Des cantigas de amigo médiévales aux Décimas de Violeta Parra : chants d’amour et de désamour au féminin ?

Résumés

L’étude, centrée sur l’aire hispanophone dans une perspective diachronique, vise à souligner des aspects récurrents observables dans des compositions où une voix poétique féminine exprime ses sentiments. Certaines contraintes poétiques sont à l’œuvre dès les compositions les plus anciennes de lyrisme féminin en Espagne (cantigas de amigo) et l’on observe des constantes formelles et thématiques dans des chants traditionnels ultérieurs (romancero et cancionero). L’analyse porte ensuite sur l’œuvre poétique de Violeta Parra (Décimas et certaines canciones), qui opère des choix formels habituellement réservés aux auteurs masculins. Cet exemple emblématique permet de s’interroger sur les rôles qu’endossent les voix poématiques féminines pour extérioriser leur moi intime.

The present study is centered on the Spanish-speaking world in a diachronic perspective, and aims to highlight recognizable recurring elements in compositions in which a poetic feminine voice expresses its feelings. Some poetic constraints are at work from the earliest compositions of female lyricism in Spain (cantigas de amigo) and one notices formal and thematic constants in more recent traditional songs (romancero and cancionero). Our analysis focuses then on the poetic work of Violeta Parra (Décimas and some canciones), who has made formal choices which are usually exclusively used by masculine authors. Such characteristic examples raise the question of the roles that feminine poetic voices endorse in order to exteriorize their inner identity.

Plan

Texte

La pastora que de amor
herida está
mil cosas de amor dirá.1

Existerait-il des contraintes formelles ou thématiques dévolues à la poésie féminine, en particulier en matière d’expression du sentiment amoureux ? Face à l’écrasante prééminence de la production lyrique émanant de poètes masculins,2 les poèmes mettant en scène un ‘je’ lyrique féminin détonnent et invitent à observer de plus près cette production.

L’approche envisagée pour la présente étude est diachronique, quoique non exhaustive, et se rapporte à de précédents travaux sur la continuité de la tradition orale poétique chez des auteurs qui puisent aux sources de la littérature populaire transmise de génération en génération pour irriguer leur propre production lyrique (Iglesias 2003 ; 2006a ; 2006b).

La poétesse Violeta Parra (1917-1967) est une artiste chilienne totale, à la fois auteure-compositrice, artiste textile et céramiste. Elle a œuvré en outre pendant toute sa vie pour faire connaître et reconnaître la culture traditionnelle de son pays par un travail pionnier dʼethnomusicologie. Certains de ses poèmes font clairement écho à des chansonnettes et des comptines du folklore enfantin hispanique (Iglesias, 2003 ; Iglesias, 2007 ; Iglesias Ovejero, 2011), tant du point de vue métrique que thématique. Forte de ce constat, la question qui se pose ici est de savoir si Violeta Parra sʼinscrit véritablement dans une tradition de l’expression amoureuse féminine ou si au contraire elle cherche à s’en démarquer par une série de choix formels ou thématiques identifiables.

Pour mesurer lʼécart ou les similitudes perceptibles entre les modèles transmis par la tradition orale et l’esthétique de la lyrique de Violeta Parra, on rappellera tout dʼabord les caractéristiques propres aux cantigas de amigo gallego-portugaises, qui sont lʼune des manifestations très anciennes dʼune lyrique au féminin3 dans la péninsule ibérique. On sʼattachera ensuite à analyser dans la tradition orale le cas particulier des chansons de malmariées, pour aboutir dans une dernière étape à une étude plus spécifique de la poétique de Violeta Parra, tantôt chantre de l’amour comblé ou de l’amour frustré, tantôt porte-parole de sentiments plus universels encore.

1. Les cantigas de amigo galiciennes : assignation d’une voix amoureuse féminine ?

Il convient de rappeler qu’au xiie siècle plusieurs rois de Léon et de Castille eurent le galicien pour langue maternelle, ce qui a favorisé l’émergence aux alentours de l’an 1200 d’une florissante école poétique qui, conjuguant la leçon des troubadours provençaux et les inspirations populaires, constitua pendant près de deux siècles le noyau principal de la lyrique péninsulaire (Rico, 1997 : 54). La tradition gallego-portugaise médiévale a produit entre le xiiie et le xive siècle la cantiga d’amor, une forme poétique issue de la cansó des troubadours, mais dans un registre plus austère, et la cantiga d’escarnho ou de maldizher, une forme plaisante et dévergondée du sirventès provençal, auxquelles s’ajoute la forme poétique de la cantiga de amigo, considérée comme plus originale et plus aboutie que les deux premières, pour n’avoir pas d’équivalent dans la lyrique médiévale européenne.

Cette dernière forme poétique a néanmoins beaucoup de points communs avec la ‘chanson de toiles’ de la France du Nord (Nunes Freire, 2000 ; Zink, 1972 : 8) : dans les deux cas, ce sont des poèmes chantés par des femmes qui évoquent des situations amoureuses dont les protagonistes sont également des femmes. Mais contrairement à la ‘chanson de toiles’ française, où la femme est plutôt l’objet d’un récit (on les appelle également ‘chansons dʼhistoire’), dans la cantiga de amigo (la ‘chanson dʼami’) on perçoit directement une voix féminine, car le chant lyrique est assumé par un ‘je’ poétique féminin (à quelques exceptions près).

On y entend donc s’exprimer une jeune fille qui évolue en plein air et qui s’élance à la rencontre de l’être aimé, dans des chants qui marquent souvent une communion avec le cycle de la nature.

Álzate, amigo que duermes las mañanas frías ;
todas las aves del mundo con amor decían :
¡Qué contenta estoy!
Álzate, amigo que duermes las frías mañanas ;
todas las aves del mundo con amor cantaban :
¡Qué contenta estoy! […]4
(Nuno Fernandes Torneol, cité par Rico, 1997 : 9945)

Dans cette composition, le ‘je’ poétique féminin évolue dans un monde tellurique qui fait retentir l’écho du sentiment exprimé, lui insufflant une puissance quasi magique. Ici le chant des oiseaux est le signe perceptible de l’élan euphorique d’un amour partagé6. La communion avec les forces de la nature se fait souvent de façon privilégiée avec l’élément aquatique – fontaine, fleuve, mais surtout mer et océan7 –, comme en témoigne par exemple cette cantiga de Martin Codax où la mer est interpellée par le moi poétique, tourmenté du fait de l’absence de lʼêtre aimé :

Ondas del mar de Vigo¿habéis visto a mi amigo?
¡Ay, Dios!, ¿si vendrá en seguida?
Ondas del mar alzado,
¿habéis visto a mi amado?
¡Ay, Dios!, ¿si vendrá en seguida?
¿Habéis visto a mi amigo
por quien tanto suspiro?
¡Ay, Dios!, ¿si vendrá en seguida? […]8
(Martin Codax, cité par Rico, 1997 : 9959)

On constate que ces chants adoptent presque toujours le schéma métrique de vers courts (dits de arte menor), heptasyllabes ou octosyllabes, aux rimes assonantes ou consonantes, et présentent parfois l’adjonction d’un refrain. Un autre trait caractéristique des cantigas de amigo est le fait que le sujet poétique est rarement seul, mais plutôt intégré à une collectivité féminine qui participe à ses amours. Sœurs ou amies, la voix poématique se confie ou invite ses semblables à partager la plénitude du bonheur ressenti ou lʼangoisse de lʼattente de lʼêtre aimé, comme dans cette composition dʼAiras Nunes, dont voici la première strophe :

Bailemos las tres, amigas queridas,
bajo estas avellanedas floridas ;
y quien fuere garrida como somos garridas
si sabe amar
en estas avellanedas floridas
vendrá a bailar. […]10
(Airas Nunes, cité par Rico, 1997 : 995-99611)

Ici lʼallégresse propre à la jeunesse se fond dans le décor printanier des arbres en fleurs au fort symbolisme féminin (Frenk, 2006e : 346-347). Le ‘je’ poétique devient un pluriel qui englobe le groupe : un trio d’amies rendues sœurs par la similitude qu’offre la jeunesse et la fraîcheur du sentiment. Cet exemple correspond tout-à-fait au modèle que Maria Luzdivina Cuesta Torres (2001 : 107-108) désigne comme la autoalabanza, ‘l’auto-éloge’ féminin dans la lyrique traditionnelle : en prélude à la plénitude amoureuse, bon nombre de cantigas de amigo et de coplas12 populaires mettent en scène des jeunes filles qui vantent leurs propres charmes, comme un appel envoûtant à la sensualité.

Mais cette forme poétique ancienne reflète-t-elle véritablement un lyrisme proprement féminin ? Il est bien connu que les cantigas de amigo qui sont parvenues jusqu’à nous sont l’œuvre de troubadours hommes, poètes de métier. C’est encore le cas au xve siècle, où une partie conséquente de la production des cancioneros apparue sous la plume de poètes savants adopte un point de vue féminin. Pour n’en citer qu’un cas, voici le jeu poétique auquel s’est livré Lope de Estúñiga (v. 1406-v. 1480), à la demande de six dames, auxquelles il attribue les vertus symboliques de six fleurs aux teintes variées, qui prennent la parole à tour de rôle. Nous n’en citons que les trois premières, représentatives de ce codage amoureux :

La blanca
Yo dormidera cuitada
llena de grand amargura
amarte sin ser amada
fue siempre la mi ventura.
La azul
Bien segura puede estar
cualquiera que me tomare,
que nunca verá pesar
de cosa que bien amare.
La prieta
Dama de grand gentileza
guárdete Dios de mi suerte,
la cual fue siempre tristeza,
muy más áspera que muerte. […]13
(Gerli, 1994 : 116-117, n° 45)

On voit ici avec quel art le poète attribue à chacune des dames une modalité de l’expression du sentiment amoureux, savamment associée au symbolisme de différentes couleurs.

L’importante contribution de Margit Frenk au corpus de coplas fait apparaître la persistance dans la tradition orale des xvie et xviie siècles de ces chants ‘au féminin’ qui mettent au premier plan l’élan amoureux (Frenk 1987 ; 1992).

Dirá quanto dixere
la gente deslenguada
que quiero a quien me quiere
y amo y soy amada.14
(Frenk, 1987 : 158)

Ce simple quatrain aux rimes croisées est représentatif d’une large part de ces chansonnettes qui proclament sans réserve un sentiment amoureux vécu dans sa plénitude (Frenk, 2006b : 310-312). Il faut tenir compte bien sûr du contexte d’interprétation de ces chants ; ils étaient souvent entonnés pour accompagner des tâches quotidiennes ou à l’occasion de fêtes et notamment pour les festivités de mariage (Iglesias Giraud et Iglesias Ovejero, 1998 : 194-196). Mais on peut avoir l’impression que c’est une place dévolue de l’extérieur, par la contrainte sociale d’avoir à trouver un mari, qui commande cette fonction d’auto-éloge que nous avons déjà soulignée. Ces chansons reflètent alors surtout la place qui est assignée aux femmes, pas nécessairement celle qu’elles souhaiteraient occuper. Cela dit, les femmes se sont appropriées ce répertoire lyrique et s’en servent parfois pour transmettre des leçons d’éducation traditionnelle en préparant les filles à leur futur rôle (Iglesias, 2003).

Parfois les chants traditionnels font affleurer une forme de subversion des règles sociales établies. Ainsi, dans certains cas, le sujet poétique féminin se sentant délaissé, fait entendre une voix qui réaffirme fièrement ses atours :

Vanse mis amores
quiérenme dejar
aunque soy morena
no soy de olvidar.15
(Frenk, 1987 : 530)

Cette dernière revendication de la voix poématique qui s’auto-définit comme une femme sensuelle et expérimentée (morena, la couleur brune des cheveux, est associée dans le folklore traditionnel hispanique à l’expérience sexuelle par opposition à la jeune fille innocente et naïve, rubia ou blanca) (Cuesta Torre,  2001 : 112-113).

Ce dernier exemple nous permet d’aborder un autre motif récurrent de la tradition lyrique féminine : la complainte de la malmariée, dont on retrouve des traces écrites qui remontent jusqu’au xvie siècle.

2. Les complaintes de la malmariée dans la tradition orale hispanique : plainte de désamour

Parmi les chants à thématique amoureuse, les cantares de malcasada (‘chants de malmariée’) constituent une catégorie à part, facilement identifiable dans les Cancioneros du xvie siècle. Ainsi, le musicien et humaniste Francisco de Salinas (1513-1590), dans son traité De musica libri septem (1576), en recueille un cas, accompagné de la transcription mélodique (Menéndez Pidal : II, 409).16 Les chants de malmariées qui sont parvenus jusqu’à nous grâce à la tradition orale sont légion, comme en témoigne entre autres l’étude de María E. Luque (2001 : 161-168). Nous en citerons un exemple, puisé dans le répertoire traditionnel de la région du sud-ouest de Salamanque :

Me casó mi madre muy pequeña y niña
con un buen muchacho que ella bien quería.
El día de la boda el traidor se iba
con la capa al hombro por la espalda tendida.
Y me fui detrás por ver pa onde [sic] iba,
y lo vi que entraba pa en ca [sic] de la amiga.
Me puse a la puerta por ver qué decía.
Y así le decía: “Prenda de mi vida
a ti te he de dar sayas y besquiñas [sic]
y a la otra mujer, palo y mala vida”.17
(Iglesias Giraud et Iglesias Ovejero, 1998 : 97)

Ce romance traditionnel en hexasyllabes, qui date au moins du xvie siècle, est très représentatif de ces complaintes où la voix poétique féminine proteste contre la vie frustrante et amère que lui procure le mariage auprès d’un époux trop âgé, trop autoritaire, infidèle ou trop absent. Il en existe depuis le Moyen Âge des centaines, comme le reflète l’anthologie Canciones populares de la tradición medieval élaborée par Francisco Torrecilla del Olmo (en reprenant en grande partie des chants répertoriés par Frenk, 1987), qui consacre la section VIII aux chants à thématique amoureuse, dont près de 180 compositions présentent un ‘je’ poétique féminin, et répertorie 15 chansons de malmariées18 (Torrecilla del Olmo, 1997 : 81-83).

Souvent, comme c’est le cas de la chanson reproduite plus haut, la complainte est formulée à la façon d’une confidence faite à la mère ou à la sœur, comme pour partager un sort funeste commun ; peut-être peut-on voir une amorce de subversion sociale dans ces chants qui remettent en cause de façon réitérée la déception qu’entraîne le mariage imposé par une norme sociale et qui ne correspond que très rarement à un choix sentimental.

Dans certains cas, la voix poétique se plaint de n’être pas considérée comme elle le mériterait et manifeste son désir sensuel :

Pues que me tienes,
Miguel, por esposa,
mírame, Miguel,
cómo soy hermosa.

¡Mira qué extremada
me hizo natura!
¡Cuánta hermosura
en mí está encerrada! […]19
(Alín, 1991 : 296-297, n° 460)

Cette chanson est moins plaintive que revendicative et joue ici encore sur le registre de l’auto-louange, puisque la voix poétique insiste sur les charmes que lui a conférés la nature pour rappeler Miguel à son devoir conjugal (Cuesta Torre, 2001 : 111-112). De façon originale, cette chanson probablement composée au milieu du xvie siècle met en scène une épouse désireuse de ramener vers elle son époux, à la façon d’une ode à la fidélité conjugale. Cette posture originale est présentée de façon paradoxale du fait que la locution « pues que » (habituellement à valeur causale, ‘puisque’) peut aussi avoir un sens adversatif, ce qui donne à l’invitation amoureuse une tournure particulière : « regarde-moi, quoique je sois » ou « même si je suis ton épouse ».

Cette rapide incursion dans l’immense répertoire du cancionero de type traditionnel ancien (médiéval et renaissant) nous a permis d’observer quelques constantes : l’assignation au sujet féminin d’une parole amoureuse expressive, ancrée dans des jeux symboliques immuables (nature en fleurs, chant des oiseaux, présence d’une eau fécondante), usant de parallélismes et d’échos sonores propres à la lyrique populaire (dans les limites souples de la copla octosyllabique).

Mais comment ces constantes de la chanson de femme apparaissent-elles dans la lyrique de Violeta Parra, pionnière de la chanson folk dans les années 60, et auteure d’une poésie vitaliste nourrie de rythmes et de références puisées dans la tradition du cancionero traditionnel chilien ?

3. Violeta Parra : une troubaritz de l’ère contemporaine ?

3.1. Le parcours vital et artistique de Violeta Parra

La figure emblématique de l’artiste chilienne instigatrice de la nueva canción chilena est bien connue. Née en 1917 au sud du Chili, d’un père professeur de musique et d’une mère guitariste et chanteuse, dans une famille de neuf frères et sœurs, elle commence dès l’âge de neuf ans à jouer de la guitare et elle compose ses premières chansons à peine âgée de douze ans. En 1938 elle épouse Luis Cerceda, dont elle aura deux enfants, Isabel et Angel, avec lesquels elle réalisera par la suite une grande part de son œuvre musicale. Elle se séparera de son époux en 1948. À partir de 1952, suivant les conseils de son frère aîné Nicanor Parra, elle commence à parcourir des zones rurales pour enregistrer et cataloguer le fonds folklorique chilien. Ce travail d’investigation l’amène à découvrir la poésie et le chant populaires de tous les recoins du Chili. Elle élabore ainsi une synthèse culturelle chilienne et fait émerger une tradition de très grande richesse jusque là ignorée du monde universitaire. À partir de cette étape elle se fait chantre de l’authentique culture populaire. Elle compose des chansons, des décimas (dizains), de la musique instrumentale, mais elle est également peintre, brodeuse et céramiste. Pendant la décennie qui suit, elle est invitée dans toute l’Europe (Pologne, Finlande, URSS, Allemagne) et enregistre ses premiers disques avec des chansons folkloriques et d’autres compositions de sa propre invention. Elle séjourne trois ans à Paris, où elle aura l’occasion d’exposer ses tapisseries au Louvre. À son retour au Chili, elle crée le centre culturel de La Carpa, qui n’obtient pas le succès escompté, ce qui accentue le sentiment de désenchantement qu’elle connaît à cette période. Elle se donnera la mort en 1967.

Elle avait rencontré en 1961 l’anthropologue et musicien suisse Gilbert Favre qui devint l’amour de sa vie, et à qui elle dédiera certaines de ses chansons d’amour les plus connues. Cette relation se termine en 1966 au moment où Gilbert Favre s’installe en Bolivie.

La façon d’aborder l’écriture poétique est très particulière chez Violeta Parra et semble présenter deux modalités bien distinctes selon le type de sentiment qu’elle souhaite exprimer. En effet on remarque un contraste très marqué entre ses chansons, à la saveur populaire inégalée, et son recueil Décimas. Autobiografía en versos chilenos, qui paraîtra de façon posthume, avec une préface de Pablo Neruda (Parra : 1970).

3.2. La porte-parole d’une voix féminine universelle ancrée dans la tradition de la chanson populaire renouvelée

Bon nombre des chansons de Violeta Parra prétendent réinsuffler dans la chanson destinée au grand public la saveur oubliée de la chanson traditionnelle chilienne, en adoptant les rythmes et les intonations des chants folkloriques qu’elle a répertoriés au cours de longues campagnes de compilation ethnomusicologiques.

C’est avant tout la nostalgie qui domine dans « Volver a los 17 », une chanson d’inspiration folklorique, composée en 1962 et qui figure dans son album discographique à valeur quasi testamentaire, Las últimas composiciones (Parra : 1966) :

Volver a los diecisiete
después de vivir un siglo
es como descifrar signos
sin ser sabio competente.
Volver a ser de repente
tan frágil como un segundo,
volver a sentir profundo
como un niño frente a dios,
eso es lo que siento yo
en este instante fecundo.

Se va enredando, enredando,
como en el muro la hiedra,
y va brotando, brotando,
como el musguito en la piedra.
ay sí sí sí
[…]
Lo que puede el sentimiento
no lo ha podido el saber,
ni el más claro proceder
ni el más ancho pensamiento,
todo lo cambia el momento
cual mago condescendiente,
nos aleja dulcemente
de rencores y violencias,
sólo el amor con su ciencia
nos vuelve tan inocentes.
[…]

De par en par en la ventana
se abrió como por encanto,
entró el amor con su manto
como una tibia mañana,
al son de su bella diana
hizo brotar el jazmín,
volando cual serafín
al cielo le puso aretes
y mis años en diecisiete
los convirtió el querubín.20

Cette chanson d’amour d’une expressivité bouleversante insiste sur la force du sentiment amoureux capable d’inverser le cours du temps et de ramener le ‘je’ poétique d’âge mûr, plein de sagesse et de raison, à la fraîcheur et à l’innocence de l’adolescence en pleine effervescence intime.

Pour donner corps à cette ode à la plénitude amoureuse, Violeta Parra a fait le choix d’un rythme traditionnel, la sirilla canción, qui se compose d’octosyllabes regroupés en strophes de vers embrassés (Millares, 2000 : 174-175). Ce choix est très révélateur, car il inscrit cette chanson contemporaine dans la tradition du lyrisme féminin de la cantiga de amor que nous avons évoquée précédemment, comme si cette métrique traditionnelle était la plus appropriée pour dire l’euphorie de l’instant hors du temps que procure l’élan amoureux. De la même manière, Violeta Parra a recours à une série de métaphores empruntées au monde végétal, qui ancrent son chant dans la tradition de la cantiga médiévale, dévolue au dévoilement intime d’un sentiment amoureux débordant, qui exulte et aspire à être partagé.

Mais si le ‘je’ poétique est bien présent dans les possessifs et les références à l’âge du sujet féminin, il convient de remarquer que Violeta Parra parvient à donner une valeur universelle à cette ode à la jeunesse amoureuse et heureuse, en gommant toutes les marques grammaticales ou sémantiques du féminin. Le pouvoir orphique de l’amour et les références à Cupidon (« el querubín ») sont des contrepoints plus savants qui ‘masculinisent’ en quelque sorte la chanson, comme pour parvenir à un équilibre de genre neutre et, partant, universel.

3.3. Dire la douleur de l’abandon en renouvelant la voix féminine des cantigas traditionnelles

Le répertoire chanté de Violeta Parra nous offre un autre cas de figure bien différent, où la voix de la chanteuse adopte et adapte des modalités traditionnelles pour dire cette fois la douleur de la fin d’un amour partagé. Composée après le départ de son compagnon Favre, la chanson « Run Run se fue pa’l norte » constitue une reprise avec variation du traditionnel « Mambrú se fue a la guerra », lui-même adapté de la chanson populaire française datant du xviiie siècle « Malbrough s’en va-t-en guerre » (Iglesias Giraud et Iglesias Ovejero, 1998 : 171-172 ; Iglesias Ovejero, 2011 : 227).

En un carro de olvido,
antes de aclarar,
de una estación del tiempo,
decidido a rodar
Run Run se fue pa’l Norte,
no sé cuándo vendrá.
Vendrá para el cumpleaños
de nuestra soledad.

A los tres días, carta
con letra de coral,
me dice que su viaje
se alarga más y más,
se va de Antofagasta
sin dar una señal,
y cuenta una aventura
que paso a deletrear
ay ay ay de mí.
[…]

La cosa es que una alforja
se puso a trajinar,
sacó papel y tinta,
un recuerdo quizás,
sin pena ni alegría,
sin gloria ni piedad,
sin rabia ni amargura,
sin hiel ni libertad,
vacía como el hueco
del mundo terrenal

Run Run mandó su carta
por mandarla no más.
Run Run se fue pa’l Norte
yo me quedé en el Sur,
al medio hay un abismo
sin música ni luz
ay ay ay de mí.

El calendario afloja
por las ruedas del tren
los números del año
sobre el filo del riel.
Más vueltas dan los fierros,
más nubes en el mes,
más largos son los rieles,
más agrio es el después.

Run Run se fue pa’l Norte
qué le vamos a hacer,
así es la vida entonces,
espinas de Israel,
amor crucificado,
corona del desdén,
los clavos del martirio,
el vinagre y la hiel
ay ay ay de mí.21
(Parra, 1966)

Le jeu d’intertextualité avec la chanson populaire apparaît en particulier au début de la composition, du fait de la similitude sonore entre « Run Run » et « Mambrú » et de l’amorce « se fue pa’l Norte » qui est calquée sur le vers initial « Mambrú se fue a la guerra » (‘Malbrough s’en va-t-en guerre’). La modernisation de ce chant, qui s’inscrit dans la veine des complaintes de mariées privées de leur époux par la guerre, s’opère notamment par la présence de la « carta », la lettre se substituant au page venu annoncer la mort du soldat parti sur le champ de bataille, et par les éléments faisant référence au périple de l’être aimé (« estación del tiempo », « tren », « rieles »).

Mais ici le bien-aimé de la voix poétique est parti de son plein gré et décide de lui-même de ne plus revenir. La douleur ressentie à la lecture de la lettre de rupture est exprimée par une série d’images très crues qui font écho à la Passion du Christ dans la dernière strophe de la chanson : épines, couronne, amour crucifié. Ces termes violents visent à identifier la peine du sujet poétique abandonné avec le calvaire du Christ, symbole ultime d’une posture sacrificielle qui accepte la souffrance et la mort pour sauver les hommes, malgré le sentiment d’être trahi et abandonné de tous, y compris de Dieu. C’est donc une parole dépourvue du sentimentalisme habituellement attribué à l’expression féminine de la douleur (larmes, soupirs, sanglots…) que choisit d’affirmer Violeta Parra ; elle se sert de la voix traditionnelle du motif de « Malbrough s’en va-t-en guerre » pour la transcender en proposant une évocation empreinte de références chrétiennes qui font de son chemin de croix personnel, une douleur universelle.

3.4. Un testament poétique aux accents universels : par-delà la voix poétique au féminin, le choix de l’écriture ‘virile’ des Décimas. Autobiografía en verso

L’œuvre poétique la plus aboutie de Violeta Parra s’intitule Décimas. Autobiografía en verso, élaborée entre 1957 et 1959 mais éditée de façon posthume en 1970 (Agosín et Dölz Blackburn, 1988). Elle se compose de 925 fragments enchaînés sans discontinuité, comme un long lai à la façon médiévale.

Dans ce cas, la forme même de la strophe adoptée pourrait être qualifiée de plus masculine : si le dizain est bien une strophe traditionnelle, en particulier au Chili (Lluch, 1994 ; Trapero, 1996 ; Miranda Herrera, 2001), il se prête davantage à des sujets habituellement abordés par des voix poétiques masculines. D’une certaine manière, dans cette autobiographie en vers, Violeta Parra assume la voix du troubadour qui interpelle son auditoire et exerce un travail de retour sur soi offert à la communauté, avec un recul beaucoup plus marqué encore que dans les deux exemples de chansons précédemment analysés.

Le début de ces décimas place la voix d’une façon étonnamment neutre, comme hors de tout marquage d’une identité féminine :

Pa’ cantar de un improviso
se requiere buen talento,
memoria y entendimiento,
fuerza de gallo castizo.
Cual vendaval de granizos
han de florear los vocablos,
se ha de asombrar hast’el diablo
con muchas bellas razones,
como en las conversaciones
entre San Peiro y San Paulo.

Tamién, señores oyentes,
se necesita estrumento,
muchísimos elementos
y compañero’locuente […].22
(Parra, 1970 : 22-23)

La voix poétique s’assigne un rôle presque similaire à celui de crieur public qui était dévolu autrefois aux colporteurs qui diffusaient les coplas populaires dans les campagnes des aires hispaniques. Les termes qui font référence au sujet poétique sont éminemment neutres : « Pa’cantar […] se requiere buen talento, memoria e inteligencia ». Cette énumération de qualités du chanteur de couplets improvisés ne correspond pas du tout aux représentations traditionnelles de la voix lyrique féminine, comme si d’emblée Violeta Parra se refusait à se contraindre à un rôle poétique imposé.

Bien au contraire, elle fait montre tout au long de son œuvre en dizains de sa capacité à surplomber ses souvenirs personnels avec distance et pudeur. D’ailleurs la métaphore de la chanteuse en coq (« gallo de buena casta ») y contribue également, puisque cet animal qui claironne au lever du soleil est traditionnellement symbole de victoire et de résurrection, plutôt considérées comme des apanages virils.23

L’évocation de l’enfance passe par une prise de conscience des difficultés traversées, sur un mode à la fois introspectif et distancé, comme dans la neuvième de ses Décimas :

La suerte mía fatal
no es cosa nueva, señores,
me ha dado sus arañones
de chica muy despiadá’.
Batalla descomunal
yo libro desde mi infancia ;
sus temibles circunstancias
me azotan con desespero,
dejándome años enteros
sin médula y sin sustancia.24
(Parra, 1970)

Le ton pessimiste de ces mémoires versifiées est contrebalancé par la fulgurance des images employées pour donner vie au souvenir, mêlée au rythme et à la langue rugueuse de la tradition folklorique chilienne (d’où les finales élidées et les nombreux termes du parler chilien des campagnes qui parsèment les strophes des Décimas).

L’amour malheureux tient une place notable dans ce recueil autobiographique, même s’il convient de souligner la grande variété des sujets abordés dans les Décimas. La composition n° 86 reflète parfaitement la posture de Violeta Parra, à la fois à fleur de peau et désireuse d’atteindre une sorte de détachement :

Entré al clavel del amor
cegada por sus colores ;
me ataron los resplandores
de tan preferida flor.
Ufano de mi pasión
dejó sangrando una herida
que lloro muy conmovida
en el huerto del olvido.
Clavel no ha correspondido,
qué lágrimas tan perdidas.
[…]

Un lirio me da consejos
me dice de qu’el clavel
en l'alma de la muher
siempre ha rondado muy lejos.
Mi sentimiento perplejo
se confundió de camino.
Un pájaro con su trino
me dijo: « Parte de aquí ».
Y a mi Santiago volví
para cambiar mi destino.

Un año crucé las calles
gimiendo muy dolorosa,
y a trabajar afanosa
me fui por montes y valles.
No quiero entrar en detalles
ni remover las cenizas,
lo malo m’escandaliza,
quiebra nervios y huesos.
El viento voló sus besos,
la mar lavó sus caricias.

Publican de qu'el clavel
se fue a un jardín del Oriente ;
yo fui leyendo sonriente
lo que decía el papel.
La vida es un carrusel
que va girando, girando,
ella me fue demostrando
que con el tiempo se cura
hasta la peor desventura
causada por un ingrato.25
(Parra, 1970)

Ce retour poétique a posteriori sur un épisode douloureux de grande déception amoureuse prend ici ancrage à la fois dans la tradition plus ‘virile’ du dizain poétique, mêlé à des motifs de la tradition lyrique féminine ancienne : ici, celui de la jardinière d’amour (Iglesias Giraud et Iglesias Ovejero, 1998 : 190-192), extrêmement prégnant dans la poétique de Violeta Parra (Millares, 2000 : 176-178). Mais si le jardin printanier en fleurs est habituellement le lieu d’un paradis amoureux, Violeta Parra s’empare du motif pour le revivifier en assimilant les fleurs du jardin à différentes figures masculines (« clavel rojo », l’œillet écarlate, figurant le bien-aimé ; « lirio », lys blanc, conseiller qui lui ouvre les yeux). La lettre qui aveugle et berce d’espoir le sujet poétique est à nouveau présente dans cette composition en dizains (« yo fui leyendo sonriente // lo que decía el papel »), mais de manière fugace, car au lieu d’insister sur la douleur de la trahison et du sentiment d’abandon qui affleurent au début du poème (blessure sanglante, larmes versées, image des cendres de la passion), la voix poématique adopte une posture stoïque en fin de composition, en suggérant que le temps guérit tous les chagrins grâce à l’image du carrousel de la vie, roue qui tourne et qui gomme la « pire mésaventure causée par un ingrat ».

Cette attitude apaisée est également celle qui transcende une de ses plus célèbres chansons, à valeur testamentaire, « Gracias a la vida » (‘Merci la vie’), où Violeta Parra parvient à affirmer son sentiment d’avoir goûté à la fois les plaisirs et les douleurs de l’existence, et célèbre cette expérience totale, qui lui a tant donné (« que me ha dado tanto », dit le refrain), aussi bien le rire que les larmes.

4. Conclusion

Le parcours accompli dans cette étude nous a permis de souligner des constantes remarquables depuis la lyrique traditionnelle des chants d’amour et des complaintes de malmariées jusqu’à l’œuvre individuelle d’une grande originalité de l’artiste qui a inspiré toute une génération d’auteurs compositeurs folks dans les années 70, en Amérique latine et plus largement au niveau mondial.

Si Violeta Parra est une poétesse résolument contemporaine et une femme de son temps par son parcours personnel intime, sa sensibilité esthétique la porte à puiser une part de son inspiration aux sources de la tradition de la chanson de femme. Experte des rythmes et des modes traditionnels, elle joue des différentes formes, des thèmes et des motifs transmis par la tradition orale pour se les réapproprier en les transcendant. Elle s’en saisit, d’une part, pour habiter pleinement cette place dédiée à la voix féminine, dans le cadre de certaines de ses chansons qui revivifient le répertoire traditionnel. D’autre part, elle les fait siens pour mieux s’en démarquer en prétendant à une voix asexuée plus universelle encore, en particulier dans certaines de ses décimas qui déploient le regard qu’elle porte sur son propre parcours vital et sur le monde cruel dans lequel elle a tenté d’apporter une contribution esthétique unique.

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Notes

1 « La bergère qui d’amour // est blessée // mille choses d’amour dira » (ma traduction). Chant figurant dans le dialogue Los divinos amores attribué à Juan Timoneda, publié à Valence en 1568 (Cátedra, 2001 : 89). Retour au texte

2 Cette prépondérance de la composition poétique dévolue à des auteurs masculins est manifeste dès l’Antiquité, avec quelques exceptions notoires, comme la poétesse Sapho. Ainsi, dans son ouvrage consacré aux auteurs de la lyrique provençale médiévale, Martín de Riquer répertorie-t-il 122 troubadours, dont seulement deux trobairitz ayant vécu à la fin du xiie siècle, Azalais de Porcaraigues (Riquer, 2011 : 459-462) et la Comtessa de Dia, souvent comparée à Louise Labé, sans spécifier dans le commentaire les particularités de leur art de composer (Riquer, 2011 : 791-793). Retour au texte

3 Il convient de préciser que les jarchas et moaxajas, plus anciennes encore que les cantigas de amigo, puisqu’elles apparaissent entre le xe et le xiiie siècle dans l’Espagne musulmane, reflétaient déjà une profonde intimité féminine, souvent sous la modalité du chant amoureux. S’agissant de compositions bilingues, dont une partie est rédigée en arabe et les strophes finales en langue romance, ancêtre du castillan, ou en arabe vulgaire, nous avons préféré ne pas les inclure dans notre corpus. On pourra consulter au sujet des jarchas l’étude de García Gómez (1991) ou la thèse récente de Oulad Amar (2013). Retour au texte

4 « Lève-toi, mon ami, qui dors au glacé matin // tous les oiseaux du monde avec amour disaient : // Comme je suis contente! /// Lève-toi, mon ami, qui dors au glacé matin ; // tous les oiseaux du monde avec amour chantaient : // Comme je suis contente! » (ma traduction). Retour au texte

5 Version castillane de Miguel Requena ; le texte original galicien de ce troubadour du xiiie siècle, auteur de huit cantigas de amigo et qui était au service d’un chevalier castillan, figure également dans l’anthologie poétique de Rico (1997 : 55-56). Retour au texte

6 Cette expression orphique de la plénitude amoureuse a été maintes fois abordée, notamment dans l’étude de synthèse de Margit Frenk portant sur le contraste entre chants d’amour heureux et chants d’amours malheureux dans le répertoire lyrique traditionnel médiéval (Frenk, 2006a). Retour au texte

7 Concernant les motifs récurrents de la poésie populaire médiévale hispanique, et en particulier sur le symbolisme de lʼeau de la fontaine comme motif de fécondité ou d’érotisme, on se reportera aux travaux pionniers de Stephen Reckert (1970) et de Margit Frenk (1971 : 54-55 et 67 ; 2006e : 331), ainsi quʼaux récentes contributions de Juan Victorio concernant l’expression poétique symbolique de l’amour en poésie traditionnelle (2001 et 2004). Retour au texte

8 « Ondes de la mer de Vigo // ¿avez-vous vu mon ami? // Oh, Seigneur, viendra-t-il de suite ? // Ondes de la mer déchaînée // avez-vous vu mon bien-aimé ? // Oh, Seigneur, viendra-t-il de suite? // Avez-vous vu mon bien-aimé // pour qui je soupire tant ? // Oh, Seigneur, viendra-t-il de suite? […] » (ma traduction). Retour au texte

9 Version castillane de Miguel Requena ; le texte original galicien figure dans l’anthologie poétique de Rico (1997 : 57). Retour au texte

10 « Dansons toutes trois, amies très chères, // sous les noisetiers fleuris : // et qui serait jolie comme nous sommes jolies // si elle sait aimer // entre ces noisetiers fleuris // viendra danser. […] » (ma traduction). Retour au texte

11 Version castillane de Miguel Requena ; le poème original galicien figure dans l’anthologie de Rico (1997 : 58). Retour au texte

12 Le terme copla désigne de brefs poèmes en vers courts, équivalant en général à un quatrain ou à plusieurs couplets enchaînés. Retour au texte

13 « La blanche // Moi fleur de pavot inquiète, // pleine de grande amertume // t’aimer sans être aimée // fut toujours ma destinée. /// La bleue // Bien assurée peut rester // toute celle qui me cueillera // car jamais elle ne verra chagrin // pour l’objet qu’elle aimera bien. /// La noire // Dame de grande gentillesse // que Dieu te garde de mon sort // qui fut toujours une tristesse // encore plus âpre que la mort. […] » (ma traduction). Retour au texte

14 « Ils pourront dire ce qu’ils voudront // tous ces gens médisants, // moi je chéris qui me chéris en retour // et j’aime et je suis aimée » (ma traduction). Retour au texte

15 « Mes amours s’en vont // ils veulent me laisser // bien que je sois brune // on ne doit m’oublier » (ma traduction). Retour au texte

16 Pour plus de précisions sur les liens entre Francisco de Salinas et la chanson traditionnelle au xvie siècle, voir Alín (1998 : 137-157). Retour au texte

17 « Ma mère m’a mariée, / toute jeune et encore fillette // avec un brave garçon / qu’elle aimait beaucoup. // Le jour de la noce / le traître partait // la cape à l’épaule / étendue sur son dos. // Je partis derrière lui / pour voir où il allait // et je le vis qui entrait / vers chez sa bonne amie. // Je me mis à la porte pour voir ce qu’il disait. // Et il lui disait ainsi : / "Trésor de ma vie, // à toi je te donnerai / des robes et des jupes // et à l’autre femme, des coups de bâton et une mauvaise vie" » (ma traduction). Cette version est interprétée par María Antonia Ovejero, née en 1902 et âgée de 80 ans au moment de l’enregistrement du compilateur dans le village de Robleda (Ciudad Rodrigo, province de Salamanque). Retour au texte

18 Torrecilla del Olmo répertorie en outre les invitations galantes faites à l’amant (« Al alba venid, buen amigo » - ‘Venez à l’aube, mon bon ami’, 12 chansons), les chansons de jeunes filles désirant se marier (16 exemples), les chansons de paysannes amoureuses de gentilshommes (20), celles exprimant la douleur de l’absence de l’amant (17), celles reflétant la peine d’amour (18) et celles, plus paillardes, exprimant le plaisir d’amour (80) (1997 : 73-123). Retour au texte

19 « Puisque tu m’as, // Miguel, pour épouse, // regarde-moi, Miguel, // comme je suis belle. /// Regarde combien parfaite // nature m’a faite ! // Combien de beauté // se trouve en moi enfermée ! […] » (ma traduction). Cette chanson figure dans le Cancionero musical de Medinaceli, compilation de musique polyphonique profane élaborée dans la seconde moitié du xvie siècle. La troupe de Jordi Savall, Hespèrion XX a enregistré une version discographique à partir des transcriptions anciennes dans son album Music in Europe 1550-1650. Accessible sur la page web : https://www.youtube.com/watch?v=Ras8nAhFVf4 (consultée le 5 octobre 2017). Retour au texte

20 « Revenir à ses dix-sept ans // après avoir vécu un siècle // c'est comme déchiffrer des signes // sans être un savant compétent. // Être à nouveau brutalement // aussi fragile qu'un second, // sentir de nouveau profondément // comme un enfant face à Dieu // voilà ce que je ressens // en ce fécond instant. /// Il s’emmêle, s’emmêlant // comme le lierre sur le mur // et il éclot, éclosant // comme la petite mousse sur la pierre// ah, oui, oui, oui. /// […] /// Ce que peut le sentiment, // le savoir n’en a pas eu le pouvoir, // ni la démarche la plus claire, // ni la pensée la plus vaste, // l’instant change tout // tel un mage condescendant, // il nous éloigne doucement // de rancœurs et de violences, // seul l’amour avec sa science // nous rend aussi innocents. /// […] /// Par la fenêtre // qui s’ouvrit comme par enchantement, // l’amour entra avec son manteau // comme un tiède matin, // au son de son beau clairon // il fit fleurir le jasmin // en volant tel un séraphin // il mit des arêtes au ciel // et mes années en nombre de dix-sept // le chérubin les transforma. » (ma traduction). Retour au texte

21 « Dans une voiture d’oubli // avant le lever du jour, // dans une gare du temps // décidé à rouler // Roun-Roun s’en va vers le Nord, // ne sais quand reviendra. // Il reviendra pour l’anniversaire // de notre solitude /// Au bout de trois jours // une lettre à l’écriture de corail // me dit que son voyage // se prolonge encore et encore, // il part d’Antofagasta // sans donner de nouvelles, // et raconte une aventure // que je me mets à épeler // aïe, aïe, aïe, pauvre de moi. /// […] /// Le fait est qu’une besace // il se mit à remuer, // il sortit du papier et de l’encre, // un souvenir peut-être, // sans peine et sans joie, // sans gloire ni pitié, // sans rage ni amertume, // sans fiel ni liberté, // vide come le trou // du monde terrestre, // Roun Roun envoya sa lettre // juste pour l’envoyer, c’est tout. // Roun Roun s’en va vers le Nord // et moi je suis restée dans le Sud, // au milieu il y a un abîme // sans musique ni lumière // aïe aïe aïe pauvre de moi. /// Le calendrier lâche // le long des roues du train // les nombres de l’année // sur le fil du rail. // Les fers font plus de tours, // plus de nuages dans le mois, // les rails sont plus longs, // plus amer est le lendemain. // Roun Roun s’en va vers le Nord // qu’est-ce qu’on peut y faire ? // la vie est comme ça alors // épines d’Israël, // amour crucifié, // couronne du dédain, // les clous du martyre, // le vinaigre et le fiel // aïe aïe aïe pauvre de moi. » (ma traduction). Retour au texte

22 « Pou’chanter en improvisant // on a besoin d’un bon talent, // de mémoire et d’intelligence, // d’une force de coq de bonne caste. // Tel une tempête de grêle // les termes doivent fleurir, // le diabl’lui-même doit rester pantois // avec maints magnifiques mots, // comme dans les conversations // entre Saint Peirre [sic] et Saint Paul. /// Aussi, mesdames et messieurs, // on a besoin d’instrument, // un très grand nombre d’éléments // et un compagn’éloquent. » (ma traduction). Retour au texte

23 Dans la tradition antique, le coq symbolise la victoire contre les ténèbres puisque son chant annonce le renouveau du jour, et dans la tradition judéo-chrétienne dans laquelle s’inscrit Violeta Parra, il est associé au Christ annonçant le jour nouveau de la foi. Retour au texte

24 « Mon sort funeste // n’est pas chose nouvelle, messieurs dames, // il m’a donné ses coups de griffe // quand j’étais petite sans aucune pitié. // C’est une bataille gigantesque // que je livre depuis mon enfance ; // ses redoutables circonstances // me tourmentent désespérément, // me laissant des années entières // sans moelle et sans substance » (ma traduction). Retour au texte

25 « Je suis entrée voir l’œillet de l’amour // aveuglée par ses couleurs ; // m’ont piégée les splendeurs // de cette fleur préférée. // Fier de ma passion // il laissa une blessure sanglante // que je pleure très émue // dans le jardin de l’oubli. // Œillet n’a pas payé de retour, // quelles larmes si perdues. //// […] /// Un lys me donne des conseils, // me dit que l’œillet // dans l’âme de la femme // a toujours tourné très loin. // Mon sentiment perplexe // s’est trompé de chemin. // Un oiseau avec son chant // m’a dit : “Vas-t-en d’ici”. // Et à mon Santiago je retournai // pour changer ma destinée. /// Pendant un an je traversai des rues // en soupirant pleine de douleur // et je partis par monts et vallées // pour travailler avec zèle. /// Je ne veux pas entrer dans les détails // ni remuer les cendres // le mal me scandalise, // il brise les nerfs et les os. // Le vent fit s’envoler ses baisers // la mer lava ses caresses. /// On déclare que l’œillet // est parti dans un jardin d’Orient ; // moi je lus en souriant // ce que disait le papier. // La vie est un carrousel, // qui tourne, tourne, // elle m’a montré peu à peu // qu’avec le temps on guérit // jusqu’à la pire mésaventure // causée par un ingrat. » (ma traduction). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Cécile Iglesias, « Des cantigas de amigo médiévales aux Décimas de Violeta Parra : chants d’amour et de désamour au féminin ? », Textes et contextes [En ligne], 13-1 | 2018, publié le 29 novembre 2018 et consulté le 28 mars 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=1842

Auteur

Cécile Iglesias

Maître de Conférences, Centre Interlangues Texte, Image, Langage (TIL EA 4182), Université de Bourgogne Franche-Comté, UFR Langues et Communication, 4 Bd Gabriel, F-21000 Dijon, cecile.iglesias [at] u-bourgogne.fr

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