Philippe Poirrier (éd.), L’histoire culturelle : un « tournant mondial » dans l’historiographie, 2008

Référence(s) :

Philippe Poirrier éd., L’histoire culturelle : un « tournant mondial » dans l’historiographie ? (= Sociétés), Dijon : Éditions Universitaires de Dijon, 2008

Texte

Cet ouvrage est une tentative bienvenue pour saisir la nature de l’histoire culturelle, une sous-discipline née dans les bouleversements paradigmatiques des années soixante et justement définie par Roger Chartier, l’un des pères fondateurs, dans sa postface comme « l’étude des processus d’assignation du sens non seulement aux textes et aux images, mais aussi aux pratiques et aux expériences » (p. 191). La notion de représentation et son étude constituent donc l’objectif principal de l’histoire culturelle. Dans ce livre, coordonné par Philippe Poirier, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne, des universitaires de toutes nationalités se sont prêtés à un exercice délicat, celui d’évaluer les développements de l’histoire culturelle dans leur pays avec au total un panorama extrêmement large – de la France au Brésil en passant par les Etats-Unis et l’Australie.

L’ensemble des contributions permet à la fois au lecteur curieux et au spécialiste de se faire une idée précise sur l’histoire culturelle. Au cours des différents chapitres, les origines de l’histoire culturelle sont retracées. Les sources sont au nombre de deux. Il y a d’abord un marxisme hétérodoxe, dont l’exemple emblématique est l’étude pionnière d’E. P. Thompson sur la classe ouvrière anglaise (1963) ; il y a également les apports de l’anthropologie, notamment aux Etats-Unis, avec C. Geerz (1973), et en France, avec M. de Certeau (1980). Dans ces conditions, l’histoire culturelle est une synthèse originale entre des champs disciplinaires très variés. Les autres sous-disciplines historiques – politique, sociale, ou encore l’histoire des mentalités – y contribuent tout en étant influencées à leur tour. Plusieurs contributions soulignent également l’importance du « linguistic turn » dans les sciences sociales qui, en mettant en lumière l’importance de la langue, de l’outil linguistique, aussi bien dans la définition des concepts que dans la perception de l’environnement, a permis de prendre en compte la diversité des représentations.

Mais cette ouverture de l’histoire culturelle constitue également sa faiblesse : comment définir les limites conceptuelles d’une approche si vaste ? Peut-on par exemple définir un corpus de textes de base spécifiques ? La réponse est loin d’être aisée et cet ouvrage ne contribue pas véritablement à clarifier la situation. En multipliant les essais sur l’état de l’art dans chaque pays, l’ouvrage donne le sentiment d’être une collection de fiches synthétiques, de qualités inégales, mais qui manque d’architecture globale. On aimerait une typologie plus poussée afin de clarifier un champ dont le défaut principal est le flou conceptuel. On voit en effet que dans chaque pays les parcours nationaux ont une importance décisive : l’histoire culturelle, bien loin de se résumer à une simple épistémologie, est aussi un outil politique de construction de l’identité nationale. Ainsi, le chapitre consacré aux Etats-Unis montre bien que le développement des « études culturelles » va de pair avec une redéfinition politique de l’équilibre racial dans les années soixante et soixante-dix. Les exemples de nations comme la Suisse, la Belgique, l’Australie, ou le Canada, où la crise d’identité est endémique, soulignent également cet état de fait et le piège qu’il constitue pour la qualité scientifique de l’histoire culturelle. Celle-ci doit se garder de toute instrumentalisation politique. Elle doit aussi, en reprenant l’expression de R. Chartier, faire de la diversité des « matrices » (p.192) de l’histoire culturelle une force. De ce point de vue, le dialogue entre les écoles nationales doit aussi être favorisé, ce qui constitue le pari fondateur de ce livre.

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Référence électronique

François Vergniolle de Chantal, « Philippe Poirrier (éd.), L’histoire culturelle : un « tournant mondial » dans l’historiographie, 2008 », Textes et contextes [En ligne], 3 | 2009, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=176

Auteur

François Vergniolle de Chantal

Maître de conférences en civilisation américaine, Centre Interlangues Texte, Image, Langage (EA 4182), Université de Bourgogne, UFR Langues et Communication, 2 bd Gabriel, F-21000 Dijon

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