le corps apparaît silencieusement, c’est celle qui se voit imposer une parole poétique qui la dépasse.

Il ne faudrait pas croire que cette caractérisation ne se retrouve que dans la poésie. La qualification du corps féminin comme corps silencieux allégorie de l’expression silencieuse se retrouve dans tous les domaines artistiques au XXe siècle. Je ne donnerai qu’un exemple qui poursuit l’exploration du corps érotique, dans le roman au titre évocateur, Silence de Blanche de José Carlos Somoza4. Ce roman a connu un certain succès public en Espagne lors de sa publication, a été republié rapidement en collection poche (la collection « Punto de lectura », en l’occurrence) ; il a aussi été récompensé du meilleur roman érotique décerné par les éditions Tusquets en 1996. On peut donc considérer qu’il s’agit d’une œuvre de relativement large diffusion. Et pourtant, on y retrouve tous les traits présentés précédemment. Le roman met en scène un professeur de piano, Héctor, qui est aussi le narrateur. Il raconte à la fois sa relation ambiguë avec une élève et sa relation érotique extrêmement élaborée avec une jeune femme du nom de Blanca. Il rencontre cette dernière dans des conditions très précises qui correspondent à chaque fois à un rituel prédéfini, qui donne le titre à chaque chapitre : « Rituel de la rose, rituel de la danse, rituel du miroir, rituel de la punition, rituel de la cécité, rituel de la rencontre ». Enfin, chaque chapitre est introduit par le numéro et la tonalité d’un Nocturne de Chopin.

Ce dispositif accorde une valeur exceptionnelle au silence. Cette valeur est exprimée très explicitement par le narrateur dans un retour réflexif sur les rituels :

Comment exprimer l’amour en silence, sans invasion, un amour de mots créés par les gestes ? […] Quand je me suis devant mon piano, comme maintenant, il me semble que la musique rend cela très simple : le langage est absent mais il est là ; pas de paroles, mais on entend des sons, quelque chose parle à notre oreille comme dans les rêves d’un fou. […] C’est ce qui m’a donné l’idée : le toucher, bien sûr, le toucher à l’aveugle, la conscience de cela en même temps que la conscience des battements : c’est là, présent bien que caché. Oui, il s’agissait bien d’une expression sans paroles5 ! (Somoza, 1996 : 14-15)

Cette réflexion réarticule les principaux éléments de l’esthétique silencieuse. La parole est considérée comme une invasion potentielle, face à laquelle se dressent les moyens de l’expression silencieuse, avec la pantomime (« les gestes ») et la musique, moyens d’ailleurs exprimés explicitement (« expresión sin palabras »). Ces moyens de l’expression silencieuse permettent, comme cela l’a toujours été dans la tradition de l’esthétique silencieuse, une expression paradoxale, un langage sans mots ; les syntagmes qui touchent ce paradoxe sont multiples dans ce passage : « le langage est absent, mais il est là ; pas de paroles, mais on entend des sons ». Par ailleurs, ces rituels se résolvent rapidement dans des dispositifs visuels très proche du tableau : le rituel de la rose, par exemple, est imité d’un tableau d’un peintre fictif, Lucas Waltzmann, L’Amour généreux :

L’image qui nous a inspiré le rituel, l’Amour généreux, de Lucas Waltzmann, qu’à présent je contemple en face de moi, sur le mur opposé au piano à queue du salon, consiste en deux figures bleues dans le style de Picasso, avec quelque chose du cirque ; l’une d’elle offre à l’autre une fleur, et cette offrande est l’essentiel parce que l’artiste a coupé les visages au milieu ; deux êtres anonymes et asexués dont toute l’importance réside dans le fait de donner et de recevoir6 (Somoza, 1996 : 15).

On peut non seulement voir dans cette situation l’utilisation d’une expression silencieuse majeure, la peinture, poesia muta, mais aussi une mise à distance de l’objet amoureux ou sexuel dans le silence de la contemplation. Le silence de Blanca est essentiel au rituel ; c’est lui qui en fait une forme de transcendance :

Blanca ne parle jamais et je tâche de l’imiter, bien que je sois en cela – comme en toute autre chose – bien moins constant qu’elle. Un jour j’écrirai sur ce silence, je l’approfondirai, et peut-être arriverai-je à conclure que c’est la clé du rituel, non seulement de son déroulement mais de son interruption. Un jour, j’écrirai sur cela, ici aussi, dans les marges de la partition, ou sur des feuilles libres, près du pentagramme, et peut-être complèterai-je enfin la théorie que je suis en train de construire : peut-être parlerai-je du silence de l’extase et de l’adoration ; peut-être m’enquerrai-je du silence absolu de Dieu7.

Dans le rituel, le silence le plus constant est bien celui de la femme. Ce fait est à double tranchant : certes il place le personnage féminin du côté de l’exigence et de la radicalité ; mais il fait aussi que seul le personnage masculin peut prendre la parole ; que non seulement il est celui qui raconte, comme narrateur, cette histoire, mais qu’il va pouvoir, dans un futur idéal, parler du silence de Blanca. C’est lui qui va pouvoir donner une expression idéale au silence de Blanca, un silence qui ramène à l’expression de l’absolu en ramenant à Dieu. On retrouve ainsi dans le livre de Somoza l’articulation de l’expression silencieuse au corps de la femme que nous avons vue à l’œuvre chez Georges Bataille. Autour du corps silencieux de la femme, fait dans sa fermeté pour le plaisir du narrateur masculin, s’enroulent les paradoxes de l’expression silencieuse, qui conduisent à la véritable parole silencieuse, celle de l’auteur masculin qui s’appuie sur le silence de la femme.

3. Pour un retournement burlesque des corps érotiques

Le champ de l’art burlesque, pour cette fois, ne nous sera pas d’un secours immédiat pour trouver une sortie à cette situation. Le cinéma muet burlesque n’a jamais donné de rôles majeurs aux actrices ; même s’il faut nuancer l’affirmation de Walter Kerr, selon laquelle « aucune comédienne n’est devenue un clown vraiment important au cinéma » (Walter Kerr, 1975 : 290) – plusieurs actrices, Mabel Normand, Marion Davies, Mary Pickford ont montré quelles potentialités comiques les femmes pouvaient développer dans ce champ – il est vrai que les plus grandes réussites des slapstick movies ont été portées par des hommes. Kerr explique l’échec des femmes dans le domaine comique par la fonction qu’elles jouent en général dans le cinéma de ces années : « une fille devait fonctionner comme une fille » et en conséquence, elle « devait être belle » (Walter Kerr, 1975 : 290). Le véritable rôle des actrices dans les comédies burlesques n’est pas celui du clown, mais celui du faire-valoir. La comédie burlesque américaine a développé en effet une répartition des tâches entre hommes et femmes tout à fait significative : dans les années 1910, où naît ce cinéma, le grand réalisateur Mack Sennett, celui qui découvre Chaplin, Harold Lloyd et Harry Langdon, invente les deux piliers de la comédie, d’une part des courses poursuites impliquant les Keystone Cops, des agents de polices incompétents qui multiplient chutes, coups de pieds et coups de bâtons, et d’autre part le groupe des Bathing Beauties, jeunes filles en maillot de bain qui viennent agrémenter l’intrigue de leurs corps en partie dénue. On peut difficilement dire plus explicitement un partage du travail : à l’acteur masculin, le génie burlesque qui utilise silencieusement le corps en jouant de sa souplesse et de sa matérialité ; à l’actrice féminine l’exposition passive et silencieuse du corps spectacle. On pourrait suivre cette répartition dans la plupart des courts-métrages des années 1910 et 1920. Elle se retrouve dans les plus grands films. Ainsi du dernier grand film de Buster Keaton, The Cameraman (1928). Toute l’intrigue suit les efforts de Buster pour séduire une jolie jeune femme, Sally Richards, incarnée par Marceline Day. Ces efforts les conduisent tous les deux à la piscine. Pour l’acteur burlesque, Buster Keaton, la piscine devient un terrain de jeu permettant de multiplier les jeux burlesques, chute dans l’eau, crawl sur un terreplein, perte de son maillot de bain ; pour la beauté féminine, Sally Richards, la piscine est le décor idéal pour se constituer en proie sexuelle pour des mâles jeunes et musclés – et en spectacle pour le public qui peut admirer à travers son maillot de bain transparent la forme de son corps, et particulièrement de ses seins.

En d’autres termes, l’art burlesque maintient en son sein l’érotisation silencieuse du corps féminin. Ainsi, si l’on veut retrouver la force émancipatrice du l’art burlesque dans cette affaire, il faut qu’elle effectue aussi un retournement de cette absolutisation du corps érotique silencieux. Cela implique le recueil patient du travail burlesque des femmes, bien qu’il ait été systématiquement marginalisé par le mouvement d’érotisation. En l’occurrence, c’est un travail qu’a récemment mené Steve Massa dans son livre Slapstick Divas. The Women of silent Comedy (2017). Je donne un exemple de mon côté dans le film d’Alfred I. Green, Irene (1926) où Colleen Moore incarne une jeune fille espiègle et pleine de vie. Dans sa volonté de trouver une place dans la bonne société, elle multiplie les gaffes. Notamment, elle est confrontée à l’apprentissage des bonnes manières auprès d’un professeur de maintien. Ce dernier demande à trois jeunes filles (dont Irene) de marcher avec un livre sur la tête. Alors que ses camarades posent le livre sur leur tête, Irene commence par l’ouvrir pour le lire : gag particulièrement significatif de l’art muet d’une part parce qu’il joue sur la destination littérale de l’objet (détourné de son usage par le professeur, ramené à son usage par Irene), d’autre part parce qu’Irene n’aurait jamais pu faire une telle erreur dans un film parlant où on lui aurait dit de poser le livre sur sa tête ! La scène continue en montrant les deux premières jeunes filles qui imitent parfaitement leur professeur de maintien, traversant la pièce avec une marche droite et assurée. Irene au contraire vacille sur ses jambes, glisse, finit par tomber à genoux, mais elle réussit à garder le livre droit sur sa tête ! Il y a là un jeu avec l’équilibre qui met en dialectique le principe comique (retour à la loi de la gravité, particulièrement sollicitée ici) avec une habileté de jeu physique de l’actrice. On touche ainsi à ce qui fait le génie du cinéma burlesque : le spectateur oscille entre la distance créée par le rappel de la matérialité mécanique du corps et l’admiration des capacités de l’actrice. Cette oscillation entre rire et jubilation permet d’exposer dans toute sa singularité le corps de l’actrice (et non de le réduire à un objet idéalisé ou sexuel). Il est particulièrement intéressant ici que le jeu comique tourne en dérision l’apprentissage du maintien. Face à une stratégie sociale de domestication du corps féminin à des fins décoratives, le burlesque crée une rupture qui met en avant un corps particulier irréductible aux normes sociales.

On peut suivre cette ligne burlesque dans le cinéma contemporain. Vimala Pons incarne de façon particulièrement réussie cette veine du burlesque au féminin dans le cinéma français contemporain. Comme les grands acteurs du burlesque, Vimala Pons associe une formation d’actrice à une formation sportive (elle a longtemps pratiqué le karaté) et surtout à une formation circassienne : elle monte régulièrement des spectacles de cirque, dont De nos jours [notes on the circus] avec le collectif Ivan Mosjoukine (2012) et Grande (2016) avec Tshihiraka Harrivel. Elle est ainsi capable de mettre en œuvre des jeux burlesques particulièrement soignés dans les films dans lesquels elle intervient. Je commenterai en particulier un passage de La Loi de la jungle (2015) d’Antonin Peretjatko. Vimala Pons y joue une ingénieure des Ponts et Chaussée stagiaire en Guyane, surnommée Tarzan. Ce décalage entre un surnom masculin et une féminité mise en valeur par un short très court et un débardeur moulant est souligné par Marc Chassaigne (joué par Vincent Macaigne) au moment de leur rencontre : « c’est vous Tarzan ? Vous êtes une femme, non ? » Cette remarque souligne un décalage entre le rôle de baroudeuse habile au lancement de couteaux et à la lutte rapprochée et son apparence féminine. J’y vois aussi un signe de l’étonnement devant une femme artiste burlesque. Cette situation est particulièrement mise en valeur dans une scène qui associe comique et érotisme. Les deux personnages ont été recueillis par deux hommes qui vivent perdus dans la jungle. Assoiffés, l’une et l’autre boivent à grandes gorgées le cocktail qui leur est offert, avant de se rendre compte qu’il s’agit d’un aphrodisiaque ultrapuissant. Dans un premier, Tarzan lutte contre le désir en envoyant des couteaux dans une cible ; pendant ce temps, Marc Chassaigne frappe avec vigueur son rapport de stage sur sa machine à écrire. Au bout d’un moment, n’en pouvant plus, Tarzan se déshabille et se tortille en culotte et soutien-gorge au second plan pendant que Marc Chassaigne continue à taper frénétiquement au premier plan sur sa machine à écrire. Le plan appartient à la tradition burlesque, notamment illustrée par Tati, qui juxtapose deux actions en contraste sur l’écran. Le premier plan présente un corps frénétique agité par le désir ; le second plan un corps que torture littéralement le désir. Vimala Pons y fait preuve de tout son talent burlesque, agitant son corps de soubresauts, puis traversant la pièce pliée en deux, les pieds et les mains au sol. De même, dans le plan qui suit, tandis que Marc Chassaigne est allongé dans le hamac, elle se retrouve posée sur ses genoux, la tête en bas, les mains posées sur le sol, à peine retenue en équilibre par les dents de Chassaigne qui tiennent sa culotte. Son corps est à la fois un objet de désir, dans sa nudité à moitié dévoilée, et objet de rire. Or le risible est ici constitué par une oscillation complexe entre la matérialisation d’un corps sans autonomie (livré aux tremblements du désir) et la souplesse pleine de dextérité de l’artiste de cirque. L’oscillation que le spectateur du spectacle burlesque éprouve généralement se trouve ici complexifiée du fait de l’excitation érotique qu’elle ajoute. Le corps féminin n’est plus un simple objet pour le désir masculin, mais provoque aussi une admiration pour la maîtrise artistique comique. Il y a là une porte de sortie pour le corps féminin assigné au silence, porte de sortie où le corps singulier trouve une voie qui se manifeste dans toute sa fragilité humaine et sa puissance artistique.

On l’aura compris, je ne fais ici que suggérer des pistes d’analyse pour étendre la dialectique de Parole muette, récit burlesque au XXe siècle et pour en déplacer l’interrogation d’une dialectique opposant corps sublime et corps burlesque à une dialectique associant corps érotique et corps burlesque. Cette analyse passe en effet par une archéologie de l’érotisme au XXe siècle ; elle passe aussi par une mise en lumière des artistes burlesques féminins. C’est à partir de là que nous pourrons commencer à explorer, de retour dans le champ littéraire, la réception possible dans le roman et dans la poésie contemporains de ce nouveau corps burlesque, mais c’est là une autre histoire.

Bibliographie

Autréaux, Patrick, Vie écrite, Paris : Verdier, 2017.

Bataille, Georges, Madame Edwarda [1941] dans Œuvres complètes, Paris : Gallimard, collection « La Pléiade », 2004.

Bergson, Henri, Le Rire [1900], Paris : PUF, collection « Quadrige », 2007.

Char, René, Fureur et mystère [1938-1947], Paris : Gallimard, collection « Poésie/Gallimard » : 1967.

Garric, Henri, Parole muette, récit burlesque. Les expressions silencieuses aux XIXe-XXe siècles, Paris : Classiques Garnier, collection « Perspectives comparatistes » : 2015.

Jankélévitch, Vladimir, La Musique et l’ineffable [1961], Paris : Seuil, 1983.

La Mort, Paris : Flammarion, collection « Champs-Flammarion », 1977.

Kerr, Walter, The Silent Clowns, New York : Alfred A. Knopf, 1975.

Mallarmé, Stéphane, Igitur. Divagations. Un coup de dés [1897], Paris : Gallimard, collection « Poésie/Gallimard », 2003.

Massa, Steve, Slapstick Divas. The Women of silent Comedy, Albany : BearManor Media, 2017.

Somoza, José Carlos, Silencio de Blanca [1996], Madrid : Barquillo, collection « Punto de lectura » : 2002.

Trondheim, Lewis, Mister O, Paris : Delcourt, 2005.

Notes

1 Vladimir Jankélévitch lie explicitement l’indicible au soupir prononcé devant l’inéluctable de la mort : « “Hélas” est une réticence et, en quelque sorte, un soupir sans paroles : tout le monde est censé comprendre instantanément ce mot qui est une allusion imprécise à notre misère, ce mot après lequel il n’y a plus rien à dire, ce mot si court qui en dit si long. » (Jankélévitch, 1977 : 60). Retour au texte

2 Je précise bien relativement parce que j’ai bien conscience qu’une telle présentation simplifie le problème. Le corps a été présent à plusieurs étapes de l’histoire du silence, et notamment dans la tradition mystique. Le cadre contraint de cet article m’amène à simplifier certains aspects. Retour au texte

3 Il faudrait renvoyer ici aux écrits de Blanchot qui a lié le silence à cette désubjectivation. Il serait trop long de développer cette question, je renvoie à mon travail sur l’interruption du dialogue chez Blanchot (Garric, 2015 : 125-156) Retour au texte

4 Silencio de Blanca (l’ouvrage n’étant pas traduit en français, les traductions seront de mon fait). Retour au texte

5 « ¿cómo expresar el amor en silencio, sin invasión, un amor de palabras creadas con los gestos? Retour au texte

(…) Cuando me hallo frente al piano, como ahora, me parece que resulta sumamente sencillo con la música: no hay lenguaje pero lo hay, no existen palabras pero se escuchan voces, algo habla en nuestro oído como en los sueños de un loco. (…) Eso me dio la idea: el tacto, claro; el tacto a ciegas, la conciencia de esta juntos como la conciencia de los latidos: ahí, aunque oculta, perenne. ¡Eso y era una expresión sin palabras! »

6 « La imagen que nos inspiró el ritual, el Amor generoso de Lucas Waltzmann, que ahora contemplo frente a mí, en la pared opuesta al piano de cola del salón, consiste en dos figuras azules al estilo de Picasso, con cierto aire circense; una le entrega a la otra una flor, y esta ofrenda es lo importante porque el artista ha cortado los rostros por la mitad; dos seres anónimos y asexuados cuya única importancia estriba en dar y recibir. » Retour au texte

7 « Blanca nunca me habla y yo procuro imitarla, aunque soy en esto – como en todo – mucho menos constante. Algún día escribiré sobre es silencio, profundizare en él, y quizás llegue a concluir que es la clave del ritual, no solo de su desarrollo sino de su interrupción. Algún día escribiré sobre eso, aquí también, al margen de las partituras, o en hojas sueltas junto al pentagrama, y quizás complete por fin la teoría que estoy forjando: quizás hable del silencio del éxtasis y de la adoración; quizás indague en el silencio absoluto de Dios. » Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Henri Garric, « Corps silencieux, corps burlesques », Textes et contextes [En ligne], 14-1 | 2019, publié le 26 avril 2019 et consulté le 22 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=2142

Auteur

Henri Garric

Professeur de littérature comparée, Université de Bourgogne, 4, boulevard Gabriel, 21000 Dijon, henri.garric [at] u-bourgogne.fr

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