Introduction
On n’a pas à tirer de loin pour rapprocher la poésie et la vie, parce que la poésie est un des langages de la vie comme elle est un des langages du langage. Mais elle en est une organisation réglée.
Les travaux présentés dans ce dossier font écho à ces propos d’Henri Meschonnic (1989 : 212) en s’efforçant de lire des paradigmes du code ou de la contrainte à travers l’évolution des traditions poétiques anglophones du xvie au xxie siècle. Ils s’intéressent autant à l’historicité des formes qu’à la qualité de la contrainte qui se manifeste en guise d’enveloppe ou qui s’exprime en tant que ressort de l’écriture. À partir de l'exemple du sonnet à l'époque élisabéthaine, Christine Sukic fait apparaître le problème de la répétition, qui caractérise la nécessité formelle du code et dans lequel résident parallèlement et de façon paradoxale les horizons de l'intime. Dans « ‘Oft turning others’ leaves’ : la contrainte de l’« imitatio » dans les sonnets anglais des xvie et xviie siècles », qui ouvre le dossier, un questionnement de l'historicité des formes est nourri par l'examen de pratiques fondées sur la relation dans laquelle se rencontrent les notions rhétoriques de l’imitatio et de l’inventio. Il est démontré que l’émergence, chez des poètes de la première modernité, de la notion de ‘contrainte’ participe de l’affirmation d’une forme de subjectivité qui se propose de s’introduire dans cette relation dialectique de la culture humaniste et d’en changer les contours.
De la nécessité de rattacher l’assimilation du répertoire classique à l’expression de la liberté, le vingtième siècle donnera à voir une querelle constante de caractère tant esthétique qu’institutionnel. La question de l’affranchissement d’une esthétique de l’imitation est un objet dont se saisissent avec force des poètes anglo-américains, sous l’égide de Harriet Monroe de la revue Poetry, comme le souligne Fiona McMahon dans « “What are Patterns for ?” : the horizons of form in The New Poetry (1917) ». Des degrés de résistance exprimés à l'encontre des codes exposent la violence de la contrainte, absente dans la première modernité et sous-jacente à la fabrique de l’avant-garde et au postulat d’un ordre poétique nouveau dans les premières décennies du vingtième siècle. À travers l'examen des avatars d'une poétique critique et créatrice s'esquisse la relation du poète au monde qui navigue entre des formes de rupture et d’inscription. À l’image de l'exemplarité paradoxale du 'vers libre', la recherche d’autonomie formelle s’expose aux failles du mythe de l’invention. Pour l’auteur, en guise de retour au motif, le poète du renouveau porte à nu l’écriture technicienne et accueille la contrainte que figure l’irruption du présent.
Si le souci constant de filiation ou de contextualisation constitue la première contrainte de l’avant-garde poétique, écrit Antonia Rigaud, celui-ci s’exprime dans la deuxième moitié du vingtième siècle par un retour critique sur des codes modernistes dont les limites dessinent un champ d’expérimentation s’opposant à l’oralité, à une écriture jugée vivante. L’élargissement du champ culturel du poète est à lire au miroir de la résurgence de la poésie orale aux Etats-Unis dans les années 1970. À travers la traduction ou la notion de writing through, explique l’auteur, des figures de l’oralité telles que John Cage et Jerome Rothenberg posent la question de la définition de l’objet poétique en se plaçant dans une tradition primitive, reprise des marges de la culture américaine et libérée des contraintes de l’écrit. Obéissant à un ensemble de stratégies de régénération, la poésie se conçoit comme un lieu de réflexion sur l’oralité comme fin ou transformation de contraintes poétiques.