Blessures et sentiments : les poèmes de Sinéad Morrissey

  • Wounds and Feelings: The Poems of Sinéad Morrissey

Résumés

Cet article porte sur la poésie de Sinéad Morrissey (née en 1972 à Portadown en Irlande du Nord), une des poétesses irlandaises contemporaines les plus en vue. En analysant ses six recueils de poèmes – et plus particulièrement There Was Fire in Vancouver (1996), The State of the Prisons (2005), Parallax (2013) et On Balance (2017) – nous nous proposons d’étudier les stratégies poétiques – analogies, métaphores, polysémie, jeux de perspectives, picturalité et iconicité, ekphrasis – que Sinéad Morrissey met en œuvre pour rendre compte de ses expériences personnelles (souffrance physique, expatriation, grossesse et maternité, rapport avec l’altérité, emprisonnement, création) ainsi que pour exprimer la large palette de sentiments qui leur sont associés : amour, désir, exaltation, insécurité, anxiété, culpabilité, désespoir, etc. Nous montrerons également que la poésie de Sinéad Morrissey – marquée par des procédés d’indirection ainsi que par une intense picturalité et iconicité – donne à percevoir son origine interculturelle. Sa ‘poétique sentimentale’ est en effet le fruit de l’heureuse rencontre de deux cultures : la culture irlandaise, sa culture d’origine, et la culture du Japon, où Morrissey a séjourné deux ans.

This paper explores the poetry of Sinéad Morrissey (born in Portadown, Northern Ireland, in 1972), one of the most highly regarded of the younger generation of contemporary Irish poets. Taking into account her six collections to date – including There Was Fire in Vancouver (1996), The State of the Prisons (2005), Parallax (2013) and On Balance published in 2017, it examines the great variety of poetical strategies – analogy, metaphor, polysemy, play on form and perspective, pictorialism and iconicity, ekphrasis, etc. – that Morrissey uses to tell of most personal experiences (physical pain, exile, loss, pregnancy and motherhood, confrontation with forms of otherness, states of imprisonment, creation) and the wide range of feelings that are associated with them : love, desire, exaltation, insecurity, anxiety, sense of guilt, despair, etc. This paper also aims to show the underlying unity behind this diversity – indirection in diction, enhanced pictorialism and iconicity – and its intercultural origin : Morrissey’s poems indeed reflect a felicitously creative mix between the poet’s native Northern Irish culture and the Japanese culture which she discovered while living in Japan.

Plan

Texte

Le parcours poétique de Sinéad Morrissey, née en 1972 à Portadown en Irlande du Nord, a débuté officiellement dans les années 1990 avec l’obtention du prestigieux prix Patrick Kavanagh dont elle reste à ce jour la plus jeune récipiendaire. Ce corpus, qui compte six recueils de poèmes parmi lesquels There Was Fire in Vancouver (1996), The State of the Prisons (2005), Parallax (2013) et On Balance publié en 2017, présente une nette composante autobiographique. La jeune poétesse puise en effet dans ses propres expériences la matière de la plupart de ses poèmes : expérience de la maternité, de la souffrance physique ou psychique, expérience du deuil et de la perte, de l’expatriation, découverte de la sensualité, etc.1 Ses textes poétiques font ainsi la part belle à l’intime féminin et aux sentiments qui en sont les marqueurs principaux avec, comme le remarque Rui Carvalho Homem, « une propension à rendre la réalité de manière picturale et selon une perspective résolument féminine fondée sur des expériences privées et souvent domestiques » (Homem 2012 : 294).2

Je me propose donc d’étudier la diversité des sentiments décrits par Sinéad Morrissey ainsi que les stratégies poétiques – souvent iconiques et intermédiales – qu’elle met en œuvre pour en rendre compte. Une fois cette ‘poétique sentimentale’ définie, je me pencherai sur une dimension particulière de l’œuvre qui repose sur la rencontre de deux cultures – la culture irlandaise, sa culture d’origine, et la culture du Japon, où Morrissey a séjourné deux ans – et m’interrogerai brièvement sur la façon dont les sentiments de la jeune femme et la manière dont ils prennent voix et forme dans les poèmes sont infléchis par cette dualité culturelle.

1. La palette des sentiments

Morrissey nous offre une large palette de sentiments dans ses poèmes couvrant presque tout le spectre des émotions depuis le plus grand bonheur jusqu’au plus profond désespoir.

Les premiers émois de l’amour sont évoqués par exemple dans « Love Song », « You » et « Clothes », trois poèmes formant une sorte de triptyque dans There Was Fire in Vancouver, son tout premier recueil publié en 1996. Cette séquence résume en trois brefs tableaux toute la complexité du sentiment amoureux pour Morrissey. Dans « Love Song », c’est par une célébration des cinq sens (de la vue en particulier) que la poétesse dit les heureux transports des amours naissantes : les verbes de perception se succèdent en effet à l’incipit de chaque strophe (« I see », « I hear », « I taste », « I smell », « I feel ») et conduisent à une fusion synesthésique des sens où l’harmonie d’un chant (« all my senses singing ») joint à un éblouissement du regard (« a bucketful of stars ») balaye un temps toutes les dissonances (« shrieking » remplacé par « singing ») et donne un éclat nouveau au quotidien :

I see light everywhere
Over the bus driver the woman
With her trolley in the street
I see dusk

I hear the clock at four
I hear silence in cupboards
Birdsong
Backwater dawn

I taste drier than flour

I smell the roots of trees
Before I see their arms
Shrieking
On the skyline

I feel diamonds pushed into
The bloodstream
Self-generated, a gift,
Making for the head I feel my head

Thrust into
A bucketful of stars
And all my senses
Singing.3 (Morrissey 1996 : 27 – je souligne)

« You », le premier élément de ce trio poétique, présente en revanche des sentiments beaucoup plus contrastés. Constitué de deux quatrains, l’un au passé, l’autre au présent, ce poème oppose deux moments de la relation amoureuse : l’avant et l’après de la déclaration. Avant d’exprimer leur flamme, les amants s’observent de loin, se jaugent et s’évitent astucieusement à l’image des crabes qui s’enfouissent volontiers dans le sable, s’échappent opportunément avec la marée, se déplacent et regardent de biais. Morrissey s’amuse de ce petit jeu amoureux et de ces contretemps savamment orchestrés qu’elle reproduit dans la première section du poème en théâtralisant la séparation puis la fusion du « I » et du « you » : le « you » est certes mis en exergue mais omis dans la première phrase, rejeté dans le titre, puis séparé du « I » par la césure appuyée du deuxième vers avant d’être uni à lui dans le « we » du vers 3 :

Never looked me in the eye for weeks on end,
Or if you did, I was elsewhere
And you did it sideways. We were
Two fast crabs digging into the sand.4 (Morrissey 1996 : 26)

Mais dès lors que la fusion est opérée et que plus aucune barrière ne la sépare de l’être aimé (« Now there are no holds barred »), la poétesse change symptomatiquement de ton : elle exprime son désir de conserver sa liberté et de préserver son intimité.5 Les étreintes, tout comme le regard de l’autre, sont soudain redoutés : « Painfully, / Sometimes. The urgency you need to defy / Modesty! ». Ce conflit de sentiments – la peur de se perdre soi-même faisant barrage à l’attirance pour l’être aimé – est rendu par un décrochement dans le schéma des rimes (le deuxième quatrain rimant cdec en rupture avec les rimes parfaitement embrassées du premier quatrain) et par la mise en relief des termes d’un conflit intérieur, « painfully », « defy » et « scrutiny » donnant à entendre l’envahissement indu de l’autre et le mal-être qu’il engendre :

Now there are no holds barred. Painfully,
Sometimes. The urgency you need to defy
Modesty! Meanwhile I’ve slipped out with the tide,
Astonished at how I return such scrutiny.6 (Morrissey 1996 : 26)

« Clothes », le dernier élément du triptyque, exprime avec encore plus de force cette déchirure intime. Ce poème dit en effet la révulsion de Morrissey pour la nudité et la proximité des corps, sa phobie de perdre son identité dans le peau à peau avec l’autre. Se dénuder à la fois physiquement et psychologiquement dans l’intimité de la relation amoureuse revient pour elle à « s’exposer » au double sens du terme, c’est-à-dire à « se dévoiler » mais aussi à « se mettre en danger ». Les vêtements apparaissent donc comme une protection nécessaire face à ce dévoilement et à cette menace certaine. La privation de vêtements est vécue comme l’expérience d’une vulnérabilité extrême et conduit à redouter d’être assimilée à l’autre, engloutie par lui : « Once [clothes] come undone, there’s no stopping the undoing / Of all that keeps us us and not we » (Morrissey 1996 : 28).7 On notera ici la répétition du verbe « to undo » dont la polysémie permet d’associer « déshabillage », « défaite » et « anéantissement » ; on notera aussi un jeu subtil sur les deux formes du pronom personnel « nous », le nous sujet (« we ») menaçant l’intégrité du nous objet (« us ») répété dans la formule « keeps us us » comme pour mieux souligner la volonté de la jeune femme de préserver son identité. Il s’agit coûte que coûte d’esquiver le contact charnel et l’étreinte amoureuse, par crainte d’un effacement de la limite entre soi et l’autre. La passion amoureuse et le lâcher-prise que toute passion induit sont la seule force capable de vaincre cette réticence et cette méfiance profonde mais sa victoire est brève et incomplète. Lorsqu’elle n’est plus agie par elle, la poétesse retrouve avec bonheur l’armure protectrice de ses vêtements dont elle égraine volontiers la liste en insistant sur leurs qualités de résistance :

Contact [shrinks] back to wherever it sprang from.
And I’m begging for it all, coat, hat, gloves, scarf –
Shoes shod in iron, and a waterproof.8 (Morrissey 1996 : 28 – je souligne)

Dans d’autres poèmes, la poétesse évoque l’amour maternel, synonyme pour elle d’une affection profonde mais inquiète. Dans « Lighthouse », extrait du recueil Parallax (2013), elle s’émeut ainsi du dialogue sibyllin qui se tisse entre son fils en mal de sommeil et le phare hiératique qui veille sur l’entrée du Belfast Lough (Morrissey 2013 : 51). Dans « Through the Square Window », poème éponyme de son quatrième opus, l’enfance côtoie la mort dans une vision fantasmagorique où une horde de défunts étranges font une apparition furtive aux fenêtres de la poétesse tandis que son enfant dort paisiblement dans son berceau (Morrissey 2009 : 32). Le poème « Baltimore » (publié dans le volume Parallax) joue quant à lui sur des associations auditives pour décrire les tourments maternels. Constitué d’une phrase unique s’étirant sur 25 vers, ce poème évoque tous les bruits du quotidien dans lesquels la poétesse croit percevoir l’appel de ses enfants, un appel imaginaire peut-être, mais un appel de détresse qui avive son instinct maternel : « In other noises, I hear my children crying – / […] a ghost cry, one I’ve made up, but heard, / that has me climbing the stairs, pausing / in the hall, listening, listening hard » (Morrissey 2013 : 12).9 Qu’il s’agisse de rires de gosses jouant en bas dans la rue ou de bruits perçus à travers une cloison ; de cris entendus dans la série The Wire ou du grésillement qui sépare deux stations de radio sur la bande FM ; ou encore du silence dense qui envahit le palier à l’étage, tous ces bruits disent la fragilité et le mystère de l’enfance mais avant tout l’angoisse de Morrissey de manquer à ses enfants ou d’être privée d’eux : « listening, listening hard, / […] the air / of the landing thick with something missed » (Morrissey 2013 : 12).10

Cette conscience aiguë de la fragilité de l’enfance et du lien maternel, cette angoisse de la perte, trouvent en fait leur origine dans une douleur vécue et exprimée de façon poignante dans « Stitches » et « Absences Also » : la mort prématurée d’un enfant. « Stitches » dépeint la joie pétillante de la femme enceinte, la profusion de paroles qui se tissent autour de l’enfant à naître comme une couverture imaginaire, puis le verdict brutal d’une échographie présentant soudain un écran noir (Morrissey 2002 : 28). Loin des effusions d’une mater dolorosa classique, Morrissey évoque pudiquement la souffrance suscitée par la perte de l’enfant : la folie qui fut la sienne de croire à cet avènement et la douleur résultant de sa déchirante désillusion sont suggérées par une brisure momentanée du schéma des rimes : aabb ccde ffgg. Elles sont également inscrites dans la polysémie du mot « stitch » qui sous-tend métaphoriquement le poème : s’il désigne un point de couture ou un point de suture, ce terme indique également un « point de côté », c’est-à-dire la douleur abdominale aiguë que l’on peut ressentir à l’effort ou au moment d’une fausse couche. Mais « stitch » apparaît aussi dans l’expression « to be in stitches » qui signifie être « mort de rire » et dans « to stitch up » qui veut dire « trahir », deux acceptions qui, on l’entend, résonnent tragiquement avec le contenu du poème. « Absences Also » évoque la même réalité (la perte prématurée d’un enfant) mais d’une manière différente (Morrissey 2005 : 40). La disparition ne s’inscrit pas seulement dans les mots (« missing children », « dead ») mais aussi dans la forme du poème qui présente une béance centrale et constitue ainsi un trompe-l’œil poétique : alors que l’on voit de prime abord deux tercets se faisant face, on réalise – après un instant d’hésitation – qu’il s’agit d’un tercet unique dont chaque vers est troué, faillé. Outre le titre énigmatique et présentant un jeu de fausse symétrie (A-A, 3 syllabes – 2 syllabes, assonance en [s]), ce « poème-calligramme » joue donc sur la continuité-discontinuité pour dire la blessure intime d’une mère :

Take shape take sup. See

our lives seep up with missing children

like awareness of the dead among the overly sensitive.11

(Morrissey 2005 : 40)

Dans la palette des sentiments explorés par Morrissey, on retrouve aussi la question de la culpabilité et du pardon. Dans « Forgiveness », la jeune poétesse décrit ainsi le désir d’être pardonné et le sentiment d’abandon qui résulte de l’absence de réponse à sa demande de pardon (Morrissey 2005 : 42). Opérant le même rapprochement que Susan Sontag dans La Maladie comme métaphore, Morrissey construit son poème sur une équivalence : si le cancer ronge et détruit intimement l’être, de même l’asymétrie des sentiments et le refus de pardon sont proprement « mortels ».12 La structure de ce poème de 10 vers, organisés en distiques rimés, coïncide parfaitement avec son contenu. La séparation essentielle des êtres, leur solipsisme et leur désaccord fondamental sont en effet rendus par l’agrammaticalité et le morcellement structurel des quatre premières phrases du poème dont le sujet grammatical n’est autre que le mot-titre « Forgiveness » maintenu aux confins du texte poétique : « Forgiveness / Comes afterwards. […] Relies on two. […] Is indivisible. […] Is desired and disbelieved equally » (Morrissey 2005 : 42).13 De même, le poème présente une césure centrale sous la forme d’une longue parenthèse dans laquelle la poétesse se soustrait à la réalité pour s’imaginer atteinte d’un double cancer de la rétine et de l’estomac. Dans les limites de cette parenthèse imaginaire, le tableau monstrueux d’un corps en décomposition, aveugle et crachant du sang, se dessine alors en rupture avec l’atmosphère harmonieuse et paisible de l’après-midi d’été décrite par ailleurs.14 Or, tout comme sa demande de pardon dans la réalité, l’annonce de sa mort imminente et certaine dans l’imaginaire se heurte au silence et à l’indifférence affichée de son interlocuteur. Le pardon apparaît donc aussi inaccessible qu’une guérison miraculeuse et ne peut être envisagé que sous la forme d’un improbable oxymore : « menopausal pregnancy », livrant la poétesse à un insupportable sentiment d’abandon dans le vers final : « I hope that sooner or later, this side of the divide, or afterwards, it happens » (Morrissey 2005 : 42).15 Tout comme « Absences Also », « Forgiveness » fait figure de poème-calligramme par l’entremise d’une discrète mais significative variation de mise en forme : le double espacement des vers (unique dans l’ensemble des recueils de Morrissey) figure la séparation physique et psychique des êtres et souligne la détresse d’être ainsi dédaignée.

Une dernière catégorie de sentiments figure dans l’œuvre de Morrissey, non plus orientés vers l’autre mais centrés sur le moi, sur la perception de sa propre identité ou de sa fragile humanité et qui suscitent tour à tour angoisse, doute et désespoir. Dans « Shadows », extrait du volume Parallax, le doute existentiel nait de l’observation que Morrissey fait de son ombre projetée sur le quai d’une gare. Dans ce poème, l’effet de parallaxe qui sert de fil conducteur à tout le recueil s’entend au sens étymologique du terme, celui du grec parallassein qui signifie « changer » ou « modifier ». L’ombre de la jeune femme métamorphosée par la lumière rasante d’un matin d’hiver l’amène à reconsidérer sa corporalité en même temps que son identité. Le poème se compose de huit quatrains non rimés qui se divisent en deux parties très distinctes : une longue section descriptive délimitée par la répétition de « My shadow » (vers 1 et vers 24), suivie d’une strophe excédentaire dans laquelle la poétesse s’adresse à son ombre comme à une autre : « Lady other, Lady mine » (vers 25). La difformité inattendue de son ombre (« all legs no torso ») amène tout d’abord Morrissey à éprouver une intime étrangeté – une « inquiétante étrangeté » aurait dit Freud – en contraste avec la sereine familiarité du quotidien.16 Son corps paraît plus fragile notamment parce que l’image projetée sur le quai est totalement disloquée : « My shadow displaced at the waist is taking a bow » (Morrissey 2013 : 13).17 En outre, comme rien ne semble distinguer son ombre de celle des objets alentour (caisses, rayonnages et autres poubelles), comme elle est une ombre parmi les innombrables ombres (ainsi que souligné par le titre au pluriel), la jeune femme voit son humanité soudain battue en brèche : la ligne de partage entre l’humain et le non-humain parait tout à coup bien ténue. Enfin, la transformation attendue de son ombre avec l’évolution de la lumière du jour contribue à vider son corps de toute substance et à en souligner l’incroyable impermanence : « Lady other, Lady mine, if I stood here all morning / I’d watch you retracting back like drowning soap » (Morrissey 2013 : 13).18

Cette réflexion sur sa fragilité physique et psychique trahit une angoisse existentielle profonde, une peur viscérale de disparaître à l’instar des dissidents sur les photos des régimes soviétiques successifs, la hantise de ne pas ou de plus être, à la manière d’un décor de théâtre plongé dans l’obscurité ou d’une flaque de sang dans un film en noir et blanc. Mais cette réflexion recèle et révèle aussi des sentiments jusque-là soigneusement enfouis. Morrissey laisse en effet poindre l’inavouable, son attirance pour le néant et son désir de mort qu’elle réalise par l’entremise de son ombre. Elle se voit virtuellement allongée en travers des voies de chemin de fer au-delà de la ligne jaune qui fait symboliquement office de garde-fou au bord du quai : « my head has lain itself down / across the tracks, the way it wanted to / all those years ago » (Morrissey 2013 : 13).19 « Driving Alone on a Snowy Evening », rédigé en hommage à Robert Frost et qui fait expressément référence à la tentation du suicide, vient confirmer cet arrière-fond constant de désespoir qui pousse Morrissey à envisager de précipiter sa fin : « There is no reason that I know to go on […] The seduction of stopping obliterates fear » (Morrissey 2005 : 43).20 « Fur », poème ekphrastique inspiré par la contemplation du chef-d’œuvre de Hans Holbein « Les Ambassadeurs », illustre encore cette hésitation paradoxale entre fascination morbide et angoisse existentielle.21 S’emparant du message crypté du tableau – un portrait en vanité dont la clé se trouve dans l’anamorphose du premier plan – Morrissey dresse en effet la liste de tous les périls susceptibles d’engendrer la perte de ces puissants émissaires. Dans l’énumération par ordre de gravité décroissant de toutes les maladies susceptibles de les mener à leur fin, on ressent la terreur de la jeune femme en même temps que son inexplicable attirance. Au-delà du crâne déformé par la perspective anamorphique, elle traque en effet avec jouissance tous les indices picturaux de la chute des ambassadeurs : la corde brisée du luth, l’ombre portée de l’anamorphose sur les objets alentour et le couvre-chef du diplomate de gauche élégamment ou funestement porté de guingois :

Too obvious a touch

to set the white skull straight. Better
to paint it as something other: driftwood
up-ended by magic from the right-hand side
of the tesserae carpet; to let it hang
like an improbable boomerang just under
the clutch of pipes, the lute with the broken
string, still casting a shadow…

For there is bewitchery in those brown beards yet –
in the (slightly) rakish tilt of the saucer hat
of the ambassador on the left.22 (Morrissey 2013: 23)

2. Une ‘poétique sentimentale’

On le voit, à travers ce bref tour d’horizon, la palette des sentiments et des émotions est large dans l’œuvre poétique de Morrissey et conduit à une ‘poétique sentimentale’ riche et aux modalités de représentation variées. Cette poétique sentimentale propre à la jeune poétesse repose sur la brièveté des formes, rarement canoniques, toujours renouvelées et parfois expérimentales.23 Elle passe par un cisèlement de la syntaxe pour atteindre l’épure, par un jeu sur les brisures (entre deux vers ou à la césure), les saillies et surtout les creux et les silences (mots manquants, mots en contrechamp, mots se ramifiant au gré de leur polysémie). Elle consiste en des glissements successifs de l’intériorité pétrie d’affectivité vers le monde tangible et vice versa. Elle pratique enfin une forme d’imagisme en faisant la part belle aux détails, en travaillant la touche (au sens pictural du terme) pour qu’apparaisse ensuite le tableau d’ensemble, en juxtaposant à la manière d’un idéogramme des éléments concrets pour donner à appréhender des sentiments beaucoup plus abstraits.

Mais ce qui unit dans leur diversité tous les poèmes étudiés ici et plus généralement l’ensemble du corpus morrissien, c’est la manière particulière dont ils abordent les sentiments – jamais de front, mais de manière résolument oblique ou indirecte, comme si la poétesse avait le souci de la retenue dans l’expression de ses émotions ainsi que le souligne Gerard Smyth :

dans son cinquième opus Parallax, couronné par le prix T.S. Eliot, Morrissey parfait ses qualités distinctives – en particulier la retenue nécessaire à tout poème réussi. […] l’élément qui définit probablement le mieux la voix de Morrissey c’est [sa] mesure. […] Une lucidité pénétrante, un talent pour la langue, une rigueur refusant le compromis, le tout conjugué à un instinct aiguisé à repérer tout ce qui vaut d’être mis en poème, voilà ce qui fait de Morrissey un bon poète, mais un poète qui sait que le poème doit s’arrêter là où ‘le silence est le seul garant de l’honnêteté’.24 (Smyth 2014)

Soucieuse de ne jamais franchir la frontière de l’impudeur mais soucieuse aussi de la franchise et de l’authenticité avec laquelle elle s’exprime, Morrissey approche en effet systématiquement les sentiments de biais, les cadrant et les re-cadrant sans cesse, jouant à l’envie des images, de la transposition ou de l’analogie : elle use, on l’a vu, de la métaphore comme dans « Love Song » (l’émoi des amours naissantes transcrit sous forme de synesthésie) ou « You » (la « danse » des crabes pour dire la parade amoureuse) ; elle joue sur la polysémie des mots comme dans « Stitches » ; elle travaille la disposition et l’iconicité potentielle de ses textes comme dans « Absences Also » ou « Forgiveness » ; elle a recours à l’ekphrasis comme dans « Fur ». Le titre choisi pour son avant-dernier recueil de poèmes illustre à cet égard parfaitement cette pratique poétique, la « parallaxe » renvoyant à un phénomène optique où l’on accède à une réalité cachée de manière indirecte à la faveur d’une illusion d’optique, à savoir un décalage entre deux images qui ne se superposent pas tout à fait.

3. Indirection et interculturalité

Or cette propension à l’indirection et à la retenue semble être le reflet de la combinaison de deux cultures chez Morrissey – sa culture irlandaise et la culture japonaise, dont la découverte a pratiquement coïncidé avec la composition de son deuxième recueil de poèmes, Between Here and There en 2002. Cette conjugaison de deux cultures ne s’est pas faite sans douleur. Sinéad Morrissey rend compte d’un choc émotionnel majeur qui lui fit perdre momentanément sa voix. Pendant près de 3 ans, frappée d’une forme de mutisme, elle fut incapable d’écrire un seul vers et ce n’est qu’à son retour à Belfast que, progressivement, laborieusement, elle s’est remise à écrire mais d’une manière différente, sa voix métamorphosée par ce séjour en terre étrangère : « Ce fut une expérience traumatisante. […] j’étais paniquée à l’idée de ne plus pouvoir écrire un vers. […] Après cette interruption de trois ans, ma manière d’écrire a été totalement transformée. […] Je me suis sentie totalement étrangère et totalement dépassée au Japon. J’avais besoin de me ré-ancrer ».25 (Delap 2013) Morrissey décrit aussi poétiquement cette expérience traumatique mais source de transformation dans l’épigramme de Between Here and There :

My voice slipped overboard and made it ashore
the day I fished on the Sea of Japan.

Sometimes I picture its lonely sojourn
along the coast of Honshu, facing the Chinese frontier.
And then I’ll picture its return –

eager, weather-worn, homesick, confessional,
burdened with presents from being away
and bringing me everything under the sun.26
(Morrissey 2002 : 9 – je souligne)

Ainsi, au terme d’un long silence, la voix et la langue de Morrissey se sont métamorphosées et des différences notables apparaissent si l’on confronte son premier recueil et les recueils postérieurs à Between Here and There : rejet de l’hyperbole si tant est que Morrissey ait jamais vraiment eu recours à l’hyperbole, concision et minimalisme dans la formulation, jeu de double-entendre entre signification première et signification sous-jacente, attention portée à des détails concrets plutôt qu’aux émotions et sentiments auxquels ils sont intimement associés, travail sur l’iconicité et la picturalité des textes avec multiplication des poèmes calligrammes, variations de perspectives et jeux de rapprochement-distanciation inattendus, richesse des images, ou encore esthétisation au sens d’une quête constante de la beauté formelle et d’un regard constamment esthétique sur les choses.27 Ainsi, Morrissey glisse résolument du déclaratif au suggestif, de l’explicite à l’implicite, du littéral au figuré, de la diction ou du ‘dire’ à la représentation, des mots aux signes, du discours à l’image comme si elle avait ‘orientalisé’ son style et infléchi sa langue poétique de sorte qu’elle ressemble à la langue japonaise dont elle sait les potentialités pour l’avoir étudiée et pratiquée : « le sens [en japonais] surgit par flash, plutôt que de manière linéaire. Cette langue est tellement plus complexe, belle et multidimensionnelle que l’anglais ». Evoquant les caractères kanji utilisés pour écrire le japonais, elle ajoute : « Cette langue est si dense, si carrée, si tangible parce qu’elle possède au moins trois dimensions alors que nous n’en avons tout au plus que deux » (De Angelis 2012 : 150).28 Ainsi, comme elle le suggère dans « To Imagine an Alphabet », son écriture renouvelée « trans-crit », « trans-pose », « trans-forme » plutôt qu’elle ne décrit ; elle figure plutôt qu’elle ne dit, « diminuant la rondeur originale des choses » pour n’en conserver que la trace signifiante :

Too far back to imagine
It all was dissolved
Under soft black strokes
Of a Chinese brush
Diminishing the fatness
Of original things […]

There are stories in skeletons
And after the three fluid
Lines that are Mountain, the four
That are Fire, Ice as a stroke
On the left side of Water –
Problem is Tree in a Box […]

A mind is inside the lines.29 (Morrissey 2002 : 54)

C’est ce modus scribendi qui fait toute l’originalité et la valeur de l’œuvre de Morrissey : ses poèmes riches par les thématiques qu’ils abordent et par leur ancrage dans la culture nord-irlandaise valent aussi par leur langue qui puise à la source de deux traditions sans opter pour le « here » ou le « there » mais plutôt pour la fécondité de l’entre-deux et de l’interculturalité.

4. Conclusion

Dans un court article suivant la publication de The State of the Prisons, George Shirtes insiste sur « la capacité [de Sinéad Morrissey] à rendre de façon précise et parfaitement juste les émotions et [sur] le don qu’elle possède pour créer de la texture à la fois sonore et visuelle. La beauté de ses poèmes courts est émouvante, compacte et cependant aérienne » (Shirtes 2005 : 95).30 Comme j’ai essayé ici de le montrer, la poésie de Morrissey est en effet d’une grande modernité, conjuguant une certaine forme de dépouillement, un idéal minimaliste avec un goût pour les effets visuels et la profusion des images ; travaillant sans relâche les mots pour leur donner tous leurs sens ; jouant sur les sons, les silences et le rythme ; s’ancrant dans l’intime et le plus personnel pour atteindre des invariants universels. La poésie de Morrissey présente plusieurs facettes dont l’une d’entre elles, et non des moindres, est la peinture des sentiments. Jamais sentimentaux et encore moins sentimentalistes, toujours dans la justesse et la retenue, dans l’authentique et le ressenti, ses textes poétiques tendent au lecteur un miroir ni flatteur ni déformant sur ce que cela signifie pour chacun de nous d’aimer, de détester, d’envier, de souffrir, de craindre ou de s’enthousiasmer.

Bibliographie

Breaton, Fran / Gillis, Alan, Eds. (2012). The Oxford Handbook of Modern Irish Poetry. Oxford : Oxford University Press.

Collins, Lucy (2015). Contemporary Irish Women Poets: Memory and Estrangement. Liverpool : Liverpool University Press.

De Angelis, Irene / Woods, Joseph, Eds. (2007). Our Shared Japan. Dublin : Dedalus Press.

De Angelis, Irene (2012). The Japanese Effect in Contemporary Irish Poetry. London : Palgrave MacMillan. Voir en particulier le chapitre 6 : « Between East and West: Andrew Fitzsimons, Sinead Morrissey, Joseph Woods », 138-58.

Delap, Mick (2013). « Poetry in Practice », in : Magma Poetry, n.p. Document électronique consultable à : http://magmapoetry.com/archive/magma-28/articles/poetry-in-practice/ Page consultée le 18 juillet 2018.

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Shirtes, George (2005). « The Sweet Dance – A Review of Sanctuary by Matthew Sweeney ; The State of the Prisons by Sinéad Morrissey ; New and Selected Poems by James J. McAuley », in : Poetry Review, 95/3, 94-97.

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Sontag, Susan (2005). La Maladie comme métaphore, Paris : Le Seuil.

Notes

1 Morrissey note toutefois qu’il ne s’agit jamais chez elle d’autobiographique pur : « I don’t like the straight confessional. You can use your own experiences but you have to bring more to it than that, always. The ‘I’ is unstable and it transmutes ». « Je n’aime guère le confessionnel pur. On peut utiliser ses propres expériences mais il faut toujours apporter quelque chose de plus. Le « je » est instable et il se transforme » (ma traduction). (Sinéad Morrissey citée in : Meade 2003). Retour au texte

2 Ma traduction de : « an inclination to pictorialize reality from a perspective that is emphatically female and grounded in a private (often domestic) circumstance ». Retour au texte

3 « Partout je vois de la lumière / sur le chauffeur de bus sur la femme / qui pousse son chariot dans la rue / Je vois le crépuscule // J’entends l’horloge sonner quatre heures / J’entends le silence des placards / Le chant des oiseaux / L’aube sur le lac // Je goûte une farine plus sèche que la farine // Je sens les racines des arbres / Avant de voir leurs bras / Hurler / Sur la ligne d’horizon // Je sens des diamants déferler / Dans le flot de mon sang / Qui se génère lui-même, un cadeau, / Qui me monte à la tête je sens ma tête / Exploser / En un réservoir d’étoiles / Et tous mes sens / Chanter » (ma traduction). Retour au texte

4 « Pendant des semaines jamais tu ne m’as regardée dans les yeux, / Ou si tu le fis, j’étais ailleurs / Et tu le fis de façon oblique. Nous étions / Deux crabes agiles creusant pour se cacher dans le sable » (ma traduction). Retour au texte

5 Etant donné le caractère fortement autobiographique de l’œuvre de Sinéad Morrissey et pour plus de fluidité dans le propos, je me réfèrerai à elle pour rendre compte des sentiments exprimés par le « je » lyrique. Ce choix de formulation n’implique cependant en rien une assimilation entre le « je » biographique et le « je » lyrique dont Jean-Michel Maulpoix indique bien qu’il est avant tout un sujet d’énonciation, une « quatrième personne du singulier », « le porte-parole d’une pluralité, un je potentiel, un je en puissance, un hyper ou un infra sujet, une créature complexe aux traits aléatoires, telle que la démarche ‘classique’ de l’autobiographie ne saurait suffire à rassembler les traits » (Maulpoix in : Rabaté 1996, 147-160 et in : « La poésie, autobiographie d’une soif », http://www.maulpoix.net/autobiographie.html. Page consultée le 18 juillet 2018). Retour au texte

6 « Désormais plus aucune étreinte n’est empêchée. Douloureusement, / Parfois. Avec quelle insistance tu dois défier / Ma pudeur ! Entre-temps je me suis discrètement esquivée avec l’onde / Stupéfaite de voir comment je réponds à une telle scrutation » (ma traduction). Retour au texte

7 « Une fois les vêtements déboutonnés, plus rien ne s’oppose au déboutonnage / De tout ce qui fait que nous restons nous-mêmes et ne devenons pas nous autres » (ma traduction). Retour au texte

8 « Le contact s’achève et se replie vers le point d’où il avait émergé. / Et je prie pour retrouver tout, veste, chapeau, gants, écharpe – / chaussures à semelle équipée d’une tige de fer, et un imperméable » (ma traduction). Retour au texte

9 « Dans d’autres bruits, j’entends les pleurs de mes enfants – / […] des pleurs fantômes, des pleurs que j’ai imaginés mais entendus / qui me poussent à grimper à l’étage, à faire une pause / sur le palier pour écouter, écouter attentivement » (ma traduction). Retour au texte

10 « pour écouter, écouter attentivement […] et l’air sur le palier est lourd de quelque chose que j’ai laissé échapper » (ma traduction). Retour au texte

11 « Prendre des formes, prendre des vitamines, / nos vies s’écoulent avec les enfants absents / et l’on prend conscience de la présence des morts au milieu des ultra sensibles » (ma traduction). Retour au texte

12 Dans La Maladie comme métaphore, Susan Sontag dénonce la torsion psychologisante et la démonisation qui affectent certaines maladies, au premier rang desquelles la tuberculose et le cancer. Ces maladies du corps sont considérées comme signifiantes et révélatrices d’une disposition morale particulière ; elles trouveraient leur origine au plus profond de l’âme, confirmant un lien intime entre soma et psyché : « La maladie mortelle a toujours été considérée comme une mise à l’épreuve de la force morale » (Sontag 2005 : 56) ; « Le mythe attaché à la tuberculose et celui lié maintenant au cancer rendent tous deux le malade responsable de ce dont il souffre » (Sontag 2005 : 64) ; « La maladie n’est pas une métaphore et l’attitude la plus honnête qu’on puisse avoir à son égard – la façon la plus saine aussi d’être malade – consiste à l’épurer de la métaphore, à résister à la contamination qui l’accompagne » (Sontag 2005 : 9). Retour au texte

13 « Le pardon. Arrive après coup. […] Dépend de deux personnes. […] Est indivisible. […] Est tout à la fois désiré et mis en doute » (ma traduction). Retour au texte

14 On songera à cette autre remarque de Sontag dans La Maladie comme métaphore : « Les métaphores liées à la tuberculose et au cancer laissent entendre qu’un processus vivant et aux résonances particulièrement hideuses est à l’œuvre » (Sontag 2005 : 15). On songera aussi à la manière dont le peintre Francis Bacon incarne la détresse morale et psychologique dans des visages défigurés, des corps qui se déforment, se distordent, se délitent, des corps éviscérés. La série de tableaux inspirés par le suicide de son amant Georges Dyer en 1971 est à ce titre tout-à-fait emblématique, à l’instar de Triptych – In Memory of George Dyer (1971 – https://www.tate.org.uk/whats-on/tate-britain/exhibition/francis-bacon/francis-bacon-room-guide/room-8-memorial) ou de Triptych (1976 – https://www.nytimes.com/2008/05/15/arts/design/15auction.html). L’interview de Michael Peppiatt, historien d’art et ami de Francis Bacon sur le site de Christie’s rend bien compte de cette relation amoureuse tragique et des œuvres qu’elle a suscitées : https://www.christies.com/features/Francis-Bacon-and-George-Dyer-A-moment-of-passion-7027-3.aspx Pages consultées le 18 juillet 2018. Retour au texte

15 « J’espère qu’en fin de compte, de ce côté de la frontière ou alors plus tard, il advienne » (ma traduction). Retour au texte

16 Dans un article consacré à l’inquiétante étrangeté théorisée par Sigmund Freud, Martine Menès souligne le lien essentiel entre ‘intime’ et ‘étrangeté’ dans le concept freudien : « L’inquiétante étrangeté, c’est quand l’intime surgit comme étranger, inconnu, autre absolu, au point d’en être effrayant. […] L’inquiétante étrangeté est un phénomène rattaché au connu, qui n’apparaît qu’à propos de choses familières, habituelles depuis longtemps, mais qui ont un caractère d’intimité, de secret : “… le mot heimlich n’a pas un seul et même sens ; il appartient à deux groupes de représentations qui, sans être opposés, sont cependant très éloignés l’un de l’autre : celui de ce qui est familier … et celui de ce qui est caché, dissimulé … il possède une nuance de sens qui coïncide avec son contraire : unheimlich.” Ce qui était sympathique se transforme en inquiétant, troublant … Lacan relèvera plus tard que “l’étranger est au cœur du sujet” » (Menès 2004 : 21). Retour au texte

17 « Mon ombre décalée au niveau de la ceinture s’incline » (ma traduction). Retour au texte

18 « Madame mon autre, Madame ma sœur, si je restais ici toute la matinée, / je te verrais te rétracter comme du savon qui sombre » (ma traduction). Retour au texte

19 « ma tête s’est couchée / en travers des voies, comme elle avait voulu le faire / il y a tant d’années » (ma traduction). Retour au texte

20 « Je ne vois aucune raison de continuer […] La peur s’efface derrière le charme de tout arrêter » (ma traduction). Retour au texte

21 Le tableau de Hans Holbein est l’un des joyaux de la National Gallery à Londres, qui l’a acquis en 1890. https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/hans-holbein-the-younger-the-ambassadors Page consultée le 18 juillet 2018. Retour au texte

22 « C’eut été un indice trop évident / que de représenter le crâne blanc de face. Il valait mieux / le peindre sous une forme autre : un morceau de bois / soulevé comme par magie à droite au-dessus du tapis marqueté ; le laisser flotter / tel un improbable boomerang juste au-dessous / du bouquet de flûtes et du luth à la corde / brisée, projetant une ombre… // car il y a bien une alchimie dans ces barbes brunes – / dans l’inclinaison (légèrement) négligée du couvre-chef / de l’ambassadeur de gauche » (ma traduction). Retour au texte

23 La part de l’expérimentation gagne en importance dans le dernier volume de Morrissey, intitulé On Balance et mettant en relief les équilibres fragiles sur lesquels reposent toute existence, toute relation humaine, tout « progrès » technique, ou le monde naturel qui nous entoure. Dans cet ouvrage, les poèmes calligrammes se font plus nombreux (« Platinum Anniversary », « The Mayfly », « The Wheel of Death »), tout comme les poèmes expérimentaux, au moins formellement (on citera « Das Ding An Sich » ou « Colour Photographs of Tsarist Russia » qui est imprimé perpendiculairement à l’usage sur la page). Retour au texte

24 Ma traduction de : « in her fifth collection, the TS Eliot award-winner Parallax, Morrissey demonstrates a further development in her distinctive qualities […] – the necessary reticence that a good poem requires. […] the element that perhaps best defines Morrissey’s voice [is] its poise. […] [A] penetrating awareness, along with linguistic gifts and [an] uncompromising rigour, as well as keen instincts for the occasions of poetry, make [Morrissey] such a good poet, but one who knows that the poem needs to stop at the point where ‘the only honesty is silence’ ». Retour au texte

25 Ma traduction de « It felt traumatic. […] I was gripped with fear I would never write a line again. […] my manner of writing after the three year gap was completely different. […] I’d become alienated, overwhelmed in Japan. I needed to settle ». Retour au texte

26 « Ma voix est passée par-dessus bord et s’est échouée sur la grève le jour où j’ai pêché dans la mer du Japon. J’imagine parfois son séjour solitaire le long de la côte d’Honshu, face à la frontière chinoise. Puis je m’imagine son retour – impatiente, éprouvée par le mauvais temps, ayant le mal du pays, désireuse de se confier, chargée de toutes les richesses acquises lorsqu’elle était au loin et me rapportant tout cela sous le soleil » (ma traduction). Retour au texte

27 « Quand je suis partie vivre au Japon, mon écriture a changé immédiatement et profondément. Mon vers s’est étiré, mes images sont devenues plus surréalistes. Ma poésie est devenue bien plus ambitieuse ». « When I went to live in Japan my writing changed immediately and profoundly. My line became much longer, the imagery more surreal. The poetry became a great deal more ambitious » (Sinéad Morrissey citée in : Collins 2015 : 62). Retour au texte

28 Ma traduction de : « meaning [in Japanese] comes in flashes, rather than being linear. It’s so much more intricate and beautiful and multidimensional than English » et « How solid and square and tangible that language is, because it has at least three dimensions, whereas we have only two at most ». Retour au texte

29 « Cela remonte à trop loin pour que l’on puisse se figurer comment toute chose s’est dissoute dans les souples traits noirs d’un pinceau chinois qui en réduisait l’épaisseur originelle. […] Des squelettes renferment des histoires et après les trois lignes fluides qui symbolisent une Montagne, les quatre qui symbolisent le Feu, le petit trait à gauche du symbole de l’Eau pour signifier la Glace, Problème s’écrit sous la forme d’un Arbre dans une Boite […] Un esprit habite ces lignes » (ma traduction). Retour au texte

30 Ma traduction de : « [t]he power of Sinéad Morrissey’s poetry lies in sharply pitched precise emotion and a fine ear and eye for texture. The beauty of her short poems is keening, compact and yet airy ». Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Christelle Serée-Chaussinand, « Blessures et sentiments : les poèmes de Sinéad Morrissey », Textes et contextes [En ligne], 13-1 | 2018, publié le 06 décembre 2018 et consulté le 11 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=1905

Auteur

Christelle Serée-Chaussinand

Maître de Conférences en Études anglophones, Centre Interlangues Texte, Image, Langage (TIL EA 4182), Université de Bourgogne Franche-Comté, UFR Langues et Communication, 4 Bd Gabriel, F-21000 Dijon, christelle.chaussinand [at] u-bourgogne.fr

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